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15/06/2020 | FRANCE | N°18PA01580

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 15 juin 2020, 18PA01580


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'Expansion du spectacle (SES), la société Euro vidéo international (EVI), la société Compagnie méditerranéenne cinématographique (COMECI), la société Cinéma Napoléon, la société Ciné spectacles et la société Ciné Alès ont demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à leur verser la somme de 5 474 617 euros en réparation du préjudice subi du fait de la privation de subventions pour le soutien financier à l'exploitation cinématographique, assortie des intér

ts au taux légal à compter de leur réclamation préalable.

Par un jugement n° 1700163/5-1 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'Expansion du spectacle (SES), la société Euro vidéo international (EVI), la société Compagnie méditerranéenne cinématographique (COMECI), la société Cinéma Napoléon, la société Ciné spectacles et la société Ciné Alès ont demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à leur verser la somme de 5 474 617 euros en réparation du préjudice subi du fait de la privation de subventions pour le soutien financier à l'exploitation cinématographique, assortie des intérêts au taux légal à compter de leur réclamation préalable.

Par un jugement n° 1700163/5-1 du 8 mars 2018, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à la société d'expansion du spectacle la somme de 359 017,43 euros et à rétablir dans ses comptes de soutien un montant de droits acquis de 352 269,13 euros pour la période de 1995-1997, à verser à la société Cinéma Napoléon la somme de 109 763,29 euros et à rétablir dans ses comptes de soutien un montant de droits acquis de 131 167,59 euros pour la période de 1995-1997, à verser à la société Ciné Alès la somme de 44 972,46 euros et à rétablir dans ses comptes de soutien un montant de droits acquis de 48 179,99 euros pour la période de 1995-1997, avec intérêts au taux légal à compter du 5 septembre 2016 et a rejeté les conclusions présentées par la société Euro vidéo international, la société Compagnie méditerranéenne cinématographique et la société Ciné spectacles ainsi que le surplus des conclusions présentées par la société d'expansion du spectacle, la société Cinéma Napoléon et la société Ciné Alès.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 9 mai 2018, 25 juin 2018 et 4 juillet 2019, le ministre de la culture, représenté par Me D... et Molinié, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1700163/5-1 du 8 mars 2018 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par la société d'Expansion du spectacle (SES), la société Euro vidéo international (EVI), la société Compagnie méditerranéenne cinématographique (COMECI), la société Cinéma Napoléon, la société Ciné spectacles et la société Ciné Alès devant le Tribunal administratif de Paris ainsi que les conclusions présentées par la voie de l'appel incident ;

3°) de mettre à la charge solidaire de ces sociétés le versement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé dès lors que le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de ce que la demande initiale des sociétés était fondée sur un fait générateur différent, ni au moyen tiré de ce que les sociétés ne pouvaient prétendre avoir subi un préjudice correspondant au montant des avances ;

- la créance est prescrite en application de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 dans la mesure où le délai de prescription n'a pas été interrompu par la demande adressée au CNC ;

- les sociétés ne disposent pas de droits acquis au titre des avances indûment consenties au groupe B... ;

- les sociétés ne démontrent pas la réalité du montant des droits acquis ;

- les sociétés n'établissent pas le lien de causalité entre le préjudice économique et financier et les fautes imputées aux services de l'Etat.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 avril 2019, la société d'expansion du spectacle (SES), la société Euro vidéo international (EVI), la société Compagnie méditerranéenne cinématographique (COMECI), la société Cinéma Napoléon, la société Ciné spectacles et la société Ciné Alès, représentées par Me A..., demandent à la Cour :

1°) de rejeter la requête du ministre de la culture ;

2°) par la voie de l'appel incident :

- d'infirmer le jugement n° 1700163/5-1 du 8 mars 2018 en tant que le Tribunal administratif de Paris a partiellement rejeté leurs demandes indemnitaires ;

- de condamner l'Etat à leur verser une somme de 4 437 000 euros en réparation du préjudice économique subi, assortie des intérêts au taux légal à compter de la demande initiale et capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- les moyens soulevés par le ministre de la culture ne sont pas fondés ;

- elles ont subi un préjudice économique et financier résultant de l'impossibilité de financer les investissements nécessaires à la rénovation et à la modernisation des salles pendant la période contestée de 1995 à 1997 ainsi que postérieurement.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le décret n° 59-733 du 16 juin 1959 ;

- le décret n° 59-1512 du 30 décembre 1959 ;

- le décret n° 67-356 du 21 avril 1967 ;

- le décret n° 68-282 du 27 mars 1968 ;

- le décret n° 96-233 du 15 mars 1996 ;

- l'arrêté du 18 janvier 1969 fixant les modalités d'octroi des avances sur soutien financier aux propriétaires de théâtres cinématographiques ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Mach, premier conseiller,

- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public,

- les observations de Me Molinié, avocat du ministre de la culture,

- et les observations de Me A..., avocat de la société d'expansion du spectacle (SES), la société Euro vidéo international (EVI), la société Compagnie méditerranéenne cinématographique (COMECI), la société Cinéma Napoléon, la société Ciné spectacles et la société Ciné Alès.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... a développé un important réseau de salles de cinéma exploitées par le groupe C..., qui est composé de deux holdings, la société d'expansion du spectacle (SES) et la société Euro vidéo international (EVI) et dont la direction générale a été confiée en 1987 à M. B.... Le 19 octobre 1994, M. C... et M. B... ont conclu deux pactes de cession d'actions portant sur une partie des sociétés exploitantes de salles du groupe C... au profit de M. B... : le premier pacte concernant les sociétés dites du Nord et prévoyant une cession avec effet immédiat au 1er janvier 1995 ; le second pacte concernant les sociétés dites du Sud et prévoyant une promesse irrévocable de vente et d'achat des complexes cinématographiques exploités à Alès et à Salon-de-Provence. Par décision du 11 août 1995, le centre national de la cinématographie (CNC) a autorisé, à la demande de M. B..., le regroupement en circuit des comptes de soutien financier des salles du Nord et du Sud sur une salle dite pilote " Le Palace 1 " à Arras, qui appartenait à la société Leca du groupe B.... Sur ce fondement, le CNC a accordé à la société Leca des avances calculées sur l'ensemble des comptes de soutien des salles du Nord et du Sud. Le CNC a mis fin à ce regroupement au 1er janvier 1998. A la suite du décès de M. C..., les sociétés du groupe C... ont adressé au CNC une réclamation en date du 28 octobre 2003 tendant à l'indemnisation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait du regroupement des comptes de soutien et du versement au profit de la société Leca d'aides publiques destinées aux salles du Sud appartenant légalement au groupe C... dont elles ont été indûment privées. Le Conseil d'Etat, par décision du 16 mars 2016 et la Cour administrative d'appel de Paris, par arrêt du 15 avril 2016, ont rejeté les conclusions présentées par les sociétés du groupe C... et dirigées contre le CNC comme étant mal dirigées, au motif que la décision du 11 août 1995 a été prise au nom et pour le compte de l'Etat. Les sociétés d'expansion du spectacle, Eurovidéo international, Compagnie méditerranéenne cinématographique, Cinéma Napoléon, Ciné Spectacles, Ciné Alès ont demandé au ministre de la culture et la communication l'indemnisation de leur préjudice évalué à la somme de 5 474 617 euros par une réclamation préalable en date du 1er septembre 2016, qui a été implicitement rejetée. Par un jugement du 8 mars 2018, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser des indemnités aux sociétés d'expansion du spectacle, Cinéma Napoléon et Ciné Alès et à rétablir dans leurs comptes de soutien le montant des droits acquis pour la période de 1995-1997 et a rejeté les conclusions présentées par la société Euro vidéo international, la société Compagnie méditerranéenne cinématographique et la société Ciné spectacles ainsi que le surplus des conclusions présentées par la société d'expansion du spectacle, la société Cinéma Napoléon et la société Ciné Alès. Le ministre de la culture relève appel de ce jugement en tant que l'Etat a été condamné au versement d'indemnités. Les sociétés, par la voie de l'appel incident, sollicitent la réformation du ce jugement en tant que le tribunal n'a que partiellement fait droit à leurs conclusions indemnitaires.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

3. Le ministre de la culture et de la communication a opposé, en première instance, la prescription quadriennale de la créance détenue sur l'Etat en invoquant le fait que les demandes adressées au centre national de la cinématographie étaient fondées sur un fait générateur différent et n'avaient pas eu pour effet d'interrompre le délai de prescription à l'égard de l'Etat. Le tribunal a écarté cette exception de prescription quadriennale aux points 2 et 3 en se bornant à relever qu'une réclamation préalable peut être adressée à une autorité administrative différente de l'administration ayant la charge du règlement de la créance et sans se prononcer sur l'identité du fait générateur de la créance. Ce faisant, et eu égard à l'argumentation du ministre devant les premiers juges, le tribunal a insuffisamment motivé son jugement. Dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen dirigé contre la régularité du jugement attaqué, le ministre de la culture est fondé à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité à ce titre et doit être annulé.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par les sociétés devant le Tribunal administratif de Paris.

Sur l'exception de prescription quadriennale :

5. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat (...) sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. (...) ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. / Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; (...) / Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée. ".

6. Aux termes de l'article 2 du décret du 30 décembre 1959 portant application des dispositions du décret du 16 juin 1959 relatif au soutien financier de l'Etat à l'industrie cinématographique : " Les décisions relatives aux différentes formes de soutien financier de l'industrie cinématographique (...) sont prises par le ministre chargé du cinéma ; leur exécution incombe au directeur général du centre national de la cinématographie ". Aux termes de l'article 1er du décret du 27 mars 1968 : " Le ministre d'Etat chargé des affaires culturelles peut, par arrêté, donner délégation au directeur général du centre national de la cinématographie, à l'effet de signer toutes décisions relatives aux différentes formes de soutien financier de l'industrie cinématographique (...) ". Il résulte de ces dispositions, abrogées par l'article 2 du décret du 15 mars 1996 pris pour l'application de l'article 57 de la loi de finances pour 1996 et relatif au soutien financier de l'Etat à l'industrie cinématographique, et donc en vigueur à la date de la décision du 11 août 1995 autorisant le regroupement de soutiens financiers, que cette décision a été prise pour le compte de l'Etat et non pour celui du centre national de la cinématographie.

7. Il résulte de l'instruction et n'est pas sérieusement contesté que les sociétés requérantes doivent être regardées comme n'ayant eu pleine connaissance des incidences financières de la décision de regroupement des comptes de soutien financier opérée par le CNC qu'en 2001. La réclamation préalable en date du 28 octobre 2003 présentée par les sociétés requérantes, bien qu'elle recherche la responsabilité du CNC, tend à l'indemnisation du préjudice résultant du versement indu d'avances au profit de la société Leca et a trait à l'illégalité de la décision du 11 août 1995 qui a été prise par le CNC pour le compte de l'Etat. Cette réclamation préalable adressée au CNC en vue d'obtenir la réparation du préjudice né d'une décision prise par le CNC au nom de l'Etat doit être regardée comme adressée à la fois au CNC et à l'Etat, lequel, en l'absence de décision expresse de sa part, est réputé l'avoir implicitement rejetée à l'expiration du délai de deux mois suivant la date de réception de la demande par le CNC saisi, alors même que ce dernier l'a également rejetée au titre de sa responsabilité propre. Par suite, cette demande qui a trait au même fait générateur que la créance détenue sur l'Etat a pu valablement interrompre la prescription quadriennale en application de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968. L'exception de prescription quadriennale opposée par le ministre de la culture doit, dès lors, être écartée.

Sur la responsabilité de l'Etat :

8. Il résulte de l'instruction et n'est pas contesté qu'en accordant, par la décision du 11 août 1995, le regroupement des soutiens financiers accordés aux salles de spectacle du groupe C... à M. B..., sans s'assurer que celui-ci était effectivement propriétaire desdites salles et sans aucun fondement juridique, le CNC a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat au nom duquel il agissait. Les sociétés requérantes sont, par suite, fondées à demander l'indemnisation du préjudice direct et certain résultant de cette faute.

Sur les préjudices :

9. Aux termes de l'article 1er du décret du 21 avril 1967 portant application des dispositions du décret modifié du 16 juin 1959 relatives au soutien financier de l'Etat à la création et à la modernisation des théâtres cinématographiques, alors en vigueur : " Les droits des propriétaires de théâtres cinématographiques au soutien financier prévu à l'article 3 (paragraphe II, e) du décret du 16 juin 1959 sont calculés selon un pourcentage du montant de la taxe spéciale additionnelle au prix des places perçues à leurs guichets. (...) ". Aux termes de l'article 2 du même décret : " Les propriétaires de théâtres cinématographiques peuvent bénéficier du soutien financier pour : / a) La réalisation dans les salles de travaux agréés après avis d'une commission professionnelle dont la composition est fixée par arrêté du ministre d'Etat chargé des affaires culturelles, travaux qui, par l'amélioration des conditions techniques d'exploitation ou du confort, sont susceptibles d'augmenter la fréquentation des salles par les spectateurs ; (...) ". Aux termes de l'article 3 du même décret : " Les sommes allouées aux exploitants de salles de spectacles cinématographiques pour des travaux exécutés ou à exécuter ne peuvent excéder le montant des sommes inscrites à leur compte en application des dispositions de l'article 1er. Les sommes allouées ne peuvent excéder 90 p. 100 du coût total des travaux pour les salles ressortissant à la catégorie dite de la petite exploitation " telle qu'elle est définie par l'article 24 du code de l'industrie cinématographique. Pour les autres salles, les sommes allouées ne peuvent excéder 70 p. 100 du coût total des travaux présentés au Centre national de la cinématographie avant le 1er janvier 1981. Au-delà de cette date les sommes allouées peuvent représenter 90 p. 100 du coût total des travaux exécutés ou à exécuter. / Des avances sur les sommes inscrites au compte des exploitants de salles peuvent être consenties, dans la limite de plafonds, après avis de la commission prévue à l'article 2 ci-dessus. (...) ".

10. Il résulte de ces dispositions que le centre national de la cinématographie pouvait attribuer des subventions en vue de concourir à la modernisation des théâtres cinématographiques, et notamment pour la réalisation de travaux d'amélioration des conditions techniques d'exploitation ou du confort susceptibles d'augmenter la fréquentation des salles par les spectateurs. Chaque propriétaire de salle dispose d'un compte sur lequel sont inscrits des droits, lesquels sont calculés selon un pourcentage du montant de la taxe spéciale additionnelle au prix des places perçues à leurs guichets. En cas de travaux de modernisation exécutés ou à exécuter, l'exploitant se voit allouer une somme dans la limite des droits inscrits au compte pour financer jusqu'à 70% à 90% des travaux. L'arrêté du 18 janvier 1969 fixant les modalités d'octroi des avances sur soutien financier aux propriétaires de théâtres cinématographiques prévoit que des avances peuvent être consenties dans la limite de 70% des droits à soutien financier inscrits au compte pendant les douze mois précédents l'octroi de l'avance et qu'aucune avance ne peut allouée avant complet amortissement de l'avance précédemment accordée au titre de la salle intéressée.

En ce qui concerne les droits acquis :

11. Il résulte de l'instruction que le regroupement des comptes de soutien financier au bénéfice de la société Leca a privé les sociétés requérantes du groupe C... des droits au soutien financier auxquels elles pouvaient prétendre en qualité de propriétaire des salles. Il résulte de l'instruction, et notamment du tableau récapitulatif du rapport d'expertise de Mme G... du 23 mai 2005 établi à la demande du CNC et du rapport de la SA Hoche Audit de mai 2009 produit par les sociétés, qu'au titre de la période de 1995 à 1997, le montant total des droits acquis pour les salles Le Club et Les Arcades à Salon-de-Provence et la salle Les Arcades de Lille, qui sont la propriété de la société d'expansion du spectacle était respectivement de 495 459 francs (75 332 euros), de 1 028 206 francs (156 749 euros) et de 787 069 francs (119 988 euros). Au titre de la même période, le montant des droits acquis pour la salle Les Arcades d'Alès, qui est la propriété de la société Cinéma Napoléon, s'élevait à 860 403 francs (131 168 euros). Au titre de la même période, le montant des droits acquis pour la salle Les Arcades bis d'Alès, qui est la propriété de la société Ciné Alès, s'élevait à 316 040 francs (48 180 euros). Si elles ne sont pas fondées à obtenir le versement d'une indemnité à hauteur des droits ainsi acquis, en l'absence de réalisation de travaux, ces sociétés ont droit au rétablissement de ces droits dans leurs comptes de soutien financier au titre de la période de 1995 à 1997.

En ce qui concerne les avances :

12. Les sociétés requérantes sollicitent le versement d'une indemnité qu'elles évaluent au montant de 506 000 euros correspondant au montant des avances qui ont été versées indûment à la société Leca à la suite du regroupement illégal des comptes de soutien financier. D'une part, les avances ainsi versées à la société Leca, à tort dès lors qu'elle n'était pas propriétaire des salles, lui ont été allouées à raison de l'exécution de travaux de modernisation. Les sociétés requérantes, qui n'allèguent ni n'établissent avoir engagé des travaux pour leurs salles pour un montant identique à ceux effectués par la société Leca et ayant servi de fondement au versement de ces avances, ne peuvent prétendre à une indemnité correspondant au montant de ces avances. D'autre part, si les sociétés requérantes font valoir que le montant des avances indûment versées à la société Leca a été amorti sur les droits acquis dont elles auraient dû bénéficier, les droits dont elles ont été privées n'étaient susceptibles de donner lieu au versement d'une subvention ou d'une avance que dans le cas de la réalisation de travaux de modernisation. Dans ces conditions, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir qu'elles ont droit à l'attribution d'une indemnité correspondant aux avances versées indûment à la société Leca.

13. Il résulte du point 11 que le montant total des droits acquis auxquels les sociétés du groupe C... avaient droit en qualité de propriétaires des salles, y compris le montant des avances indûment consenties à la société Leca, doit être rétabli dans leurs comptes de soutien financier au titre de la période de 1995 à 1997. Par suite, les sociétés requérantes ne sont pas davantage fondées à soutenir qu'un montant supplémentaire de 506 000 euros au titre des avances doit être inscrit dans leurs comptes de soutien.

En ce qui concerne le préjudice économique et financier :

14. Les sociétés requérantes soutiennent que le groupe C... a perdu la possibilité de percevoir des avances et des droits permettant de réaliser des travaux de rénovation et a subi un préjudice économique et financier résultant de la dégradation des salles et de la perte de marge qu'aurait dû procurer une exploitation régulière si des subventions leur avaient été versées. D'une part, les sociétés requérantes n'établissent pas que la décision illégale de regroupement financier leur interdisait de présenter des demandes de financement au bénéfice de leurs établissements ou que de telles demandes auraient été rejetées, en conséquence directe de la faute commise par le CNC, agissant au nom de l'Etat, durant la période en litige ou postérieurement. Les sociétés ont produit des courriers du CNC entre 1999 et 2002 accusant réception de correspondance relative aux projets de modernisation des cinémas Arcades et Arcades bis à Alès et à Cannes et invitant les sociétés à constituer un dossier ainsi qu'un courrier du 20 octobre 2001 de la société d'expansion du spectacle de 2001 sollicitant une avance majorée. Toutefois, ces pièces ne permettent pas d'établir qu'une suite défavorable ait été donnée à leurs demandes et qu'elles aient été empêchées de procéder à des travaux de modernisation faute de droits acquis suffisants sur leurs comptes ou d'avances non accordées par le CNC. Les courriers adressés en vue de connaître le montant des droits acquis par établissement ne sont pas davantage de nature à établir l'intention de procéder à des travaux de modernisation qui n'auraient pu être accomplis à raison de la décision du CNC. D'autre part, ni la comparaison de l'évolution des recettes des salles de cinéma concernées entre 1995 et 2007 avec les performances moyennes de la profession, ni l'application du taux de progression constaté après la réalisation de travaux dans les salles situées à Alès entre 2004 et 2005 au chiffre d'affaires des salles concernées pour la période 1995-2004, ni les constats d'huissier de l'état de ces salles, ni les bilans des sociétés propriétaires des fonds ou exploitantes de ces salles et faisant ressortir la faiblesse de leur trésorerie ne démontrent que l'absence de réalisation de travaux serait la conséquence directe de la décision illégale du CNC et qu'elle serait à l'origine du préjudice allégué. Par suite, il ne résulte pas de l'instruction que les préjudices dont les sociétés requérantes demandent réparation présenteraient un lien de causalité directe avec la décision illégale de regroupement financier.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la société d'expansion du spectacle est fondée à demander le rétablissement pour la période de 1995 à 1997 dans ses comptes de soutien d'un montant de droits acquis de 75 332 euros au titre de la salle Le Club à Salon-de-Provence, de 156 749 euros au titre de la salle Les Arcades à Salon-de-Provence et de 119 988 euros au titre de la salle Les Arcades à Lille, que la société Cinéma Napoléon est fondée à demander le rétablissement pour la période de 1995 à 1997 dans ses comptes de soutien d'un montant de droits acquis de 131 168 euros au titre de la salle Les Arcades à Alès et que la société Ciné Alès est fondée à demander le rétablissement pour la période de 1995 à 1997 dans ses comptes de soutien d'un montant de droits acquis 48 180 euros au titre de la salle Les Arcades bis à Alès. Le surplus des conclusions de ces sociétés ainsi que les conclusions des sociétés Euro vidéo international, Compagnie méditerranéenne cinématographique et Ciné Spectacles doivent, dès lors, être rejetées.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

16. Il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées par les sociétés requérantes tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser une indemnité sont rejetées. Par suite, les conclusions tendant au versement des intérêts et à la capitalisation des intérêts doivent également être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

17. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des sociétés requérantes présentées en première instance et en appel sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par ailleurs, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge des sociétés requérantes, qui ne sont pas dans la présente instance, les parties perdantes, le versement de la somme que l'Etat demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1700163/5-1 du 8 mars 2018 du Tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : Il est rétabli pour la période de 1995 à 1997 dans les comptes de soutien de la société d'expansion du spectacle un montant de droits acquis de 75 332 euros au titre de la salle Le Club à Salon-de-Provence, de 156 749 euros au titre de la salle Les Arcades à Salon-de-Provence et de 119 988 euros au titre de la salle Les Arcades à Lille.

Article 3 : Il est rétabli pour la période de 1995 à 1997 dans les comptes de soutien de la société Cinéma Napoléon un montant de droits acquis de 131 168 euros au titre de la salle Les Arcades à Alès.

Article 4 : Il est rétabli pour la période de 1995 à 1997 dans les comptes de soutien de la société Ciné Alès un montant de droits acquis de 48 180 euros au titre de la salle Les Arcades bis à Alès.

Article 5 : Les demandes présentées par la société Euro vidéo international, la société Compagnie méditerranéenne cinématographique et la société Ciné spectacle, le surplus des demandes de la société d'expansion du spectacle, de la société Cinéma napoléon et de la société Ciné Alès présentées devant le Tribunal administratif de Paris ainsi que les conclusions présentées par ces sociétés devant la Cour au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Les conclusions de l'Etat présentées sur le fondement des dispositions de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la société d'expansion du spectacle, à la société Euro vidéo international, à la société Compagnie méditerranéenne cinématographique, à la société Cinéma Napoléon, à la société Ciné spectacles, à la société Ciné Alès et au ministre de la culture.

Copie en sera adressée au centre national du cinéma et de l'image animée.

Délibéré après l'audience du 29 mai 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme E..., présidente,

- M. Mantz, premier conseiller,

- Mme Mach, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 juin 2020.

La présidente,

M. E...

La République mande et ordonne au ministre de la culture en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 18PA01580


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA01580
Date de la décision : 15/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Arts et lettres - Cinéma.

Comptabilité publique et budget - Dettes des collectivités publiques - Prescription quadriennale - Régime de la loi du 31 décembre 1968 - Interruption du cours du délai.


Composition du Tribunal
Président : Mme JULLIARD
Rapporteur ?: Mme Anne-Sophie MACH
Rapporteur public ?: M. BARONNET
Avocat(s) : CABINET JL AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 03/08/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-06-15;18pa01580 ?
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