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22/05/2020 | FRANCE | N°17PA03118

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 22 mai 2020, 17PA03118


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner solidairement l'Assistance publique - hôpitaux de Paris et la commune de Saint-Ouen à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de fautes commises à l'occasion de soins dentaires.

Par un jugement n° 1520611/6-1 du 21 juillet 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande et a laissé les frais d'expertise liquidés à la somme de 1 000 euros à la charge de l'Etat au titre de l'a

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Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoir...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner solidairement l'Assistance publique - hôpitaux de Paris et la commune de Saint-Ouen à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de fautes commises à l'occasion de soins dentaires.

Par un jugement n° 1520611/6-1 du 21 juillet 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande et a laissé les frais d'expertise liquidés à la somme de 1 000 euros à la charge de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 22 septembre 2017 et 22 mars 2019, M. A..., représenté par Me F..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1520611/6-1 du 21 juillet 2017 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires dirigées contre l'Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) ;

2°) de condamner l'AP-HP à lui verser la somme totale de 15 762,19 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 décembre 2015, en réparation des préjudices consécutifs à la faute commise lors de sa prise en charge par le centre dentaire Delibero.

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, il entendait rechercher la responsabilité du centre dentaire Delibero qui est un établissement public de santé ; la juridiction administrative est ainsi compétente pour connaître de ses conclusions indemnitaires dirigées contre l'AP-HP ;

- la responsabilité pour faute de l'AP-HP doit être engagée du fait de la faute commise lors de l'extraction de la dent n° 17 ;

- en raison de cette faute, il a subi un préjudice financier correspondant au remplacement de la dent n° 17 d'un montant de 1 937,19 euros ; âgé de 70 ans au moment des faits et atteint d'un déficit fonctionnel permanent évalué par l'expert à 0,75 %, il lui sera alloué à ce titre la somme de 825 euros ; les souffrances endurées évaluées à 2 sur une échelle de 7 doivent être indemnisées à hauteur de 3 000 euros ; les troubles dans les conditions d'existence sont évalués à la somme de 5 000 euros ; le préjudice distinct lié au " tracas " inhérent à l'engagement de toute procédure judiciaire pour obtenir une juste indemnisation devra être évalué à 10 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 juillet 2019, la commune de Saint-Ouen, représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, à ce que la demande indemnitaire de M. A... au titre de son préjudice financier soit rejetée et que l'évaluation de ses autres préjudices soit ramenée à de plus justes proportions et, en tout état de cause, à ce que soit mise à la charge de M. A... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa responsabilité, en raison de fautes qui auraient été commises lors de la prise en charge de M. A... par le centre municipal de santé Henri Barbusse, n'est plus recherchée par celui-ci ;

- en tout état de cause, aucune faute ne pouvait être retenue à son encontre dès lors que les soins dentaires du requérant ont été parfaitement réalisés dans les règles de l'art par les dentistes du centre municipal de santé Henri Barbusse ; le jugement ne pourra être que confirmé sur ce point ;

- à titre subsidiaire, si la Cour entend retenir sa responsabilité, la demande de M. A... tendant au versement de la somme de 1 937,19 euros au titre de son préjudice financier sera rejetée dès lors qu'il ne justifie pas que cette somme serait restée à sa charge ; l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent ne saurait excéder 500 euros ; l'évaluation du pretium doloris sera ramenée à de plus justes proportions ; M. A..., retraité au moment des faits, n'établit pas avoir subi de troubles dans les conditions d'existence ; la nécessité d'engager des procédures judiciaires afin de reconnaître son préjudice ne saurait justifier l'allocation d'une indemnité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juillet 2019, l'Assistance publique-hôpitaux de Paris, représentée par Me D..., demande à la Cour :

1°) de lui donner acte de ce qu'elle ne conteste pas le principe de sa responsabilité du fait de la faute commise lors de la prise en charge de M. A... par le centre dentaire Delibero ;

2°) de ramener l'évaluation des préjudices de M. A... à de plus justes proportions.

Elle soutient que :

- les soins dentaires délivrés à M. A... au sein du centre dentaire Delibero s'inscrivaient dans le cadre du service public hospitalier ; elle ne s'oppose pas à ce que sa responsabilité soit engagée du fait de l'erreur d'extraction de la dent n° 17 au lieu de la dent n° 37 ;

- la somme de 1 937,19 euros sollicitée par le requérant au titre de son préjudice financier ne pourra lui être allouée que dans la mesure de ce qui n'a pas été pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis ;

- l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent de M. A... évalué par l'expert à 0,75 % ne saurait excéder 750 euros ;

- l'indemnisation des souffrances physiques de M. A... ne saurait excéder 1 850 euros.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris du 19 octobre 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et son décret d'application n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public.

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., né en 1925, a reçu des soins dentaires en 1995 et 1996 au sein du centre municipal de santé Henri Barbusse de la commune de Saint-Ouen, puis au sein du centre dentaire Delibero situé à Paris. Estimant que les praticiens avaient commis des fautes lors de sa prise en charge tant par le centre municipal de santé de Saint-Ouen que par le centre dentaire Delibero, M. A... a sollicité du tribunal administratif de Paris la condamnation solidaire de la commune de Saint-Ouen et de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis. Par un jugement du 21 juillet 2017, le tribunal a rejeté sa demande. M. A... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires dirigées contre

l'AP-HP.

Sur l'étendue du litige :

2. Comme il vient d'être dit, M. A... ne conteste pas devant la Cour le rejet par les premiers juges de ses conclusions indemnitaires dirigées contre la commune de Saint-Ouen dont la responsabilité ne saurait en tout état de cause être engagée en l'absence de fautes commises lors des soins dentaires dispensés à l'intéressé par les praticiens du centre municipal de santé Henri Barbusse comme cela résulte de l'expertise judiciaire versée au dossier. Il s'ensuit que la commune de Saint-Ouen est mise hors de cause.

Sur la régularité du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté les conclusions dirigées contre l'AP-HP :

3. Il ressort des termes de la demande présentée par M. A... devant le tribunal que celui-ci entendait engager la responsabilité de l'AP-HP du fait de l'extraction fautive de la dent n° 17 par l'étudiante qui l'avait pris en charge au sein du centre dentaire Delibero. Il résulte de l'instruction, en particulier du mémoire en défense présenté par l'AP-HP devant la Cour, que les soins reçus par M. A... au sein du cabinet dentaire Delibero s'inscrivaient dans le cadre du service public hospitalier. Par suite, les premiers juges se sont mépris sur la portée des conclusions présentées par M. A... en estimant qu'il n'entendait pas rechercher la responsabilité de l'AP-HP du fait des soins reçus dans le cabinet dentaire Delibero et ont déclaré à tort qu'en tout état de cause, la juridiction administrative était incompétente pour en connaître. Il s'ensuit que le jugement attaqué en tant qu'il rejette les conclusions indemnitaires de M. A... dirigées contre l'AP-HP du fait de la faute commise au sein du cabinet Delibero est irrégulier et doit être annulé dans cette mesure. Il y a lieu pour la Cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur ces conclusions.

Sur la responsabilité de l'AP-HP :

4. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ".

5. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport de l'expertise diligentée par le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil, que l'étudiante qui a pris en charge M. A... au sein du cabinet dentaire Delibero a extrait par erreur la dent n° 17 au lieu de la dent n° 37. Le cabinet dentaire Delibero participant, comme il a déjà été dit, au service public hospitalier, la responsabilité de l'AP-HP doit être engagée à raison de cette faute, ce que ne conteste pas au demeurant l'AP-HP devant la Cour.

Sur l'évaluation des préjudices de M. A... :

6. Il résulte de l'instruction, et en particulier du rapport d'expertise, qu'à la suite de l'extraction malheureuse de la dent n° 17 de M. A... le 11 juin 1996, le docteur Arreto, responsable du service au sein du cabinet Delibero, a réimplanté la dent en cause mais que face à une infection persistante, la dent a dû être extraite le 27 janvier 1998. Une transplantation de la dent n° 27 en position de la dent n° 17 a alors été réalisée le 11 février 2000 mais devant l'absence d'ostéo-intégration et d'une nouvelle infection, la dent n° 27 a dû être également extraite le 29 septembre 2000. Un implant, qui a été contentionné sur la dent n° 16, et une couronne supra-implantaire ont ensuite été posés à l'emplacement de la dent n° 17 en 2001. Enfin, la dent n° 16 a dû être extraite en 2008.

En ce qui concerne les dépenses de santé :

7. M. A... soutient avoir subi un préjudice financier correspondant au remplacement de la dent n° 17 d'un montant de 1 937,19 euros. Il ressort du rapport d'expertise que M. A... a présenté à l'expert des factures du 4 juillet 2001 concernant un scanner réalisé le même jour, du 6 décembre 2001 relatives à des implants, du 7 mars 2002 concernant des prothèses dentaires et des 4 octobre 2004 et 21 juillet 2010 relatives à des couronnes. Toutefois, le requérant ne justifie pas, malgré la mesure d'instruction en ce sens qui lui a été adressée par la Cour le 4 décembre 2019, n'avoir obtenu aucun remboursement des soins dentaires consécutifs à la faute commise le 11 juin 1996 de la part des organismes sociaux auxquels il est affilié ou ne pouvoir prétendre à une telle prise en charge. Dans ces conditions, M. A... n'établissant pas que des dépenses de santé seraient restées à sa charge, sa demande indemnitaire ne peut qu'être rejetée.

En ce qui concerne les souffrances endurées :

8. Il résulte de l'instruction, comme il a déjà été dit au point 6, que du fait de l'extraction fautive de la dent n° 17, M. A... a dû notamment subir cinq interventions pour tenter de palier à cette extraction non justifiée médicalement. Les souffrances supportées par M. A... ont ainsi été évaluées à 2 sur une échelle de 1 à 7 par l'expert désigné par le tribunal administratif de Montreuil. Il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par le requérant en fixant à 1 850 euros la somme due à ce titre.

En ce qui concerne le déficit fonctionnel permanent :

9. Le déficit fonctionnel permanent a été évalué par l'expert à 0, 75 %. Il sera alloué de ce chef à M. A... la somme de 800 euros.

En ce qui concerne les troubles dans les conditions d'existence :

10. Si M. A... soutient que lorsque la faute médicale a été commise, il exerçait encore son métier de géologue en Iran, qu'il a dû être placé en arrêt de travail à de nombreuses reprises en raison des soins médicaux nécessités par l'extraction malheureuse de la dent n° 17 qui l'ont en outre obligé à revenir en France à de nombreuses reprises et que les troubles dans les conditions d'existence ainsi subis doivent être évalués à 5 000 euros, il n'apporte aucun élément justificatif au soutien de ses affirmations. Sa demande indemnitaire ne peut donc qu'être rejetée.

En ce qui concerne le préjudice inhérent à l'engagement de toute procédure judiciaire :

11. Un tel préjudice ne constituant pas en soi un préjudice indemnisable, la demande de M. A... ne peut qu'être rejetée.

12. Il résulte des points 7 à 11 que l'AP-HP est condamnée à verser à M. A... la somme totale de 2 650 euros en réparation des préjudices subis.

Sur les intérêts :

13. M. A... a droit aux intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de sa demande au greffe du tribunal administratif de Paris le 16 décembre 2015.

Sur les frais d'expertise :

14. Il y a lieu de mettre à la charge de l'AP-HP les frais de l'expertise, taxés et liquidés par une ordonnance du président du tribunal administratif de Montreuil du 30 novembre 2011 à la somme de 1 000 euros.

Sur les frais liés à l'instance :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. A..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la commune de Saint-Ouen demande au titre des frais liés à l'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1520611/6-1 du 21 juillet 2017 du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions indemnitaires de M. A... dirigées contre l'Assistance publique - hôpitaux de Paris du fait de la faute commise au sein du cabinet Delibero.

Article 2 : L'Assistance publique - hôpitaux de Paris versera à M. A... la somme de 2 650 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 16 décembre 2015.

Article 3 : Les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 1 000 euros sont mis à la charge de l'AP-HP.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, à la commune de Saint-Ouen et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l'audience du 27 février 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme E..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 mai 2020.

Le président de la 8ème chambre,

J. LAPOUZADE

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

7

N° 17PA03118


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA03118
Date de la décision : 22/05/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-02 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : DUMOUCHEL DE PREMARE

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-05-22;17pa03118 ?
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