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17/04/2020 | FRANCE | N°17PA02843-18PA03103-18PA03316

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 17 avril 2020, 17PA02843-18PA03103-18PA03316


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première requête, enregistrée le 31 janvier 2017, la société Auclair Dupont a demandé au Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de condamner la Nouvelle-Calédonie à lui verser la somme de 6 022 200 F CFP HT, au titre de prestations supplémentaires réalisées dans le cadre de la convention relative à l'accompagnement à la mise en place de la taxe générale sur la consommation du 9 septembre 2015.

Par une seconde requête enregistrée le 8 mars 2018, la société Auclair Dupont a d

emandé au Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de condamner la Nouvelle-Calédoni...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première requête, enregistrée le 31 janvier 2017, la société Auclair Dupont a demandé au Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de condamner la Nouvelle-Calédonie à lui verser la somme de 6 022 200 F CFP HT, au titre de prestations supplémentaires réalisées dans le cadre de la convention relative à l'accompagnement à la mise en place de la taxe générale sur la consommation du 9 septembre 2015.

Par une seconde requête enregistrée le 8 mars 2018, la société Auclair Dupont a demandé au Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie de condamner la Nouvelle-Calédonie à lui verser la somme de 6 022 200 F CFP HT, au titre de prestations supplémentaires réalisées dans le cadre de la convention précitée.

La Nouvelle-Calédonie a demandé, à titre reconventionnel, la condamnation de la société Auclair Dupont à lui verser la somme de 1 323 578 F CFP, correspondant au montant des prestations dont elle estime qu'elles n'ont pas été réalisées par la société au titre de la convention du 9 septembre 2015.

Par un jugement n° 1700028 du 15 juin 2017, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté la première requête de la société Auclair Dupont, ainsi que les conclusions reconventionnelles de la Nouvelle-Calédonie.

Par un jugement n° 1800072 du 13 juillet 2018, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a condamné la Nouvelle-Calédonie à verser à la société Auclair Dupont la somme de 1 264 344 F CFP HT et a rejeté le surplus de sa deuxième requête ainsi que les conclusions reconventionnelles de la Nouvelle-Calédonie.

Procédure devant la Cour :

I- Par une requête sommaire et des mémoires, enregistrés le 15 août 2017, le 20 octobre 2017 et le 15 mai 2018 sous le n° 17PA02843, la société Auclair Dupont, représentée par la selarl Royanez, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1700028 du 15 juin 2017 en tant qu'il rejette sa demande ;

2°) de condamner la Nouvelle-Calédonie à lui verser la somme de 6 022 200 F CFP HT au titre de prestations supplémentaires à la convention relative à l'accompagnement à la mise en place de la taxe générale sur la consommation.

3°) de mettre à la charge de la Nouvelle-Calédonie la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa demande était recevable, au regard notamment du 1er alinéa de l'article R. 421-3 du code de justice administrative, le décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 ne pouvant être regardé comme applicable au litige en vertu du principe de non-rétroactivité ;

- le gouvernement de Nouvelle-Calédonie lui a demandé, dès juillet 2015, de travailler sur la mission faisant l'objet de la convention ;

- s'agissant de la phase de cadrage et de lancement, le dépassement par rapport aux prévisions de la convention est de 24 jours-hommes de travail ;

- s'agissant de la phase de mise en oeuvre, le dépassement par rapport aux prévisions de la convention est de 95,25 jours-hommes de travail ;

- les conclusions incidentes du gouvernement de Nouvelle-Calédonie tendant au paiement de prestations prétendument non réalisées sont infondées.

Par un mémoire en défense et d'appel incident ainsi que des pièces, enregistrés le 19 janvier 2018 et le 7 octobre 2019, la Nouvelle-Calédonie, représentée par la selarl Deswarte, demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête de la société Auclair Dupont ;

2°) d'annuler le jugement n° 1700028 du 15 juin 2017 en tant que le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande reconventionnelle ;

3°) de condamner la société Auclair Dupont à lui verser la somme de 1 323 578 F CFP, correspondant au montant des prestations dont elle estime qu'elles n'ont pas été réalisées par la société au titre de la convention litigieuse ;

4°) de mettre à la charge de la société Auclair Dupont la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, la demande de la société Auclair Dupont est irrecevable, le deuxième alinéa de l'article R. 421-3 du code de justice administrative ayant été abrogé par le décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 et l'article 35 de ce décret ayant rendu applicables les nouvelles dispositions aux requêtes enregistrées à compter du 1er janvier 2017 ;

- à titre subsidiaire, les prétentions indemnitaires de la requérante doivent être rejetées ou, à défaut, ramenées à la somme de 1 403 424 F CFP HT ;

- l'analyse des rapports, comptes-rendus et livrables établit que les cabinets de conseil n'ont pas réalisé certaines tâches prévues par la convention.

Les parties ont été informées, le 31 janvier 2020, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la décision de la Cour était susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office.

II - Par une requête, enregistrée le 13 septembre 2018 sous le n° 18PA03103, la société Auclair Dupont, représentée par la selarl Royanez, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1800072 du 13 juillet 2018 en tant que, par ce jugement, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a limité à 1 264 344 F CFP HT la condamnation de la Nouvelle-Calédonie ;

2°) de condamner la Nouvelle-Calédonie à lui verser un surplus de 4 757 856 F CFP HT au titre des prestations supplémentaires réalisées ;

3°) de mettre à la charge de la Nouvelle-Calédonie la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que le montant des prestations supplémentaires est dû à hauteur de la somme demandée.

Par un mémoire en défense et d'appel incident, enregistré le 4 décembre 2019, la Nouvelle-Calédonie, représentée par la selarl Deswarte-Calmet, demande à la Cour ;

1°) d'annuler le jugement n° 1800072 du 13 juillet 2018 ;

2°) de rejeter la demande présentée par la société Auclair Dupont devant le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ;

3°) de condamner la société Auclair Dupont à lui verser la somme de 1 323 578 F CFP, correspondant au montant des prestations dont elle estime qu'elles n'ont pas été réalisées par la société au titre de la convention litigieuse ;

4°) de mettre à la charge de la société Auclair Dupont la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, le nouveau recours formé par la société Auclair Dupont après l'expiration du délai de recours applicable à la première décision de rejet de sa demande indemnitaire n'est pas recevable, dès lors que les deux demandes préalables reçues le 3 juin 2016 et le 8 novembre 2017 revêtent une identité de parties, de cause, à savoir la prétendue faute commise par la Nouvelle-Calédonie, ainsi que d'objet, le montant demandé étant identique ;

- la deuxième demande de la société contrevient ainsi à l'autorité de la chose jugée par le jugement n° 1700028 du 15 juin 2017 ;

- à titre subsidiaire, les prétentions indemnitaires de la requérante ne sont pas fondées au-delà de la somme retenue par le jugement du 13 juillet 2018 ;

- l'analyse des rapports, comptes-rendus et livrables établit que les cabinets de conseil n'ont pas réalisé certaines tâches prévues par la convention, ce qui justifie ses conclusions incidentes.

III - Par une requête, enregistrée le 13 octobre 2018 sous le n° 18PA03316, la Nouvelle-Calédonie, représentée par la selarl Deswarte, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1800072 du 13 juillet 2018 ;

2°) de rejeter la demande présentée devant le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie par la société Auclair Dupont ;

3°) de condamner la société Auclair Dupont à lui verser la somme de 1 323 578 F CFP, au titre des prestations dont elle estime qu'elles n'ont pas été réalisées par la société au titre de la convention relative à l'accompagnement à la mise en place de la taxe générale sur la consommation ;

4°) de mettre à la charge de la société Auclair Dupont la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, le nouveau recours formé par la société Auclair Dupont après l'expiration du délai de recours applicable à la première décision de rejet de sa demande indemnitaire n'est pas recevable, dès lors que les deux demandes préalables reçues le 3 juin 2016 et le 8 novembre 2017 revêtent une identité de parties, de cause, à savoir la prétendue faute commise par la Nouvelle-Calédonie, ainsi que d'objet, le montant demandé étant identique ;

- la deuxième demande de la société contrevient ainsi à l'autorité de la chose jugée par le jugement n° 1700028 du 15 juin 2017 ;

- à titre subsidiaire, les prétentions indemnitaires de la requérante ne sont pas fondées au-delà de la somme retenue par le jugement du 13 juillet 2018 ;

- l'analyse des rapports, comptes-rendus et livrables établit que les cabinets de conseil n'ont pas réalisé certaines tâches prévues par la convention, ce qui justifie ses conclusions incidentes.

La requête a été communiquée à la société Auclair Dupont qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi organique n° 99-209 et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999, relatives à la Nouvelle-Calédonie ;

- la délibération n° 136/CP du 1er mars 1967 modifiée ;

- le décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 ;

- le code de justice administrative dans sa rédaction applicable en Nouvelle-Calédonie ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

-le rapport de M. A...,

- et les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Les trois requêtes susvisées sont relatives à un même litige et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul arrêt.

2. La Nouvelle-Calédonie a conclu, le 9 septembre 2015, un marché de services avec les sociétés Kahn et Associés et Auclair Dupont, intitulé " convention relative à l'accompagnement à la mise en place de la taxe générale sur la consommation ". Ce marché avait pour objet une mission d'appui du gouvernement de Nouvelle-Calédonie lors de la phase de cadrage des travaux et d'animation des réunions avec l'ensemble des acteurs concernés. Le montant de la convention s'élevait à 18 679 500 F CFP TTC, dont 8 961 750 F CFP TTC pour la société Auclair Dupont. Cette convention prévoyait trois phases successives, à savoir une phase de cadrage et de lancement, une phase de mise en oeuvre et une phase de synthèse correspondant chacune à des missions prédéfinies. Par une lettre du 31 mai 2016 adressée au président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, reçue par ce dernier le 3 juin 2016, les sociétés Kahn et Associés et Auclair Dupont, ont demandé à la Nouvelle-Calédonie de leur verser une somme globale de

14 872 200 F CFP HT, dont 6 022 200 F CFP HT pour la société Auclair Dupont, en règlement des prestations, dont elles estimaient qu'elles n'étaient pas prévues dans la convention. Une décision implicite de rejet est née du silence gardé par l'autorité précitée sur cette demande. Par lettre du 6 octobre 2016, reçue le 11 octobre 2016, les deux sociétés ont réitéré cette demande à la Nouvelle-Calédonie. Par une lettre du 24 novembre 2016, reçue le 28 novembre 2016 par le conseil des deux sociétés, le président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie a estimé le montant total des sommes dues au titre des prestations complémentaires réalisées par les deux sociétés à 3 836 000 F CFP HT, mais a considéré que des travaux prévus dans la convention n'avaient pas été réalisés, pour un montant total de 3 151 000 F CFP HT. D'une part, par une requête n° 17PA02843, la société Auclair Dupont fait appel du jugement du 15 juin 2017 par lequel le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande à fin de condamnation de la Nouvelle-Calédonie à lui verser la somme de 6 022 200 F CFP HT susévoquée. D'autre part, par une requête enregistrée sous le n°18PA03103, la société Auclair Dupont relève appel du jugement du 13 juillet 2018 en tant que, par ce jugement, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a limité à 1 264 344 F CFP HT la condamnation de la Nouvelle-Calédonie et demande que cette dernière soit condamnée à lui verser un surplus de 4 757 856 F CFP HT au titre des prestations supplémentaires réalisées. Dans ces deux affaires, ainsi que dans la requête enregistrée sous le n° 18PA03316, la Nouvelle-Calédonie présente des conclusions tendant à la condamnation de la société Auclair Dupont à lui verser la somme de 1 323 578 F CFP au titre des prestations qu'elle estime non réalisées.

En ce qui concerne la requête n° 17PA02843 :

Sur la régularité du jugement du 15 juin 2017 :

3. D'une part, aux termes de l'article R. 421-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient avant l'expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours. (...) ". Aux termes de l'article R. 421-3 du même code, dans sa rédaction issue de l'article 10 du décret n° 2016-480 du

2 novembre 2016 : " Toutefois, l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet : 1° Dans le contentieux de l'excès de pouvoir, si la mesure sollicitée ne peut être prise que par décision ou sur avis des assemblées locales ou de tous autres organismes collégiaux ; 2° Dans le cas où la réclamation tend à obtenir l'exécution d'une décision de la juridiction administrative. ". Aux termes de l'article 35 du décret du 2 novembre 2016, qui fixe les conditions de son entrée en vigueur :

" I. - Le présent décret entre en vigueur le 1er janvier 2017. / II. - Les dispositions des articles 9 et 10 (...) sont applicables aux requêtes enregistrées à compter de cette date ".Et aux termes de l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration : " Par dérogation à l'article L. 231-1, le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut décision de

rejet : / 3° Si la demande présente un caractère financier (...) ".

4. D'autre part, les dispositions du II de l'article 35 du décret n° 2016-480 du 2 novembre 2016, citées au point 3, qui prévoient l'application de la nouvelle règle issue de l'article 10 de ce décret selon laquelle, sauf dispositions législatives ou règlementaire qui leur seraient propres, le délai de recours de deux mois court à compter de la date où les décisions implicites relevant du plein contentieux sont nées, à "toute requête enregistrée à compter" du 1er janvier 2017, ont entendu permettre la suppression immédiate, pour toutes les situations qui n'étaient pas constituées à cette date, de l'exception à la règle de l'article R. 421-2 du code de justice administrative dont bénéficiaient les matières de plein contentieux. Un délai de recours de deux mois court, par suite, à compter du 1er janvier 2017, contre toute décision implicite relevant du plein contentieux qui serait née antérieurement à cette même date. Cette règle doit toutefois être combinée avec les dispositions de l'article L. 112-6 du code des relations entre le public et l'administration, aux termes desquelles, sauf en ce qui concerne les relations entre l'administration et ses agents, les délais de recours contre une décision tacite de rejet ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception prévu par l'article L. 112-3 du même code ne lui a pas été transmis ou que celui-ci ne porte pas les mentions prévues à l'article R. 112-5 de ce code et, en particulier, dans le cas où la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet, la mention des voies et délais de recours.

5. Il ressort des dispositions mentionnées au point 3 que, suite à la demande de la société Auclair Dupont du 31 mai 2016, qui présentait un caractère financier, une décision implicite de rejet de la Nouvelle-Calédonie est née le 3 août 2016. Compte tenu de ce qui a été dit au point 4, dès lors que cette décision, relevant du plein contentieux, est née avant le 1er janvier 2017, la société requérante, qui ne s'était vu par ailleurs notifier aucune décision explicite de rejet dans le délai de deux mois à compter du 3 août 2016, disposait d'un délai de deux mois à compter du 1er janvier 2017 pour former un recours contentieux à son encontre. Dans ces conditions, et alors qu'en tout état de cause, la Nouvelle-Calédonie n'avait pas accusé réception de la demande de la société Auclair Dupont du 31 mai 2016 dans les conditions prévues par les articles précités L. 112-3 et R. 112-5 du code des relations entre le public et l'administration, rendant inopposables à la société les délais de recours à l'encontre de la décision implicite prise sur sa demande, c'est à tort que les premiers juges ont rejeté la requête de la société Auclair Dupont, enregistrée le 31 janvier 2017 au greffe du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, comme tardive. En outre, les premiers juges ne pouvaient, après avoir estimé que les conclusions indemnitaires de la société Auclair Dupont étaient irrecevables et les avoir rejetées, statuer sur les conclusions reconventionnelles de la Nouvelle-Calédonie. Par suite, le jugement est entaché d'irrégularité et doit, pour ce motif, être annulé.

6. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société Auclair Dupont devant le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ainsi que sur les conclusions reconventionnelles de la Nouvelle-Calédonie.

Sur le règlement du solde du marché :

7. Il ne résulte pas de l'instruction que la Nouvelle-Calédonie ait établi le décompte général du marché. Il appartient au juge du contrat régulièrement saisi, en l'absence de décompte général devenu définitif, de statuer sur les réclamations pécuniaires des parties.

En ce qui concerne la demande de paiement de travaux supplémentaires :

8. La société Auclair Dupont soutient que le nombre de prestations qu'elle a réalisées au titre de la convention litigieuse s'est accru de façon très substantielle, à la demande du gouvernement de Nouvelle-Calédonie. Elle demande, par suite, à être indemnisée en conséquence de ces prestations supplémentaires non prévues dans la convention et la proposition d'intervention annexée.

9. Lorsque le cocontractant de l'administration demande le paiement de travaux supplémentaires réalisés dans le cadre d'un marché public de services ou de travaux à prix global et forfaitaire, il lui appartient tout d'abord d'établir que ces travaux n'étaient pas compris dans le prix de son marché. Le cas échéant, il lui appartient d'établir soit que la réalisation de ces travaux lui a été demandée par ordre de service du maître d'oeuvre, soit, en l'absence d'ordre de service écrit ou même d'ordre verbal, que ceux-ci étaient indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art.

En ce qui concerne la phase préparatoire de cadrage et de lancement :

10. Aux termes de l'article 1er de la convention conclue le 9 septembre 2015 entre la Nouvelle-Calédonie et les sociétés Kahn et Associés et Auclair Dupont relative à l'accompagnement à la mise en place de la taxe générale sur la consommation : " La présente convention a pour objet de confier aux cabinets Auclair et Dupont et Kahn et Associés une mission d'appui lors de la phase de cadrage des travaux et d'animation des réunions avec l'ensemble des partenaires économiques et les membres du comité de suivi de l'agenda partagé ainsi qu'avec le comité de pilotage. / Les missions sont détaillées dans la proposition d'intervention ci-jointe et couvrent une période de 16 semaines. ". Aux termes de l'article 3 de la convention : " La société effectue sa mission conformément à la démarche proposée dans son offre de service (...) ". Aux termes du chapitre intitulé " l'objectif final et livrable " de la proposition d'intervention mentionnée à l'article 1er de la convention et annexée à celle-ci : " La mission devra contribuer à déterminer le type d'impôt, son assiette, ses taux, ses types et modalités d'exonération, le cas échéant ses affectations. Des scénarii seront élaborés et la mission devra contribuer à évaluer les impacts possibles notamment sur l'économie et ses agents. / La mission devra aussi éclairer le gouvernement de la Nouvelle Calédonie sur les différents degrés d'acceptabilité des différents schémas ".

11. La société Auclair Dupont soutient que la phase préparatoire, qui ne devait consister que dans un état des lieux de la fiscalité existante et des objectifs de la réforme associé à un travail d'analyse financière et de scénarisation des différents projets envisagés s'est doublée, d'une part, d'une mission de pilotage de projet et d'assistance à la maîtrise d'ouvrage non prévue dans la convention et, d'autre part, d'une mission d'organisation du comité de suivi de l'agenda partagé dont la responsabilité initiale incombait au cabinet de la présidence du gouvernement de Nouvelle-Calédonie. Elle fait valoir que ces missions supplémentaires, qui résulteraient d'ordres verbaux du président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, auraient généré un surplus de travail de 24 jours-hommes par rapport à ce qui était prévu dans la convention et la proposition d'intervention qui y est annexée. Toutefois, si la société Auclair Dupont produit un document intitulé " marché complémentaire " adressé au président du gouvernement par courrier du 11 décembre 2015, dans lequel figure un tableau intitulé " comparatif des temps passés et des livrables " ainsi qu'une énumération sommaire des différentes réunions tenues par elle, ces éléments, peu explicites et au demeurant contestés par la Nouvelle-Calédonie, ne permettent pas d'établir que la société aurait effectué des travaux supplémentaires non prévus dans la convention. En outre, il résulte des documents contractuels, notamment de la proposition d'intervention annexée à la convention que celle-ci ne comporte aucune prévision chiffrée des réunions à tenir mais se borne à distinguer, s'agissant de cette première phase, les réunions selon qu'elles concernaient les membres du gouvernement ou les services administratifs. Par suite, la société n'est pas fondée à soutenir que la phase de cadrage et de lancement aurait entraîné des prestations supplémentaires en sus de celles prévues dans les documents contractuels.

En ce qui concerne la phase de mise en oeuvre :

12. La société Auclair Dupont fait valoir qu'elle a participé à toutes les réunions du comité de suivi de l'agenda partagé relatives à la réforme de la taxe générale sur la consommation, soit 8 réunions au total entre le 17 juillet 2015 et le 18 décembre 2015, représentant, pour les deux cabinets consultants, un total de 31,25 jours-hommes dont 13 jours-hommes pour elle-même. Elle soutient que cette participation, qui n'était pas prévue au marché, doit être prise en compte au titre de travaux supplémentaires. Elle soutient en outre qu'elle a participé à 37 réunions au titre de la phase de mise oeuvre, alors que 21 réunions seulement étaient contractuellement prévues, ce qui représente un surplus de 16 réunions, équivalant, pour les deux cabinets, à un temps de travail de 32 jours-hommes au titre de la tenue de ces réunions et 32 jours-hommes au titre de la préparation de ces réunions. Le total des prestations supplémentaires au titre de la phase de mise en oeuvre s'élève selon la société requérante ainsi à 95,25 jours-hommes pour les deux cabinets consultants.

13. En premier lieu, il résulte de l'examen de la proposition d'intervention annexée à la convention que la phase de mise en oeuvre externe avait notamment pour objectifs la tenue de deux réunions préliminaires avec chacun des collèges membres du comité de suivi de l'agenda partagé, soit un total de 16 réunions compte tenu de l'existence de huit collèges représentatifs au sein de ce comité, une réunion avec les trois chambres consulaires et deux réunions avec chacun des huit grands secteurs économiques. Par suite, la convention prévoyait un total de 33 réunions au titre de la phase de mise en oeuvre externe, et non 21 ainsi que le soutient la société requérante. Ayant établi avoir effectué un total de 37 réunions de secteurs au titre de la phase de mise en oeuvre externe et travaillant, ainsi qu'il résulte de la proposition d'intervention précitée, " sous la conduite du représentant du cabinet du président du gouvernement ", la société Auclair Dupont doit être regardée comme ayant reçu l'ordre verbal d'accomplir quatre réunions supplémentaires. Elle est, par suite, fondée à en demander le paiement. Il sera fait une juste appréciation du temps de travail relatif à ces quatre réunions, compte tenu de l'évaluation globale faite dans la proposition d'intervention de 61 jours-hommes de travail pour un total de 33 réunions, soit 1,85 jours-hommes de travail par réunion, en les évaluant à 7,5 jours-hommes de travail. En outre, il résulte de l'instruction que la participation de la société Auclair Dupont aux réunions du comité de suivi de l'agenda partagé, qui doit également être regardée comme ayant fait l'objet d'un ordre verbal du maître d'ouvrage, est établie à hauteur de six réunions intervenues sur une durée de huit jours et demi. Il sera fait une juste appréciation du temps de travail correspondant à ces six réunions en l'évaluant à un total de 17 jours-hommes pour les deux cabinets consultants, lequel sera augmenté d'un temps de préparation dont il sera fait une juste évaluation en le fixant à 50% du temps de travail par réunion. Il résulte de ce qui précède que l'évaluation totale du temps de travail relatif aux réunions du comité de suivi de l'agenda partagé représente un total de 25,5 jours-hommes dont la société Auclair Dupont est fondée à demander le paiement. En conséquence, la société est fondée à demander le paiement global, au titre de la phase de mise en oeuvre, d'un montant de 33 jours-hommes supplémentaires. La société Auclair Dupont soutenant sans être contredite que le tarif moyen des cabinets consultants s'élève à 137 000 F CFP HT, il sera fait une juste appréciation du montant dû aux deux cabinets consultants en l'évaluant à la somme de 4 521 000 F CFP HT. Compte tenu du prorata de répartition entre la société Kahn et Associés et la société Auclair Dupont, tel qu'il a été proposé par le conseil des deux sociétés dans sa lettre du 31 mai 2016 mentionnée au point 2, et confirmé par la société requérante dans ses écritures tant de première instance que d'appel, la somme due à cette dernière au titre des prestations supplémentaires de la phase de mise en oeuvre est de 1 830 713,17 F CFP HT.

En ce qui concerne les conclusions reconventionnelles de la Nouvelle-Calédonie :

14. Le gouvernement de Nouvelle-Calédonie soutient qu'il ressort de l'analyse des rapports, comptes-rendus et livrables qui lui ont été remis que la société Auclair Dupont n'a pas réalisé différentes tâches qui lui incombaient au titre de la phase de cadrage et de lancement, à savoir l'analyse prospective des rendements à moyen terme, l'appui à la reconstitution des chaînes de valeur, l'appui à la détermination des CA/VA/ Masses salariales/taux de prélèvement/taux de financement de protection sociale par secteur et par maillons avec analyse de toutes les consommations intermédiaires, l'appui à la scénarisation des besoins de financement des institutions et de la protection sociale, ainsi que la note de synthèse comprenant les scenarii relatifs aux finances publiques et aux réformes sectorielles. Il résulte toutefois de l'instruction que le gouvernement de Nouvelle-Calédonie ne produit aucun

procès-verbal de réception des travaux, le cas échéant assorti de réserves, de nature à établir le défaut d'exécution des prestations prévues à la convention. En outre, le maître d'ouvrage s'est acquitté du paiement intégral du prix convenu au marché, sur la base de trois factures de la société Auclair Dupont au bas desquelles il a été apposé la mention " service fait ", laquelle est de nature à établir que le gouvernement de Nouvelle-Calédonie avait estimé, à la date du paiement du prix de la convention, que l'ensemble des prestations prévues par la convention et la proposition annexée avaient été réalisées par la société. Par suite, les conclusions de la Nouvelle-Calédonie tendant à l'indemnisation de certaines tâches prévues à la convention et prétendument non réalisées par la société Auclair Dupont, doivent être rejetées.

En ce qui concerne les requêtes n° 18PA03103 et 18PA03316 :

Sur la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance :

15. La Nouvelle-Calédonie soutient que la demande préalable de la société, reçue par elle le 8 novembre 2017, n'a pu avoir pour effet de lier un nouveau contentieux, une demande identique ayant déjà été reçue le 3 juin 2016 par la collectivité territoriale, fondée sur la même cause juridique, et ayant donné lieu à une décision implicite de rejet. Elle fait valoir ainsi que la demande de la société Auclair Dupont enregistrée le 8 mars 2018 devant le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie présente une identité de parties, de cause et d'objet avec sa première demande enregistrée le 31 janvier 2017 et que, par suite, elle est irrecevable du fait de l'autorité de la chose jugée par le jugement n° 1700029 du 15 juin 2017. Toutefois, si les deux litiges successivement portés devant le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie opposaient les mêmes parties et si les deux demandes tendaient à l'indemnisation du même préjudice résultant de prestations réalisées dans le cadre de la convention mentionnée au point 2 et restées impayées, en revanche, ces demandes reposaient sur des causes juridiques distinctes, la première étant fondée sur l'indemnisation des travaux supplémentaires réalisés à la demande de la Nouvelle-Calédonie et la deuxième sur la faute de cette dernière. Dès lors, le jugement du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie du 15 juin 2017 n'était revêtu d'aucune autorité de chose jugée dans le cadre du second litige porté devant le même tribunal, lequel restait donc libre de porter sur la deuxième demande de la société Auclair Dupont une appréciation différente de celle qui résultait de ce jugement, notamment en retenant qu'elle était recevable. S'il résulte de ce qui a été dit au point 5 que la requête de la société enregistrée le 31 janvier 2017 était, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, recevable, cette circonstance est sans incidence sur la recevabilité de la seconde requête enregistrée le 8 mars 2018. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la Nouvelle-Calédonie doit être écartée.

Sur le règlement du solde du marché :

16. Il résulte de l'instruction, notamment des écritures de la société Auclair Dupont dans les affaires susvisées, que ses conclusions indemnitaires sont relatives aux mêmes prestations que celles évoquées aux points 8 à 13 du présent arrêt et qu'il y a lieu d'indemniser, ainsi qu'il a été dit, à hauteur de 1 830 713,17 F CFP HT.

17. Il résulte également de l'instruction, notamment des écritures de la Nouvelle-Calédonie dans les affaires susvisées, que ses conclusions tendant à l'indemnisation des prestations dont elle estime qu'elles n'ont pas été réalisées par la société au titre de la convention du 9 septembre 2015 sont relatives aux mêmes faits que ceux exposés dans le cadre de la requête n° 17PA02843. Par suite, pour les motifs exposés au point 14, ces conclusions incidentes doivent être rejetées.

18. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de porter à 1 830 713,17 F CFP HT le montant auquel la Nouvelle-Calédonie a été condamnée à verser à la société Auclair Dupont au titre des prestations supplémentaires à la convention du 9 septembre 2015 et de réformer en ce sens le jugement attaqué n° 1800072 du 13 juillet 2018.

Sur les frais liés au litige :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Auclair Dupont, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la Nouvelle-Calédonie demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la Nouvelle-Calédonie le versement de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Auclair Dupont et non compris dans les dépens de la présente instance.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1700028 du 15 juin 2017 du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie est annulé.

Article 2 : La somme de 1 264 344 F CFP HT à laquelle la Nouvelle-Calédonie a été condamnée à verser à la société Auclair Dupont par le jugement n° 1800072 du 13 juillet 2018 du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie est portée à 1 830 713,17 F CFP HT.

Article 3 : Le jugement n° 1800072 du 13 juillet 2018 du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : La Nouvelle-Calédonie versera à la société Auclair Dupont une somme 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des requêtes de la société Auclair Dupont présentées devant le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie et devant la Cour et le surplus de ses conclusions incidentes sont rejetés.

Article 6 : Les conclusions reconventionnelles de la Nouvelle-Calédonie présentées devant le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie ainsi que sa requête et ses conclusions incidentes présentées devant la Cour sont rejetées.

Article 7 : Les conclusions de la Nouvelle-Calédonie présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à la société Auclair Dupont et au gouvernement de Nouvelle-Calédonie.

Copie en sera adressée au Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.

Délibéré après l'audience du 14 février 2020 à laquelle siégeaient :

- Mme B..., présidente,

- M. A..., premier conseiller,

- Mme Portes, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 avril 2020.

La présidente de la formation de jugement,

M. B...La République mande et ordonne à la ministre des Outre-Mer en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

10

Nos° 17PA02843...


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA02843-18PA03103-18PA03316
Date de la décision : 17/04/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Exécution technique du contrat - Conditions d'exécution des engagements contractuels en l'absence d'aléas.

Procédure - Introduction de l'instance - Délais - Point de départ des délais.

Procédure - Jugements - Exécution des jugements - Astreinte - Demande irrecevable.


Composition du Tribunal
Président : Mme JULLIARD
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: M. BARONNET
Avocat(s) : SELARL JEAN-JACQUES DESWARTE

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-04-17;17pa02843.18pa03103.18pa03316 ?
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