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07/07/2020 | FRANCE | N°18PA03854

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 07 juillet 2020, 18PA03854


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 5 juillet 2016 par laquelle le procureur général près la cour d'appel de Paris a rejeté sa demande de dispense de l'examen professionnel pour l'accès à la profession d'huissier de justice, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux du 7 septembre 2016.

Par un jugement n° 1700350 du 4 octobre 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :


Par une requête enregistrée le 10 décembre 2018, Mme A..., représentée par

Me E... F.....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 5 juillet 2016 par laquelle le procureur général près la cour d'appel de Paris a rejeté sa demande de dispense de l'examen professionnel pour l'accès à la profession d'huissier de justice, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux du 7 septembre 2016.

Par un jugement n° 1700350 du 4 octobre 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 10 décembre 2018, Mme A..., représentée par

Me E... F..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 4 octobre 2018 ;

2°) d'annuler la décision du 5 juillet 2016 par laquelle le procureur général près la cour d'appel de Paris a rejeté sa demande de dispense de l'examen professionnel pour l'accès à la profession d'huissier de justice, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux du 7 septembre 2016 ;

3°) d'enjoindre au procureur général près la cour d'appel de Paris de réexaminer sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement n'est pas suffisamment motivé ;

- le procureur général qui a refusé de lui communiquer son dossier et a statué au vu d'éléments dont elle n'avait pas connaissance n'a pas respecté le principe du contradictoire et n'a pas motivé sa décision ;

- la décision est fondée sur l'avis du président de la chambre nationale des huissiers de justice qui est entaché d'une erreur de droit ;

- en effet, la possibilité offerte de se présenter à l'examen professionnel n'est pas un motif légal de refus de dispense ;

- ses services dans un cabinet d'huissiers de justice, qui est une entreprise, où elle exerçait des missions d'expertise juridique en totale autonomie lui permettaient d'être dispensée de l'examen sur le fondement de l'article 5 du décret du 14 août 1975.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 février 2020, le Garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requête d'appel est tardive ;

- le jugement est suffisamment motivé ;

- la décision contestée, qui n'avait au demeurant pas à être motivée, l'a été ;

- l'administration ne s'est pas approprié l'avis de la Chambre nationale des huissiers de justice qui a été au demeurant communiqué à Mme A... ;

- le décret du 14 aout 1975 dans ses dispositions applicables aux clercs d'huissiers de justice les dispense de stage et de diplôme mais non d'examen, à la différence d'autres catégories professionnelles ;

- les clercs d'huissiers de justice ne sont pas des juristes d'entreprise et ne peuvent être assimilés à des clercs de notaires.

La clôture de l'instruction est intervenue le 28 mai 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le décret n° 75-770 du 14 août 1975,

- le décret n° 2016-661 du 20 mai 2016,

- le code des relations entre le public et l'administration,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 23 juin 2020 :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... a travaillé de 1989 à 2002 dans des études d'huissier de justice, où à compter de 2000 elle a exercé les fonctions de premier clerc. Elle a repris ses activités en 2014 et elle a demandé le 10 avril 2016 au procureur général près la cour d'appel de Paris à être dispensée de l'examen professionnel pour l'accès à la profession d'huissier de justice. Par une décision du 29 juin 2016, notifiée par un courrier du 5 juillet 2016, le procureur général a refusé de lui accorder cette dispense. Mme A... relève appel du jugement du 4 octobre 2018 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision, ensemble le rejet implicite de son recours gracieux du 7 septembre 2016.

Sur la fin de recevoir opposée par le Garde des sceaux, ministre de la justice.

2. Aux termes l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 à R. 751-4-1. ".

3. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de l'accusé de réception postal, que le jugement du 4 octobre 2018 du tribunal administratif de Paris a été notifié à Mme A... le

9 octobre 2018. Le délai d'appel étant un délai franc, il commençait à courir le 10 octobre 2018, lendemain de la date de son déclenchement. La requête d'appel, enregistrée au greffe de la Cour le 10 décembre 2018 n'est donc pas tardive.

Sur la régularité du jugement :

4. Pour répondre au moyen tiré de ce que Mme A... devait être dispensée de l'examen professionnel en raison de ses activités de juriste au sein d'une étude d'huissier de justice, le tribunal administratif de Paris, après avoir cité au point 2 de son jugement l'article 1er du décret du 14 août 1975 dont il a fait application, qui prévoit que nul ne peut être huissier de justice s'il n'a subi l'examen professionnel, et avoir mentionné l'exception ouverte par le 10° de l'article 2 au bénéfice des personnes ayant accompli cinq années au moins d'exercice professionnel dans le service juridique ou fiscal d'une entreprise publique ou privée, a jugé au point 8 de son jugement que les clercs d'huissier de justice ne pouvaient être regardés comme exerçant dans le service juridique d'une entreprise au sens de ces dispositions. Ce faisant, les premiers juges, qui ont interprété de manière littérale les dispositions dont ils faisaient application, et qui n'étaient pas tenus de répondre à chacun des arguments de Mme A... en faveur d'une interprétation différente des textes, ont suffisamment motivé leur décision. Les autres critiques de Mme A... portent sur le bien-fondé du jugement qui n'est donc pas entaché d'irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la légalité externe :

5. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 6° Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ; / 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 ; (...) ". L'article L. 211-3 de ce code ajoute que " Doivent également être motivées les décisions administratives individuelles qui dérogent aux règles générales fixées par la loi ou le règlement. ".

6. D'une part, il résulte des dispositions même, citées au point 12, du décret du

14 août 1975 que la dispense de l'examen professionnel d'huissier de justice, qui est laissée à l'appréciation du procureur général, ne présente pas le caractère d'un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir. La décision contestée par Mme A... n'avait donc pas à être motivée. D'autre part, le procureur général près la cour d'appel de Paris qui a visé ou cité les textes dont il faisait application, après avoir rappelé les étapes de la procédure et résumé la carrière de la requérante, a considéré que les fonctions exercées dans un cabinet d'huissier de justice ne pouvaient pas être regardées comme l'exercice professionnel dans le service juridique ou fiscal d'une entreprise publique ou privée exigé par l'article 2 du décret du 14 août 1975. Ce faisant, le procureur général près la cour d'appel de Paris qui, ainsi qu'il vient d'être dit, n'était pas tenu de motiver sa décision, a indiqué les considérations de droit et de fait qui en constituaient le fondement.

7. Aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ".

8. Le refus de dispenser Mme A... de l'examen professionnel d'huissier de justice, qui ne se fonde pas sur des éléments tenant au comportement personnel de la requérante mais uniquement à la circonstance que celle-ci ne répondait pas aux conditions réglementaires pour que satisfaction puisse lui être donnée, ne présentait pas le caractère d'une décision prise en considération de la personne. Par ailleurs, elle répondait à une demande et n'avait pas à être motivée. Dans ces conditions, elle n'était pas soumise à une procédure contradictoire préalable et n'appelait pas une " communication de son dossier " dont la requérante, qui n'est pas un agent public, n'indique pas quelles pièces autres que celles dont elle avait connaissance il aurait pu comporter. Au demeurant, le procureur général près la cour d'appel de Paris a informé Mme A... le 17 juin 2016 qu'il envisageait de rejeter sa demande pour le motif tiré notamment qu'elle ne satisfaisait pas aux conditions réglementaires requises, et l'a invitée à présenter ses observations, ce qu'elle a fait le 22 juin 2016. En outre, l'avis défavorable de la Chambre nationale des huissiers de justice a été transmis à l'intéressée. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance d'une procédure contradictoire manque en droit et en fait.

9. Enfin, si Mme A... qui se plaint de ce que " son dossier ne lui ait pas été communiqué " en déduit que la décision du procureur général a nécessairement été prise pour des motifs qui lui auraient été dissimulés et qui n'ont pas été soumis au contradictoire, ses allégations ne sont étayées par aucun élément.

Sur la légalité interne :

10. Si la décision du 29 juin 2016 vise un avis défavorable de la chambre nationale des huissiers de justice, elle ne s'approprie pas les motifs de cet avis, qui n'y sont d'ailleurs pas cités. Par suite, le moyen tiré de ce que le refus qui lui a été opposé serait entaché d'une erreur de droit en ce que cet avis serait lui-même entaché d'une erreur de droit ne peut qu'être écarté.

11. Aux termes de l'article 1er du décret du 14 août 1975 relatif aux conditions d'accès à la profession d'huissier de justice : " Nul ne peut être huissier de justice, s'il ne remplit les conditions suivantes : (...) 7° Avoir subi l'examen professionnel prévu au chapitre III, sous réserve des dispenses prévues aux articles 2, 3, 4, 5-2 et 5-3. ". Si les dispositions de ce texte relatives aux conditions d'accès à la profession ont été modifiées par le décret n° 2016-661 du

20 mai 2016 relatif aux officiers publics et ministériels, il résulte de l'article 16 de ce décret que les dispositions nouvelles ne trouvaient pas à s'appliquer à la demande de Mme A... présentée le 13 avril 2016.

12. Le décret du 14 aout 1975 règle de manière précise et détaillée les conditions de dispense d'examen et de stage pour l'accès à la profession d'huissier de justice. En vertu de l'article 4 de ce décret, les anciens huissiers de justice sont dispensés et de stage, et d'examen. L'article 3 dispose que les commissaires-priseurs judiciaires sont dispensés de stage et peuvent être dispensés d'examen professionnel. L'article 5 prévoit que " peuvent être dispensées du stage, les personnes ayant exercé pendant six ans au moins les fonctions de principal clerc d'huissier de justice ou des activités professionnelles comportant des responsabilités équivalentes dans un office d'huissier de justice... " mais n'institue à leur bénéfice aucune dispense d'examen. L'article 2, dont se prévaut Mme A..., dispose que " peuvent être dispensés de l'examen professionnel et de tout ou partie du stage par décision du procureur général près la cour d'appel, prise après avis du bureau de la chambre nationale des huissiers de justice " douze catégories de juristes parmi lesquelles les anciens magistrats, les anciens greffiers, les anciens avocats, les anciens enseignants en droit, les anciens notaires, les anciens fonctionnaires de catégorie A et également " 8° les personnes ayant été inscrites pendant deux ans au moins sur une liste de conseils juridiques ; /... 10° Les personnes ayant accompli cinq années au moins d'exercice professionnel dans le service juridique ou fiscal d'une entreprise publique ou privée employant au moins trois juristes ". Cependant, les personnes ayant exercé les fonctions de principal clerc d'huissier de justice ou des activités professionnelles comportant des responsabilités équivalentes dans un office d'huissier de justice ne figurent pas au nombre des juristes dispensés d'examen et elles ne sauraient être regardées comme des juristes d'entreprise au sens du 10° de l'article 2 de ce décret.

13. Mme A..., dont la carrière professionnelle s'est exclusivement déroulée dans des offices ministériels d'huissiers de justice, et qui ne justifie d'aucun exercice professionnel dans le service juridique ou fiscal d'une entreprise publique ou privée n'entrait donc pas au nombre des personnes susceptibles de bénéficier de la dispense d'examen prévue par l'article 2 du décret du 14 aout 1975. Dès lors, c'est sans entacher sa décision d'erreur de droit ou de fait que le procureur général près la cour d'appel de Paris a, pour ce motif, rejeté sa demande.

14. Il résulte de ce tout qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Ses conclusions aux fins d'annulation des décisions contestées ne peuvent qu'être rejetée. Ses conclusions aux fins d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent l'être par voie de conséquence.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A... et au Garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 23 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- M. B..., président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Jayer, premier conseiller,

- Mme Mornet, premier conseiller.

Lu en audience publique le 7 juillet 2020.

L'assesseur le plus ancien,

M-C... Le président de la formation de jugement,

président-rapporteur,

Ch. B...

Le greffier,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au Garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 10PA03855

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N° 18PA03854


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA03854
Date de la décision : 07/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. BERNIER
Rapporteur ?: M. Christian BERNIER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : POIDEVIN

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-07-07;18pa03854 ?
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