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13/05/2020 | FRANCE | N°19PA00373

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 13 mai 2020, 19PA00373


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'exploitation Style Hôtel a demandé au Tribunal administratif de Paris de la décharger, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période comprise entre le 1er juillet 2013 et le 30 juin 2014.

Par un jugement n° 1718594/1-3 du 5 décembre 2018, le Tribunal administratif de Paris a substitué les pénalités de 40 % aux pénalités de 80 % pour manoeuvres frauduleuses appliquées aux impositions litigieuses et rejet

le surplus des demandes de la société.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'exploitation Style Hôtel a demandé au Tribunal administratif de Paris de la décharger, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période comprise entre le 1er juillet 2013 et le 30 juin 2014.

Par un jugement n° 1718594/1-3 du 5 décembre 2018, le Tribunal administratif de Paris a substitué les pénalités de 40 % aux pénalités de 80 % pour manoeuvres frauduleuses appliquées aux impositions litigieuses et rejeté le surplus des demandes de la société.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 22 janvier 2019 et 18 février 2020, la société d'exploitation Style Hôtel, représentée par Me B... A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1718594/1-3 du 5 décembre 2018 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il lui est défavorable ;

2°) de prononcer la décharge des impositions et pénalités laissées à sa charge;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le motif retenu par le tribunal pour écarter le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure d'imposition à défaut pour l'administration d'avoir donné suite à sa demande de rencontre avec l'interlocuteur départemental manque de base légale, dès lors que la charte des droits et obligations du contribuable n'exige pas que cette demande précise la période concernée ;

- la procédure d'imposition était irrégulière dès lors qu'elle a été privée de la possibilité de rencontrer l'interlocuteur départemental, malgré sa demande ; le tribunal a dénaturé les faits de l'espèce en qualifiant le réceptionniste de gérant alors que l'intéressé n'était pas gérant de droit mais avait seulement été chargé de la gestion courante de l'hôtel ;

- l'activité de location de chambres à des prostituées était étrangère à son activité habituelle et exercée exclusivement par le réceptionniste qui en était l'instigateur et percevait seul les revenus ; les sommes provenant de cette activité doivent être regardées comme provenant d'une activité occulte d'entremise que le réceptionniste a exercée pour son propre compte en dehors de ses fonctions salariées, et ont d'ailleurs été imposées à son nom à titre de revenus réputés distribués ; dès lors, la société ne peut être assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée à raison de cette activité ;

- à titre subsidiaire, la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires est excessivement sommaire et radicalement viciée à défaut de prendre en compte les semaines de vacances des prostituées ainsi que les variations de l'activité de proxénétisme au cours de l'année.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 juillet 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par la société d'exploitation Style Hôtel ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 7 février 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 24 février 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts ;

- le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les conclusions de Mme Jimenez, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société d'exploitation Style Hôtel, qui exerce une activité hôtelière, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité pour la période comprise entre le 1er juillet 2013 et le 30 juin 2014. Après avoir écarté la comptabilité comme non probante, le service a procédé à la reconstitution de son chiffre d'affaires, laquelle a donné lieu, selon la procédure de rectification contradictoire, à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée assortis de pénalités. La société d'exploitation Style Hôtel relève appel du jugement n° 1718594/1-3 du 5 décembre 2018 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il lui est défavorable.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. Aux termes de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales : " (...). / Avant l'engagement d'une des vérifications prévues aux articles L. 12 et L. 13, l'administration des impôts remet au contribuable la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ; les dispositions contenues dans la charte sont opposables à l'administration ". Le paragraphe 5 du chapitre III de cette charte indique que " si le vérificateur a maintenu totalement ou partiellement les redressements envisagées, des éclaircissements supplémentaires peuvent vous être fournis si nécessaire par l'inspecteur divisionnaire ou principal ", et que " si après ces contacts des divergences importantes subsistent, vous pouvez faire appel à l'interlocuteur départemental qui est un fonctionnaire de rang élevé spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur ". Ces dispositions assurent au contribuable qui en fait la demande la garantie substantielle de pouvoir obtenir, avant la clôture de la procédure de redressement, un débat avec le supérieur hiérarchique du vérificateur puis avec l'interlocuteur départemental dans les conditions qu'elles précisent. La mise en oeuvre de cette garantie doit être demandée par le contribuable avant la décision d'imposition, c'est-à-dire la date de mise en recouvrement d'une imposition supplémentaire résultant des opérations de contrôle entrant dans le champ de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié.

3. Il ne résulte pas de l'instruction, contrairement à ce que soutient la société d'exploitation Style Hôtel, qu'elle aurait demandé à l'administration fiscale de faire appel à l'interlocuteur départemental postérieurement à la réponse aux observations du contribuable du 4 janvier 2016, ni même après réception de la proposition de rectification du 30 juillet 2015 afférente aux impositions en litige. Si elle se prévaut d'un courrier du 18 mai 2015, il est constant que ce courrier se référait à la réponse aux observations du contribuable qui lui avait été notifiée dans le cadre d'un précédent contrôle ayant porté sur une période antérieure. En tout état de cause, ce courrier, eu égard à sa date, ne pouvait en aucun cas concerner des rectifications qui n'avaient pas encore été notifiées. La société requérante n'est, dès lors, pas fondée à invoquer une irrégularité de la procédure d'imposition, ni à soutenir que le motif retenu par les premiers juges pour écarter ce moyen manquait de base légale.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

4. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : " Lorsque l'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. / Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge. / (...) ".

5. Il est toujours loisible à l'administration de justifier le rejet de la comptabilité du contribuable vérifié, même si elle est régulière en la forme, en se fondant sur des motifs pertinents tirés du manque de valeur probante de cette comptabilité, accompagnés de tous éléments de fait permettant de présumer que les résultats déclarés ont été minorés.

6. Il résulte de l'instruction que l'administration a rejeté la comptabilité de la société d'exploitation Style Hôtel au titre de l'exercice clos en 2014 en se fondant sur la circonstance que les auditions du personnel de l'hôtel et de prostituées, recueillies dans le cadre de l'exercice du droit de communication auprès du Tribunal de grande instance de Paris, avaient permis d'établir que certaines chambres de l'hôtel étaient louées sans que les recettes correspondantes aient été comptabilisées. La société requérante ne conteste pas sérieusement les graves irrégularités entachant ainsi sa comptabilité, et, par suite, l'administration était fondée à rejeter cette comptabilité qui ne répondait pas aux conditions de l'article 54 du code général des impôts. Il résulte en outre de l'instruction que l'administration a établi les rappels de taxe en litige conformément à l'avis émis par la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffres d'affaires lors de sa séance du

8 mars 2016. Dès lors, la société d'exploitation Style Hôtel ne peut obtenir la décharge des rappels de taxe contestés que si elle établit que la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires est excessivement sommaire ou radicalement viciée dans son principe, ou si elle propose une autre méthode de reconstitution plus précise que celle retenue par l'administration.

7. Il résulte de l'instruction et notamment des déclarations du personnel de l'hôtel et des prostituées interrogées par des officiers de police judiciaire, ainsi que des constatations faites par les services de police, informations recueillies par l'administration fiscale dans le cadre de l'exercice du droit de communication auprès du Tribunal de grande instance de Paris, que plusieurs chambres de l'hôtel étaient louées à des prostituées, sur l'ensemble de l'exercice clos en 2014, à raison de deux rendez-vous quotidiens en moyenne sur une période de cinq jours d'activité hebdomadaire en moyenne, en contrepartie du paiement de la somme de trente euros. Il ressort également de ces informations que, si le réceptionniste percevait le produit de la location de ces chambres, les sommes correspondantes étaient placées dans une enveloppe déposée au coffre dont seuls le gérant et lui-même connaissaient la combinaison, et que le gérant récupérait ces sommes en fin de semaine. La société requérante, qui ne pouvait ignorer cette activité, laquelle était connue non seulement du personnel mais également du voisinage qui s'était plaint par pétition, n'apporte aucun élément de nature à justifier que l'activité de location des chambres à des prostituées constituait une activité occulte d'entremise exercée par le réceptionniste pour son propre compte. Contrairement à ce que soutient la société d'exploitation Style Hôtel, les recettes provenaient donc bien de l'activité qu'elle gère, exercée grâce à l'utilisation de ses moyens d'exploitation. C'est donc à bon droit que l'administration a réintégré dans ses bases imposables les sommes correspondantes, qui ne pouvaient être regardées comme des revenus provenant d'une activité occulte que le réceptionniste aurait exercée pour son propre compte, à l'insu de la société requérante.

8. Il résulte de l'instruction que, pour procéder à la reconstitution du chiffre d'affaires de la société d'exploitation Style Hôtel, le vérificateur a, d'une part, pris en compte la location d'une chambre à un particulier, pour 700 euros par mois versés en espèces et non comptabilisés, admise par la société, et d'autre part, s'agissant des recettes provenant de la location de chambres à des prostituées, pris en compte les déclarations des intéressées et des membres du personnel, obtenues dans l'exercice de droit de communication auprès du Tribunal de grande instance de Paris. Conformément aux renseignements dont elle a disposé, l'administration a retenu le tarif de location de trente euros par location. Elle a en outre établi, à partir des auditions faites par les officiers de police judiciaire, que onze prostituées exerçaient leur activité dans l'hôtel, sur la base d'une moyenne de deux rendez-vous quotidiens sur une période d'activité moyenne de cinq jours hebdomadaire. Contrairement à ce que soutient la société requérante, l'administration a tenu compte de l'irrégularité de l'activité des prostituées en ne retenant que la présence quotidienne de dix prostituées sur onze. Par ailleurs, ainsi que cela a été constaté par les services de police, l'activité de prostitution s'est déroulée sur les douze mois de l'exercice clos en 2014. Eu égard à ces éléments, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que cette méthode de reconstitution était excessivement sommaire ou radicalement viciée. Si elle propose une autre méthode sur la base d'une journée travaillée par semaine pour quatre des prostituées, qui n'ont pas renseigné les services de police sur la réalité de leur activité, elle n'établit pas que cette méthode serait plus proche de la réalité que celle retenue par l'administration fiscale.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société d'exploitation Style Hôtel n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté le surplus de sa demande. Les conclusions à fin de décharge présentées par la société d'exploitation Style Hôtel devant la Cour doivent, dès lors, être rejetées. Il en va de même, par voie de conséquence, de celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société d'exploitation Style Hôtel est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société d'exploitation Style Hôtel et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Ile-de-France (31ème brigade de vérification ouest).

Délibéré après l'audience du 11 mars 2020, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

- Mme Appèche, président assesseur,

- Mme C..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 mai 2020.

Le président de la 2ème chambre,

I. BROTONS

La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 19PA00373


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA00373
Date de la décision : 13/05/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: Mme Sonia BONNEAU-MATHELOT
Rapporteur public ?: Mme JIMENEZ
Avocat(s) : CABINET BERNARD LAGARDE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-05-13;19pa00373 ?
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