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12/12/2019 | FRANCE | N°18PA01873

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 5ème chambre, 12 décembre 2019, 18PA01873


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Newco a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2008, ainsi que des intérêts de retard correspondants.

Par un jugement n° 1609015 du 3 avril 2018, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 3 juin 2018, la sociét

é Newco, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1609015 du Tribun...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Newco a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2008, ainsi que des intérêts de retard correspondants.

Par un jugement n° 1609015 du 3 avril 2018, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 3 juin 2018, la société Newco, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1609015 du Tribunal administratif de Paris en date du 3 avril 2018 ;

2°) de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2008, ainsi que des intérêts de retard correspondants ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 25 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- aucune libéralité ne peut être juridiquement constatée, en l'absence d'élément matériel et d'élément intentionnel caractérisés ;

- en l'absence de l'application de la majoration pour manquement délibéré, l'administration ne pouvait tirer aucune conséquence fiscale de l'écart de valeur constaté ;

- le donataire avait juridiquement et unilatéralement la possibilité de revenir sur sa prétendue donation, lorsqu'il le souhaitait ;

- la jurisprudence Raffypack, rendue en matière d'acquisition de biens par une société à prix minoré, n'est pas transposable à l'apport de titres à une EURL à une valeur inférieure à leur valeur vénale ;

- en application des dispositions des articles 893 et 894 du code civil, l'élément matériel de la libéralité est caractérisé lorsque le disposant s'appauvrit au profit du bénéficiaire, qui s'enrichit ; l'apport des titres de la société Balt Extrusion, réalisé par M. C..., au profit de la société qu'il détient à 100 %, n'a pas entraîné d'appauvrissement économique, dès lors que cet apport a eu pour effet d'accroître la valeur de la société Newco dont M. C... est l'unique associé ;

- la société n'a bénéficié d'aucun enrichissement du fait de la minoration de la valeur d'apport, dès lors que son patrimoine est composé des titres de la société Balt Extrusion, dont la valeur réelle ne varie pas et est indépendante de la valorisation retenue dans l'acte d'apport ;

- il ne peut y avoir de libéralité si l'apporteur n'a pas entendu se défaire irrévocablement des titres apportés ; en l'espèce, l'apport des titres est révocable, dès lors que M. C... a apporté les titres Balt Extrusion à une société qu'il détient en totalité et dont il est le gérant ; il peut décider seul de la dissolution de la société, appréhender l'actif social, et récupérer l'intégralité de l'apport initialement réalisé ;

- M. C... a reçu en contrepartie une participation dans la société dont la valeur est mécaniquement équivalente celle des titres apportés ainsi qu'une soulte.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 août 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Newco ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 14 novembre 2019, la société Newco conclut aux mêmes fins que la requête.

Elle soutient que le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé et qu'il est donc irrégulier.

Les parties ont été informées, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la Cour était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que la société Newco n'était pas recevable à contester pour la première fois dans son mémoire enregistré au greffe de la Cour le 14 novembre 2019, après l'expiration du délai d'appel, la régularité du jugement attaqué.

Par un mémoire enregistré le 18 novembre 2019, présenté en réponse à la communication du moyen relevé d'office, la société Newco persiste dans ses écritures.

Elle déclare renoncer au moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- les conclusions de M. Lemaire, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., pour la société Newco.

Une note en délibéré, enregistrée le 25 novembre 2019, a été présentée par Me A... pour la société Newco.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Newco, qui a été créée en 2007, est une holding mixte dont la totalité du capital est détenue par M. B... C..., qui en est également le co-gérant avec son épouse. Lors de sa création, M. C... lui a fait apport de 1 480 actions de la société Balt Extrusion. Cet apport en nature a été évalué à la somme globale de 2 842 720 euros. La société Newco a également acquis, au cours de l'exercice clos le 31 décembre 2008, 455 actions de la société Balt Extrusion auprès de différentes personnes appartenant au cercle familial de M. C.... Ces cessions ont été réalisées au prix de 2 180 euros par titre, hormis pour la soeur de M. C... dont l'acte de cession prévoyait un complément de prix en fonction du résultat de la société.

2. La société Newco a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, à l'issue de laquelle le service a procédé à la réévaluation des titres apportés et cédés dans les conditions rappelées au point 1 et a substitué leur valeur réelle à la valeur inscrite initialement à l'actif du bilan et correspondant à leur prix d'apport ou d'acquisition. Il a alors considéré que la différence constatée entre ces deux valeurs constituait une libéralité consentie à la société par les auteurs des opérations d'apport et de cession. Il a ensuite réintégré le montant de l'insuffisance d'actif s'élevant à 8 031 466 euros au résultat de la société de l'exercice clos en 2008. Celle-ci a, en conséquence de la correction de son actif net, été assujettie à une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2008 assortie des intérêts de retard. Elle fait appel du jugement en date du 3 avril 2018, par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge de cette imposition et de ces intérêts de retard.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Si, dans son mémoire enregistré au greffe de la Cour le 14 novembre 2019, la société requérante avait soutenu que le jugement attaqué n'était pas suffisamment motivé, elle a, dans son mémoire enregistré le 18 novembre 2019, présenté en réponse au moyen communiqué par la Cour sur le fondement des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, tiré de ce que la société Newco n'était pas recevable à contester, après l'expiration du délai d'appel, la régularité du jugement attaqué, expressément abandonné ce moyen. Dès lors, il n'y a plus lieu pour la Cour d'examiner ce moyen.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. D'une part, aux termes de l'article 38 du code général des impôts : " (...) 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés (...) ". Aux termes de l'article 38 quinquies de l'annexe III à ce code : " Les immobilisations sont inscrites au bilan pour leur valeur d'origine. Cette valeur d'origine s'entend : a. Pour les immobilisations acquises à titre onéreux, du coût d'acquisition, (...) ; c. Pour les immobilisations apportées à l'entreprise par des tiers, de la valeur d'apport (...) ".

5. Lorsqu'une société acquiert des titres ou qu'elle bénéficie d'un apport pour une valeur que les parties ont délibérément minorée par rapport à la valeur vénale de l'objet de la transaction, sans que cet écart de prix ne comporte de contrepartie, l'avantage ainsi octroyé doit être regardé comme une libéralité consentie à cette société. La preuve d'une telle libéralité doit être regardée comme apportée par l'administration lorsqu'est établie l'existence, d'une part, d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale des titres et, d'autre part, d'une intention, pour le cédant ou l'apporteur d'octroyer, et, pour la société bénéficiaire, de recevoir une libéralité du fait des conditions de la cession ou de l'apport. Cette intention est présumée lorsque les parties sont en relation d'intérêts.

6. D'autre part, aux termes de l'article 893 du code civil : " La libéralité est l'acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d'une autre personne. Il ne peut être fait de libéralité que par donation entre vifs ou par testament. ". Aux termes de l'article 894 du code civil : " La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l'accepte. ".

7. Contrairement à ce que soutient la société Newco, qui est une société à responsabilité limitée, dont M. C... est l'unique associé, sa structure juridique ne fait pas obstacle à l'application du principe énoncé au point 5. De même, les opérations en litige ne constituant pas des donations au sens de l'article 894 précité du code civil, la requérante ne peut utilement se prévaloir des dispositions de cet article.

8. La société Newco ne conteste pas les modalités d'évaluation par le service de la valeur des titres de la société Balt Extrusion, ni le constat qui en a découlé que ces titres lui avaient été apportés ou cédés à un prix inférieur à leur valeur réelle. De la même façon, elle n'apporte aucun élément susceptible de justifier cette minoration. Si elle fait valoir que M. C... a reçu en contrepartie de l'apport de ses titres de la société Balt Extrusion, la totalité des 26 000 parts composant le capital social de la société Newco d'une valeur de 100 euros chacune, ainsi qu'une soulte en numéraire de 242 700 euros, elle ne justifie pas de l'existence d'une contrepartie au moins équivalente à la minoration consentie. Par ailleurs, l'écart entre la valeur des titres inscrite à l'actif de son bilan et leur valeur vénale, qui est supérieur à 20 %, est significatif. Elle ne peut, dès lors, utilement soutenir que M. C..., en sa qualité d'unique associé de la société Newco, dont les titres ont été revalorisés par l'opération d'apport en litige, ne se serait pas appauvri, et que celle-ci ne se serait pas enrichie, de sorte qu'aucune libéralité ne pouvait être constatée, la société Newco étant dotée d'une personnalité juridique distincte de celle de son associé. Enfin, il résulte de l'instruction qu'à la date des opérations en litige, M. C... était l'associé unique et le gérant de la société Newco, et les auteurs des cessions des mêmes titres appartenaient à la même famille. Dans ces conditions, eu égard aux liens familiaux et aux intérêts unissant les parties à ces opérations, et en l'absence d'élément contraire, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve qui lui incombe de leur intention commune d'accorder une libéralité à la société Newco et pour celle-ci d'accepter cette libéralité. Le caractère de libéralité de l'avantage ainsi consenti n'est pas démenti par la circonstance que le service n'a pas infligé à la contribuable les pénalités pour manquement délibéré prévues par les dispositions du a) de l'article 1729 du code général des impôts. Par suite, c'est à bon droit que le service a procédé à la rectification en litige.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Newco n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par suite, ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Newco est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Newco et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée au directeur général des finances publiques (Direction de contrôle fiscal d'Île-de-France, division juridique est).

Délibéré après l'audience du 21 novembre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Formery, président de chambre,

- Mme D..., président-assesseur,

- M. Doré, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 décembre 2019.

Le rapporteur,

V. D...Le président,

S.-L. FORMERY

Le greffier,

F. DUBUY

La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

6

N° 18PA01873


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA01873
Date de la décision : 12/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-01-04 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Règles générales. Impôt sur les bénéfices des sociétés et autres personnes morales.


Composition du Tribunal
Président : M. FORMERY
Rapporteur ?: Mme Valérie POUPINEAU
Rapporteur public ?: M. LEMAIRE
Avocat(s) : DECHERT (Paris) LLP

Origine de la décision
Date de l'import : 07/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-12-12;18pa01873 ?
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