La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/06/2020 | FRANCE | N°19PA02945

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 09 juin 2020, 19PA02945


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 15 décembre 2016 par laquelle le Conseil national de l'ordre des médecins a refusé de transmettre sa plainte contre le Dr F... à la chambre disciplinaire de première instance de la région Ile-de-France et d'enjoindre audit Conseil de saisir la chambre disciplinaire de première instance.

Par un jugement n° 1703940/6-1 du 19 juillet 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devan

t la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 10 septembre 2019 et 27 jan...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 15 décembre 2016 par laquelle le Conseil national de l'ordre des médecins a refusé de transmettre sa plainte contre le Dr F... à la chambre disciplinaire de première instance de la région Ile-de-France et d'enjoindre audit Conseil de saisir la chambre disciplinaire de première instance.

Par un jugement n° 1703940/6-1 du 19 juillet 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 10 septembre 2019 et 27 janvier 2020, Mme B..., représentée par Me G..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'enjoindre au Conseil national de l'ordre des médecins de transmettre sa plainte à la chambre disciplinaire de première instance ;

3°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les dispositions des articles L. 4123-2, L. 4124-2 et R. 4127-112 du code de la santé publique imposaient au Conseil national de l'ordre des médecins soit de saisir lui-même la chambre disciplinaire de première instance après instruction de sa plainte contre le Dr F..., soit de transmettre sa plainte à la chambre disciplinaire pour que les suites appropriées lui soient données ;

- le Conseil ne disposait d'aucune marge d'appréciation quant à l'opportunité de transmettre ou non sa plainte ; il ne lui appartient pas de déclarer une plainte infondée ou irrecevable, comme l'a relevé la Cour des Comptes en décembre 2019 ;

- la décision litigieuse n'est pas suffisamment motivée ;

- elle est entachée d'un vice de procédure ; le Conseil aurait dû la convoquer pour l'entendre avant de refuser de transmettre sa plainte ; à défaut, il a violé les stipulations de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le Dr France F... a méconnu ses obligations déontologiques en acceptant la mission d'expertise qui lui a été confiée par le juge judiciaire ; le Conseil national de l'ordre des médecins devait dès lors transmettre sa plainte afin qu'elle soit sanctionnée.

Par deux mémoires enregistrés les 27 novembre 2019 et 5 février 2020, le Conseil national de l'ordre des médecins, représenté par la SCP Matuchansky-Poupot-Valdelièvre, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de Mme B... ;

2°) de mettre à la charge de la requérante la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 18 décembre 2019, Mme C... F..., représentée par Me I..., demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de Mme B... ;

2°) de mettre à la charge de la requérante la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

La clôture de l'instruction a été fixée au 6 février 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,

- et les observations de Me H..., pour le Conseil national de l'ordre des médecins.

Une note en délibéré a été produite le 28 mai 2020 pour Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... bénéficie depuis 1991 d'un suivi gynécologique régulier en raison notamment des facteurs de risque de cancer du sein qu'elle présente. Alors qu'un nodule est découvert en juin 2005 et que son gynécologue prescrit une biopsie, aucun examen n'est réalisé par les services des établissements dans lesquels elle se rend, l'Hôpital américain de Neuilly puis l'hôpital Saint-Louis. Une cytoponction révèle finalement en septembre 2006 la présence d'une tumeur cancéreuse, prise en charge par la clinique Hartmann. Estimant avoir été victime d'un retard de diagnostic, à l'origine de mastectomie qu'elle a dû subir, Mme B... a recherché la responsabilité de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), dont relève l'hôpital Saint-Louis, de l'Hôpital américain de Neuilly, des médecins qu'elle a consultés, de son gynécologue et de leurs assureurs. Par ordonnance du 23 juillet 2009, le juge des référés du tribunal de grande instance de Versailles a ordonné une mesure d'expertise confiée au Dr France F.... Par un arrêt du 25 septembre 2018, la cour administrative d'appel de Paris a condamné l'AP-HP à verser la somme de 25 000 euros à Mme B... en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait du retard de diagnostic de son cancer.

2. Mme B..., considérant que le Dr F... n'aurait pas dû accepter la mission d'expertise judiciaire dès lors qu'elle entretenait des liens avec certains des médecins et établissements de santé mis en cause, et qu'elle a exercé au sein de la clinique Hartmann, a saisi à l'été 2013 le conseil départemental de l'ordre des médecins afin qu'il lui inflige une sanction disciplinaire. Le 11 décembre 2013, le conseil départemental de l'ordre des médecins a rejeté sa demande, au motif que les faits reprochés au Dr F... n'étaient pas susceptibles de constituer un manquement à la déontologie médicale. La cour administrative d'appel de Paris a rejeté le 25 septembre 2018 les conclusions de la requérante tendant à l'annulation de cette décision. Par un courrier du 15 septembre 2016, Mme B... a demandé au Conseil national de l'ordre des médecins de transmettre sa plainte contre le Dr F... à la chambre disciplinaire de première instance. Le Conseil a rejeté cette demande le 15 décembre 2016. Par un jugement du 19 juillet 2019 dont Mme B... relève appel, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette dernière décision.

Sur le bien-fondé du jugement :

Sur les dispositions applicables et le moyen tiré de l'erreur de droit :

3. Aux termes de l'article L. 4123-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : " I l est constitué auprès de chaque conseil départemental une commission de conciliation composée d'au moins trois de ses membres. La conciliation peut être réalisée par un ou plusieurs des membres de cette commission, selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat. / Lorsqu'une plainte est portée devant le conseil départemental, son président en accuse réception à l'auteur, en informe le médecin, le chirurgien-dentiste ou la sage-femme mis en cause et les convoque dans un délai d'un mois à compter de la date d'enregistrement de la plainte en vue d'une conciliation. En cas d'échec de celle-ci, il transmet la plainte à la chambre disciplinaire de première instance avec l'avis motivé du conseil dans un délai de trois mois à compter de la date d'enregistrement de la plainte, en s'y associant le cas échéant. / Lorsque le litige met en cause un de ses membres, le conseil départemental peut demander à un autre conseil de procéder à la conciliation. / En cas de carence du conseil départemental, l'auteur de la plainte peut demander au président du conseil national de saisir la chambre disciplinaire de première instance compétente. Le président du conseil national transmet la plainte dans le délai d'un mois. ".

4. Par dérogation à ces dispositions, l'article L. 4124-2 du code la santé publique prévoit, s'agissant des " médecins (...) chargés d'un service public et inscrits au tableau de l'ordre ", qu'ils " ne peuvent être traduits devant la chambre disciplinaire de première instance, à l'occasion des actes de leur fonction publique, que par le ministre chargé de la santé, le représentant de l'Etat dans le département, le directeur général de l'agence régionale de santé, le procureur de la République, le conseil national ou le conseil départemental au tableau duquel le praticien est inscrit (...) ". Les personnes et autorités publiques mentionnées à cet article ont seules le pouvoir de traduire un médecin chargé d'un service public devant la juridiction disciplinaire en raison d'actes commis dans l'exercice de cette fonction publique. En particulier, le Conseil national de l'ordre des médecins, autant qu'un conseil départemental de l'ordre des médecins, exerce en la matière une compétence propre.

5. Il résulte de ce qui précède que Mme B... ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 4123-2 du code de la santé publique pour soutenir que le Conseil national de l'ordre des médecins était tenu de transmettre sa plainte contre le Dr F... à la chambre disciplinaire de première instance, dès lors que les faits qu'elle reproche à cette dernière ont été accomplis en sa qualité d'expert judiciaire, ainsi chargée d'une mission de service public au sens des dispositions précitées de l'article L. 4124-2 du code de la santé publique. Par suite, il appartenait au Conseil national de l'ordre des médecins, sur le fondement de ce seul dernier article, d'apprécier s'il y avait lieu ou non de traduire le Dr F... devant la juridiction discipline.

Sur le moyen tiré du défaut de motivation :

6. Les dispositions de l'article R. 4127-112 du code de la santé publique, aux termes desquelles " Toutes les décisions prises par l'ordre des médecins en application du présent code de déontologie doivent être motivées. (...) ", ne sont pas applicables aux décisions prises par le Conseil national de l'ordre des médecins sur le fondement de l'article L. 4124-2 du code de la santé publique, comme en l'espèce. En tout état de cause, la décision du 15 décembre 2016 précise que le Conseil n'a pas constaté de manquement déontologique de la part du Dr F.... Le moyen doit donc être écarté.

Sur le moyen tiré du vice de procédure :

7. Aucune disposition ni aucun principe n'impose au Conseil national de l'ordre des médecins d'entendre une personne qui le saisit d'une plainte contre un médecin avant de décider des suites à donner à celle-ci. Par ailleurs, les stipulations de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, relatives au droit à un procès équitable, ne peuvent utilement être invoquées par Mme B... en l'espèce, dès lors que la décision qu'elle conteste n'est pas de nature juridictionnelle ou disciplinaire. Par suite, cette décision n'a pas été prise au terme d'une procédure irrégulière.

Sur la qualification juridique des faits :

8. Mme B... soutient qu'en acceptant la mission d'expertise qui lui a été confiée par le tribunal de grande instance de Versailles, le Dr F... a violé les dispositions de l'article R. 4127-105 du code de la santé publique aux termes desquelles " Un médecin ne doit pas accepter une mission d'expertise dans laquelle sont en jeu ses propres intérêts, ceux d'un de ses patients, d'un de ses proches, d'un de ses amis ou d'un groupement qui fait habituellement appel à ses services. ", alors qu'elle a exercé au sein de la clinique Hartmann, établissement privé choisi par Mme B... pour le traitement de son cancer. La requérante reproche en outre à l'expert d'avoir délibérément omis certains faits afin de dissimuler ses liens avec des établissements et praticiens intervenus dans le cadre de sa prise en charge, et d'avoir occulté dans son rapport des fautes commises lors du diagnostic de sa tumeur. Toutefois, si le Dr F... a ponctuellement utilisé le plateau technique de la clinique Hartmann, ou rencontré certains de ses confrères lors de divers colloques, il ne ressort pas des pièces du dossier que les liens entre l'expert et les établissements médicaux et médecins mis en cause par la requérante auraient été de nature, par leur intensité ou leur régularité, à faire naître un conflit d'intérêts incompatible avec la mission d'expertise qui lui a été confiée. Par ailleurs, les éléments et conclusions de fond contenus dans le rapport du Dr F..., qui ont pu être discutés à l'occasion de l'action indemnitaire engagée par Mme B..., ne sauraient révéler un manquement de l'expert à ses obligations déontologiques. Dans ces conditions, le Conseil national de l'ordre des médecins a donc pu légalement estimer, par la décision contestée du 15 décembre 2016, qu'il n'y avait pas lieu de transmettre la plainte de l'intéressée à la chambre disciplinaire de première instance. La circonstance que le tribunal de grande instance de Paris a ultérieurement considéré, par un jugement du 18 décembre 2017, d'ailleurs frappé d'appel et dépourvu en l'instance de l'autorité de la chose jugée, que le Dr F... avait commis des manquements de nature à engager sa responsabilité, est sans incidence sur cette appréciation.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du Conseil national de l'ordre des médecins, qui n'est pas la partie perdante au cours de la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par Mme B... et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la requérante le versement d'une somme audit Conseil ou au Dr F... sur ce même fondement.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du Conseil national de l'ordre des médecins et du Dr F... présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au Conseil national de l'ordre des médecins et au Dr France F....

Délibéré après l'audience du 26 mai 2020, à laquelle siégeaient :

- M. E..., premier vice-président,

- M. Bernier, président-assesseur,

- Mme D..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 9 juin 2020.

Le rapporteur,

G. D...Le président,

M. E...

Le greffier,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19PA02945


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA02945
Date de la décision : 09/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

55-04-01 Professions, charges et offices. Discipline professionnelle. Procédure devant les juridictions ordinales.


Composition du Tribunal
Président : M. BERNIER
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : SELARL BEHANZIN -OUDY

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-06-09;19pa02945 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award