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15/09/2020 | FRANCE | N°20PA01285

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 15 septembre 2020, 20PA01285


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat CGT de l'établissement public Caisse des dépôts et consignations et l'union des syndicats CGT du groupe Caisse des dépôts et consignations ont demandé au tribunal administratif de Paris :

1°) avant-dire droit, d'enjoindre à la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France de produire la demande de l'administration sollicitant que les stipulations relatives à la rupture conventionnelle collective soient dissociées

du reste de l'accord collectif, ainsi que le document transmis par la Caisse d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le syndicat CGT de l'établissement public Caisse des dépôts et consignations et l'union des syndicats CGT du groupe Caisse des dépôts et consignations ont demandé au tribunal administratif de Paris :

1°) avant-dire droit, d'enjoindre à la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France de produire la demande de l'administration sollicitant que les stipulations relatives à la rupture conventionnelle collective soient dissociées du reste de l'accord collectif, ainsi que le document transmis par la Caisse des dépôts et consignations ;

2°) d'annuler les décisions des 9 et 15 octobre 2019 par lesquelles la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a prononcé la validation de l'accord collectif du 24 septembre 2019 portant rupture conventionnelle collective à la Caisse des dépôts et consignations ;

Par un jugement n° 1926448 du 5 mars 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 5 mai 2020 et des mémoires enregistrés les 22 juin 2020 et 20 juillet 2020, le syndicat CGT de l'établissement public Caisse des dépôts et consignations et l'union des syndicats CGT du groupe Caisse des dépôts et consignations, représentés par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 5 mars 2020 ;

2°) d'annuler les décisions des 9 et 15 octobre 2019 par lesquelles la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a prononcé la validation de l'accord collectif du 24 septembre 2019 portant rupture conventionnelle collective à la Caisse des dépôts et consignations ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros à verser à chacun des requérants sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Les requérants soutiennent que :

- le jugement a été rendu en méconnaissance du contradictoire, l'ensemble des mémoires en défense ne leur ayant pas été communiqué ;

- les premiers juges qui ont omis de répondre au moyen tiré de ce que les décisions contestées ne pouvaient pas valider la seule partie de l'accord du 24 septembre 2019 portant sur le contenu des ruptures conventionnelles dès lors que l'accord dans son ensemble formait un tout dont aucun élément ne pouvait être disjoint, n'ont pas suffisamment motivé leur jugement ;

- ils n'ont pas suffisamment motivé leur jugement en ce qu'il écarte le moyen tiré du détournement de procédure ;

- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal administratif, les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 9 octobre 2019 n'étaient pas dépourvues d'objet ;

- les articles L. 1237-19 et suivants du code du travail imposent à l'administration de suivre une procédure contradictoire notamment à l'égard des organisations syndicales lorsqu'elle est saisie d'une demande de validation ;

- la négociation engagée était dépourvue de base légale, son objet était illicite et elle a été conduite de manière déloyale ; en effet, elle a été engagée le 25 janvier 2019 alors que l'article 73 de la loi du 6 aout 2019 qui a permis d'inclure les fonctionnaires et les agents publics dans le champ des ruptures conventionnelles n'était pas entré en vigueur ;

- l'accord collectif du 24 septembre 2019 constituait un tout dont aucun élément ne pouvait être disjoint aux fins de validation par l'administration ; l'intégration dans un accord global des dispositions particulières relatives à la rupture conventionnelle collective a privé les syndicats requérants, qui ne pouvaient pas souscrire au dispositif des ruptures conventionnelles, de la possibilité de signer l'accord ;

- le comité unique de l'établissement public, qui a été consulté le 11 juin 2019, avant l'entrée en vigueur de l'article 73 de la loi du 6 aout 2019, et qui ne pouvait à cette date être assimilé à un comité économique et social, n'a pas pu se prononcer utilement sur le dispositif dont il était saisi ;

- le comité " santé, sécurité et condition de travail " n'a pas été consulté ;

- l'accord du 24 septembre 2019 qui porte atteinte au statut général des fonctionnaires et qui constitue une opération de restructuration consécutive à des innovations technologiques présente le caractère d'un détournement de procédure ;

- la validation de cet accord, qui n'a intéressé qu'un très faible nombre d'agents, est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de la gravité des atteintes portées au droit de la fonction publique.

Par des mémoires enregistrés les 7 juillet 2020 et 3 août 2020, la caisse des dépôts et consignations représentée par le cabinet Weil Gotshal Manges LLP, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge des requérants la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est suffisamment motivé ;

- les conclusions tendant à l'annulation de la décision qui avait été retirée étaient irrecevables dès lors que le retrait était légal ; elles étaient également sans objet ;

- l'administration n'avait pas à se conformer à une procédure contradictoire ni à tenir les syndicats informés de ses échanges avec l'employeur ;

- la négociation a été loyale, aucune des circonstances alléguées ne présentant le caractère d'un vice de nature à entrainer la nullité de l'accord ;

- les parties à une négociation peuvent toujours anticiper une réforme législative ;

- la consultation des instances représentatives a été régulière ;

- l'accord ne constituait pas un tout indivisible et l'administration ne pouvait statuer que dans les limites de son champ de contrôle ;

- le détournement de procédure n'est pas établi ;

- les critiques des syndicats qui portent sur le bienfondé de l'accord portent sur des questions qui échappent au contrôle de l'administration.

Par un mémoire enregistré le 10 juillet 2020, le ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le jugement est suffisamment motivé ;

- le retrait de la décision du 9 octobre 2019 n'a produit aucun effet en droit et ne fait pas grief aux requérants ;

- l'administration devait apprécier la légalité de l'accord à la date à laquelle elle a statué et non pas à celle de l'ouverture des négociations ;

- les parties à l'accord pouvaient anticiper une modification de la législation sans que cela ait, en l'espèce, porté atteinte à la loyauté des négociations et à la régularité des consultations des instances représentatives ;

- l'administration, qui n'était pas tenue de suivre une procédure contradictoire, ne pouvait statuer que sur la partie de l'accord soumise à son contrôle ;

- le détournement de procédure n'est pas établi.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- la loi n° 96-452 du 28 mai 1996 ;

- la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 ;

- l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 ;

- le décret n° 98-596 du 13 juillet 1998 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de Mme Péna, rapporteur public,

- les observations de Me Lyon-Caen, avocat du syndicat CGT de l'établissement public Caisse des dépôts et consignations et de l'union des syndicats CGT du groupe Caisse des dépôts et consignations,

- et les observations de Me Salat-Baroux, avocat de la Caisse des dépôts et consignations.

Considérant ce qui suit :

1. La Caisse des dépôts et consignations et la majorité des syndicats représentatifs de l'établissement ont conclu, le 18 octobre 2018, un accord-cadre 2019-2021 définissant pour les trois années à venir des objectifs communs en matière de négociation collective, visant notamment à l'approfondissement de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et à l'adoption de mesures d'accompagnement des personnels dans leurs projets de reconversion. Dans ce cadre, la direction de la Caisse des dépôts et consignations et les organisations syndicales ont engagé une négociation collective au début de l'année 2019 en vue de parvenir à un accord collectif global applicable à l'ensemble des personnels de la caisse, que leur statut relève du droit privé ou du droit public, portant sur les orientations en matière de renouvellement des compétences, la mise en oeuvre de mesures d'accompagnement pour les collaborateurs en fin de carrière et l'adoption de dispositifs communs de départ volontaire en cours de carrière incluant, sur ce dernier point, un accord portant rupture conventionnelle collective. Cet accord global a été conclu le 24 septembre 2019 entre la Caisse des dépôts et consignations et la majorité des syndicats représentatifs.

2. Par une décision du 9 octobre 2019, le directeur de l'emploi et du développement économique de l'unité départementale de Paris, agissant au nom de la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France, saisie en application de l'article L. 1237-19-3 du code du travail, a validé la partie de l'accord du 24 septembre 2019 se rapportant à la rupture conventionnelle collective. Par une seconde décision du 15 octobre 2019, la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a retiré la décision du 9 octobre 2019 que le signataire n'était pas habilité à prendre, et a validé dans les mêmes termes la partie de l'accord du 24 septembre 2019 qui lui avait été soumise.

3. Par un jugement du 5 mars 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande présentée par le syndicat CGT de l'établissement public Caisse des dépôts et consignations et l'union des syndicats CGT du groupe Caisse des dépôts et consignations, tous deux non signataires de l'accord, tendant à l'annulation des deux décisions des 9 et 15 octobre 2019. Les deux syndicats requérants relèvent appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement :

4. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " (...) La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes (...). / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Il résulte de ces dispositions, destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer un mémoire ou une pièce contenant des éléments nouveaux est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité. Il n'en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pu préjudicier aux droits des parties.

5. Il ne ressort pas des pièces du dossier de première instance, et notamment des énonciations du jugement attaqué, que pour rejeter la demande des requérants, le tribunal administratif de Paris se serait fondé sur des éléments nouveaux figurant dans le dernier mémoire de la Caisse des dépôts enregistré le 13 janvier 2020 qui n'avait pas été communiqué aux parties. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire doit dès lors être écarté.

6. Le tribunal a suffisamment répondu au point 20 de son jugement au moyen tiré de ce que l'administration ne pouvait prononcer de validation dès lors que la rupture conventionnelle collective constitue une partie seulement de l'accord collectif global négocié avec l'employeur et que les syndicats ne peuvent que signer ou refuser de signer l'intégralité de cet accord sans pouvoir limiter leur refus à la partie portant sur la rupture conventionnelle collective, qu'il a visé et correctement analysé. Les syndicats requérants ne sont pas fondés à soutenir que les premiers juges auraient omis de statuer sur ce moyen. Ils ont par ailleurs écarté au point 21 le moyen tiré du détournement de procédure en relevant que les syndicats n'apportaient aucun élément probant de nature à établir que l'accord validé constituait une opération de restructuration déguisée attentatoire au statut des fonctionnaires et agents publics et prohibée dans le cadre d'une rupture conventionnelle collective. Le jugement, qui est également suffisamment motivé sur ce point, n'est pas dès lors entaché d'irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement :

S'agissant de la légalité de la décision du 15 octobre 2019 :

7. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 1237-19 du code du travail : " Un accord collectif peut déterminer le contenu d'une rupture conventionnelle collective excluant tout licenciement pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés en termes de suppression

d'emplois ". Aux termes de l'article L. 1237-19-1 du même code : " L'accord portant rupture conventionnelle collective détermine : 1° Les modalités et conditions d'information du comité social et économique, s'il existe ; 2° Le nombre maximal de départs envisagés, de suppressions d'emplois associées, et la durée pendant laquelle des ruptures de contrat de travail peuvent être engagées sur le fondement de l'accord ; 3° Les conditions que doit remplir le salarié pour en bénéficier ; 4° Les modalités de présentation et d'examen des candidatures au départ des salariés, comprenant les conditions de transmission de l'accord écrit du salarié au dispositif prévu par l'accord collectif ; 4° bis Les modalités de conclusion d'une convention individuelle de rupture entre l'employeur et le salarié et d'exercice du droit de rétractation des parties ; 5° Les modalités de calcul des indemnités de rupture garanties au salarié, qui ne peuvent être inférieures aux indemnités légales dues en cas de licenciement ; 6° Les critères de départage entre les potentiels candidats au départ ; 7° Des mesures visant à faciliter l'accompagnement et le reclassement externe des salariés sur des emplois équivalents, telles que le congé de mobilité dans les conditions prévues aux articles L. 1237-18-1 à L. 1237 18-5, des actions de formation, de validation des acquis de l'expérience ou de reconversion ou des actions de soutien à la création d'activités nouvelles ou à la reprise d'activités existantes par les salariés ; 8° Les modalités de suivi de la mise en oeuvre effective de l'accord portant rupture conventionnelle collective (...) ". Aux termes de l'article L. 1237-19-3 de ce code : " L'accord collectif mentionné à l'article L. 1237-19 est transmis à l'autorité administrative pour validation. / L'autorité administrative valide l'accord collectif dès lors qu'elle s'est assurée : 1° De sa conformité au même article L. 1237-19 ; 2° De la présence des clauses prévues à l'article

L. 1237-19-1 ; 3° Du caractère précis et concret des mesures prévues au 7° du même article

L. 1237-19-1 ; 4° Le cas échéant, de la régularité de la procédure d'information du comité social et économique ".

8. Aux termes de l'article D. 1237-9 du code du travail : " Le délai prévu à l'article

L. 1237-19-4 court à compter de la réception du dossier complet par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi. / Le dossier est complet lorsqu'il comprend l'accord prévu à l'article L. 1237-19, ainsi que les informations permettant de vérifier la régularité des conditions dans lesquelles il a été conclu et, le cas échéant, la mise en oeuvre effective de l'information du comité social et économique prévue au

1° de l'article L. 1237-19-1. / En cas d'absence de comité social et économique par suite d'une carence constatée dans les conditions prévues à l'article L. 2314-9, l'employeur joint à la demande de validation le procès-verbal constatant cette carence. / Le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi informe sans délai et par tout moyen permettant de conférer une date certaine l'employeur, les signataires de l'accord et, le cas échéant, le comité social et économique que le dossier est complet. / Dans le délai prévu à l'article L. 1237-19-4, l'autorité administrative peut demander, le cas échéant, tout élément justificatif complémentaire à l'employeur afin de lui permettre d'opérer le contrôle prévu à l'article L. 1237-19-3 ". Aux termes de l'article D. 1237-10 du même code : " La décision de validation du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi prévue à l'article L. 1237-19-4 est adressée dans le délai mentionné à ce même article par tout moyen permettant de conférer une date certaine à l'employeur, aux signataires de l'accord, ainsi qu'au comité social et économique le cas échéant ".

En ce qui concerne l'absence de consultation des organisations syndicales et le défaut de procédure contradictoire :

9. En premier lieu, il ne résulte ni des dispositions précitées des articles L. 1237-19-3, D. 1237-9 et D. 1237-10 du code du travail, ni d'aucune autre disposition de ce code qu'avant de valider un accord collectif portant rupture conventionnelle collective, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi doive engager une procédure contradictoire, et notamment qu'il doive consulter les organisations syndicales non signataires de l'accord. Il n'était pas davantage tenu de communiquer aux syndicats les échanges qu'il aurait pu avoir avec l'employeur.

10. En second lieu, le retrait, intervenu le 15 octobre 2019, de la décision du 9 octobre 2019 ne présentait pas pour les syndicats requérants, qui n'étaient pas signataires de l'accord litigieux, le caractère d'une décision administrative défavorable au sens des articles L. 121-1 et L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Ce retrait de la décision du

9 octobre 2019, motivé par l'incompétence du signataire de la décision initiale et aussitôt suivi par la validation de l'accord par un signataire habilité, n'a par ailleurs retiré aucun droit au demandeur. Ainsi donc, les syndicats requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'ils auraient dû être associés à une procédure contradictoire.

En ce qui concerne la procédure de négociation :

11. Aux termes de l'article 34 de la loi du 28 mai 1996 portant diverses mesures d'ordre sanitaire, social et statutaire : " Le personnel de la Caisse des dépôts et consignations comprend des agents régis par le statut général de la fonction publique de l'Etat et des agents contractuels de droit public (...) / La Caisse des dépôts et consignations, représentée par son directeur général, est habilitée à conclure des accords collectifs avec les organisations syndicales représentatives, qui ont pour objet d'assurer la mise en cohérence des règles sociales dont relèvent les personnels de la Caisse des dépôts et consignations. Approuvés par arrêté du directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, ces accords s'appliquent de plein droit à l'ensemble de ces personnels (...) ". L'article 73 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a eu pour effet de rendre applicables les dispositions du code du travail relatives à la rupture d'un commun accord dans le cadre d'un accord collectif portant rupture conventionnelle collective, dont les plus pertinentes au litige sont citées au point 7 du présent arrêt, aux agents de la Caisse des dépôts et consignations régis par le statut général de la fonction publique de l'Etat, aux agents contractuels de droit public de cet établissement, à l'exception de ceux qui sont employés pour une durée déterminée, ainsi qu'aux personnels mentionnés à l'article 1er de l'ordonnance n° 2005-389 du 28 avril 2005 relative au transfert d'une partie du personnel de la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines à la Caisse des dépôts et consignations.

12. Pour demander l'annulation de la décision de la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France du 15 octobre 2019 validant l'accord conclu le 24 septembre 2019, les syndicats requérants font valoir que, l'article 73 de la loi du 6 août 2019 ayant été adopté après que les négociations avaient débuté, celles-ci étaient dépourvues de base légale, leur objet était illicite et elles ont été conduites de manière déloyale. Ils en déduisent que ces vices entachent d'illégalité la décision par laquelle l'administration a validé cet accord.

13. La légalité d'une décision administrative s'apprécie à la date à laquelle elle a été prise. Or, le 15 octobre 2019, les dispositions de l'article 73 de la loi du 6 août 2019 trouvaient à s'appliquer et l'accord collectif du 24 septembre 2019 portant rupture conventionnelle collective à la Caisse des dépôts et consignations n'était pas dépourvu de base légale. Par ailleurs il résulte des dispositions de l'article L. 1237-19-3 du code du travail, cité au point 7 du présent arrêt, que le contrôle de l'administration porte sur les quatre points qu'il mentionne. Les vices affectant, le cas échéant, les conditions de négociation d'un accord collectif conclu sur le fondement de l'article L. 1237-19 du code du travail ne sont susceptibles d'entraîner l'illégalité de l'acte validant cet accord que s'ils sont de nature à entacher ce dernier de nullité.

14. En l'espèce, la circonstance que, lorsque les négociations ont été engagées en janvier 2019, aucune disposition législative ne permettait encore de conclure un accord collectif portant rupture conventionnelle collective d'agents de droit public à la Caisse des dépôts et consignations n'a pas eu pour effet de priver de base légale cette négociation ou d'entacher son objet d'illicéité. En anticipant une réforme législative dont l'issue ne pouvait être tenue pour acquise et dont les termes exacts n'étaient pas connus, la direction de la Caisse des dépôts et consignations s'est simplement exposée au risque de négocier en vain un accord que l'administration aurait été tenue de refuser de valider si les conditions légales n'avaient pas été satisfaites. Cette circonstance n'est donc pas de nature à avoir entaché de nullité l'accord conclu le 24 septembre 2019.

15. Par ailleurs, si les négociations sur l'accord collectif portant rupture conventionnelle collective ont commencé en janvier 2019 alors que la loi ne permettait pas encore l'intégration de ces personnels de droit public dans l'accord à venir, les organisations syndicales ont été informées au cours de cette négociation du dépôt d'un amendement au projet de loi de transformation de la fonction publique, alors en discussion au Parlement, visant à étendre les dispositions du code du travail sur la rupture conventionnelle collective aux fonctionnaires et agents publics contractuels à durée indéterminée de la Caisse des dépôts et consignations. Les syndicats ont également été informés de ce que la conclusion de l'accord en cours de négociation était subordonnée à l'adoption de ce projet de loi. Celui-ci a été adopté par l'Assemblée nationale le 18 juillet 2019 et par le Sénat le 23 juillet 2019, intégrant l'amendement précité, sans modification, à son article 73. L'accord collectif intégrant des mesures sur la rupture conventionnelle collective a été conclu le 24 septembre 2019, après l'entrée en vigueur de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique. Il ressort également des pièces du dossier que toutes les informations utiles ont été données aux organisations syndicales sur le périmètre de cette négociation et les conditions d'un accord collectif jusqu'à la conclusion de celui-ci. La circonstance que les discussions sur la rupture conventionnelle collective ont porté sur l'ensemble des personnels privés et publics dès le début de la négociation n'est donc pas de nature à avoir ôté à cette négociation son caractère loyal, en l'absence de tout élément susceptible de révéler que les organisations syndicales représentatives se seraient trouvées dans l'impossibilité de discuter utilement du projet d'accord avant l'adoption de la loi du 6 août 2019. Dans ces conditions, alors donc que l'objet de la convention est licite et que rien n'a vicié le consentement des signataires, les syndicats requérants ne sont pas fondés à soutenir que des vices affectant les conditions de négociation de l'accord ont entaché celui-ci de nullité, et que la décision de la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France du 15 octobre 2019 validant l'accord conclu le

24 septembre 2019 est, de ce chef, entachée d'illégalité.

En ce qui concerne l'intégration des mesures de rupture conventionnelle collective dans un accord unique et la disjonction du chapitre III de l'accord aux fins de validation par l'administration :

16. Il résulte notamment des dispositions précitées de l'article L. 1237-19-3 du code du travail que l'administration n'a à valider que l'accord collectif qui détermine le contenu d'une rupture conventionnelle collective. C'est donc à bon droit qu'elle n'a statué que sur la seule partie de l'accord conclu le 24 septembre 2019 qui était soumise à son contrôle.

17. Le choix fait par les parties d'intégrer les dispositions relatives à la rupture conventionnelle collective dans un accord plus large, et la circonstance que, en refusant de signer cet accord, les syndicats requérants se trouvent dans l'impossibilité de participer au comité constitué pour le suivi de l'ensemble de l'accord collectif, est sans influence sur la légalité de la décision du 15 octobre 2019. En tout état de cause, ce choix, qui n'a pas porté atteinte à la loyauté de la négociation, ne présente pas le caractère d'un vice affectant les conditions de négociation susceptible d'avoir entaché l'accord de nullité

En ce qui concerne les vices de procédure :

18. Aux termes de l'article 2 du décret du 13 juillet 1998, dans sa rédaction issue du décret du 5 juin 2018 relatif aux instances de concertation propres à la Caisse des dépôts et consignations : " La Caisse des dépôts et consignations est dotée d'une instance unique de concertation dénommée comité unique de l'établissement public qui est commune à l'ensemble de ses agents, quel que soit leur régime juridique et leur statut (...) ". Aux termes de l'article 22 de ce décret : " Le comité unique de l'établissement public est également consulté, préalablement à leur signature, sur les projets d'accords collectifs, dont ceux relatifs à l'intéressement et à l'épargne salariale ". Enfin, aux termes du III de l'article 40 de l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail : " (...) Dans l'attente de la mise en place du comité social et économique, les attributions de cette instance prévues à l'article 10 de la présente ordonnance sont exercées par le comité d'entreprise ou, le cas échéant, les délégués du personnel ". L'article 10 de l'ordonnance du 22 septembre 2017 a eu pour objet, notamment, de créer l'article L. 1237-19-1 du code du travail dont le 1° prévoit que l'accord collectif de rupture conventionnelle collective détermine les modalités et conditions d'information du comité social et économique.

19. D'une part, si le deuxième alinéa de l'article 73 de la loi du 6 août 2019 prévoit que, " pour l'application du 1° de l'article L. 1237-19-1 du code du travail, l'instance unique de représentation du personnel de la Caisse des dépôts et consignations tient lieu de comité social et économique ", il résulte des dispositions citées au point précédent que le comité unique de l'établissement public, qui exerce les compétences d'un comité d'entreprise, était compétent, avant même l'intervention de la loi du 6 août 2019, pour se prononcer sur le projet d'accord collectif en cours de négociation lorsqu'il en a été informé le 6 janvier 2019, puis lors de sa consultation le 11 juin 2019. Par ailleurs, il n'est pas établi ni même soutenu que les membres du comité auraient disposé d'informations erronées sur ce projet d'accord. En outre, la circonstance que les membres du comité se sont prononcés avant l'entrée en vigueur des dispositions du premier alinéa de l'article 73 de la loi du 6 août 2019, permettant d'inclure les fonctionnaires et agents publics contractuels de la caisse dans un projet d'accord de rupture conventionnelle collective, ne les a pas privés de la possibilité d'exercer utilement leur pouvoir d'appréciation dès lors que l'amendement introduisant ces dispositions avait été porté à leur connaissance lors de la consultation du 11 juin 2019 et, ainsi qu'il a été dit précédemment, que cet amendement a été adopté sans modification. Au demeurant, les membres du comité avaient été informés que l'application de l'accord était subordonnée à l'adoption de cette loi.

20. D'autre part, les dispositions de l'article 73 de la loi du 6 août 2019 permettaient de prévoir, à l'article 3.11 de l'accord litigieux conclu le 24 septembre 2019, les modalités et conditions d'information du comité unique de l'établissement public, assimilé à un comité social et économique pour l'application du 1° de l'article L. 1237-19-1 du code du travail. En outre, la circonstance, au demeurant non démontrée par les syndicats requérants, que celles de ces modalités, prévues pour l'exécution de l'accord, ne seraient pas respectées est sans influence sur la légalité de la décision attaquée qui a pour seul objet de valider les mesures telles qu'elles sont prévues par l'accord.

21. Enfin, le comité unique de l'établissement public comprend le comité " santé, sécurité et conditions de travail " qui a pour mission, en application de l'article 24 du décret du 13 juillet 1998, de contribuer à la protection de la santé physique et mentale des travailleurs, à leur sécurité sur le lieu de travail, à l'amélioration des conditions de travail et au respect des prescriptions légales en ces matières. Eu égard aux missions dévolues au comité " santé, sécurité et conditions de travail ", il n'avait pas à être consulté sur le projet d'accord litigieux qui a pour objet la mise en oeuvre de dispositifs de départ volontaire des agents de la Caisse des dépôts et consignations.

22. Ainsi donc, la procédure d'information de l'instance représentative du personnel a été régulière ainsi que l'a constaté la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France, aucun des griefs des syndicats requérants n'étant de nature à conduire l'administration à refuser de valider l'accord qui lui était soumis.

En ce qui concerne le détournement de pouvoir et l'erreur manifeste d'appréciation :

23. Si, à l'appui du moyen tiré du détournement de procédure, les syndicats requérants font valoir que l'accord du 24 septembre 2019 couvre en réalité une opération de restructuration à seule fin de tirer les conséquences d'innovations technologiques, internet et numérique, prohibée par la loi, ces affirmations, pas plus qu'elles ne l'étaient en première instance, ne sont étayées par des éléments concrets qui permettraient à la Cour d'en apprécier le bienfondé. Le moyen tiré de l'atteinte portée aux principes généraux du droit de la fonction publique est inopérant dès lors que la conclusion de l'accord relatif à la rupture conventionnelle collective du 24 septembre 2019 a été rendue possible par la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique. Si les syndicats requérants mettent en cause la lourdeur et le coût d'un dispositif qui ne serait susceptible d'intéresser qu'un faible nombre d'agents, ces considérations n'entrent pas au nombre des éléments, énumérés à l'article L. 1237-19-3 du code du travail, sur lesquels porte le contrôle de l'administration qui, en l'espèce, n'a pas entaché son appréciation d'une erreur manifeste.

24. Il résulte de ce qui précède que les syndicats requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du 15 octobre 2019.

S'agissant de la légalité de la décision du 9 octobre 2019 :

25. La décision du 15 octobre 2019 qui a retiré la décision du 9 octobre 2019 n'étant pas entachée d'illégalité, les syndicats ne sauraient demander l'annulation de la première décision qui, à la date de leur demande, avait disparu de l'ordre juridique. Au demeurant, les moyens dont était assortie leur contestation de cette décision, identiques à ceux soulevés à l'encontre de la décision du 15 octobre 2019, ont été écartés par le présent arrêt.

26. Il résulte de ce tout qui précède que les syndicats requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens.

27. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de l'Etat les sommes que réclament les syndicats requérants au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge conjointe du syndicat CGT de l'établissement public Caisse des dépôts et consignations et de l'union des syndicats CGT du groupe Caisse des dépôts et consignations la somme globale de 1 500 euros à verser à la Caisse des dépôts et consignations.

DECIDE :

Article 1er : La requête du syndicat CGT de l'établissement public Caisse des dépôts et consignations et de l'union des syndicats CGT du groupe Caisse des dépôts et consignations est rejetée.

Article 2 : Le syndicat CGT de l'établissement public Caisse des dépôts et consignations et l'union des syndicats CGT du groupe Caisse des dépôts et consignations verseront conjointement à la Caisse des dépôts et consignations la somme globale de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au syndicat CGT de l'établissement public Caisse des dépôts et consignations, à l'union des syndicats CGT du groupe Caisse des dépôts et consignations, à la ministre du travail et à la Caisse des dépôts et consignations.

Copie en sera adressée pour information à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région d'Ile-de-France.

Délibéré après l'audience du 8 septembre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. B..., premier vice-président,

- M. A..., président assesseur,

- Mme Jayer, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 15 septembre 2020.

Le rapporteur,

Ch. A...Le président,

M. B...

Le greffier,

E. MOULIN

La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20PA01285


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Travail et emploi - Conventions collectives - Agrément de certaines conventions collectives.

Travail et emploi - Licenciements.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: M. Christian BERNIER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN-THIRIEZ

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Date de la décision : 15/09/2020
Date de l'import : 05/11/2020

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 20PA01285
Numéro NOR : CETATEXT000042333970 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-09-15;20pa01285 ?
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