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06/02/2020 | FRANCE | N°19PA01020

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 06 février 2020, 19PA01020


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mmes C... et D... A... ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser la somme provisionnelle de 1 112 245 euros en réparation des préjudices subis du fait de la vaccination de Talila contre le virus de la grippe A (H1N1), ou, à titre subsidiaire, d'ordonner une nouvelle mesure d'expertise et de mettre les dépens à la charge de l'ONIAM.

Par un jugement

n° 1607533 du 30 janvier 2019, le tribunal administratif de Melun a rejeté l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mmes C... et D... A... ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser la somme provisionnelle de 1 112 245 euros en réparation des préjudices subis du fait de la vaccination de Talila contre le virus de la grippe A (H1N1), ou, à titre subsidiaire, d'ordonner une nouvelle mesure d'expertise et de mettre les dépens à la charge de l'ONIAM.

Par un jugement n° 1607533 du 30 janvier 2019, le tribunal administratif de Melun a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 12 mars 2019 et 13 mai 2019,

Mmes A..., représentées par Me G..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de faire droit à leurs conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé s'agissant du rejet de la demande de contre-expertise ;

- les premiers juges se sont à tort crus liés par le rapport d'expertise judiciaire pour rejeter leur demande ;

- ils ont dénaturé la portée de ce rapport, qui n'a pas totalement exclu l'existence d'un lien de causalité entre la pathologie de Mme A... et la vaccination ;

- ils ont commis une erreur d'appréciation en refusant d'ordonner une nouvelle expertise ou une contre-expertise ; le rapport remis au tribunal de grande instance de Versailles étant inadéquat, sommaire et contestable, il est utile d'ordonner une nouvelle expertise ;

- la probabilité d'un lien entre la vaccination et la maladie dont est atteinte Mme D... A... est suffisante pour permettre son indemnisation par l'ONIAM en application de l'article L. 3131-4 du code de la santé publique ;

- elles n'ont pas été préalablement informées des effets possibles de la vaccination ; le défaut d'information est établi par le rapport d'expertise ;

- le déficit fonctionnel temporaire total subi par Talila A... doit être évalué à la somme de 77 000 euros, et son déficit fonctionnel temporaire partiel à la somme de 25 325 euros ;

- les souffrances endurées, évaluées par le collège d'expert à 5 sur 7, justifient qu'une somme provisionnelle de 20 000 euros soit accordée ;

- le préjudice subi du fait du défaut d'information doit être réparé par le versement provisionnel de la somme de 500 000 euros ;

- le préjudice esthétique subi par Mme D... A... doit être évalué à 30 000 euros au titre des périodes d'alitement, et à 15 000 euros au titre des périodes d'éveil ;

- le préjudice matériel, résultant de l'achat d'un camping-car pour permettre à Mme D... A... de dormir, doit être évalué à 48 100 euros ;

- le préjudice professionnel subi par Mme C... A..., qui a dû être davantage présente auprès de sa fille, devra être indemnisé à hauteur de 100 000 euros ;

- le préjudice d'affection de Mme C... A..., lié au retentissement familial de la maladie, sera indemnisé par une somme de 100 000 euros ;

- à titre subsidiaire, une nouvelle expertise doit déterminer la date de consolidation de l'état de santé de Mme D... A... ; à titre infiniment subsidiaire, une contre-expertise devra être ordonnée en vue de permettre d'établir un lien de causalité suffisamment probable entre l'acte de vaccination et le syndrome développé par Mme D... A....

Par un mémoire enregistré le 13 novembre 2019, l'ONIAM, représenté par Me E..., demande à la cour de rejeter la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par les requérantes ne sont pas fondés.

La clôture de l'instruction a été fixée au 9 décembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- l'arrêté du 4 novembre 2009 relatif à la campagne de vaccination contre le virus de la grippe A (H1N1) ; ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,

- et les observations de Me G..., représentant Mmes A....

Considérant ce qui suit :

1. Alors âgée de quatorze ans, Mme D... A... a reçu, le 14 décembre 2009, en prophylaxie de la grippe due au virus A (H1N1) et dans le cadre de la campagne nationale de vaccination lancée par le ministre de la santé par arrêté du 4 novembre 2009, une dose du vaccin Pandemrix. Elle a par la suite présenté des troubles du comportement et du sommeil. Le

1er février 2012, le centre de référence des maladies rares de l'hôpital Robert Debré a diagnostiqué un syndrome de Kleine-Levin. Estimant que la survenue de cette pathologie résultait de l'injection du vaccin Pandemrix, Mme C... A..., agissant au nom de sa fille mineure, a sollicité en 2013 une mesure d'expertise auprès du tribunal de grande instance de Versailles ; un rapport a été déposé en mai 2015. Par courrier du 26 février 2016, Mmes A... ont demandé à l'ONIAM de réparer, sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-4 du code de la santé publique, les préjudices qu'elles ont subis du fait de la vaccination de Talila. L'office ayant refusé de les indemniser, elles ont saisi le tribunal administratif de Melun en vue, à titre principal, de faire condamner l'ONIAM à leur verser la somme totale de 1 112 245 euros en réparation des préjudices subis du fait de la vaccination, ou à titre subsidiaire, d'ordonner une nouvelle expertise permettant de fixer la date de consolidation de l'état de santé de Talila ; enfin, à titre infiniment subsidiaire, elles demandaient que soit ordonnée une contre-expertise. Par le jugement du 30 janvier 2019 dont elles relèvent appel, le tribunal a rejeté leurs demandes.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Il ressort des termes du jugement attaqué que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de développer les raisons pour lesquelles ils estimaient inutile la réalisation d'une nouvelle expertise, ont énoncé de façon suffisamment complète et précise les motifs qui les ont conduits à rejeter les demandes indemnitaires des requérantes. Par suite, ledit jugement, qui est suffisamment motivé, n'est pas irrégulier.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la demande de réparation par l'ONIAM :

3. Aux termes de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique : " En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population. ". Par ailleurs, aux termes de l'article 1er de l'arrêté susvisé du 4 novembre 2009 : " Une campagne de vaccination est conduite sur l'ensemble du territoire national pour permettre aux personnes qui le souhaitent de se faire immuniser contre le virus de la grippe A (H1N1) ". Enfin, aux termes de l'article L. 3131-4 du code de la santé publique : " Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales imputables à des activités de prévention, de diagnostic ou de soins réalisées en application de mesures prises conformément aux articles L. 3131-1 ou L. 3134-1 est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales mentionné à l'article L. 1142-22. ".

4. Les dispositions précitées de l'article L. 3131-4 du code de la santé publique prévoient la réparation intégrale par l'ONIAM, en lieu et place de l'État, des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales imputables à des activités de prévention ou de soins réalisées en application de mesures prises conformément aux articles L. 3131-1 ou L. 3134-1 du même code, sans qu'il soit besoin d'établir l'existence d'une faute ni la gravité particulière des préjudices subis. Il résulte en outre de ces dispositions que la réparation incombant à l'ONIAM bénéficie à toute victime, c'est-à-dire tant à la personne qui a subi un dommage corporel du fait de l'une de ces mesures qu'à ceux de ses proches qui en subissent directement les conséquences.

5. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise déposé devant le tribunal de grande instance de Versailles en mai 2015 et des pièces produites par les requérantes, que Mme D... A..., vaccinée le 14 décembre 2009 contre la grippe A (H1N1), est atteinte du syndrome très rare de Kleine-Levin, qui se manifeste notamment par des épisodes d'hypersomnie. Si le diagnostic de cette pathologie a été posé en février 2012, les requérantes soutiennent que les symptômes se sont manifestés dès le mois de janvier 2010, un mois après la vaccination. Elles ne versent toutefois au dossier, pour établir le bref délai qui se serait écoulé entre l'injection et la survenue de la maladie, que des témoignages imprécis rédigés par des proches en 2013, mentionnant les problèmes de sommeil de la victime, un " carnet de bord " non daté tenu par sa mère, ainsi que des bulletins scolaires, dépourvus de valeur probante sur ce point. Il résulte en revanche de plusieurs documents, établis dès 2011, notamment des comptes rendus médicaux, que la première véritable crise d'hypersomnie de Talila A... a eu lieu en novembre 2010, les experts relevant pour leur part que, selon les dires de la mère de l'adolescente, une crise aurait eu lieu en avril 2010. Par ailleurs, si la littérature scientifique produite au dossier fait état d'un lien établi entre la survenue de cas de narcolepsie avec cataplexie en lien avec une injection du vaccin Pandemrix, en moyenne dans les trois à quatre mois suivant la vaccination, seul un cas de syndrome de Kleine-Levin a été rapporté selon les experts, au tableau clinique très différent de celui présenté par Talila A.... Dans ces conditions, et sans qu'il apparaisse utile d'ordonner une nouvelle expertise, le lien de causalité entre la vaccination par Pandemrix et l'apparition de la pathologie de la requérante ne saurait être regardé comme suffisamment probable pour justifier en application des dispositions de l'article L. 3131-4 du code de la santé publique une réparation par l'ONIAM des préjudices subis du fait de cette pathologie.

En ce qui concerne le défaut d'information :

6. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel (...) En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen. ".

7. Il résulte de ces dispositions que l'ONIAM ne saurait, en tout état de cause, assurer la réparation d'un préjudice né le cas échéant d'un défaut d'information de Mme A... quant aux risques présentés par la vaccination contre le virus de la grippe A (H1N1), intervenue au sein du collège fréquenté par la victime, dans le cadre d'une campagne lancée par l'État sur le fondement de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. Les conclusions présentées à ce titre par les requérantes ne peuvent donc qu'être rejetées.

8. Il résulte de tout ce qui précède que Mmes A... ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté leurs demandes.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'ONIAM, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mmes A... réclament au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mmes A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A..., à Mme C... A... et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 21 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

- M. F..., premier vice-président,

- M. Bernier, président-assesseur,

- Mme B..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 6 février 2020.

Le rapporteur,

G. B...Le président,

M. F...

Le greffier,

A. DUCHER

La République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé, en ce qui la concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

4

N° 19PA01020


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA01020
Date de la décision : 06/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-005-02 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité sans faute. Actes médicaux.


Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : Cabinet CGM

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-02-06;19pa01020 ?
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