Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) Miss Lili a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2012, 2013 et 2014, et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre des années 2013 et 2014, ainsi que des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1803305 du 25 septembre 2019, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 14 novembre 2019 et 13 février 2020, la société Miss Lili, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1803305 du 25 septembre 2019 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2012, 2013 et 2014, et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre des années 2013 et 2014, ainsi que des pénalités correspondantes ;
3°) à titre subsidiaire, de prononcer la restitution de la cotisation d'impôt sur les sociétés d'un montant d'un montant de 2 833 euros.
Elle soutient que :
- l'administration n'apporte pas la preuve du caractère de complaisance des factures en cause ; des flux de marchandises ont été constatés par le service lors des opérations de contrôle, ainsi que cela résulte du courrier de l'administration du 27 juillet 2016, des chèques correspondant aux factures émises ont été établis à l'ordre des sociétés Mod Folies et Mod Import, ces deux sociétés étant inscrites au registre des sociétés lorsqu'ont été émises les factures litigieuses ; l'administration n'apporte pas d'éléments permettant de penser qu'elle n'ignorait pas la nature de complaisance de ces factures, alors que ces deux sociétés avaient le même gérant ; la société Mod Folies disposait d'un véhicule de transport inscrit à l'actif de son bilan au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2012 pour une valeur de 6 800 euros ;
- elle est fondée à demander la décharge des impositions sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 et 2014 à raison de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé ces factures et constitutive d'une charge déductible, et à solliciter pour ce même motif la restitution de l'impôt sur les sociétés de 2 833 euros ;
- l'amende infligée sur le fondement des dispositions de l'article 1759 du code général des impôts ne se justifie pas en l'absence de preuve apportée par le service de son intention d'éluder les droits de taxe sur la valeur ajoutée rappelés.
Par un mémoire en défense enregistré le 14 janvier 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Miss Lili ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les conclusions de M. Lemaire, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Miss Lili exerce une activité de commerce en gros de biens domestiques. A l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2012, 2013 et 2014, le service lui a notifié, suivant la procédure de rectification contradictoire, par une proposition de rectification du 27 novembre 2015, des rectifications en matière d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2012, ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la même année, et par une proposition de rectification du 29 avril 2016, des rectifications en matière d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2013 et 2014, ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2014. La société Miss Lili relève appel du jugement en date du 25 septembre 2019 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions et rappels de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que des pénalités correspondantes.
Sur les rappels de taxe sur la valeur ajoutée déduite au titre de factures de complaisance :
2. Aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. 2. Le droit à déduction prend naissance lorsque la taxe déductible devient exigible chez le redevable. Toutefois, les personnes qui effectuent des opérations occasionnelles soumises à la taxe sur la valeur ajoutée n'exercent le droit à déduction qu'au moment de la livraison. 3. La déduction de la taxe ayant grevé les biens et les services est opérée par imputation sur la taxe due par le redevable au titre du mois pendant lequel le droit à déduction a pris naissance. II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures ". Aux termes du 4 de l'article 283 du même code : " Lorsque la facture ne correspond pas à la livraison d'une marchandise ou à l'exécution d'une prestation de services, ou fait état d'un prix qui ne doit pas être acquitté effectivement par l'acheteur, la taxe est due par la personne qui l'a facturée. ". Et selon le 2 de l'article 272 du même code : " La taxe sur la valeur ajoutée facturée dans les conditions définies au 4 de l'article 283 ne peut faire l'objet d'aucune déduction par celui qui a reçu la facture ".
3. En vertu des dispositions combinées des articles 271, 272 et 283 du code général des impôts, un contribuable n'est pas en droit de déduire de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable à raison de ses propres opérations la taxe mentionnée sur une facture établie à son nom par une personne qui n'est pas le fournisseur réel de la marchandise ou de la prestation effectivement livrée ou exécutée. Dans le cas où l'auteur de la facture est régulièrement inscrit au registre du commerce et des sociétés, assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée et se présente comme tel à ses clients, il appartient à l'administration, si elle entend refuser à celui qui a reçu la facture le droit de déduire la taxe qui y est mentionnée, d'établir qu'il s'agissait d'une facture de complaisance et que le contribuable le savait ou ne pouvait l'ignorer. Si l'administration apporte des éléments suffisants en ce sens, il appartient alors au contribuable d'apporter toutes justifications utiles sur cette opération, sans qu'il ne puisse être exigé de lui des vérifications qui ne lui incombent pas.
En ce qui concerne les factures émises par la société Mod Folies :
4. La société Miss Lili a comptabilisé au titre de l'exercice clos en 2013 onze factures établies par la société Mod Folies du 20 mars 2013 au 15 juillet 2013 pour un montant total de 558 090 euros hors taxe, et a déduit la taxe sur la valeur ajoutée correspondant à ces factures. Le service a, sur le fondement des dispositions du 1 du I de l'article 271, du 2 de l'article 272 et du 4 de l'article 283 du code général des impôts, remis en cause le droit à déduction de la société Miss Lili de la taxe mentionnée sur les factures émises par la société Mod Folies, regardées comme étant des factures de complaisance, et a procédé au rappel de la taxe sur la valeur ajoutée correspondant à ces factures.
5. Pour remettre en cause la déductibilité de cette taxe sur la valeur ajoutée, et établir que la société Miss Lili savait ou ne pouvait ignorer qu'il s'agissait de factures de complaisance, le service a constaté que la société Miss Lili avait acquitté jusqu'au mois d'août 2013, des achats de chaussures facturés par la société Mod Folies, alors que ce fournisseur ne disposait plus de moyen d'exploitation lui permettant d'honorer les ventes facturées postérieurement à la cession de son fonds de commerce le 19 avril 2013. Il a également mis en évidence que, si dans le secteur d'activité de la société requérante le règlement des factures intervient en général soixante jours après la livraison des marchandises, la société Miss Lili procédait à des paiements antérieurs à l'achat de marchandises auprès de ce fournisseur, ces paiements étant révélateurs d'un comportement économiquement anormal. Il a enfin relevé que la société Miss Lili n'a pu justifier des achats effectués auprès de la société Mod Folies, à défaut d'avoir pu produire les bons de livraison qu'elle détruisait à réception des factures de cette société, le service ayant, par ailleurs, été contraint de reconstituer les stocks de la société requérante. Si celle-ci soutient que la société Mod Folies pouvait jusqu'à la date de sa radiation effective du registre du commerce et des sociétés le 15 décembre 2013 émettre des factures, la cession du fonds de commerce de cette société fournisseur comprenait toutefois et nécessairement la cession de son stock de marchandises à la date de la vente du 19 avril 2013, ainsi que l'a relevé l'administration fiscale. Par ailleurs, il n'est pas établi que la société Mod Folies disposait d'un véhicule de transport au cours de l'exercice 2013, quand bien même il était inscrit à l'actif de son bilan au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2012, et il ne résulte pas de l'instruction que la société requérante procédait à des paiements antérieurs à l'achat de marchandises avec d'autres fournisseurs. Dans ces conditions, eu égard notamment à l'importance des livraisons en litige par la société Mod Folies, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve de ce que la société requérante savait ou ne pouvait ignorer qu'il s'agissait de factures de complaisance, sans qu'elle puisse utilement se prévaloir de l'ancienneté de ses liens commerciaux avec la société Mod Folies. L'administration était en conséquence fondée à remettre en cause, sur le fondement des dispositions des articles 271, 272 et 283 du code général des impôts, la taxe sur la valeur ajoutée déduite à ce titre et à procéder au rappel de taxe sur la valeur ajoutée correspondant au titre de l'année 2013.
En ce qui concerne les factures émises par la société Mod Import :
6. La société requérante a comptabilisé au titre des exercices clos en 2013 et 2014 des factures établies par la société Mod Import et a déduit la taxe sur la valeur ajoutée mentionnée sur ces factures. Lors de la vérification de comptabilité de cette société, le service a constaté que les règlements correspondant à ces factures avaient été effectués au bénéfice de personnes physiques étrangères à la société, et avaient pour seul objet de dissimuler l'identité réelle des personnes ayant effectué les achats de marchandises, afin de pouvoir déduire la taxe correspondante, et qu'elles revêtaient ainsi le caractère de factures de complaisance. S'il résulte de l'extrait kbis produit que la société Mod Import était régulièrement inscrite au registre du commerce et des sociétés à la date des factures en cause, cette société, qui ne disposait pas de véhicule de livraison et n'avait que trois salariés, n'a cependant procédé à aucune importation ni achat durant son existence limitée à 18 mois, et n'a déposé aucune déclaration fiscale sur cette période. La société requérante fait valoir que des flux de marchandises ont été constatés par le service lors des opérations de contrôle, alors que la société Mod Import disposait d'un stock, et que les chèques de règlement correspondant aux factures émises ont été produits. Si la société se prévaut des liasses fiscales déposées par les sociétés Mod Folies et Mod Import, respectivement relatives aux exercices 2012 et 2013, il résulte toutefois de ces documents et de la proposition de rectification du 29 avril 2016 que les achats facturés à la société Miss Lili pour un montant de 573 750 euros ont été supérieurs au stock cédé à la société Mod Import par la société Mod Folies le 19 avril 2013, compte tenu des ventes de cette dernière à la société Miss Lili au cours de l'exercice 2013, alors que la société requérante n'avance aucun élément de nature à établir l'existence d'achats de marchandises livrés par la société Mod Import, à défaut également de produire les bons de commande relatifs à ces factures. Eu égard à ces éléments et à l'importance des livraisons par la société Mod Import, qui concouraient pour plus d'un tiers aux acquisitions de la société Miss Lili en 2013, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve de ce que cette dernière savait ou ne pouvait ignorer qu'il s'agissait de factures de complaisance. C'est, par suite, à bon droit que l'administration a considéré que les factures émises par cette société constituaient des factures de complaisance. L'administration était en conséquence fondée à remettre en cause, sur le fondement des dispositions des articles 271, 272 et 283 du code général des impôts, la taxe sur la valeur ajoutée déduite à ce titre et à procéder aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée correspondant au titre de années 2013 et 2014.
Sur la demande de compensation :
7. La société Miss Lili demande que soient admis en déduction des résultats rectifiés après cascade au titre des exercices clos en 2013 et 2014, les montants de taxe sur la valeur ajoutée correspondant aux factures des sociétés Mod Folies et Mod Import. La demande de la société requérante doit ainsi être regardée comme une demande de compensation pour la détermination de l'impôt de la société de ces exercices, au sens des dispositions de l'article L. 205 du livre des procédures fiscales.
8. La déductibilité de la charge constituée par les achats litigieux n'est pas contestée par l'administration qui ne conteste pas davantage que la redevable a acquitté la taxe grevant ces achats. Il en résulte que la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les factures des sociétés Mod Folies et Mod Import avait le caractère d'une charge déductible, dont le montant au titre des exercices 2013 et 2014 n'a pas été réintégré par le service dans les résultats de ces exercices. Celle-ci est donc fondée à demander la décharge de la cotisation d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2013 dans la limite des montants mis en recouvrement, en droits et pénalités, par l'avis de mise en recouvrement du 5 juillet 2017.
9. En revanche, la société Miss Lili n'est fondée ni à demander la décharge de la cotisation d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2014, dès lors qu'aucune cotisation d'impôt sur les sociétés n'a été recouvrée au titre de cet exercice, ni à solliciter la restitution de sa cotisation d'impôt sur les sociétés initiale d'un montant de 2 833 euros, une telle restitution étant étrangère au profit sur le Trésor, dont le rehaussement a été abandonné par le service dans sa réponse aux observations de la contribuable du 27 juillet 2016.
Sur la pénalité pour manquement délibéré :
10. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré. (...) ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée et des autres taxes sur le chiffre d'affaires, des droits d'enregistrement, de la taxe de publicité foncière et du droit de timbre, la preuve de la mauvaise foi et des manoeuvres frauduleuses incombe à l'administration ".
11. Il résulte de ce qui précède que le service a établi que la société Miss Lili avait déduit de la taxe sur la valeur ajoutée par anticipation et sur des factures présentant un caractère de complaisance. Dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve qui lui incombe du manquement délibéré de l'intéressée à ses obligations déclaratives et, par suite, du bien-fondé de la majoration de 40 % infligée sur le fondement des dispositions précitées de l'article 1729 du code général des impôts.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Miss Lili est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge de la cotisation d'impôts sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice 2013 dans la limite des montants mis en recouvrement, en droits et pénalités, par l'avis de mise en recouvrement du 5 juillet 2017.
DÉCIDE :
Article 1er : La société Miss Lili est déchargée de la cotisation d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2013 dans la limite des montants mis en recouvrement, en droits et pénalités, par l'avis de mise en recouvrement du 5 juillet 2017.
Article 2 : Le jugement n° 1803305 du Tribunal administratif de Paris du 25 septembre 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus de conclusions de la requête de la société Miss Lili est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Miss Lili et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée au directeur général des finances publiques - direction de contrôle fiscal d'Île-de-France - division juridique.
Délibéré après l'audience du 9 juillet 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Formery, président de chambre,
- Mme B..., premier conseiller,
- M. Doré, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 31 juillet 2020.
Le rapporteur,
C. B...Le président,
S.-L. FORMERY
Le greffier,
F. DUBUY
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA03590