Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes (Matmut) a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision par laquelle l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) a implicitement rejeté sa demande indemnitaire préalable du 25 mars 2016 et de condamner l'AP-HP à lui verser la somme totale de 727 909,93 euros, en remboursement des prestations versées pour le compte de son assuré, somme assortie des intérêts aux taux légal à compter de sa demande préalable.
Par un jugement n° 1610885/6-2 du 29 mars 2018, le tribunal administratif de Paris a condamné l'AP-HP à verser à la Matmut la somme totale de 465 339,20 euros avec intérêts à compter du 29 mars 2016 et a mis à la charge définitive de l'AP-HP les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 851,70 euros.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, un mémoire complémentaire et des pièces, enregistrés les 29 mai 2018, 18 juillet 2018 et 1er août 2018, l'AP-HP, représentée par Me C..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1610885/6-2 du 29 mars 2018 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'ordonner, avant dire droit, une nouvelle mesure d'expertise, confiée à un infectiologue, pour confirmer l'origine des deux dernières infections et préciser la part de ces deux infections dans les dommages subis par M. B... ;
3°) de ramener le montant de la somme allouée à la Matmut à de plus justes proportions.
Elle soutient que :
- le jugement est entaché d'irrégularité dès lors qu'il est insuffisamment motivé et qu'il ne répond pas à l'ensemble des moyens qu'elle a invoqués ;
- les premiers juges ont commis une erreur d'appréciation en considérant que les infections de mai 2007 et août 2008 résultaient directement de l'infection nosocomiale contractée par M. B... en mai 2006 ;
- les premiers juges ont procédé à une évaluation excessive des préjudices subis par M. B... et décrits par l'expert le docteur Istria ;
- la somme allouée au titre des souffrances endurées qui ont été évaluées à 6,5/7 dont 3,5/7 imputables aux complications ne saurait dépasser le montant de 5 000 euros ;
- la somme allouée au titre du préjudice esthétique permanent qui a été évalué à 4/7 par l'expert dont 1,5/7 imputables aux complications ne saurait dépasser le montant de 1 400 euros.
Par des mémoires en défense et en appel incident, enregistrés le 11 octobre 2018 et le 26 février 2019, la Matmut, représentée par Me D..., demande à la Cour :
1°) de confirmer le jugement n° 1610885/6-2 du 29 mars 2018 rendu par le tribunal administratif de Paris s'agissant des postes de préjudices liés à l'assistance par tierce personne, aux dépenses de santé futures, aux pertes de gains professionnels actuels, au déficit fonctionnel permanent, aux souffrances endurées, aux frais de véhicule adapté ainsi que s'agissant de la condamnation de l'AP-HP au paiement des dépens et de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de réformer le jugement de tribunal administratif de Paris s'agissant du chiffrage du déficit fonctionnel temporaire, du préjudice sexuel, du préjudice d'agrément, du préjudice lié à la pathologie évolutive, de l'incidence professionnelle et du préjudice esthétique permanent ;
3°) de condamner l'AP-HP à lui verser la somme de 727 909,93 euros avec intérêts aux taux légal à compter de la demande préalable d'indemnisation ;
4°) de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par l'AP-HP ne sont pas fondés ;
- l'indemnité au titre du déficit fonctionnel temporaire doit être portée à la somme de 9 394,66 euros, du préjudice sexuel à la somme de 11 250 euros, du préjudice d'agrément à la somme de 17 500 euros, de l'incidence professionnelle à la somme de 315 000 euros, du préjudice esthétique permanent à la somme de 7 500 euros et le préjudice lié au caractère évolutif de la pathologie doit être fixé à 10 000 euros.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code civil ;
- le code des assurances ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., avocat de l'AP-HP.
Considérant ce qui suit :
1. Le 31 mars 2006, M. B..., qui se déplaçait à moto, a été victime d'un accident de la circulation provoqué par un assuré auprès de la Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes (Matmut). Il a été transporté à l'hôpital Bichat relevant de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) où il a subi deux interventions chirurgicales pour traiter une luxation du genou, une fracture de la rotule et une rupture des ligaments croisés. Il a ensuite été hospitalisé à plusieurs reprises et a subi trois complications infectieuses en mai 2006, mai 2007 et août 2008 qui ont conduit à une ablation de la rotule. Par une transaction du 26 mars 2010, la Matmut a pris en charge la réparation des préjudices de M. B... portant sur un montant de 440 301,60 euros puis en exécution du jugement du tribunal de grande instance de Bobigny du 19 avril 2013 a été mise à sa charge et à celle de son assuré la somme de 876 295,12 euros. Le 25 mars 2016, la Matmut a adressé une demande indemnitaire préalable tendant au remboursement de ces sommes à l'AP-HP qui l'a reçue le 29 mars 2016 et l'a implicitement rejetée. Par la présente requête, l'AP-HP demande l'annulation du jugement du 29 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Paris l'a condamnée à verser à la Matmut la somme totale de 465 339,20 euros avec intérêts à compter du 29 mars 2016 et a mis à la charge définitive de l'AP-HP les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 851,70 euros. La Matmut, par la voie de l'appel incident, demande la réformation de ce jugement afin que la somme mise à la charge de l'AP-HP soit portée à 727 909,93 euros.
Sur la régularité du jugement :
2. Si l'AP-HP a soutenu dans sa requête introductive d'instance que le jugement attaqué était insuffisamment motivé et ne répondait pas à l'ensemble des moyens invoqués en défense, ces moyens ne sont pas assortis des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé. Ainsi, à supposer même que l'AP-HP ne puisse être regardée comme y ayant renoncé, ces moyens ne peuvent qu'être écartés.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la responsabilité de l'AP-HP :
3. S'agissant de la première infection, les premiers juges ont estimé, ce qui n'est pas contesté en appel, qu'il s'agissait d'une infection nosocomiale apparue en mai 2006 suite à l'intervention réalisée sur le genou gauche de M. B... en avril 2006 au sein de l'Hôpital Bichat relevant de l'AP-HP. Il incombait donc à l'AP-HP de prendre en charge l'indemnisation des dommages liés à cette infection, dès lors, d'une part, qu'elle a entrainé des conséquences excluant une indemnisation au titre de la solidarité nationale et, d'autre part, que l'AP-HP ne se prévaut d'aucune cause étrangère à l'origine de cette infection.
4. S'agissant des infections survenues en mai 2007 et août 2008, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise du sapiteur le docteur Carbonne et des notes techniques des 16 mai et 16 juin 2008 des docteurs Sulman et Bondeelle, que ces infections, lesquelles ne sont pas nosocomiales, ont été rendues possibles par les conséquences de l'infection nosocomiale de mai 2006 qui a extrêmement fragilisé la rotule et la peau créant un foyer infectieux persistant à ce niveau. Par suite, il existe un lien de causalité entre l'infection nosocomiale de mai 2006 et les deuxième et troisième infections de mai 2007 et août 2008 comme l'ont jugé à bon droit les premiers juges. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient l'AP-HP, il ne résulte pas de l'instruction que la maladie de Buerger, d'origine vasculaire, antécédent médical de M. B... puisse être regardée comme étant susceptible d'avoir eu une quelconque incidence s'agissant de la survenance des deux dernières infections précitées.
5. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que l'AP-HP était responsable de l'intégralité des dommages liés à l'infection nosocomiale contractée par M. B... en mai 2006 dont les conséquences sont à l'origine de la survenance des infections de mai 2007 et août 2008. La demande de l'AP-HP tendant à la réformation du jugement attaqué sur ce point doit être rejetée.
En ce qui concerne l'évaluation des préjudices :
S'agissant des préjudices patrimoniaux :
6. Il résulte de l'instruction que les séquelles de boiterie et l'incapacité à rester debout de façon prolongée de M. B... dues aux complications infectieuses précitées ont une incidence sur sa carrière d'acteur et de chanteur et sur les conditions d'exercice de sa profession. Ainsi, non seulement le développement de sa carrière a été freiné lors des périodes d'incapacité mais il ne peut plus désormais jouer les rôles avec une activité physique importante qui étaient sa spécialité avant l'accident et la limitation fonctionnelle de son genou et les douleurs associées sont à l'origine d'une pénibilité accrue lors des tournages. Les premiers juges ont procédé à une juste évaluation du préjudice lié à l'incidence professionnelle résultant des conséquences de l'accident dont M. B... a été victime en chiffrant ce préjudice à la somme totale de 80 000 euros et en fixant la part lié aux complications infectieuses sur cette incidence professionnelle à 45 %, et en allouant de ce chef la somme de 36 000 euros à la Matmut. En conséquence, les conclusions d'appel incident présentées par la Matmut au titre de ce chef de préjudice ne peuvent qu'être rejetées.
S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux :
Au titre du déficit fonctionnel temporaire :
7. Il résulte du rapport d'expertise du 31 août 2009 que le déficit fonctionnel temporaire de M. B... imputable aux complications infectieuses, indemnisé par la Matmut, est de 33 % entre le 1er mars 2007 et le 7 septembre 2008, et total du 8 septembre 2008 au 4 décembre 2008. Les premiers juges ont procédé à une juste appréciation de ce poste de préjudice en accordant de ce chef à la Matmut la somme de 3 290 euros. En conséquence, les conclusions d'appel incident présentées par la Matmut au titre de ce chef de préjudice ne peuvent qu'être rejetées.
Au titre des souffrances endurées :
8. Il résulte du rapport d'expertise du 31 août 2009 que les souffrances totales endurées par M. B... sont évaluées à 6,5/7 dont 3,5 sont imputables aux complications infectieuses. Ainsi, en l'absence de toute infection, l'accident dont a été victime M. B... ne lui aurait occasionné que des douleurs évaluées à 3 sur une échelle de 7, donc modérées, alors que la survenue des complications infectieuses a porté le degré des douleurs subies, ainsi qu'il a été dit, à 6,5 sur 7, qui est un niveau particulièrement élevé. Par suite, les infections subies par M. B... justifient une indemnisation plus élevée que celle qui correspondrait à 3,5 points, considéré indépendamment de ce que ces infections ont eu pour conséquence de porter le taux à 6,5/7. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, les premiers juges ont procédé à une juste évaluation de ce chef de préjudice en accordant à la Matmut la somme de 26 500 euros. Les conclusions de l'AP-HP demandant à ce que la somme allouée à ce titre par les premiers juges soit diminuée doivent donc être écartées.
Au titre du préjudice esthétique permanent :
9. Il résulte du rapport d'expertise du 31 août 2009 que le préjudice esthétique permanent subi par M. B... consécutivement aux complications infectieuses, que la Matmut a effectivement indemnisées à l'occasion de la transaction du 26 mars 2010, a été évalué à 4/7, dont 1,5 sont imputables aux complications infectieuses. Ainsi, sans ces complications, le préjudice esthétique de M. B... aurait été évalué à 2,5/7. Par suite, les infections subies par M. B... justifient une indemnisation plus élevée que celle qui correspondrait à 1,5 points, considéré indépendamment de ce que ces infections ont eu pour conséquence de porter le taux à 4/7. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, les premiers juges ont procédé à une juste évaluation de ce chef de préjudice en accordant à la Matmut la somme de 5 500 euros. Les conclusions de l'AP-HP demandant à ce que la somme allouée à ce titre par les premiers juges soit diminuée doivent donc être rejetées ainsi que les conclusions en appel incident de la Matmut demandant l'attribution d'une somme plus importante à ce titre.
Au titre du préjudice sexuel :
10. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du 31 août 2009, que M. B... subit un préjudice sexuel constitué par une perte de libido ainsi qu'une gêne dans les rapports sexuels résultant de l'impotence de son genou. Les premiers juges ont procédé à une juste appréciation de ce préjudice, dont 75 % est imputable aux complications infectieuses, en allouant à la Matmut à ce titre la somme de 3 750 euros.
Au titre du préjudice d'agrément :
11. Les premiers juges ont également fait une juste appréciation du préjudice d'agrément subi par M. B... compte tenu des nombreuses activités physiques et sportives qu'il pratiquait de façon quotidienne et à un haut niveau en condamnant l'AP-HP à verser à la Matmut à ce titre la somme de 6 500 euros.
Au titre du préjudice lié à la pathologie évolutive :
12. Dès lors que la Matmut n'apporte en cause d'appel aucun élément nouveau ou déterminant au soutien de ses prétentions concernant ce chef de préjudice, il y a lieu de rejeter ses conclusions d'appel incident par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.
13. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, l'AP-HP n'est pas fondée à demander à ce que les sommes allouées à la Matmut au titre des souffrances endurées et du préjudice esthétique permanent soient réduites. D'autre part, la Matmut n'est pas fondée à demander, par ses conclusions en appel incident, que les sommes qui lui ont été allouées par le jugement attaqué au titre du déficit fonctionnel temporaire, du préjudice sexuel, du préjudice d'agrément, du préjudice lié à la pathologie évolutive, de l'incidence professionnelle et du préjudice esthétique permanent soient augmentées.
Sur les dépens :
14. Compte tenu de ce qui précède la somme de 1 851,70 euros correspondant aux frais de l'expertise, liquidés et taxés par l'ordonnance du 22 septembre 2009 du vice-président du tribunal administratif de Paris, est maintenue à la charge de l'AP-HP.
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de condamner l'AP-HP, par application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à la Matmut la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris est rejetée.
Article 2 : Les conclusions en appel incident de la Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris et à la Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes.
Délibéré après l'audience du 9 janvier 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Luben, président assesseur,
- Mme A..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 30 janvier 2020.
Le rapporteur,
A. A...Le président,
J. LAPOUZADE
Le greffier,
Y. HERBERLa République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA01840