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30/01/2020 | FRANCE | N°17PA20278

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 30 janvier 2020, 17PA20278


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... E... D... a demandé au Tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le centre hospitalier de Colson sur sa demande préalable du 20 mars 2015 et de condamner le centre hospitalier de Colson à lui verser une indemnité de 100 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.

Par un jugement n° 1500489 du 25 octobre 2016, le Tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.

Procédure devant la C

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Par une requête enregistrée le 26 janvier 2017 et un mémoire enregistré le

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... E... D... a demandé au Tribunal administratif de la Martinique d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le centre hospitalier de Colson sur sa demande préalable du 20 mars 2015 et de condamner le centre hospitalier de Colson à lui verser une indemnité de 100 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.

Par un jugement n° 1500489 du 25 octobre 2016, le Tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 26 janvier 2017 et un mémoire enregistré le

20 novembre 2017, dont le jugement a été attribué à la Cour administrative d'appel de Paris par ordonnance du président de la section du contentieux de Conseil d'État du 1er mars 2019, sur le fondement des dispositions de l'article R. 351-8 du code de justice administrative, Mme E... D..., représentée par Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1500489 du Tribunal administratif de la Martinique en date du 25 octobre 2016 ;

2°) d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande du 20 mars 2015 ;

3°) de condamner le centre hospitalier de Colson à lui verser la somme de 60 000 euros en réparation de son préjudice moral et la somme de 100 000 euros en réparation de son préjudice matériel ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle est victime de harcèlement moral ;

- elle justifie de faits répétitifs de nature à entraver toute évolution professionnelle et de déménagements vexatoires et intempestifs ; elle était isolée ;

- l'administration ne justifie pas du gel qu'elle invoque pour justifier son absence d'intégration ;

- elle a fait l'objet d'évaluations abusives et irrégulières ;

- elle a été victime de discrimination, un autre collègue ayant été titularisé ;

- elle s'est vu confier des tâches ne relevant pas de sa mission et de ses compétences ;

- le harcèlement dont elle a été victime a eu des répercussions sur son état de santé ;

- elle a subi de graves préjudices.

Par des mémoires en défense enregistrés les 21 avril 2017 et 16 janvier 2018, l'établissement public de santé mentale de la Martinique, centre hospitalier de Colson, représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête de Mme E... D... et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à sa charge sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;

- la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique ;

- le décret n° 91-868 du 5 septembre 1991 portant statuts particuliers des personnels techniques de la fonction publique hospitalière,

- le décret n° 2013-121 du 6 février 2013 ;

- l'arrêté du 23 octobre 1992 fixant la liste des titres ou diplômes permettant l'accès aux concours sur titres d'ingénieur hospitalier ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- et les conclusions de M. Lemaire, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... D... a été employée, sous contrat à durée indéterminée, par le centre hospitalier de Colson et affectée à la direction des systèmes d'information et d'organisation en qualité d'analyste à compter du 15 novembre 2005, puis en qualité d'ingénieur hospitalier principal en 2010, après l'obtention du master " systèmes d'information et de connaissance ". Par un courrier du 20 mars 2015, elle a demandé au centre hospitalier de Colson de l'indemniser du préjudice subi à raison du harcèlement dont elle s'estimait victime. Mme E... D... fait appel du jugement du 25 octobre 2016 par lequel le Tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Colson à lui verser la somme de 100 000 euros au titre de ce préjudice.

2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droit et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) Les dispositions du présent article sont applicables aux agents non titulaires de droit public. ".

3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

4. Mme E... D... soutient qu'elle a été victime de traitements discriminatoires et de harcèlement moral au travers d'agissements ayant consisté à entraver son évolution professionnelle, à lui imposer des déménagements intempestifs et vexatoires, à l'isoler géographiquement et professionnellement, à lui confier des tâches ne relevant pas de ses compétences et de ses fonctions, à lui faire passer des évaluations abusives et irrégulières et, d'une manière général, à adopter à son égard un comportement malveillant, ses demandes de formation, de remboursement de ses frais de repas, de fiche de poste ou d'entretien n'ayant pas reçu de réponse positive.

5. Mme E... D... fait tout d'abord valoir que son évolution professionnelle a été entravée, dès lors que, malgré ses nombreuses demandes, l'absence d'organisation d'un concours sur titre d'ingénieur l'a empêchée d'être titularisée au sein du centre hospitalier de Colson. Il ressort des pièces du dossier qu'elle a adressé, à partir de décembre 2008 et jusqu'en 2014, de très nombreux courriers au directeur du centre hospitalier, au directeur des ressources humaines, à la direction générale de l'établissement public de santé mentale de la Martinique, ainsi qu'au directeur général de l'agence régionale de santé, au sujet de sa candidature pour un poste d'ingénieur informatique, de l'organisation de ce concours sur titres et de son intégration et il ressort d'une attestation établie par le chef d'établissement en poste en 2010 que celui-ci avait " demandé (...) à la direction des ressources humaines de mettre en oeuvre la procédure permettant son accès à la titularisation ".

6. Si un avis de concours sur titres a été publié le 5 janvier 2012 conformément aux consignes de l'ancien directeur, il résulte de l'instruction que le recrutement n'a pas été mené à son terme pour des raisons budgétaires, ainsi que la requérante en a été informée par un courrier du 15 octobre 2012. Au demeurant, il est constant que Mme E... D... ne disposait pas d'un diplôme d'ingénieur figurant au tableau annexé à l'arrêté du

23 octobre 1992 fixant la liste des titres ou diplômes permettant l'accès aux concours sur titres d'ingénieur hospitalier. Par ailleurs, il ressort de l'annexe 1 du décret n° 2013-121 du 6 février 2013 pris pour l'application du chapitre III du titre Ier de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 que le grade d'ingénieur hospitalier principal n'était pas accessible par la voie du concours réservé et Mme E... D... a, par des courriers des 23 décembre 2015 et 28 mars 2017, elle-même indiqué ne pas souhaiter qu'un concours sur emploi réservé soit organisé, les conditions financières d'une titularisation dans le grade d'ingénieur hospitalier lui apparaissant défavorables.

7. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que la requérante aurait fait l'objet d'une différence de traitement injustifiée par rapport à ses collègues du fait des refus opposés à ses demandes de titularisation, dès lors notamment qu'aucun titulaire n'a été recruté sur un emploi d'ingénieur hospitalier au cours de la période en litige. Elle ne saurait donc invoquer une discrimination faisant présumer l'existence d'un harcèlement alors qu'il n'est en outre pas contesté que, conformément à son contrat de travail, elle a bénéficié d'un avancement par référence aux durées moyennes fixées par la grille indiciaire des analystes de classe normale puis des ingénieurs hospitaliers principaux.

8. Ainsi, il résulte de l'instruction que l'administration n'a ni délibérément entravé son intégration, ni traité la demande de titularisation de Mme E... D... de manière malveillante ou discriminatoire. La circonstance, au demeurant non établie, que Mme E... D... aurait reçu, lors de son recrutement en 2005, des assurances quant à une titularisation sur un poste d'ingénieur hospitalier après l'obtention d'un diplôme de Master 2 est sans incidence sur cette appréciation des faits. Ainsi, la circonstance que le centre hospitalier ait rejeté ses demandes sur ce point ne suffit pas à faire présumer une situation de harcèlement

9. En revanche, il ressort des pièces du dossier, notamment des courriers adressés par la requérante au directeur, de l'étude de poste réalisée par un médecin du travail le 21 janvier 2010 et des attestations établies par un collègue et un représentant du personnel, que Mme E... D... a, dès le mois de janvier 2010, alerté la direction du centre hospitalier de Colson des pratiques managériales abusives dont elle était victime, notamment en raison du déménagement, sans information préalable, de son bureau dans un local inadapté au cours du mois de décembre 2009. Si l'administration fait valoir que, contrairement à ce qui ressort des pièces mentionnées ci-dessus, ce déménagement a concerné l'ensemble du service informatique, elle ne produit aucune pièce pour l'établir. Si l'administration fait valoir que le médecin du travail est intervenu pour décrire les conséquences sur l'état de santé de Mme E... D... de ses conditions de travail, elle n'apporte aucune pièce établissant que des mesures ont été prises pour tenir compte des préconisations du médecin du travail. Il ressort également des pièces du dossier qu'à compter d'octobre 2011, Mme E... D... a été affectée dans un local peu salubre où elle était isolée. Si l'administration fait encore valoir que les autres membres du service informatique étaient affectés dans les mêmes locaux, il ressort des attestations produites par la requérante que ses collègues étaient la plupart du temps " sur d'autres sites ". Il ressort encore des éléments produits par la requérante, notamment des deux attestations susmentionnées et d'un courrier de la requérante en date du 13 août 2016, que cet isolement géographique était doublé d'une mise à l'écart professionnelle. Si le centre hospitalier de Colson prétend que les affirmations de Mme E... D... sur ce point seraient mensongères, il ne produit aucune pièce pour étayer cette affirmation. En particulier, s'il ressort d'un courrier de la directrice des ressources humaines en date du 8 juin 2015 qu'une enquête administrative a été diligentée, le centre hospitalier n'a pas communiqué à la Cour le résultat de cette enquête, si elle a été réalisée. Au demeurant, cette mesure est intervenue plus de cinq années après les courriers de janvier 2010 par lesquels la requérante dénonçait à la direction une situation de harcèlement moral. Il résulte enfin de l'instruction que cette situation a conduit à une dégradation de l'état de santé de l'intéressée, les documents médicaux produits par la requérante attestant qu'elle a souffert, à partir du mois de décembre 2009 d'un syndrome anxio-dépressif en relation avec ses conditions de travail qui a conduit à son placement en congé maladie à plusieurs reprises.

10. Ainsi l'ensemble des éléments invoqués par Mme E... D... est susceptible de faire présumer l'existence d'agissements constitutifs d'un harcèlement moral à son encontre et le centre hospitalier de Colson n'apporte aucune pièce justificative de nature à établir le bien-fondé de ses explications. Dans ces conditions, Mme E... doit être regardée comme ayant été victime de harcèlement moral et elle est fondée à en solliciter la réparation.

11. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par Mme E... D... en lui allouant la somme de 5 000 euros. En revanche, compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus aux points 6 à 8, Mme E... D... n'établit pas l'existence d'un préjudice de carrière. Ses conclusions aux fins d'indemnisation d'un préjudice matériel résultant de son absence de titularisation ne pourront dès lors qu'être rejetées.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Martinique a rejeté ses conclusions tendant à l'indemnisation de son préjudice moral.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Colson le versement à Mme E... D... de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées au titre des mêmes dispositions par le centre hospitalier de Colson.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1500489 du Tribunal administratif de la Martinique est annulé.

Article 2 : Le centre hospitalier de Colson est condamné à verser à Mme E... D... la somme de 5 000 euros.

Article 3 : Le centre hospitalier de Colson versera la somme de 1 500 euros à Mme E... D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Les conclusions du centre hospitalier de Colson tendant au remboursement de ses frais exposés et non compris dans les dépens sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... E... D... et au centre hospitalier de Colson.

Copie en sera adressée au ministre de l'outre-mer.

Délibéré après l'audience du 16 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Formery, président de chambre,

- Mme Lescaut, premier conseiller,

- M. A..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 30 janvier 2020.

Le rapporteur,

F. A...Le président,

S.-L. FORMERY

Le greffier,

F. DUBUY

La République mande et ordonne au ministre de la santé en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17PA20278


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA20278
Date de la décision : 30/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique. Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. FORMERY
Rapporteur ?: M. François DORE
Rapporteur public ?: M. LEMAIRE
Avocat(s) : RENAR LEGRAND

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-01-30;17pa20278 ?
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