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30/06/2020 | FRANCE | N°18PA01982

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 30 juin 2020, 18PA01982


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner la Banque de France à lui verser la somme globale de 56 340 euros, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des fautes commises ayant entraîné la dégradation de ses conditions de travail à compter de l'année 2013.

Par un jugement n° 1618351/5-2 du 12 avril 2018, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregist

rés le 4 mai 2018, le 30 juillet 2019, le 3 janvier 2020 et le 20 mai 2020, Mme E..., représen...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner la Banque de France à lui verser la somme globale de 56 340 euros, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des fautes commises ayant entraîné la dégradation de ses conditions de travail à compter de l'année 2013.

Par un jugement n° 1618351/5-2 du 12 avril 2018, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 4 mai 2018, le 30 juillet 2019, le 3 janvier 2020 et le 20 mai 2020, Mme E..., représentée par Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner la Banque de France à lui verser la somme globale de 56 340 euros, en réparation de ces préjudices, outre les intérêts de droit à compter de la date de réception de sa demande préalable ;

3°) de mettre à la charge de la Banque de France la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

- la fin de non-recevoir tirée d'une prétendue violation des articles R. 411-3 et R. 412-1 du code de justice administrative doit être écartée ;

- la fin de non-recevoir tirée d'une prétendue violation de l'article R. 411-1 du code de justice administrative doit être écartée ;

- l'inaction de la Banque de France au regard de la dégradation de ses conditions de travail et de la prévention de la situation de souffrance au travail qu'elle a subie constitue un manquement à l'obligation d'assurer sa sécurité et de préserver sa santé physique et mentale, prévue aux articles L. 4121-1 et suivants du code du travail ;

- la persistance de cette souffrance au travail est en outre due à l'absence d'évaluation et d'actions de prévention des risques psychosociaux au sein du pôle social, nécessitées pourtant au regard de sa spécificité pathogène, ainsi qu'en atteste le rapport d'expertise diligenté à la demande du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ;

- le dispositif d'alerte intitulé " Procédure de traitement du harcèlement et de la violence au travail " est insuffisant au regard des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail ;

- la Banque de France a méconnu l'article 2.2.1 du dispositif d'alerte, suite à son alerte de juillet 2015 ;

- les mesures prises par l'employeur pour remédier à sa situation de souffrance au travail, notamment une mutation géographique ou la réalisation d'un bilan de compétences, se sont révélées inappropriées à la gravité de sa situation ;

- les manquements de l'employeur ont porté atteinte à sa santé et l'ont privée de la possibilité de retravailler au sein du collectif des assistantes sociales ;

- elle s'est vu imposer à compter de 2019 une nouvelle organisation de travail, en méconnaissance des préconisations du médecin du travail et contraire à ses droits ;

- elle a subi des atteintes à sa santé, tant psychiques que somatiques, ainsi qu'un préjudice moral qui doivent être évalués à la somme de 52 000 euros ;

- elle a également subi un préjudice de réputation professionnelle, dû au traitement favorable dont ont bénéficié ses trois collègues qui ont été autorisées par l'employeur à l'exclure du pôle social, qui doit être évalué à la somme de 4 340 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 1er octobre 2018, le 12 décembre 2019 et le 30 avril 2020, la Banque de France, représentée par la SCP Delvolvé-Trichet, conclut au rejet de la requête et à la condamnation de Mme E... à lui verser une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable dès lors qu'elle n'est pas accompagnée d'une copie du jugement attaqué, en méconnaissance des articles R. 412-1, R. 411-3 et R. 811-13 du code de justice administrative ;

- la requête est irrecevable en ce qu'elle est dépourvue de conclusions d'appel ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code monétaire et financier ;

- le code du travail ;

- le statut du personnel de la Banque de France ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience en application des dispositions de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

- Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique ;

- et les observations de Me G... pour Mme E....

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... a été recrutée par la Banque de France en contrat à durée indéterminée le 2 septembre 1996, en qualité d'assistante de service social. Estimant, d'une part, qu'elle était victime, depuis plusieurs années, d'une situation de violence au travail consistant en une hostilité de la part de ses collègues, et, d'autre part, que son employeur avait à cet égard manqué à ses obligations de prévention en matière de santé et de sécurité, Mme E... a demandé à la Banque de France, par une lettre du 23 mai 2016, de lui verser une somme globale de 56 340 euros, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis. La Banque de France a implicitement rejeté cette demande. Mme E... relève appel du jugement du 12 avril 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la Banque de France à lui verser cette somme.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 142-1 du code monétaire et financier : " La Banque de France est une institution dont le capital appartient à l'Etat ". Aux termes de l'article L. 142-9 du même code : " (...) Le conseil général de la Banque de France détermine, dans les conditions prévues par le troisième alinéa de l'article L. 142-2, les règles applicables aux agents de la Banque de France dans les domaines où les dispositions du code du travail sont incompatibles avec le statut ou avec les missions de service public dont elle est chargée. (...) ". Il résulte de ces dispositions que la Banque de France constitue une personne publique chargée par la loi de missions de service public, qui n'a pas cependant le caractère d'un établissement public, mais revêt une nature particulière et présente des caractéristiques propres. Au nombre de ces caractéristiques figure l'application à son personnel des dispositions du code du travail qui ne sont incompatibles ni avec son statut, ni avec les missions de service public dont elle est chargée.

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, dans sa rédaction alors en vigueur : "L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. / Ces mesures comprennent : 1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ; 2° Des actions d'information et de formation ; 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés (...)". Aux termes de l'article L. 4121-2 du même code, dans sa rédaction applicable : " L'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants : 1° Eviter les risques ; 2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités; 3° Combattre les risques à la source ; (...) 7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ; 8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle (...) ". Aux termes de l'article L. 4121-3 du même code : " L'employeur, compte tenu de la nature des activités de l'établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris... dans l'aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail (...) A la suite de cette évaluation, l'employeur met en oeuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs (...) ". Et en vertu de l'action 24 de l'accord d'entreprise sur la prévention des risques psychosociaux signé le 21 décembre 2011 entre le gouverneur de la Banque de France et trois syndicats du personnel de l'institution, intitulée " Offrir aux agents comme aux managers un " point d'entrée " hors hiérarchie en cas de situation critique, en complément du réseau d'alerte naturel (managers, GRH, CHSCT, représentants du personnel, médecin du travail...) " : " Un cadre est désigné pour assurer une fonction de " point d'entrée " en cas de situation de blocage rapportée par la hiérarchie ou les agents. / Cette " personne ressource " est rattachée au Directeur général des ressources humaines et doit : / - en premier lieu, vérifier que la ligne hiérarchique, les managers, le GRH, le médecin du travail ou le CHSCT... ont été informés des difficultés rencontrées ; / - en second lieu, si cette information a eu lieu et que les démarches précédentes ont échoué, diriger et accompagner l'agent vers l'acteur le plus à même de trouver une solution à la situation (...). ".

4. Les dispositions précitées du code du travail qui prévoient une obligation de prévention de la santé et de la sécurité des travailleurs ne sont incompatibles ni avec le statut de la Banque de France, ni avec les missions de service public dont celle-ci est chargée, et sont, en conséquence, applicables aux agents de la Banque de France.

Sur la souffrance au travail :

5. Il résulte de l'instruction, notamment de l'attestation en date du 1er décembre 2015, non contestée, de Mme L., coordinatrice nationale des assistantes de service social de la Banque de France depuis novembre 2012, qu'une relation de plus en plus dégradée s'est installée, à compter de septembre 2013 au moins, au sein de l'équipe des assistantes du secteur de Paris Ile-de-France, entre Mme E..., d'une part, et ses trois collègues, d'autre part, la première souffrant d'une mise à l'écart par ces dernières. A cet égard, Mme E... soutient qu'elle a alerté sa hiérarchie dès février 2013 concernant ce processus de mise à l'écart mais que celle-ci a toujours cherché à le minimiser. Elle fait valoir notamment qu'elle a effectué cinq alertes successives, en février 2013, mars 2013, avril 2014, août 2014 et novembre 2014 auprès de plusieurs de ses responsables, à savoir l'adjointe au chef du service médico-social, les deux chefs successifs de ce service ainsi qu'un responsable du service des ressources humaines. Il résulte toutefois de l'instruction qu'aucune de ces alertes n'est établie, le seul courriel adressé le 28 avril 2015 à M. C., à la fonction indéterminée, dont Mme E... se prévaut et dans lequel elle évoque, de manière peu circonstanciée, plusieurs alertes qu'elle aurait faites à des dates le plus souvent non précisées, étant à cet égard insuffisant. En revanche, il est constant que Mme E... a saisi M. B., personne ressource au sens de l'action 24 de l'accord d'entreprise sur la prévention des risques psychosociaux susvisé, le 27 mars 2014, afin de lui faire part de son sentiment de souffrance au travail. Si Mme E... soutient que, dans le cadre de l'instruction de cette dernière alerte, le directeur général des ressources humaines, M. P., aurait donné son accord à une évolution de son poste tendant à ce qu'elle intègre le service de gestion du personnel pour effectuer des accompagnements spécifiques, mais que cette mesure, appropriée à sa situation, n'a, pour un motif inexpliqué, pas été mise en oeuvre, cette allégation n'est pas davantage établie, les seules attestations de Mme P., ancienne représentante syndicale et collaboratrice de M. B. dans le domaine de la prévention des risques psychosociaux, en date des 27 octobre 2015 et 12 mai 2017, évoquant, de manière imprécise, une " mesure de sortie du service " à laquelle M. P. aurait donné son accord, étant également insuffisantes à cet égard.

6. Il est également constant que, par un courriel du 9 octobre 2014, Mme P. a alerté le directeur général des ressources humaines sur l'état de santé de Mme E..., estimant celui-ci préoccupant et mentionnant, notamment, s'agissant de celle-ci, " qu'une mise à l'abri s'impose très rapidement ". Suite à cette dernière alerte, une réunion s'est tenue le 6 novembre 2014, en présence notamment du directeur des relations sociales, de M. B., personne ressource, et du chef du service médico-social. Le relevé de conclusions de cette réunion, tel qu'il résulte du courriel de ce chef de service du 7 novembre 2014 adressé aux autres participants, mentionne qu'il " a été décidé, s'agissant de Véronique E..., de mettre en place des mesures conservatoires sans aucun délai. Il sera demandé à VF de s'installer avec l'ensemble de ses dossiers, dans le bureau réservé à l'assistante sociale à l'ACPR - (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution) - (...) Cette organisation correspond aux préconisations du dr Goyard qui a rencontré en septembre-octobre toutes les AS (assistantes sociales) : "la cohésion du groupe n'est plus possible, l'ambiance se dégrade à chaque événement et est devenue invivable pour toutes, il est urgent que VF puisse travailler ailleurs". Dans le même temps, un parcours de formation et d'accompagnement lui sera proposé : bilan de compétences, AGECIF (Association pour la gestion des congés individuels de formation), coaching, L'objectif étant de préparer une éventuelle reconversion à la Banque après une période de reconstruction personnelle et de formation (...) ". Si Mme E... soutient que le transfert de son bureau décidé au cours de la réunion précitée était une mesure inappropriée qui visait à " l'isoler dans un bureau dit "du pallier" avec une organisation de son travail inadaptée ", cette allégation est contredite par les pièces de l'instruction dès lors que ce changement de bureau répondait, d'une part, à la demande de Mme P., telle qu'exprimée dans le courriel du 9 octobre 2014 précité et, d'autre part, était préconisé par le médecin du travail de la Banque de France à la suite, notamment, d'une audition de l'intéressée. En outre, il ne résulte d'aucune pièce de l'instruction que Mme E... aurait manifesté, à l'époque des faits, son désaccord avec ce changement. En tout état de cause, cette décision de transfert de bureau, dans le même immeuble et au même étage que le précédent, qui ne saurait être regardée comme une mutation géographique, relevait du pouvoir d'organisation du service de l'employeur dès lors qu'il ne comportait pas de changements nécessitant une modification du contrat de travail de Mme E.... La circonstance que cette dernière ait, par la suite, changé à plusieurs reprises de bureau, certaines solutions s'étant révélées inadaptées pour différents motifs organisationnels, n'est pas de nature à faire regarder la décision prise le 6 novembre 2014 comme inappropriée. De plus, si Mme E... soutient qu'il lui a été imposé de faire un bilan de compétences " afin de lui faire renoncer au métier d'assistante sociale alors qu'elle exerçait ses fonctions avec un professionnalisme reconnu ", cette allégation n'est pas davantage corroborée par les pièces de l'instruction, le compte-rendu précité mentionnant explicitement que le bilan de compétences n'était qu'une proposition, au demeurant parmi d'autres, et que la reconversion de l'intéressée n'était qu'une perspective éventuelle, en tout état de cause subordonnée à une période de reconstruction personnelle et de formation. Enfin, si Mme E... fait valoir qu'elle a subi, au début de l'année 2015, des pressions pour effectuer son entretien d'évaluation annuelle avec l'adjointe de la chef de service, alors qu'elle n'avait plus confiance en cette adjointe qui, selon elle, avait banalisé sa souffrance au travail dans le cadre d'une alerte faite en février 2013, il résulte de l'instruction que, d'une part et ainsi qu'il a été dit au point 5, cette dernière alerte n'est pas établie et que, d'autre part et en tout état de cause, Mme E... n'établit ni avoir subi une pression aux fins d'être évaluée par Mme G. ni que cette dernière aurait commis une faute avec elle lors d'un entretien quel qu'il fût.

7. Il résulte de l'ensemble de ce qui a été dit aux points 5 et 6 que Mme E... n'est fondée à soutenir ni que sa hiérarchie aurait été dans le déni de sa situation de mise à l'écart et de souffrance au travail, ni que celle-ci aurait pris des mesures inappropriées à sa situation.

Sur le dispositif d'alerte :

8. Il résulte de l'instruction que le comité central d'entreprise de la Banque de France, dans sa séance des 2 et 3 décembre 2014, a adopté, à la suite de l'entrée en vigueur de la loi n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel, une procédure nationale en cas de suspicion d'actes de harcèlement moral, sexuel ou de violence au travail dénommée " Procédure de traitement du harcèlement et de la violence au travail ". L'article 2.2.1 de ce document dispose que : " S'il apparaît que les faits en question sont de nature à constituer un cas de harcèlement ou de violence au travail, le destinataire de la saisine et la personne ressource se dessaisissent immédiatement au profit du Directeur Général des Ressources Humaines... qui pourra faire diligenter une enquête. La victime présumée comme la personne mise en cause sont informées de la transmission du dossier au DGRH / (...) Si, en revanche, le destinataire de la saisine ainsi que la personne ressource, estiment que lesdits faits n'encourent pas la qualification de harcèlement ou de violence au travail, il est tenté une conciliation entre les parties ".

9. Il résulte de l'instruction que Mme E... a saisi, par lettre du 7 juillet 2015, le directeur des relations sociales, M. C., de sa situation de souffrance au travail, dans le cadre de la procédure de traitement du harcèlement et de la violence au travail mentionnée au point 8. Celui-ci, après avoir notamment, dans le cadre de l'instruction de cette alerte, auditionné individuellement les trois collègues de Mme E..., chacune à deux reprises au cours des mois de juillet et août 2015, a informé la requérante, par lettre du 7 août 2015, de ce qu'il n'estimait pas qu'elle avait été victime d'actes de harcèlement ou de violence au travail de la part de ses trois collègues. Mme E... soutient à cet égard que, d'une part, l'employeur a " abusivement évacué " son problème manifeste de souffrance au travail et, d'autre part, que la Banque de France a en tout état de cause méconnu l'article 2.1.1 susvisé de cette procédure d'alerte en ce que M. C. ne pouvait considérer seul, sans collégialité avec la personne ressource, que les faits exposés par elle n'encouraient pas la qualification de harcèlement ou de violence au travail et du fait qu'aucune conciliation entre les parties n'a été tentée.

10. En premier lieu, il ne résulte pas de l'instruction qu'en estimant qu'elle n'avait pas été victime d'actes de harcèlement ou de violence au travail de la part de ses collègues, le directeur des relations sociales de la Banque de France aurait inexactement qualifié sa situation, et donc commis une faute engageant la responsabilité de l'institution, ni minimisé sa situation de souffrance au travail. Il ressort d'ailleurs de la lettre du 7 août 2015 que celui-ci, tout en mentionnant les difficultés professionnelles et relationnelles de la requérante, avait pris des engagements en matière de modification de l'organisation du travail des assistantes de service social, dans le but de leur assurer un " traitement identique et équitable ", et avait annoncé la présentation, à la faveur d'une réunion ultérieure du CHSCT, d'un " plan d'actions faisant suite aux recommandations du rapport d'expert sur le service médico-social ", à la mise en oeuvre duquel lesdites assistantes étaient nécessairement impliquées. En second lieu, Mme E... ne peut utilement invoquer l'illégalité fautive de la procédure interne de traitement de son alerte par le directeur des affaires sociales, qui est dépourvue de caractère règlementaire. Au demeurant, la seule circonstance que la lettre du 7 août 2015 émanait uniquement du destinataire de la saisine, à savoir le directeur des relations sociales, n'est pas de nature à établir que la personne ressource, visée à l'article 2.2.1. de la procédure d'alerte, n'aurait pas porté la même appréciation sur la situation de Mme E.... Enfin, la circonstance qu'une conciliation entre les parties n'aurait pas été tentée ne saurait davantage revêtir un caractère fautif. Il résulte de l'ensemble de ce qui vient d'être dit que la lettre du 7 août 2015 du directeur des relations sociales constituait une réponse appropriée au traitement de l'alerte de Mme E... du 7 juillet 2015 relative à sa situation de souffrance au travail. Par suite, celle-ci n'est pas fondée à soutenir que la Banque de France aurait commis des manquements dans le traitement de cette alerte.

Sur la prévention des risques psycho-sociaux :

11. Mme E... soutient en outre que sa situation de souffrance au travail est due à l'absence d'évaluation et d'actions de prévention des risques psycho-sociaux au sein du pôle social, rendues pourtant nécessaires dans le contexte particulier d'un service fonctionnant en auto-gestion, ainsi que l'a relevé le rapport d'expertise du cabinet Emergences, mandaté par le CHSCT afin d'analyser la situation du service médico-social et déposé le 5 juin 2015. Elle fait valoir à cet égard que la procédure de traitement du harcèlement et de la violence au travail mise en place dans les conditions mentionnées au point 8 serait insuffisante et qu'elle n'aurait en tout état de cause pas été respectée par l'employeur. Il résulte toutefois de l'instruction que, en premier lieu, le rapport d'expertise précité a mis en exergue le manque de cohésion, au demeurant ancien, du pôle des assistantes de service social, ainsi que les difficultés voire le manque d'implication de la hiérarchie de la Banque de France aux fins d'apporter des solutions durables aux problèmes relationnels existants au sein de ce pôle. Toutefois, il ne résulte ni de ce rapport ni d'aucun autre document que la situation de souffrance au travail de Mme E... serait en lien direct avec une prétendue absence d'évaluation et d'actions de prévention des risques psychosociaux au sein du pôle social. En tout état de cause, et ainsi qu'il a été dit au point 5, cette situation de souffrance au travail n'a été portée à la connaissance de la hiérarchie de Mme E... qu'à compter du 27 mars 2014, date de la saisine par celle-ci de la personne ressource désignée à l'action 24 de l'accord d'entreprise sur la prévention des risques psychosociaux susvisé. A compter de cette date et ainsi qu'il a été dit aux points 5 à 10, l'instruction des alertes du 27 mars 2014, du 9 octobre 2014 et du 7 juillet 2015, mise en oeuvre sur la base de cet accord d'entreprise et de la procédure de traitement du harcèlement et de la violence au travail, a abouti à des mesures et des réponses appropriées à la situation de Mme E... et n'a révélé aucune faute de la part de l'employeur. En outre, il résulte de l'instruction que, sur la base des préconisations du rapport d'expertise du 5 juin 2015 précité, une réflexion approfondie sur la nécessité d'une modification de l'organisation du travail des assistantes de service social a été entamée par la Banque de France, en lien avec un plan d'actions concernant l'ensemble du service médico-social, à propos duquel la lettre de suivi de la direction des relations sociales du 8 février 2016, non contestée, atteste qu'il a débouché sur des actions concrètes et attendues. Par suite, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que sa situation de souffrance au travail serait imputable, même partiellement, à une prétendue absence d'évaluation et d'actions de prévention des risques psycho-sociaux.

Sur les relations avec les collègues :

12. Mme E... soutient de plus qu'elle ne peut plus travailler au sein du collectif des assistantes de service social, notamment s'associer à une supervision collective des pratiques professionnelles, du fait des angoisses et des malaises physiques générés par le contact avec ses trois collègues. Elle fait valoir que cette situation est imputable aux carences de l'employeur qui aurait notamment refusé, lors d'un entretien en date du 13 septembre 2016, de reconnaître sa souffrance au travail et l'atteinte à sa santé constituées par le fait d'être en contact avec ses trois collègues, en contradiction avec les préconisations du médecin du travail. Toutefois, en premier lieu, il ne résulte pas de l'instruction que l'impossibilité pour Mme E... de travailler à nouveau au sein du collectif des assistantes de service social serait imputable à la Banque de France qui, ainsi qu'il a été dit aux points 5 à 10, n'a pas été dans le déni de sa situation de mise à l'écart et de souffrance au travail, a pris des mesures appropriées à sa situation et n'a commis aucune faute tant dans le traitement de son alerte du 7 juillet 2015 qu'en matière d'évaluation et d'actions de prévention des risques psycho-sociaux. En second lieu, Mme E... ne produit aucun certificat de la médecine du travail antérieur au 13 septembre 2016 préconisant de lui éviter tout contact avec ses anciennes collègues. Elle ne saurait dès lors faire grief au directeur des relations sociales, d'avoir ignoré, lors de l'entretien du 13 septembre 2016, de prétendues préconisations du médecin du travail à ce sujet. Enfin, il ne résulte pas du compte-rendu de cet entretien, rédigé par la secrétaire du CHSCT, qu'il aurait adressé de quelconques reproches à Mme E... ou aurait dénié sa souffrance morale et l'atteinte à sa santé.

Sur la réorganisation des secteurs d'activité :

13. Aux termes de l'article L. 4624-1 du code du travail : " Tout travailleur bénéficie, au titre de la surveillance de l'état de santé des travailleurs prévue à l'article L. 4622-2, d'un suivi individuel de son état de santé assuré par le médecin du travail et, sous l'autorité de celui-ci, par le collaborateur médecin mentionné à l'article L. 4623-1, l'interne en médecine du travail et l'infirmier ". Aux termes de l'article L. 4624-3 du même code : " Le médecin du travail peut proposer, par écrit et après échange avec le salarié et l'employeur, des mesures individuelles d'aménagement, d'adaptation ou de transformation du poste de travail ou des mesures d'aménagement du temps de travail justifiées par des considérations relatives notamment à l'âge ou à l'état de santé physique et mental du travailleur ". Aux termes de l'article L. 4624-6 de ce code : " L'employeur est tenu de prendre en considération l'avis et les indications ou les propositions émis par le médecin du travail en application des articles L. 4624-2 à L. 4624-4. En cas de refus, l'employeur fait connaître par écrit au travailleur et au médecin du travail les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite ".

14. Mme E... soutient enfin qu'elle s'est vu imposer, à compter d'avril 2019, la mise en oeuvre d'une réorganisation des secteurs d'intervention des assistantes de service social, dont le principe a été décidé " courant 2018 ", en méconnaissance de ses souhaits et des préconisations de la médecine du travail. Elle doit ainsi être regardée comme invoquant les dispositions susvisées des articles L. 4624-3 et L. 4624-6 du code du travail. Il résulte de l'instruction que, par un certificat portant proposition de mesures individuelles d'aménagement, d'adaptation ou de transformation du poste de travail du 18 octobre 2018, établi sur le fondement de l'article L. 4624-3 du code du travail, le médecin du travail a indiqué, s'agissant de la requérante, que " la nouvelle organisation sectorielle de ses attributions professionnelles est drastique et ne prend pas en compte les desiderata de la salariée, la charge mentale inhérente à cette réorganisation (dossiers nouveaux multiples) ainsi que les contraintes physiques liées à celle-ci (déplacements 77, 91, 94, 92, 95) " et que " Cette nouvelle organisation est donc totalement incompatible voire dangereuse avec l'état de santé de la salariée et ne peut être maintenue en l'état sur le plan médical ". Toutefois, en premier lieu, si Mme E... fait valoir qu'" auparavant, il lui avait déjà été attribué une sectorisation d'interventions très lourde de travail dont personne ne voulait ", cette allégation n'est pas établie. En second lieu, il résulte du document produit par la Banque de France le 12 décembre 2019, intitulé " secteurs d'activité des assistantes sociales ", non contesté au regard de la répartition de ces secteurs entre les différentes assistantes, que les secteurs d'intervention de Mme E... sont désormais l'Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) et le Comité Social et Economique (CSE) de l'ACPR, entités situés à Paris 9ème, le secteur " Bastille ", situé à Paris 12ème, le secteur de " PLD " (Paris-La Défense), situé à Courbevoie (Hauts-de-Seine-92) et qui abrite également les secteurs " CSE IDF " (Comité Social et Economique d'Ile-de-France) et " Interim IDF " (Ile-de-France) dont Mme E... a la charge, ainsi que les secteurs de Cergy (Val d'Oise-95) et d'Evry (Essonne-91). A cet égard, il résulte du tableau produit par la Banque de France à la même date, intitulé " Sectorisation AS Paris/Marne/ACPR/IDF / Actifs - Juillet 2018 ", également non contesté au regard de son contenu, que les secteurs précités sont les mêmes que ceux que Mme E... avait déjà en charge en juillet 2018, soit avant la réorganisation des secteurs, à l'exception du secteur " Bastille " et des secteurs " PLD ", " CSE IDF " et " Interim IDF ", ces trois derniers étant localisés sur le même site de La Défense. En contrepartie de l'attribution de ces nouveaux secteurs, localisés sur deux sites situés à Paris intra-muros ou à proximité immédiate de Paris, Mme E... s'est vu décharger des deux secteurs " OI siège " (Organisation et Information) et " CSE central " (Comité Social et Economique). En outre, il résulte du tableau précité que les secteurs de Cergy et d'Evry, les seuls attribués à la requérante situés en banlieue éloignée de Paris, faisaient déjà partie de ses attributions en juillet 2018 et que celle-ci souhaitait les conserver. Il résulte également des dernières écritures de Mme E... elle-même que les trois secteurs précités situés sur le site de La Défense n'imposent qu'un déplacement tous les quinze jours et les secteurs de Cergy et d'Evry qu'un déplacement une fois par trimestre. Enfin, il résulte du document intitulé " secteurs d'activité des assistantes sociales " que Mme P., collègue de Mme E... avec laquelle elle évolue en binôme, s'est vu attribuer les autres secteurs d'Ile-de-France les plus éloignés, à savoir les secteurs de Versailles (78), de Melun (77), de Créteil (94), de Marne-la-Vallée (77), ainsi que les secteurs de Pantin et Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), dont il résulte du tableau précité que Mme E... voulait les éviter. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les nouvelles attributions sectorielles de Mme E..., qui prennent en compte l'essentiel de ses souhaits et sont en grande partie les mêmes qu'auparavant, excluent en outre toute contrainte physique de déplacement vers des secteurs d'Ile-de-France éloignés autres que ceux qu'elle souhaitait conserver. Dans ces conditions, Mme E..., qui a été estimée " apte à la reprise de son poste " par une attestation de suivi du médecin du travail du 6 février 2019 et qui n'établit pas que ses nouvelles attributions représenteraient une " charge mentale " et des " contraintes physiques " plus importantes qu'auparavant, n'est pas fondée à soutenir que la Banque de France aurait méconnu l'avis et les indications émis par le médecin du travail en application de l'article L. 4624-6 du code du travail. Par suite, Mme E... n'est pas davantage fondée à soutenir que la Banque de France aurait commis des manquements dans le cadre de la mise en oeuvre de la réorganisation des secteurs d'intervention des assistantes de service social.

15. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 14 que la Banque de France n'a commis aucune faute au regard de son obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de Mme E..., telle que prévue aux articles L. 4121-1, L. 4121-2 et L. 4121-3 du code du travail. Par suite, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de la Banque de France serait engagée à raison de sa souffrance au travail.

16. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées par la Banque de France, Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande indemnitaire dirigée contre cette institution.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Banque de France, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme E... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme E... le versement de la somme que la Banque de France demande sur le fondement des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la Banque de France présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... E... et à la Banque de France.

Délibéré après l'audience du 12 juin 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme C..., présidente,

- M. A..., premier conseiller,

- Mme Mach, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 juin 2020.

La présidente,

M. C...

La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA01982


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA01982
Date de la décision : 30/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Armées et défense - Personnels militaires et civils de la défense - Questions particulières à certains personnels militaires.

Fonctionnaires et agents publics - Changement de cadres - reclassements - intégrations - Changement de corps.


Composition du Tribunal
Président : Mme JULLIARD
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: M. BARONNET
Avocat(s) : L'ATELIER DES DROITS

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-06-30;18pa01982 ?
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