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26/05/2020 | FRANCE | N°17PA00429

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 26 mai 2020, 17PA00429


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SASP Racing Club de France Rugby - Racing Métro 92 a demandé au tribunal administratif de Paris :

- d'annuler la décision du 18 décembre 2014 par laquelle la commission d'appel fédérale de la Fédération française de rugby lui a infligé une sanction financière de 50 000 euros ;

- d'annuler la décision du 5 novembre 2014 par laquelle la commission de discipline et des règlements instituée par la Ligue nationale de rugby lui a infligé une sanction financière de 50 000 euros ;

-

à titre subsidiaire, d'assortir la sanction prononcée du sursis total.

Par jugement n° 1509092/...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SASP Racing Club de France Rugby - Racing Métro 92 a demandé au tribunal administratif de Paris :

- d'annuler la décision du 18 décembre 2014 par laquelle la commission d'appel fédérale de la Fédération française de rugby lui a infligé une sanction financière de 50 000 euros ;

- d'annuler la décision du 5 novembre 2014 par laquelle la commission de discipline et des règlements instituée par la Ligue nationale de rugby lui a infligé une sanction financière de 50 000 euros ;

- à titre subsidiaire, d'assortir la sanction prononcée du sursis total.

Par jugement n° 1509092/6-2 du 6 décembre 2016, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 février 2017, la SASP Racing Club de France Rugby - Racing Métro 92, représentée par Mes Rasle et Grand d'Esnon, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler les décisions des 18 décembre 2014 et 5 novembre 2014 lui infligeant une sanction financière de 50 000 euros ;

3°) à titre subsidiaire, de diminuer le montant de la sanction ou de l'assortir du sursis total ;

4°) de mettre à la charge de la Fédération française de rugby la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal a omis de répondre à son argumentation relative à la confusion entre les articles 65 et 66 des règlements généraux ;

- la sanction n'est pas suffisamment motivée ;

- la sanction infligée est dépourvue de base légale ; la réglementation sur laquelle elle est fondée méconnaît en effet les principes constitutionnels d'individualisation des peines, de nécessité et de proportionnalité des sanctions, de personnalité des peines et de légalité des peines ; cette réglementation porte également atteinte à la liberté d'expression ;

- la sanction est entachée d'erreur d'appréciation, dès lors que le club n'a commis aucun manquement et a pris des mesures de nature à sensibiliser ses salariés au respect des valeurs du sport ;

- la sanction infligée est disproportionnée.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 avril 2017, la Fédération française de rugby, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la SASP Racing Club de France Rugby - Racing Métro 92 la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions dirigées contre la décision du 5 novembre 2014, à laquelle s'est substituée la décision de l'organe disciplinaire d'appel, sont irrecevables ;

- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 2 juin 2017, la Ligue nationale de rugby, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société requérante la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions tendant à l'annulation de la décision de la Ligue nationale de rugby du 5 novembre 2014 à laquelle s'est substituée la décision de la commission d'appel du 7 janvier 2015, qui ne sont assorties d'aucun moyen propre et qui sont tardives, sont irrecevables ;

- la société requérante, qui a acquiescé aux règlements généraux de la Ligue nationale de rugby en saisissant le CNOSF, ne saurait en contester la légalité ;

- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, et notamment son préambule ;

- le code du sport ;

- la loi du 29 juillet 1881 ;

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

- le règlement général de la Fédération française de rugby ;

- le règlement disciplinaire de la Ligue nationale de rugby ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,

- les observations de Me B..., représentant la SASP Racing Club de France Rugby - Racing Métro 92,

- les observations de Me D..., représentant la Fédération française de rugby,

- et les observations de Me C..., représentant la Ligue nationale de rugby.

Considérant ce qui suit :

1. Par décision du 5 novembre 2014, la SASP Racing Club de France Rugby - Racing Métro 92 a été sanctionnée par la commission de discipline et des règlements de la Ligue nationale de rugby (LNR), d'une amende de 50 000 euros, en raison des propos tenus par l'entraîneur de son équipe " une " le 11 octobre 2014 lors d'une conférence de presse à l'issue d'une rencontre du championnat de France. Cette sanction a été confirmée par la commission d'appel fédérale de la Fédération française de rugby (FFR) lors de sa séance du 18 décembre 2014, décision notifiée à la société requérante par courrier du 9 janvier 2015. Cette dernière a saisi le conciliateur du Comité national olympique et du sport français (CNOSF), qui le 3 avril 2015 a proposé le maintien de la sanction. Le 2 juin 2015, la SASP Racing Club de France Rugby - Racing Métro 92 a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions des 5 novembre 2014 et 18 décembre 2014. Elle relève appel du jugement du 6 décembre 2016 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Il ressort des termes du jugement attaqué que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à chacun des arguments développés par la société requérante, ont expliqué de façon suffisamment complète et précise les raisons pour lesquelles ils estimaient que la combinaison des articles 65 et 66 des règlements de la LNR ne méconnaissait pas le principe de légalité des peines. Par suite, le jugement, qui est suffisamment motivé, n'est pas irrégulier.

Sur le bien-fondé du jugement :

S'agissant des conclusions à fin d'annulation :

3. En premier lieu, les décisions des 5 novembre 2014 et 18 décembre 2014 énoncent les textes dont elles font application ainsi que les éléments de fait qui les fondent. Elles répondent ainsi, alors même qu'elles ne visent pas l'article 725 des règlements généraux de la LNR, aux exigences de motivation prévues par les articles 1er et 3 de la loi, alors en vigueur, du 11 juillet 19179.

4. En deuxième lieu, la SASP Racing Club de France Rugby - Racing Métro 92 soutient que la sanction est dépourvue de base légale dès lors que la réglementation sur laquelle elle est fondée méconnaît les principes constitutionnels d'individualisation des peines, de nécessité et de proportionnalité des sanctions, de personnalité et de légalité des peines, et qu'elle porte atteinte à la liberté d'expression.

5. La société requérante fait valoir d'abord que l'article 725-2 des règlements généraux de la LNR viole le principe d'individualisation des peines, qui découle de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce qu'il impose une sanction financière d'un montant minimum de 50 000 euros. Toutefois, l'article 725 de ces règlements spécifie que " (...) Le barème des infractions et sanctions, sportives et générales figurant aux articles 725-1 et 725-2, n'est pas limitatif (...) ". Il en résulte que l'autorité disciplinaire peut, en tenant compte des circonstances propres à chaque affaire, prononcer le cas échéant une sanction financière d'un montant inférieur à 50 000 euros. Les règlements généraux de la LNR ne méconnaissent donc pas le principe constitutionnel d'individualisation des peines. Pour les mêmes motifs, les dispositions en cause ne peuvent être regardées comme violant le principe de nécessité et de proportionnalité des peines, dès lors que l'article 725-2 précité permet à l'autorité disciplinaire de moduler le montant de l'amende.

6. La SASP Racing Club de France Rugby - Racing Métro 92 fait ensuite valoir que l'article 66 des règlements généraux de la LNR est contraire au principe de personnalité des peines, car il permettrait de sanctionner un club sportif en l'absence de tout manquement de sa part. Ces dispositions, aux termes desquelles " tout salarié, dirigeant, membre, représentant ou licencié des clubs professionnels est tenu d'adopter, à tout moment, un comportement, notamment à travers ses déclarations publiques, qui ne porte pas atteinte ou qui n'est pas susceptible de porter atteinte à l'image et/ou à la réputation et/ou aux intérêts des championnats professionnels, des officiels de match, de la LNR, de la FFR et de leurs membres et plus généralement à l'éthique sportive. Tout manquement à cette disposition expose son club à une mesure disciplinaire (...) ", instituent une responsabilité des clubs qui doivent particulièrement veiller à ce que leurs dirigeants ne se départissent pas, notamment lorsqu'ils font des déclarations publiques, du comportement exemplaire qui est attendu d'eux. Dès lors, elles ne violent pas le principe de personnalité des peines.

7. La société requérante soutient encore que la méconnaissance de l'article 66 précité l'expose à une sanction plus lourde que la méconnaissance de l'article 65 des règlements généraux de la LNR, qui dispose que " Toute personne intervenant pour le compte d'un club (dirigeants, salariés, licenciés, prestataires, etc.) ne doit pas avoir, à l'occasion des rencontres, sur ou en dehors du terrain, d'attitudes ou d'agissements susceptibles de nuire à leur bon déroulement et/ou à l'éthique sportive ou, plus généralement, ne respectant pas les Règlements Généraux de la FFR et de la LNR. / Tout manquement à ces dispositions expose le club concerné à une mesure disciplinaire. ", alors que ces deux articles, dont la rédaction est redondante et imprécise, viseraient des attitudes similaires. Toutefois, l'article 66, qui vise plus particulièrement les déclarations publiques de membres ou représentants d'un club contraires à l'éthique sportive, sanctionne des faits distincts de ceux visés à l'article 65, qui correspondent aux agissements susceptibles de perturber le bon déroulement de la rencontre elle-même. Par suite, les articles 65 et 66 des règlements généraux de la LNR sanctionnent des manquements de nature différente. Le principe constitutionnel de légalité des peines n'est donc pas méconnu.

8. Enfin, contrairement à ce que soutient la société requérante, les dispositions de l'article 66 des règlements généraux de la LNR ne sanctionnent pas " sans discernement " toute expression publique, mais en fixent les limites en vue de concilier la liberté d'expression avec le respect de l'éthique sportive, de l'image et de la réputation des championnats professionnels, des officiels de match, de la LNR, de la FFR et de leurs membres. Dans ces conditions, elles ne méconnaissent pas le principe de la liberté d'expression.

9. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la SASP Racing Club de France Rugby - Racing Métro 92 aurait pris, avant les déclarations de son entraineur le

11 octobre 2014, des mesures propres à prévenir les manquements à l'article 66 des règlements généraux de la LNR. L'adoption d'un règlement intérieur demandant aux salariés du club de " respecter l'identité et les valeurs [du club] lors de toute intervention et à tout moment " et d'adopter " un comportement exemplaire sur et en dehors des stades " présente à cet égard un caractère trop général. L'organisation d'une réunion avec son entraîneur, coutumier de déclarations intempestives, et les " travaux d'intérêt général " auxquels il a ensuite été soumis, qui consistaient à proposer des actions de sensibilisation des jeunes à l'arbitrage, ne sauraient être regardées en l'espèce comme des mesures suffisantes et appropriées. La société requérante n'est donc pas fondée à soutenir que les décisions attaquées sont entachées d'erreur d'appréciation.

10. En dernier lieu, eu égard à la réitération par l'entraîneur du club de déclarations susceptibles d'être sanctionnées sur le fondement de l'article 66 des règlements généraux de la LNR, et au budget annuel de la société requérante, le montant de la sanction infligée, 50 000 euros, n'est pas disproportionné aux manquements.

11. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées par les défendeurs, que la SASP Racing Club de France Rugby - Racing Métro 92 n'est pas fondée à soutenir que les décisions attaquées seraient entachées d'illégalité.

S'agissant des conclusions subsidiaires tendant à la réformation de la sanction :

12. Il n'appartient pas au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'une demande d'annulation d'une sanction infligée par une fédération sportive à l'un de ses adhérents, de modifier le montant de celle-ci. Par suite, les conclusions subsidiaires de la société requérante tendant à ce que le montant de l'amende infligée soit diminué ou qu'elle soit assortie du sursis total ne peuvent qu'être rejetées.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la SASP Racing Club de France Rugby - Racing Métro 92 n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la Fédération française de rugby, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés par la SASP Racing Club de France Rugby - Racing Métro 92 et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière le versement de la somme de 1 500 euros à la Fédération française de rugby et de la même somme à la Ligue nationale de rugby.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SASP Racing Club de France Rugby - Racing Métro 92 est rejetée.

Article 2 : La SASP Racing Club de France Rugby - Racing Métro 92 versera la somme de 1 500 euros à la Fédération française de rugby et la somme de 1 500 euros à la Ligue nationale de rugby au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SASP Racing Club de France Rugby - Racing Métro 92, à la Fédération française de rugby et à la Ligue nationale de rugby.

Copie en sera adressée pour information au président de la conférence des conciliateurs du Comité national olympique et sportif français.

Délibéré après l'audience du 3 mars 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Bernier, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Jayer, premier conseiller,

- Mme A..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 26 mai 2020.

Le rapporteur,

G. A...Le président de la formation de jugement,

Ch. BERNIER

Le greffier,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne à la ministre des sports, en ce qui la concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17PA00429


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA00429
Date de la décision : 26/05/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

63-05-01-02 Sports et jeux. Sports. Fédérations sportives. Exercice du pouvoir disciplinaire.


Composition du Tribunal
Président : M. BERNIER
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : SCP CARBONNIER LAMAZE RASLE et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-05-26;17pa00429 ?
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