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20/12/2019 | FRANCE | N°18PA02690

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 20 décembre 2019, 18PA02690


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... D... a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner le centre hospitalier Marc Jacquet à lui verser la somme de 423 178,86 euros en réparation des préjudices qu'il a subis du fait de fautes commises lors de sa prise en charge, somme assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par un jugement n° 1610030 du 25 mai 2018, le tribunal administratif de Melun a condamné le centre hospitalier Marc Jacquet à lui verser la somme de 51 538,4

0 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 2016 et ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... D... a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner le centre hospitalier Marc Jacquet à lui verser la somme de 423 178,86 euros en réparation des préjudices qu'il a subis du fait de fautes commises lors de sa prise en charge, somme assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par un jugement n° 1610030 du 25 mai 2018, le tribunal administratif de Melun a condamné le centre hospitalier Marc Jacquet à lui verser la somme de 51 538,40 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 2016 et de la capitalisation des intérêts à compter du 12 septembre 2017. Le tribunal a en outre condamné le centre hospitalier Marc Jacquet à verser à la Mutualité sociale agricole (MSA) d'Ile-de-France la somme de 22 200,39 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires enregistrés les 3 août 2018, 23 avril 2019 et 25 octobre 2019, M. D..., représenté par Me C..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Melun du 25 mai 2018 en tant qu'il n'a pas fixé le taux de perte de chance à 62 % et n'a fait que partiellement droit à sa demande à hauteur de 51 538,40 euros ;

2°) de condamner le centre hospitalier Marc Jacquet à lui verser la somme de 316 713,87 euros, en réparation des préjudices subis du fait des fautes commises lors de sa prise en charge, assortie des intérêts au taux légal à compter de la demande initiale et de la capitalisation annuelle des intérêts ;

3°) de mettre les dépens à la charge du centre hospitalier Marc Jacquet ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier Marc Jacquet la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la responsabilité du centre hospitalier est engagée pour faute dans sa prise en charge ; ses services ont en effet fait preuve d'une inertie qui a conduit à un défaut de diagnostic de l'atteinte nerveuse dont il a été victime ;

- la faute du centre hospitalier Marc Jacquet lui a fait perdre 62 % de chances d'éviter les séquelles dont il est atteint ;

- il est fondé à solliciter la condamnation de l'établissement hospitalier à lui verser la somme de 1 792,33 euros au titre des dépenses de santé restées à sa charge avant consolidation ;

- les frais divers qu'il a exposés - honoraires de médecin conseil, frais d'hospitalisation restés à sa charge, frais de déplacement, assistance par tierce personne - doivent être indemnisés à hauteur de 27 156,47 euros ;

- les dépenses de santé restées à sa charge après consolidation de son état de santé doivent être indemnisées à hauteur de 194,10 euros ;

- l'assistance par tierce personne après consolidation, évaluée sur la base d'une rémunération horaire de 18 euros sur 59 semaines annuelles, pour tenir compte des jours fériés et congés payés, doit être indemnisée par l'allocation d'une somme de 30 412 euros ;

- il a subi une perte de gains professionnels après consolidation dès lors que le dommage qu'il a subi l'a privé du poste de directeur de la FDSEA du Doubs et de la rémunération correspondante ; le manque à gagner doit être indemnisé par la somme de 7 480,26 euros pour la période allant d'octobre 2014 à décembre 2015 ;

- l'incidence professionnelle de la faute imputable au centre hospitalier Marc Jacquet doit être réparée à hauteur de 167 995,27 euros ;

- le déficit fonctionnel temporaire subi doit être indemnisé par la somme de 7 943,44 euros ;

- les souffrances endurées justifient l'allocation de la somme de 18 600 euros ;

- le préjudice esthétique temporaire doit être réparé à hauteur de 3 100 euros ;

- le déficit fonctionnel permanent, évalué à 15 % par l'expert, doit être réparé à hauteur de 18 600 euros ;

- le préjudice sexuel sera indemnisé par la somme de 4 340 euros ;

- le préjudice d'agrément subi, important en raison de ses nombreux loisirs, justifie que lui soit versée la somme de 24 800 euros.

Par trois mémoires enregistrés les 21 mars 2019, 29 août 2019 et 25 novembre 2019, le centre hospitalier Marc Jacquet de Melun, représenté par Me E..., demande à la cour, par la voie de l'appel incident :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Melun du 25 mai 2018 ;

2°) de rejeter les conclusions de première instance présentées par M. D... et la MSA d'Ile-de-France ;

3°) à titre subsidiaire, de rejeter la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 28 novembre 2019, la société Groupama fait état d'une créance définitive de 7 739,39 euros, correspondant aux prestations versées à M. D... pour la période allant du 3 septembre 2011 au 18 juin 2014.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,

- les observations de Me C..., représentant M. D...,

- et les observations de Me G..., représentant le centre hospitalier Marc Jacquet.

Considérant ce qui suit :

1. Le 3 septembre 2011, M. D..., alors âgé de 46 ans, s'est blessé à son domicile en utilisant une disqueuse. Transporté au centre hospitalier Marc Jacquet de Melun, où est constatée une plaie délabrante de l'avant-bras gauche avec déficit moteur associé, il y est opéré le lendemain et regagne son domicile le 9 septembre 2011. En raison de la persistance de séquelles motrices, il se rend le 11 octobre 2011 à la clinique La Francilienne à Pontault-Combault ; une atteinte de la branche motrice du nerf radial y est diagnostiquée. M. D... est hospitalisé dans les mois suivants en vue de la réalisation de transferts tendineux, le 30 novembre 2011 à la clinique la Francilienne, les 13 et 14 décembre 2012 puis du 17 au 19 juin 2013 à la clinique Jouvenet. Estimant que les séquelles dont il reste atteint sont imputables aux conditions de sa prise en charge par le centre hospitalier Marc Jacquet, il a sollicité la désignation d'un expert auprès du juge des référés du tribunal administratif de Melun qui a fait droit à sa demande le 16 janvier 2015. M. D..., au vu des conclusions de l'expert, a demandé au centre hospitalier d'indemniser les préjudices qu'il a subis par courrier du 6 septembre 2016. Aucune suite n'a été donnée à sa réclamation.

2. Le 7 décembre 2016, le requérant a demandé au tribunal administratif de Melun de condamner le centre hospitalier Marc Jacquet à lui verser la somme de 423 178,86 euros. Par le jugement du 25 mai 2018 dont il relève appel, le tribunal a condamné le centre hospitalier à lui verser la somme de 51 538,40 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 2016 et de la capitalisation des intérêts à compter du 12 septembre 2017. Le tribunal a en outre condamné le centre hospitalier Marc Jacquet à verser à la Mutualité sociale agricole (MSA) d'Ile-de-France la somme de 22 200,39 euros. Par la voie de l'appel incident, le centre hospitalier demande à la cour d'annuler ledit jugement et de rejeter les demandes de première instance de M. D... et de la MSA.

I. Sur la responsabilité :

3. Aux termes de l'article aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé (...) ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère ".

4. Il résulte du rapport d'expertise que M. D..., lors de son arrivée aux urgences du centre hospitalier Marc Jacquet le 3 septembre 2011, a signalé un déficit de motricité des doigts de sa main gauche, qu'il ne pouvait étendre, ce qui a été noté par le médecin l'ayant examiné. La plaie qu'il présentait alors, si elle était délabrante, était située sur le trajet du nerf interosseux postérieur. Dans ces conditions, fortement évocatrices de lésion dudit nerf selon l'expert, le chirurgien qui l'a opéré le lendemain aurait dû rechercher ce nerf de façon minutieuse afin de s'assurer de son état, recherche dont le compte-rendu opératoire ne fait pas mention.

La circonstance que la plaie musculaire était très contuse, si elle rendait le diagnostic difficile, aurait en outre dû inciter le centre hospitalier à orienter le patient vers un centre spécialisé afin que soit vérifiée une éventuelle lésion du nerf. Ce défaut de diagnostic fautif, qui n'a pas été corrigé lors de la visite de contrôle trois semaines après l'opération, a entraîné pour M. D... un retard de prise en charge de la lésion nerveuse. Par suite, le centre hospitalier Marc Jacquet n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a estimé que sa responsabilité pour faute était engagée.

5. Il résulte également du rapport d'expertise précité qu'une prise en charge précoce du requérant aurait permis d'envisager une réparation directe du nerf, avec ou sans greffe nerveuse ; cette réparation n'a pu être effectuée cinq semaines après l'accident, dès lors que les extrémités du nerf lésé s'étaient rétractées et qu'il existait une fibrose cicatricielle et inflammatoire. L'expert indique toutefois qu'une réparation nerveuse avec greffe, même précoce, peut être insuffisante pour parvenir à une récupération musculaire totale, et doit être complétée par des transferts tendineux secondaires. Eu égard aux conclusions de l'expert, établies après débat contradictoire entre les parties présentes lors de la réunion d'expertise, et compte tenu de l'état de la plaie de M. D... lors de son admission au centre hospitalier Marc Jacquet, il y a lieu de fixer à 50 % le taux de perte de chance d'éviter les séquelles dont il est atteint du fait de la faute imputable à l'établissement.

II. sur les préjudices :

6. Il résulte de l'expertise que l'état de santé de M. D... a été consolidé le 19 juin 2014, alors qu'il était âgé de 48 ans.

A. S'agissant des préjudices patrimoniaux temporaires :

7. Il résulte du rapport d'expertise qu'en l'absence de faute, M. D... aurait subi une à deux interventions chirurgicales en vue de la réalisation d'une suture nerveuse ou d'un transfert tendineux précoce. Par suite, les frais divers et de santé liés au transfert tendineux effectué le 30 novembre 2011 ne peuvent être regardés comme étant en lien direct et certain avec la faute imputable au centre hospitalier Marc Jacquet.

Quant aux dépenses de santé avant consolidation :

8. La MSA a justifié en première instance avoir exposé 5 632,01 euros de dépenses en lien direct et certain avec la faute, non contestées en appel, et correspondant à la prise en charge de frais d'hospitalisation, de soins externes, d'examens échographiques et de séances de kinésithérapie. M. D... produit pour sa part au dossier des relevés de prestations dont il résulte que la somme de 958,23 euros est restée à sa charge du fait de dépenses de santé en lien direct et certain avec la faute imputable au centre hospitalier.

9. Le préjudice total au titre des dépenses de santé avant consolidation s'élève donc à la somme de 6 590,24 euros. Après application du taux de perte de chance de 50 %, la somme de 3 295,12 euros doit être mise à la charge de l'établissement hospitalier. Dans la mesure où les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale imposent que priorité soit accordée à la victime sur la caisse pour obtenir le versement à son profit des indemnités mises à la charge du tiers responsable, dans la limite de la part du dommage qui n'a pas été réparée par des prestations, notamment lorsque le tiers n'est déclaré responsable que d'une partie des conséquences dommageables de l'accident, il y a lieu de condamner le centre hospitalier à verser la somme de 958,23 euros à M. D... et le solde de la somme due, 2 336,89 euros, à la MSA.

Quant aux indemnités journalières :

10. Le centre hospitalier Marc Jacquet ne conteste pas le montant de la somme de 18 797,50 euros mise à sa charge, après application du taux de perte de chance, en remboursement des dépenses exposées par la MSA au titre des indemnités journalières versées à M. D... du fait de la faute. Il y a lieu par suite de confirmer le jugement sur ce point.

Quant aux frais divers :

11. M. D... justifie en premier lieu avoir exposé, du fait de la faute, des honoraires médicaux à hauteur de 3 200 euros, en vue de recueillir l'avis de spécialistes quant aux séquelles dont il était atteint ainsi que dans le cadre du présent litige. Ces frais sont donc en lien direct et certain avec la faute. Il y a lieu par suite de condamner le centre hospitalier Marc Jacquet à les prendre intégralement en charge.

12. En deuxième lieu, le requérant évalue à 26 euros les frais restés à sa charge - télévision et numérisation de son dossier - dans le cadre des hospitalisations subies en conséquence de la faute. La somme de 13 euros doit donc être mise à la charge de l'établissement hospitalier à ce titre.

13. En troisième lieu, M. D... justifie avoir effectué plusieurs déplacements en lien avec la faute imputable au centre hospitalier, dont l'un par véhicule sanitaire léger au titre duquel il produit une facture d'un montant de 67,90 euros. Il a par ailleurs utilisé son véhicule personnel, doté d'une puissance fiscale de dix chevaux, pour se rendre chez son kinésithérapeute à deux cent seize reprises, à la clinique La Francilienne à cinq reprises et à la clinique Jouvenet à quatorze reprises. La faute imputable au centre hospitalier Marc Jacquet a enfin justifié qu'il se rende à six reprises chez son médecin généraliste. Il a ainsi parcouru 18 786 kilomètres en lien direct et certain avec la faute, lesquels correspondent, compte tenu du barème kilométrique de l'administration fiscale, fixant un coefficient de 0,337 auquel le montant de 1 288 euros doit être ajouté pour un véhicule de plus de sept chevaux, à des frais de déplacement d'un montant de 7 618,88 euros. Le montant total du préjudice à ce titre s'élevant à 7 686,78 euros, il y a lieu de condamner le centre hospitalier à verser la somme de 3 843,39 euros après application du taux de perte de chance.

14. En dernier lieu, l'expert a estimé que M. D... avait eu besoin de l'assistance d'une tierce personne à hauteur de deux heures par jour durant les périodes de déficit fonctionnel temporaire à 50 %, et de quatre heures par semaine durant les périodes de déficit fonctionnel temporaire à 30 %. Le préjudice exposé à ce titre au cours des périodes correspondantes en lien direct et certain avec la faute, à compter du 1er décembre 2011, eu égard au montant horaire du SMIC lors de ces périodes incluant les charges sociales et les congés payés, soit 13 euros sur 412 jours annuels, doit être évalué à la somme de 10 712 euros. Il ne résulte pas de l'instruction que le requérant ait perçu une aide sociale destinée à compenser une partie de ces frais. Cette somme ayant par ailleurs été exposée temporairement, et étant exactement évaluable et non susceptible d'évoluer, elle doit être, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier Marc Jacquet, versée sous forme de capital. Ce dernier doit donc être condamné à verser à M. D... la somme de 5 356 euros après application du taux de perte de chance.

B. S'agissant des préjudices patrimoniaux temporaires :

Quant aux dépenses de santé après consolidation :

15. M. D... soutient que la somme de 313,08 euros est restée à sa charge au titre des dépenses de santé après consolidation de son état. Les relevés de prestations qu'il produit n'établissent cependant pas le lien entre ces dépenses et la faute imputable au centre hospitalier, alors par ailleurs que l'expert a écarté toute dépense de santé future. La demande à ce titre doit donc être rejetée.

Quant à l'assistance par tierce personne :

16. L'expert a estimé que M. D... avait besoin de l'assistance d'une tierce personne à hauteur d'une heure et demie par semaine. Il y a lieu d'évaluer le préjudice exposé à ce titre entre la date de consolidation, le 19 juin 2014, et la date de lecture du présent arrêt, eu égard au montant horaire du SMIC incluant les charges sociales et les congés payés, soit 15 euros sur 412 jours annuels, à la somme de 7 282 euros. Le préjudice exposé pour la période postérieure à la lecture du présent arrêt doit être évalué, compte tenu de l'âge de M. D... et du montant horaire précité du SMIC, à la somme de 32 825 euros. Il ne résulte pas de l'instruction que le requérant percevrait une aide sociale destinée à compenser une partie de ces frais. Le centre hospitalier Marc Jacquet doit donc être condamné à verser la somme de 20 054 euros à ce titre après application du taux de perte de chance.

Quant à la perte de gains professionnels :

17. M. D... soutient qu'il n'a pu, du fait de la faute imputable au centre hospitalier, occuper à compter du mois d'octobre 2014 un poste de directeur de fédération au sein de la FNSEA, qui l'emploie ; il aurait ainsi subi un manque à gagner correspondant à la différence de rémunération entre ce poste et celui de chargé de mission qu'il occupait alors. Les pièces qu'il produit au dossier ne permettent toutefois pas d'établir le caractère direct et certain du lien entre la faute et la perte de gains invoquée, alors que l'intéressé indique qu'il était à la date de l'accident domestique dont il a été victime " en négociations " pour sa nomination sur le poste de directeur de la fédération du Doubs. La demande à ce titre doit par suite être rejetée.

Quant à l'incidence professionnelle :

18. Il résulte de l'instruction et du rapport d'expertise que les séquelles dont est atteint M. D..., notamment des troubles de préhension des doigts et une baisse de la force musculaire dans la main gauche, ont un impact sur la pénibilité de son activité professionnelle, qui requiert l'utilisation d'un clavier d'ordinateur et la conduite régulière d'un véhicule. Contrairement à ce que fait valoir le centre hospitalier, la circonstance que le requérant est droitier n'est pas de nature à compenser intégralement ces difficultés. Dans ces conditions, M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Melun lui a refusé toute indemnisation au titre de l'incidence professionnelle de la faute. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice, dans les circonstances de l'espèce, en condamnant le centre hospitalier Marc Jacquet à verser à la victime la somme de 1 500 euros après application du taux de perte de chance.

C. S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux temporaires :

Quant au déficit fonctionnel temporaire :

19. Il résulte de l'expertise que le déficit fonctionnel temporaire dont a été atteint M. D... en lien direct et certain avec la faute imputable au centre hospitalier a été total lors des hospitalisations du 13 au 14 novembre 2012 et du 17 au 19 juin 2013, soit pendant cinq jours. Le déficit fonctionnel temporaire a en outre été évalué à 50 % du 1er décembre 2011 au 15 janvier 2012, du 15 décembre 2012 au 31 janvier 2013 et du 20 juin 2013 au 10 août 2013, soit cent quarante-trois jours. Enfin, ce déficit a été évalué à 30 % du 16 janvier 2012 au 12 décembre 2012, du 1er février 2013 au 16 juin 2013 et du 11 août 2013 au 18 juin 2014. Compte tenu d'un montant mensuel de 500 euros, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à la somme totale de 2 580 euros après application du taux de perte de chance.

Quant aux souffrances endurées :

20. L'expert a évalué le préjudice subi à ce titre par M. D... à 5 sur une échelle allant de 0 à 7, en raison des différentes interventions subies, des soins de rééducation et des souffrances psychologiques. Il ne résulte pas de l'instruction que les premiers juges en auraient fait une évaluation insuffisante en retenant à ce titre la somme de 10 000 euros. Le centre hospitalier Marc Jacquet sera donc condamné à verser la somme de 5 000 euros après application du taux de perte de chance.

Quant au préjudice esthétique temporaire :

21. M. D... a vu durant plusieurs mois son bras immobilisé. Le préjudice en résultant a été évalué par l'expert à 3 sur 7. Il en sera fait une juste appréciation en l'évaluant à la somme de 2 000 euros. Le centre hospitalier indemnisera donc la victime à hauteur de 1 000 euros après application du taux de perte de chance.

D. S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux permanents :

Quant au déficit fonctionnel permanent :

22. Depuis la consolidation de son état de santé, M. D... conserve des séquelles imputables à la faute commise par le centre hospitalier Marc Jacquet, notamment des troubles de préhension des doigts, une baisse de la force de serrage, une douleur modérée et des séquelles psychologiques. Il résulte de l'expertise que ce déficit fonctionnel doit être fixé à 15 %. M. D... était âgé de 48 ans à la date de consolidation de son état de santé. Il sera donc fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à la somme de 20 000 euros retenue par les premiers juges, soit 10 000 euros après application du taux de perte de chance.

Quant au préjudice esthétique permanent :

23. Les cicatrices et séquelles musculaires conservées par M. D... génèrent un préjudice esthétique que l'expert a évalué à 2 sur 7. Il en sera fait une juste appréciation en l'évaluant à la somme de 2 000 euros. Le centre hospitalier Marc Jacquet sera donc condamné à verser la somme de 1 000 euros après application du taux de perte de chance.

Quant au préjudice sexuel :

24. M. D... a déclaré au cours de l'expertise avoir ressenti une baisse de libido du fait des séquelles imputables au centre hospitalier, et a indiqué souffrir de maladresse et de difficultés de positionnement. Il ne justifie toutefois d'aucune incapacité fonctionnelle et n'établit pas la réalité de difficultés sexuelles en lien avec la faute imputable au centre hospitalier Marc Jacquet. La demande à ce titre doit donc être rejetée.

Quant au préjudice d'agrément :

25. Il résulte de l'instruction que M. D... jouait, avant l'accident dont il a été victime, de différents instruments de musique, notamment de l'accordéon depuis son enfance. Il justifie en outre qu'il s'adonnait régulièrement à différents loisirs, en particulier le bricolage, l'ébénisterie, le jardinage et la bicyclette. Il sera fait une juste appréciation du préjudice qu'il subit à ce titre en portant la somme allouée par le tribunal à 1 500 euros après application du taux de perte de chance.

26. Il résulte de tout ce qui précède que, d'une part, la somme à laquelle le centre hospitalier Marc Jacquet a été condamné par le tribunal administratif de Melun en réparation de la part qui lui est imputable des préjudices subis par M. D... doit être portée à 56 004,62 euros. L'établissement hospitalier n'est pas fondé, d'autre part, à soutenir que c'est à tort que les premiers juges l'ont condamné à verser la somme de 21 134,39 euros à la MSA au titre des frais exposés par elle du fait de la faute qui lui est imputable.

III. Sur les intérêts :

27. La demande indemnitaire préalable formée par M. D... a été reçue par le centre hospitalier Marc Jacquet le 12 septembre 2016, date à compter de laquelle sont dus les intérêts au taux légal sur la somme mentionnée au point 26 du présent arrêt. Ces intérêts seront capitalisés pour produire eux-mêmes des intérêts à compter du 12 septembre 2017 et à chaque échéance annuelle ultérieure.

IV. Sur la créance de la société Groupama :

28. La société Groupama a produit en appel un courrier par lequel elle fait état d'une " créance définitive ", détaillée dans un tableau synthétique pour la période allant du 3 septembre 2011 au 18 juin 2014 ; elle joint en outre des tableaux retraçant ses dépenses. Elle ne formule toutefois aucune conclusion précisément dirigée contre le centre hospitalier, ne soulève aucun moyen et ne développe aucune argumentation, se bornant à indiquer à la cour à quel ordre doit être établi son règlement. Dans ces conditions, elle ne met pas la juridiction à même d'examiner ses éventuelles demandes.

V. Sur les frais liés à l'instance :

En ce qui concerne l'indemnité forfaitaire prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale :

29. Aux termes du 9e alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget, en fonction du taux de progression de l'indice des prix à la consommation hors tabac prévu dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour l'année considérée. ". L'article 1er de l'arrêté du 27 décembre 2018 fixe à 107 euros et 1 080 euros les montants minimum et maximum de l'indemnité pouvant être recouvrée par l'organisme d'assurance maladie.

30. Le centre hospitalier Marc Jacquet doit être condamné à verser à la MSA la somme de 1 080 euros, au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion instituée par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

En ce qui concerne les dépens :

31. Par une ordonnance du 15 juin 2015, le président du tribunal administratif de Melun a liquidé et taxé les frais et honoraires de l'expertise ordonnée en référé à la somme de 1 300 euros. Il y a lieu de mettre cette somme à la charge définitive du centre hospitalier Marc Jacquet.

En ce qui concerne les frais non compris dans les dépens :

32. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier Marc Jacquet le versement de la somme de 2 000 euros à M. D... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La somme que le centre hospitalier Marc Jacquet a été condamné à verser à M. D... par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Melun du 25 mai 2018 est portée à 56 004,62 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 2016 et de la capitalisation de ces intérêts à compter du 12 septembre 2017 puis à chaque échéance annuelle ultérieure.

Article 2 : La somme que le centre hospitalier Marc Jacquet a été condamné à verser à la MSA d'Ile-de-France au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion est portée à 1 080 euros.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Melun du 25 mai 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Les frais et honoraires d'expertise, d'un montant de 1 300 euros, sont mis à la charge définitive du centre hospitalier Marc Jacquet.

Article 5 : Le centre hospitalier Marc Jacquet versera à M. D... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... D..., au centre hospitalier Marc Jacquet, à la Mutualité sociale agricole d'Ile-de-France et à la société Groupama.

Délibéré après l'audience publique du 3 décembre 2019 à laquelle siégeaient :

- M. B..., premier vice-président,

- Mme Jayer, premier conseiller,

- Mme A..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 20 décembre 2019.

Le rapporteur,

G. A... Le président,

M. B...

Le greffier,

A. DUCHER

La République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 10PA03855

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N° 18PA02690


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA02690
Date de la décision : 20/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : M. BERNIER
Rapporteur ?: Mme Gaëlle MORNET
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : DELHAYE

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-12-20;18pa02690 ?
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