Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Rungis Stocks a demandé au tribunal administratif de Melun, d'une part, d'annuler ou, à défaut, de résilier la convention d'occupation du domaine public conclue le 11 juillet 2016 entre la société d'économie mixte d'aménagement et de gestion du marché d'intérêt national de la région parisienne (SEMMARIS) et la société Immostef, de désigner un expert chargé de déterminer son préjudice et, d'autre part, de condamner la SEMMARIS à lui verser la somme de 710 251 euros au titre du préjudice subi du fait de la conclusion de la convention d'occupation du domaine public entre la SEMMARIS et la société Immostef, et de désigner un expert chargé de déterminer son préjudice.
Par un jugement n° 1704491-1709224 du 12 avril 2019, le tribunal administratif de Melun a rejeté l'ensemble des conclusions présentées par la société Rungis Stocks.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 11 juin 2019, la société Rungis Stocks, représentée par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n°1704491-1709224 du 12 avril 2019 du tribunal administratif de Melun ;
2°) d'annuler la convention d'occupation du domaine public conclue entre la société d'économie mixte d'aménagement et de gestion du marché d'intérêt national de la région parisienne et la société Immostef, en date du 11 juillet 2016 ;
3°) de condamner la société d'économie mixte d'aménagement et de gestion du marché d'intérêt national de la région parisienne (SEMMARIS) à lui verser la somme de 710 251 euros ;
4°) de mettre à la charge de la société d'économie mixte d'aménagement et de gestion du marché d'intérêt national de la région parisienne la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le contrat de concession du 11 juillet 2016 méconnait son droit à occupation sur les terrains concernés, tiré de la convention d'occupation du domaine public du 6 juin 1999, dès lors que ce dernier courait jusqu'au 23 février 2017 et n'a pas fait l'objet d'une décision de résiliation ;
- la convention d'occupation du domaine public du 17 août 2010 n'a jamais pris effet, dès lors que la condition suspensive portant sur le démarrage des travaux et le paiement des droits de première accession n'a jamais été réalisée, le premier contrat de concession a continué de s'appliquer et d'être respecté par les parties ;
- la volonté des parties n'a jamais été de mettre un terme à la première convention d'occupation du domaine public, dès lors qu'elle continuait d'occuper les biens et de s'acquitter des redevances eu égard les dispositions de ce contrat ;
- la destruction de l'entrepôt par l'incendie n'a pas privé cette convention de son objet, de sorte qu'elle a continué de produire ses effets, elle n'est ainsi pas frappée de caducité ;
- le contrat de concession du 11 juillet 2016 est illégal en ce qu'il méconnait son droit d'occupation tiré de la convention du 6 juin 1999 ;
- la société SEMMARIS a méconnu la clause de préférence dont elle disposait à l'expiration du traité de concession conclu le 6 juin 1999 en vertu de l'article 16 de ce traité, ainsi que son droit de priorité au renouvellement qui ne pouvait être écarté que pour motif d'intérêt général ;
- le contrat portant occupation du domaine public est illégal, comme conclu sans que soit préalablement initiée une procédure de publicité et de mise en concurrence, vice suffisamment grave pour justifier son annulation ;
- la concession conclue entre la société SEMMARIS et la société Immostef n'a pas pour objet l'exécution d'une mission de service public, et par suite un motif d'intérêt général ne peut justifier le maintien de ce contrat ;
- en attribuant un titre d'occupation à une autre société, la société SEMMARIS en méconnaissance de son droit d'occupation, de son droit de jouissance et de son droit de priorité, la SEMMARIS a commis une faute lui ouvrant un droit à réparation à hauteur de 710 251 euros.
Par des mémoires en défense enregistrés le 4 novembre 2019 et le 6 décembre 2019, la société SEMMARIS conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la requérante d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par un mémoire en défense enregistré le 5 novembre 2019, la société Immostef conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la requérante d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu le jugement attaqué
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général de la propriété de personnes publiques ;
- le code de commerce ;
- le code de justice administrative ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du :
- le rapport de M. Diémert, président,
- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public,
- et les observations de Me B..., avocat de la société Rungis Stocks, de Me Souchon, avocat de la SEMMARIS et de Me Sechi, avocat de la société Immostef.
Considérant ce qui suit :
1. La société Rungis Stocks a conclu le 6 juin 1999 avec la société d'économie mixte d'aménagement et de gestion du marché d'intérêt national de la région parisienne (SEMMARIS) une convention d'occupation du domaine public d'une durée de dix-huit ans portant sur un terrain du marché d'intérêt national de Rungis d'une superficie de 1 624 m² pour l'exploitation de stockages frigorifiques et d'entreposage de fruits et légumes. Un incendie survenu le 13 mars 2009 ayant détruit l'entrepôt concédé, la société Rungis Stocks et la société SEMMARIS ont conclu, le 17 août 2010, une nouvelle convention d'une durée de vingt-quatre ans, portant titre d'occupation privative des parcelles initialement prises à bail, en sus de surfaces complémentaires anciennement affectées à l'usage de parking, pour une superficie de 3 565 m² ; la société Rungis Stocks s'y engageait à réaliser de nouveaux entrepôts et à s'acquitter d'un droit de première accession d'un montant de 176 939,85 euros au plus tard le 1er juillet 2011. L'inexécution de ces obligations a conduit la SEMMARIS à résilier le contrat du 17 aout 2010 le 13 décembre 2013, avec effet au 31 janvier 2014. La société Rungis Stocks a été débouté par un arrêt de la Cour administrative de Paris, devenu définitif, de sa demande d'annulation de la décision de résiliation le 26 septembre 2017. Le 11 juillet 2016, la SEMMARIS a conclu avec la société Immostef, un contrat de concession du domaine public portant sur les parcelles anciennement prises à bail par la société Rugis Stocks, laquelle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande d'annulation de ce contrat de concession, ainsi que de ses demandes indemnitaires, à hauteur de 710 251 euros, fondées sur la méconnaissance de ses droits d'occupation découlant de la première convention d'occupation du domaine public.
2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. La légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer, ne peut être contestée qu'à l'occasion du recours ainsi défini. Les tiers au contrat, autres que le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office.
Sur la convention d'occupation du domaine public du 6 juin 1999 :
3. L'article 17 du contrat conclu le 6 juin 1999 stipule que : " En cas de destruction totale ou partielle des bâtiments à la suite d'un sinistre, le concessionnaire devra : / soit reconstruire les bâtiments conformément aux plans initiaux ou à de nouveaux plans approuvés par la SEMMARIS, étant entendu qu'en l'occurrence, les conditions de la présente concession pourront éventuellement être révisés ; / soit résilier la concession en versant à la SEMMARIS une indemnité compensatrice de la perte de redevance d'occupation qui en résultera, fixée forfaitairement à la valeur d'une année de redevances au tarif en cours à la date du sinistre (...) ". L'article 5 des conditions particulières de la convention d'occupation du domaine public du 17 août 2010 stipule que : " Le traité de concession signé le 6 juin 1999 sera résilié de plein droit le jour de la prise d'effet du présent traité ".
4. En premier lieu, la société Rungis Stocks soutient que le contrat en date du 6 juin 1999 a conservé son objet ainsi que les éléments nécessaires à son exécution. L'objet du contrat portait sur l'occupation à la fois des terrains et de l'entrepôt pour permettre à la société Rungis Stocks d'exploiter son activité économique. Si la destruction de l'entrepôt occupé par l'incendie du 13 mars 2009 n'a pas, par elle-même, privé la convention d'objet en raison de l'article 6 du contrat prévoyant tel cas de figure par la reconstruction des biens ou la résiliation de la convention, en revanche, la conclusion d'une nouvelle convention d'occupation du domaine public encadrant plus spécifiquement la reconstruction de l'entrepôt a nécessairement privé d'effet ladite clause du contrat et l'a par suite privé de tout objet, et ainsi fait disparaître toute raison à son exécution. Par suite, le moyen doit donc être écarté.
5. En deuxième lieu, et comme il a été dit ci-dessus, il ressort de l'instruction que les parties aux deux contrats ont souhaité réaliser la reconstruction des locaux détruits et assurer leur occupation dans des termes et conditions différents que ceux de la concession du 6 juin 1999, que les parties n'ont ainsi pas souhaité remettre en vigueur. Par suite, le moyen tiré de ce que ce contrat aurait été méconnu doit être écarté.
6. En troisième lieu, la société requérante soutient que le contrat d'occupation en date du 17 aout 2010, résilié le 31 janvier 2014, n'a jamais commencé à produire ses effets et qu'en conséquence, le traité du 6 juin 1999 trouve encore à s'appliquer et continue à lui conférer des droits d'occupation malgré la résiliation du second contrat. Au soutient de ce moyen, elle avance que les conditions suspensives liées au démarrage des travaux de reconstruction de l'entrepôt et de l'entier paiement du droit de première accession ne se sont jamais réalisées. Toutefois, il appert que la convention d'occupation du 17 août 2010 encadrait les conditions de reconstruction de l'entrepôt et prescrivait notamment à la société Rungis Stocks de requérir l'autorisation de travaux par la SEMMARIS, obligation dont elle s'est acquittée. En outre, il ressort des pièces du dossier que la société Rungis Stocks a versé à la SEMMARIS la moitié du droit de première accession sur le fondement du même contrat. Ainsi, et contrairement à ce que soutient la requérante, ledit contrat a effectivement commencé à produire ses effets, emportant ainsi la résiliation de plein droit la convention du 6 juin 1999. En tout état de cause, son entrée en vigueur a mis fin aux droits que la société Rungis Stocks détenait au titre du précédent régime d'autorisation, dont elle n'est plus fondée à se prévaloir. Le moyen tiré de l'absence de prise d'effet de la concession du 17 aout 2010 doit, par suite, être écarté.
Sur la validité du contrat du 11 juillet 2016 :
7. En premier lieu, et dès lors que le titre d'occupation du 6 juin 1999 a fait l'objet d'une résiliation de plein droit, la société Rungis Stocks ne peut utilement soutenir que le contrat du 11 juillet 2016 méconnait ses droits d'occupation ou son droit de préférence tirés de la convention du 6 juin 1999 dont le terme était prévu au 23 février 2017.
8. En second lieu, l'article R. 761-22 du code de commerce dispose : " L'autorisation de s'établir sur le marché d'intérêt national est donnée par son gestionnaire. Elle est précédée d'une publicité appropriée (...) ".
9. Il ressort de l'instruction que, si la société SEMMARIS a établi antérieurement à la conclusion du contrat en date du 11 juillet 2016 avec la société Immostef, des contacts avec deux sociétés ainsi qu'à la présentation du plan d'investissement " Rungis 2025 ", ces circonstances ne permettent pas d'établir qu'elle aurait effectivement mise en oeuvre une procédure de publicité approprié, au sens des dispositions précitées.
10. Toutefois, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours concerné se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.
11. Le vice relatif au manquement à une obligation de publicité, soulevé par la société requérante, qui est tiers au contrat administratif contesté, n'est pas de nature à léser de façon directe et certaine l'intérêt de la requérante dès lors , d'une part, que cette dernière n'a pas été empêchée d'être candidate et que, d'autre part, ses chances de succès apparaissent faibles, eu égard aux conditions dans lesquelles la résiliation de son précédent contrat d'occupation du domaine public a été prononcée. En outre, cette obligation, n'ayant pour objet que de faire connaitre la volonté du gestionnaire du domaine d'autoriser l'occupation privative d'un bien du marché d'intérêt national, n'emporte pas pour autant une obligation de mise en concurrence des offres formulées par les candidats.
12. Aussi, le manquement constaté ne porte pas atteinte aux droits des tiers au contrat d'une manière suffisamment directe et certaine, et ne justifie pas, au regard des considérations d'intérêt général susceptibles d'être prises en compte par le gestionnaire du domaine public, l'annulation du contrat litigieux. Les conclusions de la société requérante doivent donc rejetées sur ce point.
Sur les conclusions indemnitaires :
13. En premier lieu, la société requérante sollicite la réparation du préjudice tiré de la méconnaissance des droits à occupation, du 26 juin 2016, date à partir de laquelle elle n'a plus été en mesure d'accéder au site, jusqu'au 23 février 2017, date normale d'expiration de la convention conclue le 6 juin 1999. Il résulte toutefois de ce qui a été dit au point 6, que, dès lors que le contrat du 6 juin 1999 a été résilié de plein droit avec l'entrée en vigueur de la convention du 17 août 2010, aucune faute ne peut être imputée à la société SEMMARIS quant à la prétendue méconnaissance des droits de la requérante. Par suite, cette dernière ne peut solliciter réparation, sur ce fondement, du préjudice qu'elle allège avoir subi.
14. En second lieu, et à supposer même que les écritures de la société Rungis Stocks puissent être interprétées comme invoquant le manquement à l'obligation de publicité en vue de justifier la réparation de son préjudice, la requérante ne démontre pas l'existence d'un lien de causalité entre cette faute et le dommage invoqué, lequel ne trouve son origine que dans la perte de gains tirés de l'occupation dont elle s'estime privée.
15. Il résulte de ce qui précède que les conclusions indemnitaires de la société Rungis Stocks ne peuvent qu'être rejetées.
16. Il résulte de tout ce qui précède que la société Rungis Stocks n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté ses demandes.
Sur les frais liés au litige :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société Rungis stocks, qui succombe dans la présente instance, en puisse invoquer le bénéfice. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu mettre à la charge de la société Rungis Stocks le versement aux défenderesses d'une somme de 1 500 euros chacune, sur le fondement des même dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Rungis stocks est rejetée.
Article 2 : La société Rungis stocks versera à la société d'économie mixte d'aménagement et de gestion du marché d'intérêt national de la région parisienne (SEMMARIS) et à la société Immostef, respectivement, une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Rungis stocks, à la société d'économie mixte d'aménagement et de gestion du marché d'intérêt national de la région parisienne et à la Société Immostef.
Délibéré après l'audience du 12 décembre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Diémert, président de la formation de jugement en application des articles L. 234-3 (1er alinéa) et R. 222-6 (1er alinéa) du code de justice administrative ;
- MM. A... et C..., premiers conseillers,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 mai 2020.
Le président de la formation de jugement,
S. DIÉMERT
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui les concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA01904