Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme K... A... J... a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Ecole normale supérieure à lui verser les sommes de 10 000 euros au titre du préjudice moral, de 10 000 euros au titre du préjudice physique et de 10 000 euros au titre du préjudice financier qu'elle estime avoir subis à raison d'un harcèlement moral de la part de ses supérieurs et d'un manquement à l'obligation de sécurité imputable à l'Ecole normale supérieure.
Par un jugement n° 1515950/5-3 du 31 octobre 2017, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Ecole normale supérieure à verser à Mme A... J... la somme de 2 000 euros en réparation du préjudice moral subi par l'intéressée, assortie des intérêts légaux.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 3 janvier 2018, Mme A... J..., représentée par Me G..., demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 1515950/5-3 du 31 octobre 2017 par lequel le Tribunal administratif de Paris a limité à la somme de 2 000 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné l'Ecole normale supérieure en réparation du préjudice qu'elle a subi ;
2°) de porter à la somme de 30 000 euros le montant de l'indemnité due au titre de la réparation des préjudices qu'elle a subis, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Ecole normale supérieure le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la juridiction administrative est compétente dès lors qu'elle recherche la responsabilité de l'Ecole normale supérieure en raison de la faute intentionnelle commise s'agissant de l'accident du 17 mars 2010 et du harcèlement moral subi ;
- la dégradation de ses conditions de travail et l'accident de service du 17 mars 2010 résultent d'un harcèlement moral de la part de sa hiérarchie ;
- l'Ecole normale supérieure a manqué à ses obligations de protection de la sécurité et de la santé de ses agents alors qu'elle avait connaissance des dangers pour sa santé.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 avril 2018, l'Ecole normale supérieure, représentée par Me B..., demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête de Mme A... J... ;
2°) par la voie de l'appel incident :
- d'annuler le jugement n° 1515950/5-3 du 31 octobre 2017 par lequel le Tribunal administratif de Paris l'a condamnée à verser la somme de 2 000 euros en réparation du préjudice subi par Mme A... J... ;
- de rejeter la demande présentée par Mme A... J... devant le Tribunal administratif de Paris ;
3°) de mettre à la charge de Mme A... J... le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable dès lors qu'elle ne développe aucune argumentation dirigée spécifiquement contre la motivation du jugement attaqué et qu'elle constitue une reproduction de la demande de première instance ;
- les moyens soulevés par Mme A... J... ne sont pas fondés ;
- elle n'a commis aucun manquement dans son obligation de sécurité ; Mme A... J... ne se prévaut d'aucune règle ni mesure qui aurait été méconnue ; les allégations relatives à des propos à caractère sexuel ne sont pas établies ; elle n'avait pas connaissance des faits imputés à M. F....
Par une ordonnance du 11 octobre 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au
4 novembre 2019 à 12h00.
Mme A... J... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 mai 2018 du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mach, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... J... a été recrutée, par un contrat à durée déterminée du
27 novembre 2009, en qualité d'agent contractuel à temps complet pour exercer ses fonctions au restaurant de l'Ecole normale supérieure du 1er décembre 2009 au 31 octobre 2010. Mme A... J... a été victime d'un accident du travail le 17 mars 2010, un choc avec un chariot de cantine ayant entraîné une lésion de la cheville droite avec un taux d'incapacité permanente partielle fixé à 3%. Par un jugement n° 1515950/5-3 du 31 octobre 2017, le Tribunal administratif de Paris a retenu un manquement de l'Ecole normale supérieure à ses obligations de sécurité et a alloué à Mme A... J... une somme de 2 000 euros en réparation du préjudice moral subi.
Mme A... J... relève appel du jugement du 31 octobre 2017 en tant que le Tribunal administratif de Paris a fait partiellement droit à ses conclusions indemnitaires. L'Ecole normale supérieure demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation de ce jugement en tant qu'elle a été condamnée à verser une indemnité à Mme A... J....
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le harcèlement moral :
2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) / Les dispositions du présent article sont applicables aux agents non titulaires de droit public ".
3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
4. D'une part, Mme A... J... soutient que l'accident de travail survenu le 17 mars 2010 procède d'une situation de harcèlement moral de son chef de personnel, Mme C..., qui, après une première tentative, a volontairement et violemment projeté un chariot contre sa cheville. Pour démontrer la première tentative d'agression physique, Mme A... J... produit une main courante déposée le 22 mars 2010 ainsi que des courriers qu'elle a adressés au procureur de la République, à l'inspection du travail et à la directrice de l'Ecole normale supérieure en 2010 relatifs à l'accident du 17 mars 2010 et mentionnant un précédent accident. Toutefois, en l'absence de tout autre élément de nature à confirmer ses allégations, non corroborées par des témoignages alors qu'elle indique que l'incident précédent a eu lieu en présence d'autres agents, la première tentative d'agression alléguée n'est pas matériellement établie. Il ne résulte par ailleurs pas de l'instruction que l'accident survenu le 17 mars 2010, reconnu comme imputable au service, aurait été causé intentionnellement.
5. D'autre part, Mme A... J... soutient avoir subi les humiliations et brimades du chef de cuisine, M. F..., dont les agissements de harcèlement moral sont attestés par d'autres salariés. Elle ne peut toutefois utilement se prévaloir de l'attestation de Mme D... datée du
18 février 2011, qui contrairement à ce qu'elle soutient, ne la concerne pas, mais fait état d'un harcèlement psychologique subi par sa signataire lorsqu'elle était en poste entre 2002 et 2007, soit avant le recrutement de l'appelante. Elle ne peut davantage se prévaloir des courriers émanant de
M. E... et d'autres employés de la cuisine, dont elle n'est d'ailleurs pas signataire, dénonçant le comportement du chef de cuisine et qui ne font pas état de sa propre situation. Si Mme A... J... soutient que les agents de la cuisine ont mené une grève pour réclamer des sanctions contre le chef de cuisine à raison de faits d'insultes, de harcèlement moral et de violence, il résulte de l'article de presse du 13 avril 2011 dont elle se prévaut que la grève avait pour objet la précarité du statut des agents. Si la requérante fournit deux attestations établies par une collègue concernant des allusions à caractère sexuel proférées en public à son encontre, il résulte de l'instruction que Mme A... J... n'a dans aucun des courriers et signalements auprès des services de police, du procureur de la République, de l'inspection du travail et de la direction de l'Ecole normale supérieure, mentionné de tels faits, se bornant à évoquer des ordres contradictoires émanant de M. F.... Ces allusions isolées à caractère sexuel à son encontre, à les supposer établies, ne sauraient faire présumer l'existence d'agissements de harcèlement moral.
6. Par ailleurs, Mme A... J... invoque également des brimades et humiliations émanant de sa supérieure hiérarchique. Les courriers que l'intéressée a adressés à l'inspection du travail en date du 23 mars 2010 et à la directrice de l'Ecole normale supérieure mentionnent des reproches qu'elle estime injustifiés. Le courrier adressé au procureur de la République en date du 9 juin 2010 fait état d'humiliations et brimades sans aucune précision. Par suite, elle n'apporte pas d'éléments de nature à faire présumer l'existence des brimades et humiliations alléguées.
7. Enfin, Mme A... J... soutient qu'en dépit des instructions des médecins et de l'inspection du travail sur l'impossibilité de porter des charges de plus de trois kilos, les mêmes missions lui ont été assignées lors de la reprise de son poste. Toutefois, il ne résulte d'aucun élément produit au dossier qu'elle aurait été contrainte de porter des charges lourdes lors de la reprise de ses fonctions le 7 juin 2010. L'intéressée a, au demeurant, été placée en congé de maladie à compter du 11 juin 2010 à la demande de son médecin psychiatre.
8. Il résulte de ce qui précède que Mme A... J... n'apporte pas les éléments de faits susceptibles de faire présumer qu'elle a été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral.
En ce qui concerne le manquement aux obligations de sécurité :
9. En premier lieu, Mme A... J... ne saurait utilement se prévaloir des stipulations de l'article 31 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, lesquelles ne peuvent être invoquées que pour des dispositions mettant en oeuvre le droit de l'Union européenne.
10. En second lieu, aux termes de l'article 2-1 du décret du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique : " Les chefs de service sont chargés, dans la limite de leurs attributions et dans le cadre des délégations qui leur sont consenties, de veiller à la sécurité et à la protection de la santé des agents placés sous leur autorité. ". Les autorités administratives ont l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale de leurs agents. Il leur appartient à ce titre, sauf à commettre une faute de service, d'assurer la bonne exécution des dispositions législatives et réglementaires qui ont cet objet, ainsi que le précise l'article 2-1 du décret du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique.
11. Mme A... J... soutient que l'Ecole normale supérieure n'a pas pris les mesures nécessaires pour prévenir les risques et préserver sa santé alors qu'elle ne pouvait ignorer le danger qu'elle risquait de subir au regard des signalements opérés par les agents de son service. D'une part, il ne résulte pas de l'instruction, ainsi qu'il a été dit aux points 4 et 6, que l'accident du 17 mars 2010 constituerait une agression qu'il appartenait à la direction de prévenir, ni que les conditions de travail de Mme A... J... se seraient dégradées à raison des humiliations et brimades de sa supérieure hiérarchique. D'autre part, il résulte de l'instruction, et n'est pas sérieusement contesté, que l'Ecole normale supérieure avait connaissance de difficultés liées au comportement de M. F... au sein de son service, certains agents ayant sollicité que des mesures soient prises pour remédier à la situation, y compris antérieurement et postérieurement à la période d'emploi de Mme A... J.... Toutefois, il résulte également de l'instruction que Mme A... J... n'a pas signé ces signalements auprès de la hiérarchie et n'a pas fait mention des agissements de M. F..., à l'exception d'ordres contradictoires, avant la procédure juridictionnelle. L'intéressée a au surplus adressé un courrier en date du 30 mars 2010 à la direction de l'établissement mentionnant uniquement le comportement de sa supérieure hiérarchique comme étant à l'origine de la situation et de l'aggravation de sa santé psychologique. Par suite, et en dépit du comportement de M. F..., Mme A... J... qui, impute au comportement de sa supérieure hiérarchique son état de santé, ne peut utilement soutenir que l'établissement n'a pas pris les mesures nécessaires, compte tenu du comportement de M. F..., pour assurer sa sécurité et protéger sa santé physique et morale. Par suite, l'appelante n'est pas fondée à rechercher la responsabilité de l'Ecole normale supérieure à raison d'une carence fautive.
12. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par l'Ecole normale supérieure, que Mme A... J... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris n'a pas fait droit au surplus de ses conclusions indemnitaires. En revanche, l'Ecole normale supérieure est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 1er du jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris l'a condamnée à verser à Mme A... J... une somme de 2 000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait d'un manquement imputable à l'établissement.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Ecole normale supérieure, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que Mme A... J... demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Par ailleurs, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de Mme A... J... le versement d'une somme quelconque au titre des frais exposés par l'Ecole normale supérieure.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... J... est rejetée.
Article 2 : L'article 1er du jugement n° 1515950/5-3 du 31 octobre 2017 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 3 : La demande présentée par Mme A... J... devant le Tribunal administratif de Paris et relative au manquement à l'obligation de sécurité de l'Ecole normale supérieure est rejetée.
Article 4 : Les conclusions présentées par l'Ecole normale supérieure devant la Cour au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme K... A... J... et à l'Ecole normale supérieure.
Délibéré après l'audience du 29 mai 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme H..., présidente,
- M. Mantz, premier conseiller,
- Mme Mach, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 juin 2020.
La présidente,
M. H...La République mande et ordonne à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 18PA00020