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23/01/2020 | FRANCE | N°18PA02586

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 23 janvier 2020, 18PA02586


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'État à lui verser la somme de 27 319, 08 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité de la décision par laquelle le préfet de police a refusé de renouveler son titre de séjour.

Par un jugement n° 1706146/2-2 du 28 mai 2018, le tribunal administratif de Paris a condamné l'État à verser à M. B... la somme de 2 800 euros et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la

Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 27 juillet 2018 et le 13 m...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'État à lui verser la somme de 27 319, 08 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité de la décision par laquelle le préfet de police a refusé de renouveler son titre de séjour.

Par un jugement n° 1706146/2-2 du 28 mai 2018, le tribunal administratif de Paris a condamné l'État à verser à M. B... la somme de 2 800 euros et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 27 juillet 2018 et le 13 mai 2019, M. B..., assisté de sa curatrice Mme E... et représenté par Me D..., demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 1706146/2-2 du 28 mai 2018 du tribunal administratif de Paris, en tant qu'il a limité la condamnation de l'État à la somme de 2 800 euros ;

2°) de condamner l'État à lui verser la somme de 27 319, 08 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

M. B... soutient que :

- le préfet de police a commis une faute en ne renouvelant pas son titre de séjour ;

- il justifie du préjudice matériel résultant de l'absence de versement de l'allocation aux adultes handicapés ;

- les troubles dans les conditions d'existence, liés notamment à la perte de l'aide personnalité au logement, et le préjudice moral ont été insuffisamment évalués par le tribunal.

Par un courrier du 2 octobre 2018, M. B... a demandé à la Cour d'assurer l'exécution du jugement du 28 mai 2018 du tribunal administratif de Paris.

Par des mémoires en défense enregistrés le 13 mai 2019 et le 28 novembre 2019, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Le préfet de police soutient que :

- le caractère certain du préjudice financier n'est pas établi ;

- les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice moral ont été justement évalués par le tribunal administratif ;

- la procédure d'exécution du jugement va être engagée.

Par une décision du 16 janvier 2019, le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Paris a admis M. B... à l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C... ;

- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., de nationalité haïtienne, fut titulaire d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade, valable du 15 mars 2010 au 14 mai 2011, puis du 22 mars 2012 au 21 mars 2013, et prorogé jusqu'au 14 septembre, à la suite de l'annulation de la décision de renouvellement du premier titre par un jugement du tribunal administratif de Paris du 22 mars 2012. Il a sollicité le 15 mai 2013 le renouvellement de son titre de séjour, qui, après avis du médecin-chef du service médical de la préfecture de police du 18 juillet 2013, lui a été refusé par un arrêté du préfet de police du 23 août 2013, l'obligeant par ailleurs à quitter le territoire français et fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement. Cet arrêté a été annulé par un jugement du 2 juin 2014 du tribunal administratif de Paris, devenu définitif, pour erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur la situation personnelle de M. B.... Celui-ci s'est alors vu délivrer un titre de séjour valable du 1er septembre 2014 au 31 août 2015, par la suite renouvelé, en dernier lieu jusqu'au 6 juin 2020. M. B... relève appel du jugement du 28 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Paris a seulement condamné l'Etat à lui verser la somme de 2 800 euros au titre de l'indemnisation des préjudices subis du 14 septembre 2013 au 1er septembre 2014, du fait de l'illégalité de l'arrêté du 23 août 2013.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. L'illégalité de l'arrêté du préfet de police du 23 août 2013 refusant de renouveler le titre de séjour dont M. B... bénéficiait en qualité d'étranger malade, l'obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de destination, annulé par un jugement du 2 juin 2014 du tribunal administratif de Paris pour erreur manifeste d'appréciation, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'État à raison des préjudices qui en ont résulté entre la date du 14 septembre 2013, date de fin de validité du titre de séjour antérieur, et le 1er septembre 2014, date à laquelle M. B... s'est vu délivrer un titre de séjour.

En ce qui concerne le préjudice matériel :

3. Aux termes de l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale, " Toute personne résidant sur le territoire métropolitain (...) ayant dépassé l'âge d'ouverture du droit à l'allocation prévue à l'article L. 541-1 et dont l'incapacité permanente est au moins égale à un pourcentage fixé par décret perçoit, dans les conditions prévues au présent titre, une allocation aux adultes handicapés. Les personnes de nationalité étrangère, hors les ressortissants des États membres de l'Union européenne ou parties à l'accord sur l'Espace économique européen, ne peuvent bénéficier de l'allocation aux adultes handicapés que si elles sont en situation régulière au regard de la législation sur le séjour ou si elles sont titulaires d'un récépissé de demande de renouvellement de titre de séjour (...) ". Aux termes de l'article L. 821-2 du même code, " L'allocation aux adultes handicapés est également versée à toute personne qui remplit l'ensemble des conditions suivantes : / 1° Son incapacité permanente, sans atteindre le pourcentage fixé par le décret prévu au premier alinéa de l'article L. 821-1, est supérieure ou égale à un pourcentage fixé par décret ; / 2° La commission mentionnée à l'article L. 146-9 du code de l'action sociale et des familles lui reconnaît, compte tenu de son handicap, une restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi, précisée par décret (...) ". Aux termes de l'article D. 821-1 de ce code, " Pour l'application de l'article L. 821-1, le taux d'incapacité permanente exigé pour l'attribution de l'allocation aux adultes handicapés est d'au moins 80 %. Pour l'application de l'article L. 821-2 ce taux est de 50 % (...) ". Aux termes de l'article R. 821-5 dudit code, dans sa rédaction applicable, " L'allocation aux adultes handicapés prévue à l'article L. 821-1 et le complément de ressources prévu à l'article L. 821-1-1 sont accordés par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées pour une période au moins égale à un an et au plus égale à cinq ans. L'allocation aux adultes handicapés prévue à l'article L. 821-2 est accordée par ladite commission pour une période de un à deux ans. Si le handicap n'est pas susceptible d'une évolution favorable, la période d'attribution de l'allocation aux adultes handicapés, lorsqu'elle est accordée à une personne dont le taux d'incapacité est au moins égal au pourcentage fixé par le décret prévu au premier alinéa de l'article L. 821-1, et la période d'attribution du complément de ressources peuvent excéder cinq ans sans toutefois dépasser dix ans. Toutefois, avant la fin de la période ainsi fixée et à la demande de l'intéressé, de l'organisme débiteur ou du préfet de département, les droits à l'allocation et au complément de ressources peuvent être révisés, en cas de modification de l'incapacité du bénéficiaire ".

4. Il résulte des dispositions mentionnées au point 3 que, lorsque son taux d'incapacité permanente est inférieur à 80 % mais supérieur à 50 %, la personne peut bénéficier de l'allocation aux adultes handicapés prévue à l'article L. 821-1 du code de la sécurité sociale, lorsque la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées reconnaît, compte tenu du handicap, une restriction substantielle et durable pour l'accès à l'emploi, cette allocation étant versée pour une période de un à deux ans.

5. Il résulte de l'instruction, notamment de la notification, à lui faite, d'une décision de délivrance d'une carte de priorité en faveur des personnes handicapées, que M. B..., qui a obtenu la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé pour la période du 21 février 2012 au 20 février 2017 à la suite d'une décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, présente un taux d'incapacité permanente inférieur à 80 %, la notification précitée précisant que cette reconnaissance ne procure aucune prestation financière. Le requérant, qui n'a pas produit la décision lui accordant le bénéfice de l'allocation aux adultes handicapés, se borne, d'une part, à se prévaloir de sa qualité de personne handicapée pour la période précitée et d'un jugement du juge des tutelles du tribunal d'instance de Paris du 18 mars 2014 le plaçant sous curatelle renforcée, et, d'autre part, à produire une attestation de droits mentionnant le versement de l'allocation aux adultes handicapés de janvier à août 2013 et à soutenir que sa situation personnelle n'était pas susceptible de s'améliorer. Il ne justifie ainsi pas qu'un droit à cette allocation lui aurait été reconnu ou aurait été susceptible de l'être au motif qu'il remplissait toutes les conditions légales pour en bénéficier à l'exception d'un titre de séjour en cours de validité, au titre de la période du 14 septembre 2013 au 1er septembre 2014, ni que le versement de l'allocation dont il bénéficiait antérieurement aurait été suspendu du fait de l'absence de renouvellement de son titre de séjour. Dans ces conditions, M. B... n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait été indûment privé du versement de l'allocation aux adultes handicapés d'un montant mensuel de 776,59 euros pour une durée de douze mois et à demander la condamnation de l'État à lui verser au titre du préjudice matériel une somme de 9 319,08 euros.

En ce qui concerne les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice moral :

6. D'une part, M. B... soutient que, du fait du refus illégal de renouvellement de son titre de séjour, le versement de l'aide personnalisée au logement dont il bénéficiait a été suspendu et qu'il a ainsi fait l'objet d'une résiliation de son bail par une ordonnance de référé du 17 décembre 2014 du tribunal d'instance de Paris le condamnant par ailleurs au paiement notamment d'une dette de 4 405 euros et d'indemnités d'occupation de 2 806, 68 euros ayant généré un découvert bancaire. S'il résulte de l'instruction, notamment d'un décompte d'allocation au profit du locataire, que le requérant n'a plus perçu l'aide personnalisée au logement à compter du mois d'octobre 2013, les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation du préjudice subi en accordant une somme de 2 000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence. Dans ces conditions, M. B... n'est pas fondé à demander que cette somme soit portée à 10 000 euros.

7. D'autre part, si M. B..., qui n'a produit aucune pièce médicale de suivi psychologique, soutient que le refus illégal de renouvellement de son titre de séjour l'a placé dans une situation d'anxiété et d'insécurité l'ayant poussé à commettre une tentative de suicide le 15 octobre 2013 qui lui a laissé de graves séquelles et a conduit à son placement en curatelle renforcée, les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation du préjudice subi en accordant une somme de 800 euros au titre du préjudice moral. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à demander que cette somme soit portée à 8 000 euros.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a condamné l'État à lui verser la somme de 2 800 euros et rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Ses conclusions à fin de réformation du jugement doivent dès lors être rejetées.

Sur l'exécution du jugement attaqué :

9. Aux termes de l'article L. 911-4 du code de justice administrative, " En cas d'inexécution d'un jugement ou d'un arrêt, la partie intéressée peut demander à la juridiction, une fois la décision rendue, d'en assurer l'exécution. Si le jugement ou l'arrêt dont l'exécution est demandée n'a pas défini les mesures d'exécution, la juridiction saisie procède à cette définition. Elle peut fixer un délai d'exécution et prononcer une astreinte ".

10. Il résulte de l'instruction que le jugement attaqué du 28 mai 2018, qui n'a pas fait l'objet d'un appel incident du préfet de police, n'a pas fait l'objet de mesures d'exécution. Dans les circonstances de l'espèce, il doit dès lors être enjoint au préfet de police d'exécuter ce jugement dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu de prononcer une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B... demande au titre des frais exposés.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête n° 18PA02586 de M. A... B... est rejetée.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de police d'exécuter le jugement n° 1706146/2-2 du 28 mai 2018 du tribunal administratif de Paris dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 12 décembre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Diémert, président de la formation de jugement en application des articles L. 234-3 (premier alinéa) et R. 222-6 (premier alinéa) du code de justice administrative,

- M. Legeai, premier conseiller,

- M. C..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 23 janvier 2020.

Le rapporteur,

F. C...Le président,

S. DIÉMERTLe greffier,

A. LOUNISLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA02586


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18PA02586
Date de la décision : 23/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-04-03 Responsabilité de la puissance publique. Réparation. Évaluation du préjudice.


Composition du Tribunal
Président : M. DIEMERT
Rapporteur ?: M. Fabien PLATILLERO
Rapporteur public ?: Mme GUILLOTEAU
Avocat(s) : ADAM-FERREIRA

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-01-23;18pa02586 ?
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