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06/02/2020 | FRANCE | N°18PA02126

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 06 février 2020, 18PA02126


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 14 mars 2018 par lequel le préfet de police de Paris lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays à destination duquel il sera éloigné.

Par un jugement n° 1804853 du 25 mai 2018, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 14 mars 2018 portant obligation de quitter le territoire et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la cour :
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 14 mars 2018 par lequel le préfet de police de Paris lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays à destination duquel il sera éloigné.

Par un jugement n° 1804853 du 25 mai 2018, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 14 mars 2018 portant obligation de quitter le territoire et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 22 juin 2018 et 24 juillet 2018, le préfet de police demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif.

Il soutient que :

- c'est à tort que le premier juge a annulé la décision portant obligation de quitter le territoire français au motif qu'il avait méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention ne New York relative aux droits de l'enfant ;

- les autres moyens invoqués par M. D... dans ses écritures de première instance ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense et d'appel incident enregistré le 29 janvier 2019, M. D..., représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) d'annuler le jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions à fin d'injonction ;

3°) d'enjoindre au préfet de police, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, de lui délivrer un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement doit être confirmé en tant qu'il reconnaît que l'intérêt supérieur de son enfant a été méconnu par la mesure litigieuse ;

- c'est à tort que ses conclusions à fin d'injonction ont été rejetées, dès lors qu'il bénéficie d'un titre de séjour de plein droit en qualité de parent d'un enfant français.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris du 14 novembre 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention de New York relative aux droits de l'enfant ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant algérien, est entré en France en 2011. Par un arrêté du

14 mars 2018, le préfet de police de Paris lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 25 mai 2018, le tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté et rejeté le surplus de la demande de l'intéressé tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de police de lui délivrer un titre de séjour. Le préfet de police, par la voie de l'appel principal, et M. D..., par la voie de l'appel incident, relèvent appel de ce jugement en tant qu'il leur est défavorable.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes du 1 de l'article 3 de la convention de New York relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

3. M. D..., alors pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance sous une fausse identité, est devenu père d'un enfant de nationalité française né le 19 décembre 2017. Il ressort des pièces du dossier que, dès sa naissance, l'enfant a fait l'objet d'un signalement auprès des services sociaux, au regard notamment de la situation d'instabilité de ses parents et des relations violentes au sein du couple, y compris durant la grossesse ; l'enfant a été placé auprès des services de l'aide sociale à l'enfance et une mesure judiciaire d'investigation éducative a été mise en oeuvre. Compte tenu de la fragilité des deux parents, le juge des enfants n'a accordé à M. D... qu'un droit de visite médiatisée bihebdomadaire. Au cours de son audition par les services de police, l'intéressé a indiqué que son fils n'était pas à sa charge et qu'il ne connaissait pas l'adresse précise du centre où il était placé. Se prononçant le 6 novembre 2018 sur le maintien du placement de l'enfant, le juge du tribunal pour enfants de Paris a relevé qu'au cours de ces visites, M. D... se montrait mobilisé, avait des rapports constants et adaptés avec son fils, mais que sa relation avec la mère de l'enfant demeurait " relativement obscure, de sorte que les professionnels se questionnaient sur ses capacités à protéger son fils de ce climat ". Il ressort également de ce jugement que les deux parents n'apparaissent pas en capacité d'offrir un environnement suffisamment sécurisant à leur fils, propice à son bon développement, ce qui a conduit, postérieurement à l'arrêté contesté, à la confirmation de la mesure de placement, au maintien d'un encadrement pour les visites de M. D... et à ce que soit préconisée l'orientation de l'enfant vers un accueil familial. Dans ces conditions, au regard notamment de la précarité persistante de M. D... sur le plan social et financier, et des doutes émis par le juge des enfants sur son aptitude à assurer l'éducation et l'entretien de l'enfant, la décision en litige, si elle a pour effet de limiter les possibilités de visite à son fils, n'a pas, dans les circonstances de l'espèce, été prise en méconnaissance de l'intérêt supérieur de ce dernier. Par suite, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 14 mars 2018 au motif qu'il méconnaissait les stipulations précitées.

4. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... tant devant le tribunal administratif de Paris que devant elle.

5. En premier lieu, l'arrêté en litige vise les textes applicables, notamment les dispositions du I et du II de l'article L. 511-1-1 de code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle indique en outre que M. D..., dépourvu de document transfrontière et de titre de séjour, ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, et qu'une mesure d'éloignement ne porte pas, dans les circonstances de l'espèce, une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Il comporte ainsi l'énoncé des circonstances de droit et de fait qui en constituent le fondement, et est, par suite, suffisamment motivé.

6. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet n'aurait pas procédé à un examen sérieux de la situation personnelle de M. D....

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dispose " 1. Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / 2. Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) " ; il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non aux États membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de leur violation par une autorité d'un Etat membre est inopérant. Toutefois, le droit d'être entendu, qui découle du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union, implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne.

8. Il ressort des pièces du dossier que la mesure litigieuse a été prise après le placement en garde à vue de M. D... en raison de la plainte pour harcèlement moral déposée par sa compagne ; à cette occasion, il a été auditionné le 13 mars 2018 par les services de police qui l'ont mis à même de présenter ses observations sur son entrée en France ainsi que sur les conditions de son séjour et sa situation personnelle. Le moyen tiré de la méconnaissance de son droit d'être entendu doit par suite être écarté comme manquant en fait.

9. En dernier lieu, M. D... déclare être entré en France en 2011, sous une fausse identité, afin de bénéficier de la protection accordée aux mineurs isolés auprès des services de l'aide sociale à l'enfance. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que l'intéressé ne maîtrise pas l'usage du français en dépit de la durée de son séjour, n'a fait preuve d'aucun effort d'insertion sociale et a déclaré, lors de son audition du 13 mars 2018, avoir fait à plusieurs reprises l'objet d'interpellations pour vol, consommation de stupéfiants et usage de drogue. De plus, M. D... ne saurait se prévaloir à l'appui de sa demande de sa relation avec la mère de son fils, prise en charge par les services sociaux en raison de sa grande fragilité psychique, et dont le caractère tumultueux est établi au regard des pièces du dossier. Enfin, M. D... n'est pas dépourvu d'attaches dans son pays d'origine, l'Algérie, où résident ses parents et où il a vécu durant la majorité de sa vie. Dès lors, et compte tenu également des motifs énoncés au point 3 du présent arrêt, le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l'intéressé.

10. Il résulte de tout ce précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 14 mars 2018, à demander l'annulation de ce jugement ainsi que le rejet de la demande de première instance de M. D....

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par M. D..., n'appelle, par lui-même, aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par le requérant doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions combinées du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au bénéfice du conseil de M. D... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1804853/5-3 du tribunal administratif de Paris du 25 mai 2018 est annulé.

Article 2 : La demande de première instance et les conclusions d'appel de M. D... sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. E... D....

Copie en sera transmise au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 21 janvier 2020 à laquelle siégeaient :

- M. C..., premier vice-président,

- M. Bernier, président-assesseur,

- Mme B..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 6 février 2020.

Le rapporteur,

G. B...Le président,

M. C...Le greffier,

A. DUCHER

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°18PA02126

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA02126
Date de la décision : 06/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : CABINET HUG et ABOUKHATER

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-02-06;18pa02126 ?
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