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09/06/2020 | FRANCE | N°18PA03187

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 09 juin 2020, 18PA03187


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Alpha TP a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 17 novembre 2016 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France lui a refusé l'autorisation de dépasser la durée maximale hebdomadaire absolue du travail de 48 heures pour la réalisation de la prestation de déneigement sur l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle sur la période du 15 octobre au

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Alpha TP a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 17 novembre 2016 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France lui a refusé l'autorisation de dépasser la durée maximale hebdomadaire absolue du travail de 48 heures pour la réalisation de la prestation de déneigement sur l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle sur la période du 15 octobre au

15 avril de chaque année entre 2016 et 2023, ainsi que la décision implicite de rejet née du silence de la ministre chargée du travail sur son recours hiérarchique.

Par un jugement n° 1703606 du 3 août 2018, le tribunal administratif de Melun a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 27 septembre 2018, et un mémoire enregistré le

12 novembre 2019, la société Alpha TP, représentée par la SCP FGB, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Melun du 3 août 2018 ;

2°) d'annuler la décision du 17 novembre 2016 du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France lui refusant l'autorisation de dépasser la durée maximale hebdomadaire absolue du travail pour des prestations de déneigement, et le rejet implicite de son recours hiérarchique par le ministre du travail.

Elle soutient que :

- sa demande avait pour seul objet d'assurer la continuité du service public aéroportuaire ;

- la survenue de chutes de neige est aléatoire et exceptionnelle ;

- le recrutement de salariés temporaires n'est pas possible en raison des compétences requises et des enquêtes personnalisées dont font l'objet les employés ;

- le refus porte atteinte au principe d'égalité, la dérogation ayant été accordée à la société Eiffage.

Par un mémoire enregistré le 2 juillet 2019, le ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- une des dérogations accordées à la société Eiffage, qui portait sur la durée quotidienne et non hebdomadaire de travail, n'était pas de même nature que celle sollicitée par la requérante ; l'autre portait sur une seule année ;

- la survenue d'épisodes neigeux ne saurait être regardé comme exceptionnel eu égard à l'activité de l'entreprise chargée du déneigement ;

- la période de sept années, sollicitée pour la dérogation qui n'est accordée qu'au cas par cas, était trop longue ;

- la société ne démontre pas qu'il n'existait pas d'alternative.

La clôture de l'instruction est intervenue le 9 janvier 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels ;

- le décret n° 2016-1551 du 18 novembre 2016 portant diverses mesures relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- et les conclusions de Mme Pena, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société Alpha TP a sollicité du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France l'autorisation de déroger à la durée maximale hebdomadaire absolue de travail à raison de 60 heures par semaine en cas d'intempéries pour la période du 15 octobre au 15 avril de chaque année entre 2016 et 2023 pour 26 salariés afin de permettre des opérations de déneigement de l'aéroport Roissy Charles de Gaulle. Par une décision du 17 novembre 2016, le directeur régional a rejeté cette demande. La société a formé un recours hiérarchique auprès de la ministre chargée du travail par courrier du 18 janvier 2017 reçu le 24. Une décision implicite de rejet de ce recours est née le

24 mars 2017. La société Alpha TP relève appel du jugement du 3 août 2018 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.

Sur les textes applicables :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 3121-20 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 8 août 2016, applicable à la date de la décision : " Au cours d'une même semaine, la durée maximale hebdomadaire de travail est de quarante-huit heures. " Aux termes de l'article L. 3121-21 de ce code, dans sa rédaction issue de cette même loi : " En cas de circonstances exceptionnelles et pour la durée de celles-ci, le dépassement de la durée maximale définie à l'article L. 3121-20 peut être autorisé par l'autorité administrative, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat, sans toutefois que ce dépassement puisse avoir pour effet de porter la durée du travail à plus de soixante heures par semaine. Le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel, s'ils existent, donnent leur avis sur les demandes d'autorisation formulées à ce titre. Cet avis est transmis à l'agent de contrôle de l'inspection du travail. "

3. Selon l'article R. 3121-21 du code du travail, dans sa version applicable à la date de la décision, les dérogations à la durée maximale hebdomadaire " ne peuvent être accordées que pour une durée expressément fixée par l'autorité compétente./ A l'expiration de cette durée, une nouvelle dérogation ne peut résulter que d'une décision expresse faisant suite à une nouvelle demande des intéressés, instruite dans les mêmes conditions que la demande initiale./ La dérogation est révocable à tout moment par l'autorité qui l'a accordée si les raisons qui en ont motivé l'octroi viennent à disparaître, notamment en cas de licenciements collectifs affectant les secteurs, régions ou entreprises ayant fait l'objet d'une dérogation. " L'article R. 3121-23 de ce code dans sa version applicable dispose que la dérogation à la durée maximale hebdomadaire absolue du travail " est accordée par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi. Elle ne peut l'être qu'en cas de circonstance exceptionnelle entraînant temporairement un surcroît extraordinaire de travail. / La demande de dérogation est adressée par l'employeur à l'inspecteur du travail. / Elle est assortie de justifications sur les circonstances exceptionnelles qui la motivent et précise la durée pour laquelle la dérogation est sollicitée. / Elle est accompagnée de l'avis du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, s'il en existe. / Le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi prend sa décision au vu d'un rapport établi par l'inspecteur du travail et indiquant notamment si la situation de l'entreprise requérante justifie le bénéfice de la dérogation. / La décision précise l'ampleur de la dérogation ainsi que la durée pour laquelle elle est accordée. ".

4. Les dispositions des articles R. 3121-8 et R. 3121-10 du code du travail, qui règlent les conditions dans lesquelles est autorisé le dépassement de la durée maximale du travail, introduites par le décret n° 2016-1551 du 18 novembre 2016, sont postérieures à la décision du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile de France datée du 17 novembre 2016, et aux termes de l'article 7 de ce décret, ne sont entrées en vigueur que le 1er janvier 2017. Elles ne sauraient fonder ni la décision du directeur régional qui au demeurant et à bon droit ne les a pas visées, ni la décision implicite de rejet par le ministre du recours hiérarchique facultatif dont il était saisi.

Sur le bien-fondé des décisions :

5. Les chutes de neige et les vagues de verglas constituent des événements climatiques aléatoires, dont la survenue, l'intensité et la durée sont imprévisibles. Elles exigent de la part des entreprises de travaux publics chargées du déneigement une action immédiate afin que soit assurée la continuité du service aérien. Cette action peut appeler la mobilisation dans les moindres délais du personnel entraînant temporairement un surcroît extraordinaire de travail. Les règles particulières de sécurité applicables aux employés qui opèrent sur les pistes des aéroports de Paris ne se prêtent pas au recrutement immédiat de personnel temporaire pour faire face à de telles situations. Les intempéries qui requièrent l'intervention des déneigeurs présentent, dans ces conditions, le caractère de circonstances exceptionnelles au sens de l'article L. 3121-21 du code du travail. Elles peuvent en conséquence justifier une dérogation à la durée maximale du travail au titre de ces dispositions.

6. Cependant, il résulte des articles R. 3121-21 et R. 3121-23 du code du travail que la dérogation est accordée au terme d'une instruction particulière, pour une durée déterminée directement liée aux circonstances exceptionnelles, éventuellement renouvelable après une nouvelle instruction, et uniquement si la situation de l'entreprise qui la sollicite le justifie. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier qu'elle est demandée pour un nombre donné de salariés dument habilités à opérer sur les pistes d'atterrissage. Il en découle que la dérogation exceptionnelle n'est pas de droit et qu'elle ne peut être accordée, au vu de justificatifs circonstanciés, après un réexamen périodique de la situation de l'entreprise et consultation des instances du personnel, que pour une période brève, en sorte que l'administration puisse concrètement exercer son contrôle et apprécier l'opportunité de renouveler la dérogation. Le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France était donc fondé à considérer que la période concernée par la demande, à savoir six mois par an pour les sept prochaines années était une période trop étendue pour qu'il puisse procéder au contrôle dont il a la charge. Compte tenu de la durée excessive et déraisonnable pour laquelle la dérogation avait été sollicitée, eu égard notamment aux changements susceptibles d'affecter la situation de l'entreprise entre 2016 et 2023, la société Alpha TP ne peut apporter aucun élément de nature à justifier que son organisation dans les sept années à venir ne lui permettrait pas de faire face à une situation de fortes intempéries. C'est donc sans entacher sa décision d'illégalité que le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi a pu refuser la dérogation pour une durée de sept années qu'elle avait sollicitée.

7. Si la société Alpha TP fait valoir que des dérogations ont été accordées à la société Eiffage TP, titulaire d'un marché de déneigement attribué par Aéroport de Paris pour une autre piste, il ressort de ces décisions qu'elles ont été demandées et accordées pour une période de six mois d'une seule année, correspondant en l'espèce à la période hivernale du 15 octobre 2016 au 15 avril 2017, à des salariés nommément désignés et volontaires, et non pour une période de sept ans, qui était celle sollicitée par la requérante. Le principe d'égalité n'a pas été, dans ces conditions, méconnu.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Alpha TP n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Alpha TP est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Alpha TP et au ministre du travail. Copie en sera adressée pour information au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France.

Délibéré après l'audience du 26 mai 2020, à laquelle siégeaient :

- M. B..., premier vice-président,

- M. A..., président assesseur,

- Mme Mornet, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 9 juin 2020.

Le rapporteur,

Ch. A...Le président,

M. B...

Le greffier,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au ministre du travail en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N°°18PA03187


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA03187
Date de la décision : 09/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-03 Travail et emploi. Conditions de travail.


Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: M. Christian BERNIER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : SCP FGB

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-06-09;18pa03187 ?
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