Vu la procédure suivante :
Par un arrêt n° 16PA01387 du 2 février 2018, la Cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement n° 1506600 du 19 février 2016 du Tribunal administratif de Paris, condamné l'Etat à verser à la société Highfi la somme de 304 310 euros au titre du crédit d'impôt recherche lui restant dû après imputation sur sa cotisation d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2012 et mis à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à la société Highfi sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par des lettres enregistrées les 28 janvier et 29 mars 2019, la société Highfi, représentée par Me B..., a demandé à la Cour, en application des articles L. 911-4 et R. 921-1 du code de justice administrative, d'assurer la complète exécution de cet arrêt.
Par une lettre enregistrée le 28 février 2019, le ministre de l'action et des comptes publics a informé la Cour des mesures prises à cet effet.
Par une lettre enregistrée le 13 juin 2019, la société Highfi a estimé que l'arrêt de la Cour n'avait toujours pas été entièrement exécuté et demandé en conséquence l'ouverture d'une procédure juridictionnelle.
Par une ordonnance du 27 juin 2019, le président de la Cour a décidé l'ouverture de cette procédure.
Par des mémoires, enregistrés le 7 août 2019, le 23 septembre 2019 et le 5 décembre 2019, la société Highfi, représentée par Me B... et Me C..., demande à la Cour :
1°) d'assurer l'entière exécution de l'arrêt n° 16PA01387 du 2 février 2018 de la Cour administrative d'appel de Paris, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, en enjoignant à l'Etat de lui verser une créance complémentaire de 72 892,39 euros, ainsi que les intérêts moratoires correspondants, ayant commencé à courir le 27 juillet 2018, jusqu'à la date de complète exécution de l'arrêt du 2 février 2018 ;
2°) à titre accessoire, de condamner l'Etat à verser une astreinte de 500 euros par jour de retard s'il ne justifie pas avoir assuré l'entière exécution de l'arrêt du 2 février 2018 dans le délai imparti ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa demande devant la Cour est recevable, la règle de la réclamation préalable devant le comptable public ne trouvant pas à s'appliquer dans un litige d'exécution ;
- contrairement à ce que soutient le ministre, le litige, consécutif à la condamnation de l'Etat par la Cour à la restitution d'un crédit d'impôt recherche, à la suite d'une vaine réclamation contentieuse présentée à l'administration fiscale, entre dans le champ de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ;
- quand bien même l'arrêt du 2 février 2018 n'a pas explicitement mis à la charge de l'Etat le versement d'intérêts moratoires, ceux-ci sont de droit lorsque l'Etat est condamné par une décision de justice à la restitution d'un crédit d'impôt recherche ;
- en application de la règle selon laquelle les paiements successifs effectués par le comptable public doivent d'abord s'imputer sur les intérêts moratoires dus sur le principal, la somme de 72 892,39 euros, due au titre de l'année 2012, est constitutive d'un reliquat de crédit d'impôt recherche qui doit lui-même produire intérêts, du 27 juillet 2018 à la date de complète exécution de l'arrêt du 2 février 2018.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 9 août 2019 et le 29 novembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que la requête de la société Highfi, qui relève du contentieux du recouvrement, est irrecevable et, en tout état de cause, infondée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Stoltz-Valette, rapporteur public,
- et les observations de Me B... et de Me C..., représentant la société Highfi.
Considérant ce qui suit :
1. Le 18 avril 2013, la société Highfi a demandé à l'administration fiscale de lui restituer un crédit d'impôt recherche de 599 184 euros au titre de l'exercice clos en 2012, après avoir imputé la somme de 186 097 euros sur l'impôt sur les sociétés dont elle était redevable au titre de cet exercice. Après avoir saisi le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche pour avis, l'administration fiscale a refusé de lui accorder la restitution sollicitée, par décision du 10 février 2015.
2. Par un jugement n° 1506600 du 19 février 2016, le Tribunal administratif de Paris a refusé de faire droit à la demande de la société Highfi tendant à ce que lui soit restitué le crédit d'impôt recherche de 599 184 euros auquel elle estimait avoir droit au titre de l'année 2012. Ce jugement a été annulé par un arrêt de la Cour du 2 février 2018, n° 16PA01387, lequel a condamné l'Etat à verser à la société Highfi la somme de 304 310 euros au titre du crédit d'impôt recherche lui étant dû au titre de l'exercice clos en 2012 et mis à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
3. Pour exécuter cet arrêt, l'administration fiscale a procédé à un virement de 304 310 euros en date du 27 juillet 2018 en faveur de la société Highfi. L'appelante ne conteste pas avoir obtenu en outre le paiement, le 10 juillet 2018, des frais de justice mis à la charge de l'Etat. En revanche, la société Highfi reproche à l'administration fiscale de ne pas avoir assorti la somme globale de 304 310 euros des intérêts moratoires auxquels elle estime avoir droit.
Sur les intérêts dus :
4. Aux termes de l'article L. 911-4 du code de justice administrative : " En cas d'inexécution d'un jugement ou d'un arrêt, la partie intéressée peut demander au tribunal administratif ou à la cour administrative d'appel qui a rendu la décision d'en assurer l'exécution. / (...) Si le jugement ou l'arrêt dont l'exécution est demandée n'a pas défini les mesures d'exécution, la juridiction saisie procède à cette définition. Elle peut fixer un délai d'exécution et prononcer une astreinte. / (...) ". L'article L. 208 du livre des procédures fiscales dispose que : " Quand l'Etat est condamné à un dégrèvement d'impôt par un tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires dont le taux est celui de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du code général des impôts. Les intérêts courent du jour du paiement. Ils ne sont pas capitalisés. / (...) ".
5. En premier lieu, la restitution d'un crédit d'impôt recherche ordonnée par une décision de justice à la suite d'une vaine réclamation contentieuse devant l'administration fiscale, en l'espèce celle du 18 avril 2013 par laquelle la société Highfi a sollicité la restitution d'un crédit de 599 184 euros, a le caractère d'un dégrèvement prononcé par un tribunal au sens de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales. Le ministre de l'action et des comptes publics ne saurait donc soutenir que le litige se trouve hors du champ de cet article pour refuser de faire droit à la demande d'exécution de l'arrêt de la Cour du 2 février 2018.
6. En deuxième lieu, l'exécution d'une décision de justice par laquelle l'Etat est condamné à restituer un crédit d'impôt à un contribuable implique que l'administration fiscale s'exécute en augmentant la restitution due des intérêts moratoires prévus par l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, quand bien même le juge n'en aurait pas fait mention. Contrairement à ce que soutient le ministre, qui ne saurait utilement se prévaloir de ce que la requête de la société Highfi est irrecevable faute d'avoir été précédée d'une réclamation préalable devant le comptable public, le juge de l'exécution peut donc ordonner le versement des intérêts moratoires lorsque l'administration n'y a pas procédé d'office.
7. En troisième et dernier lieu, l'article 1343-1 du code civil dispose que : " Lorsque l'obligation de somme d'argent porte intérêt, le débiteur se libère en versant le principal et les intérêts. Le paiement partiel s'impute d'abord sur les intérêts. / (...) ".
8. Il y a lieu de condamner l'Etat à verser à la société Highfi, au taux de l'intérêt de retard de l'article 1727 du code général des impôts, les intérêts moratoires dus sur la somme de 304 310 euros sur la période ayant couru du 18 avril 2013 au 27 juillet 2018, date à laquelle elle a été restituée en exécution de l'arrêt de la Cour du 2 février 2018. Enfin, dès lors qu'en vertu de l'article 1343-1 du code civil, le paiement partiel s'impute d'abord sur les intérêts, comme le demande d'ailleurs en l'espèce la société Highfi, la somme due à titre d'intérêts moratoires devra être regardée par le comptable public comme le reliquat du crédit d'impôt recherche dû au titre de l'exercice clos en 2012, devant lui-même produire intérêts moratoires, au taux de l'intérêt de retard, du 27 juillet 2018 à la date de complète exécution de l'arrêt de la Cour du 2 février 2018.
Sur l'astreinte :
9. Si l'Etat ne justifie pas d'une complète exécution de l'arrêt du 2 février 2018 en procédant au règlement des intérêts moratoires dus conformément à l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, il y aura lieu de prononcer à son encontre une astreinte de 100 euros par jour de retard, jusqu'à la date à laquelle l'arrêt du 2 février 2018 aura reçu complète exécution.
Sur les frais de justice :
10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des conclusions de la société Highfi présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Une astreinte est prononcée à l'encontre de l'Etat s'il ne justifie pas avoir, dans le délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt, accompli toutes diligences utiles à l'exécution de l'arrêt de la Cour n° 16PA01387 du 2 février 2018, dans les conditions mentionnées au point 8 du présent arrêt, jusqu'à la date de cette exécution. Le taux de cette astreinte est fixé à 100 euros par jour, à compter de l'expiration du délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.
Article 2 : L'Etat versera à la société Highfi la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le ministre de l'action et des comptes publics communiquera au greffe de la Cour administrative d'appel de Paris copie des actes justifiant des mesures prises pour exécuter le présent arrêt.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Highfi, au ministre de l'action et des comptes publics et à la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris (pôle contrôle fiscal et affaires juridiques).
Délibéré après l'audience du 28 janvier 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président de chambre,
- Mme Hamon, président assesseur,
- Mme A..., premier conseiller,
Lu en audience publique, le 11 février 2020.
Le rapporteur,
C. A...Le président,
C. JARDIN
Le greffier,
C. BUOTLa République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA02184