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23/06/2020 | FRANCE | N°19PA00503

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 23 juin 2020, 19PA00503


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a saisi le Tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la rectrice de l'académie de Créteil a rejeté sa demande de mise en oeuvre d'une enquête administrative dans le cadre de la protection fonctionnelle et de sa demande d'indemnisation de ses préjudices, formée le 10 juin 2016, outre des conclusions à fin d'injonction, des conclusions indemnitaires et des conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justic

e administrative.

Par un jugement n° 1608753 du 20 novembre 2018, le Tr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a saisi le Tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la rectrice de l'académie de Créteil a rejeté sa demande de mise en oeuvre d'une enquête administrative dans le cadre de la protection fonctionnelle et de sa demande d'indemnisation de ses préjudices, formée le 10 juin 2016, outre des conclusions à fin d'injonction, des conclusions indemnitaires et des conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1608753 du 20 novembre 2018, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 28 janvier 2019 et des mémoires enregistrés le 14 novembre et 9 décembre 2019, M. D..., représenté par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Melun du 20 novembre 2018 ;

2°) d'annuler la décision implicite mentionnée ci-dessus ;

3°) d'enjoindre à la rectrice de l'académie de Créteil de faire cesser les agissements répétés de harcèlement moral dont il est victime de lui octroyer un emploi correspondant à son grade et à son statut, avec rattrapage de son déroulement de carrière de transmettre sa demande de bonification d'ancienneté au service, de lui accorder la protection légale qui lui est due, de diligenter une enquête administrative, ou à défaut de réexaminer sa situation, dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation des préjudices moral et financier et des troubles dans ses conditions d'existence subis à raison du harcèlement moral dont il s'estime victime, ainsi que la somme de 15 000 euros en réparation du refus de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle, assorties des intérêts légaux à compter de la date de sa demande préalable et de la capitalisation des intérêts ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il est victime de harcèlement moral de la part de certains de ses supérieurs hiérarchiques ;

- l'administration a commis une faute en raison de son inaction face au harcèlement moral qu'il subit et en refusant de lui accorder une protection fonctionnelle ;

- elle a commis une faute dans la gestion de sa carrière ;

- il évalue son préjudice à hauteur de 65 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 novembre 2019 la ministre de l'enseignement supérieur de la recherche et de l'innovation conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. D... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 15 novembre 2019, la clôture d'instruction a été reportée au 10 décembre 2019 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,

- les observations de Me C... pour M. D... ;

- et les observations de M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ingénieur d'études de 2ème classe au rectorat de l'académie de Créteil, a demandé à la rectrice de l'académie de Créteil, par courrier du 10 juin 2016, de faire cesser les agissements répétés de harcèlement moral dont il est victime, de diligenter une enquête administrative dans le cadre de la protection juridique des fonctionnaires, de lui octroyer un emploi correspondant à son grade et à son statut et, enfin, de lui verser la somme de 20 000 euros en réparation des préjudices subis. Devant le silence gardé par l'administration, il a saisi le Tribunal administratif de Melun d'une demande tendant à l'annulation de la décision implicite de la rectrice de l'académie de Créteil rejetant ses demandes et à l'indemnisation, à hauteur de 65 000 euros, des préjudices subis à raison du harcèlement moral dont il s'estime victime. M. D... relève appel du jugement du 20 novembre 2018 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. " Aux termes de l'article 11 de la même loi : " I.-A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire [...]. / IV.-La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. ".

3. D'une part, les dispositions citées ci-dessus de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en oeuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

4. D'autre part, il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

5. Enfin, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, les faits répétés en cause doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

6. M. D... soutient être victime de harcèlement moral de la part de sa hiérarchie. Il fait valoir, à cet égard, qu'il a déposé un dossier de promotion par liste d'aptitude au corps des ingénieurs de recherche en 2014 et 2015, estimant remplir les conditions d'ancienneté et de diplômes requises, sans toutefois être retenu, qu'aucune explication ne lui a été donnée et qu'il lui est impossible de connaître les critères de sélection et de classement de dossiers. Toutefois, si M. D... produit des pièces attestant du dépôt de sa candidature, il ne justifie pas avoir sollicité des explications quant à son absence de promotion. Par ailleurs l'inscription sur un tableau d'avancement, qui résulte d'un choix discrétionnaire de l'autorité administrative compétente, ne constitue pas un droit pour un agent public, même s'il remplit les conditions statutaires pour pouvoir l'obtenir. Enfin s'il soutient sans d'ailleurs l'établir que son dossier n'aurait pas été soumis à la commission administrative paritaire, il résulte de l'instruction que sa candidature avait été appuyé par sa hiérarchie. Dans ces conditions, ces faits ne peuvent laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

7. M. D... soutient aussi que le traitement de la bonification d'ancienneté d'un an n'a pas eu lieu dans un délai raisonnable. Toutefois, cette circonstance, pour regrettable qu'elle soit, est uniquement révélatrice de dysfonctionnements internes à l'administration et ne suffit pas à laisser présumer l'existence d'un harcèlement comme l'a estimé le tribunal au point 8 de son jugement.

8. M. D... soutient également qu'il a subi un retard injustifié lors de sa réintégration. Il fait valoir qu'à la fin de son détachement au ministère de l'économie et des finances, le 1er octobre 2013, il serait resté tout le mois d'octobre à son domicile dans l'attente d'un poste, en dépit de ses relances, et qu'il a été réintégré au sein d'un service relations humaines et non pas dans le service " infrastructure systèmes et réseaux " alors que les services du rectorat étaient au courant de la perspective de sa réintégration dès juin 2013. Il résulte de l'instruction que M. D... a bénéficié d'un entretien avec les services du rectorat le 7 octobre 2013, soit sept jours après la fin de son détachement, avant d'obtenir son poste à la fin du mois d'octobre. Ce délai d'un mois d'attente pour obtenir un poste suite à sa réintégration n'est pas déraisonnable et ne laisse pas plus présumer l'existence d'un harcèlement moral.

9. Si M. D... fait valoir en outre que son nouvel emploi ne correspond pas à son grade et qu'il a fait ainsi l'objet d'un déclassement professionnel, ces moyens doivent être écartés par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges aux points 10 à 12 du jugement attaqué.

10. M. D... soutient enfin que l'un des postes de chef de département pour le pôle de l'ingénierie des applications a été offert à un agent du même grade mais avec moins d'ancienneté et d'expérience. Toutefois, en produisant la copie de l'organigramme, il ne justifie pas d'une telle situation et encore moins de l'ancienneté et de l'expérience de l'ingénieur concerné. S'il affirme également que sept agents " au moins " ont été affectés en 2014 au pôle systèmes réseaux sur de " tels postes " alors qu'ils n'avaient ni son niveau de compétence, ni son ancienneté dans le grade, il ne produit toutefois aucun élément à l'appui de ses allégations.

11. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 10 que les éléments dont M. D... fait état ne sont pas susceptibles de faire présumer l'existence de harcèlement moral au sens des dispositions citées au point 2 de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983. C'est dès lors à bon droit que la rectrice de l'académie de Créteil a refusé de diligenter une enquête administrative et lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle.

12. M. D... n'ayant pas démontré que l'administration aurait entaché ses décisions d'illégalité ou commis d'agissements fautifs dans la gestion de sa carrière, il n'est pas fondé à demander l'indemnisation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison des agissements qu'il dénonce.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction doivent également être rejetées. Enfin, l'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions de M. D... présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent elles aussi être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et au ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.

Copie en sera adressée au recteur de l'académie de Créteil.

Délibéré après l'audience du 9 juin 2020 à laquelle siégeaient :

- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,

- M. Niollet, président assesseur,

- M. A..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 23 juin 2020.

Le rapporteur,

D. PAGES

Le président,

O. FUCHS TAUGOURDEAU

Le greffier,

T. ROBERT

La République mande et ordonne au ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 19PA00503 6


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA00503
Date de la décision : 23/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Statuts - droits - obligations et garanties.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique.


Composition du Tribunal
Président : Mme FUCHS TAUGOURDEAU
Rapporteur ?: M. Dominique PAGES
Rapporteur public ?: M. BAFFRAY
Avocat(s) : GRIFFET

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-06-23;19pa00503 ?
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