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10/04/2020 | FRANCE | N°17PA02263

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 10 avril 2020, 17PA02263


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société E..., F... et Associés a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 4 600 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi à raison d'une décision du ministre du budget et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1541213/1-1 du 3 mai 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la

Cour :

Par une requête, enregistrée le 5 juillet 2017, la société E..., F... et Assoc...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société E..., F... et Associés a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 4 600 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi à raison d'une décision du ministre du budget et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1541213/1-1 du 3 mai 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 5 juillet 2017, la société E..., F... et Associés, représentée par Me A... E..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1541213/1-1 du 3 mai 2017 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;

2°) d'annuler la décision implicite du Premier ministre en date du 18 octobre 2015 rejetant la demande indemnitaire préalable déposée le 18 août 2015 ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 4 600 000 euros en réparation de ses entiers préjudices ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la circonstance que le rapporteur et le rapporteur public aient eu à connaître d'une affaire étroitement liée à celle constituant l'objet du jugement attaqué est de nature à faire naître une suspicion légitime sur l'impartialité de la formation de jugement ;

- le jugement est entaché d'un défaut de motivation ;

- le tribunal a commis une erreur de qualification des faits et une erreur de qualification juridique dès lors que l'existence du lien de causalité entre les déclarations du ministre du budget du 30 août 2009 et les difficultés rencontrées par les services fiscaux dans l'action en recouvrement diligentée à l'encontre de la cliente de Me F... est établie ;

- il a commis une erreur de droit en écartant par principe toute recherche de responsabilité de l'administration ;

- à titre principal, la responsabilité sans faute de l'administration est engagée à raison d'une rupture d'égalité devant les charges publiques ;

- à titre subsidiaire, la responsabilité pour faute de l'administration est engagée à raison d'une erreur d'appréciation et d'erreurs de droit ;

- le préjudice subi est anormal et spécial.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 novembre 2017, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société E..., F... et Associés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales,

- le code de justice administrative ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme G...,

- les conclusions de Mme Stoltz-Valette, rapporteur public,

- et les observations de Me C..., représentant la société E..., F... et Associés.

Considérant ce qui suit :

1. L'autorité judiciaire a communiqué, le 9 juillet 2009, à l'administration fiscale des données relatives aux comptes bancaires détenus par des personnes physiques et morales en Suisse et figurant sur la liste dite " liste HSBC ". Le ministre du budget a déclaré par voie de presse le 30 août suivant que l'administration fiscale " av[ait] récupéré les noms de 3 000 contribuables détenteurs de comptes dans les banques suisses dont une partie correspond très probablement à de l'évasion fiscale ", qu'elle entendait " poursuivre ses investigations pour vérifier si ces comptes [avaient] été déclarés " et que les contribuables concernés qui n'auraient pas régularisé leur situation avant le 31 décembre 2009 feraient l'objet d'un " contrôle fiscal qui s'appliquera[it] dans toute sa rigueur : enquête détaillée et saisie de la justice au besoin ". M. F..., en sa qualité de conseil fiscal de Mme D... B..., laquelle figurait au nombre des 3 000 contribuables français en question, a été condamné, le 13 avril 2015 par le tribunal de grande instance de Paris, pour complicité d'organisation frauduleuse d'insolvabilité au bénéfice de cette cliente. Estimant avoir subi un préjudice " spécial et anormal " en conséquence de cette condamnation imputable, selon elle, aux déclarations précitées du ministre du budget, la société E..., F... et Associés a demandé, par courrier adressé à l'administration le 18 août 2015, le versement d'une indemnité d'un montant total de 4 600 000 euros. Le service n'ayant pas donné suite à cette demande, cette dernière est réputée avoir été implicitement rejetée le 18 octobre 2015. La société E..., F... et Associés relève appel du jugement n° 1541213/1-1 du 3 mai 2017 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, la société E..., F... et Associés soutient que la circonstance que le rapporteur et le rapporteur public en première instance aient eu à connaître d'une affaire étroitement liée à celle constituant l'objet du jugement attaqué est de nature à faire naître une suspicion légitime sur l'impartialité de la formation de jugement. Toutefois, la circonstance que le rapporteur et le rapporteur public ayant statué sur la requête de première instance de la société E..., F... et Associés, aient antérieurement, par un jugement du 25 novembre 2015, porté une appréciation sur le statut légal de la liste divulguée par le ministre du budget le 30 août 2009 n'est pas de nature à établir que les membres de la formation de jugement susmentionnée auraient manifesté un quelconque parti-pris, ni qu'ils auraient manqué à leur devoir d'impartialité.

3. En deuxième lieu, la société E..., F... et Associés soutient que le jugement attaqué est entaché d'un défaut de motivation. Cependant, il ressort des termes mêmes du jugement du 3 mai 2017 que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments développés par les parties, ont suffisamment motivé leur décision en relevant l'absence d'un quelconque élément sérieux susceptible d'établir l'existence d'un lien de causalité direct entre les déclarations du ministre du budget en date du 30 août 2009 et les difficultés rencontrées par les services fiscaux dans l'action de recouvrement diligentée à l'encontre de la cliente de Me F..., Mme B.... Le droit à un procès équitable, garanti notamment par l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne fait pas non plus obligation au juge de fonder sa décision sur l'intégralité des éléments du dossier constitué par le requérant pour l'instruction de sa demande.

4. En troisième lieu, la société E..., F... et Associés soutient que le tribunal a commis une erreur de droit " en écartant par principe toute recherche de responsabilité de l'administration " ainsi qu'une erreur de qualification des faits et une erreur de qualification juridique dès lors que l'existence du lien de causalité entre les déclarations du ministre du budget du 30 août 2009 et les difficultés rencontrées par les services fiscaux dans l'action en recouvrement diligentée à l'encontre de sa cliente est établie. Toutefois, la requérante ne peut utilement invoquer ni l'erreur de droit, ni l'erreur de qualification qu'auraient commises les premiers juges, notamment en ce qui concerne le lien de causalité, pour contester la régularité de leur jugement, laquelle ne dépend pas du caractère fondé ou non des motifs pour lesquels ont été écartés les moyens de la requérante.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

5. La société E..., F... et Associés fait valoir que, comme l'attestent le rapport d'information parlementaire du 10 juillet 2013 de Monsieur le député Christian Eckert et la décision du tribunal fédéral suisse du 17 mars 2017 refusant l'entraide fiscale à la France, il existe un lien de causalité direct entre, d'une part, la divulgation de la liste dite " liste HSBC " par le ministre du budget le 30 août 2009, d'autre part, le refus des autorités suisses de coopérer et l'engagement de la France qui en a résulté de ne pas former de demande d'assistance pour les contribuables français figurant sur cette liste, ce qui a eu pour effet d'entraver l'action des services fiscaux français à l'encontre des contribuables n'ayant pas régularisé leur situation. Cependant, à supposer que soit établi un tel lien de causalité, il ne peut pour autant être inféré de ce qui précède l'existence d'un lien de causalité entre la déclaration du ministre du 30 août 2009 et les difficultés rencontrées par les services fiscaux dans l'action de recouvrement diligentée à l'encontre de Mme B..., cliente de Me F....

6. Il résulte en revanche de l'instruction, notamment du jugement correctionnel du 13 avril 2015 mentionné au point 1., que M. F... s'est rendu complice par aide et assistance des faits d'organisation frauduleuse d'insolvabilité commis par Mme B..., en l'espèce en concevant un montage financier reposant sur une vente à soi-même d'immeubles détenus par celle-ci dans le but de faire obstacle et de rendre inefficaces les actions entreprises par l'administration fiscale sur le patrimoine de l'intéressée, laquelle ne pouvait ignorer dès août 2009 qu'elle ne pouvait échapper à un contrôle fiscal eu égard au montant de l'ensemble des avoirs dissimulés, comme l'a relevé la Cour d'appel de Paris, statuant par un arrêt du 19 mai 2017 sur appel du jugement précité, devenu définitif après la décision de rejet du pourvoi de M. F... par la chambre criminelle de la Cour de cassation, le 29 janvier 2020. Cette juridiction a également relevé que Mme B... a fait le choix de persister dans la fraude, alors qu'en 2009 l'Etat français mettait en oeuvre un dispositif de régularisation. Dans ces conditions, la société E..., F... et Associés n'est pas fondée à soutenir que les difficultés de recouvrement rencontrées par l'administration fiscale à l'endroit de Mme B..., à raison desquelles M. F... a été reconnu coupable de complicité en vertu du jugement précité, ont pour origine, non l'aide et l'assistance que celui-ci aurait prodiguées à sa cliente, mais les déclarations publiques en date du 30 août 2009 du ministre du budget. La société E..., F... et Associés ne peut, par suite, rechercher la responsabilité sans faute de l'administration pour rupture d'égalité devant les charges publiques ayant résulté selon elle de l'intervention du ministre du budget du 30 août 2009 en ce que cette intervention serait à l'origine d'une nouvelle politique fiscale spécifique misant sur la repentance des contribuables fraudeurs, impliquant une possibilité de mise en cause pénale de l'avocat conseil et qui aurait fait peser sur elle, à ce titre, une charge exorbitante de droit commun. Pour les mêmes motifs, la société E..., F... et Associés ne peut pas plus rechercher la responsabilité pour faute de l'administration à raison de l'erreur d'appréciation et de l'erreur de droit alléguées, les différents chefs d'irrégularité invoqués par la requérante, à savoir le recel de documents volés, la violation du secret fiscal, l'impossibilité de faire produire des effets fiscaux et judiciaires à des documents volés et la violation des engagements internationaux de la France, demeurant sans incidence à cet égard.

7. Il résulte de ce qui est dit au point 6. que la société E..., F... et Associés ne peut aucunement se prévaloir du comportement de la puissance publique pour prétendre à l'indemnisation de préjudices qui découlent exclusivement de la condamnation pénale de M. F..., laquelle met en évidence la mise en oeuvre de procédés frauduleux destinés à éviter à la cliente de l'intéressé le paiement d'impositions dues.

8. Il résulte de ce qui précède que la société E..., F... et Associés n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, le versement de la somme que la société E..., F... et Associés demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société E..., F... et Associés est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société E..., F... et Associés et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée au directeur général des finances publiques (service juridique de la fiscalité).

Délibéré après l'audience du 10 mars 2020, à laquelle siégeaient :

M. Jardin, président de chambre,

Mme Hamon, président assesseur,

Mme G..., premier conseiller ;

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 avril 2020.

Le président de la 7ème chambre,

C. JARDIN

La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 17PA02263 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA02263
Date de la décision : 10/04/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-02-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Services économiques. Services fiscaux.


Composition du Tribunal
Président : M. JARDIN
Rapporteur ?: Mme Anne MIELNIK-MEDDAH
Rapporteur public ?: Mme STOLTZ-VALETTE
Avocat(s) : SELAS DE GAULLE FLEURANCE ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-04-10;17pa02263 ?
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