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11/12/2019 | FRANCE | N°19PA02461

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 11 décembre 2019, 19PA02461


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 23 janvier 2019 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités autrichiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1901792/8 du 20 mars 2019, le Tribunal administratif de Paris a admis M. C... à l'aide juridictionnelle provisoire, annulé l'arrêté contesté, enjoint au préfet de police de délivrer à M. C... une attestation de demande d'asile dans un délai de quinze jours

et mis à la charge de l'Etat le versement au conseil du requérant de 1 000 euros au t...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 23 janvier 2019 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités autrichiennes en vue de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1901792/8 du 20 mars 2019, le Tribunal administratif de Paris a admis M. C... à l'aide juridictionnelle provisoire, annulé l'arrêté contesté, enjoint au préfet de police de délivrer à M. C... une attestation de demande d'asile dans un délai de quinze jours et mis à la charge de l'Etat le versement au conseil du requérant de 1 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

I - Par une requête enregistrée le 26 juillet 2019 sous le n° 19PA02461, le préfet de police demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement n°1901792/8 du Tribunal administratif de Paris du 20 mars 2019 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. C... devant le Tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a estimé qu'il avait commis une erreur manifeste d'appréciation quant à l'application de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- les moyens invoqués en première instance par M. C... ne sont pas fondés.

La requête du préfet de police a été transmise à la dernière adresse connue de M. C..., lequel n'a pas produit d'observations.

II - Par une requête enregistrée le 31 juillet 2019 sous le n° 19PA02527, le préfet de police demande à la Cour de prononcer le sursis à exécution du jugement n° 1901792/8 du 20 mars 2019 du Tribunal administratif de Paris.

Il soutient que :

- les moyens qu'il invoque sont sérieux et de nature à justifier, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, outre l'annulation du jugement attaqué le rejet de la demande présentée par M. C... devant le Tribunal administratif de Paris ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé qu'il avait commis une erreur manifeste d'appréciation quant à l'application de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- les moyens invoqués en première instance par M. C... ne sont pas fondés.

La requête du préfet de police a été transmise à la dernière adresse connue de M. C..., lequel n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, modifié par le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;

- la directive n° 2013/32/UE du 26 juin 2013relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale (refonte) ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme E... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., qui indique être né le 25 janvier 1996 en Afghanistan, pays dont il revendique a la nationalité, s'est présenté aux services de la préfecture de police le 3 décembre 2018 aux fins d'enregistrement d'une demande de protection internationale. Par un arrêté du 23 janvier 2019, le préfet de police a décidé sa remise aux autorités autrichiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile. Le préfet de police relève appel du jugement du 20 mars 2019 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté.

2. Les requêtes n°s 19PA02461 et 19PA02527 portant sur le même jugement et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur le motif d'annulation retenu par le Tribunal administratif de Paris :

3. D'une part, aux termes du paragraphe 1 de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement ".

4. D'autre part, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants ". Ces stipulations font obstacle à ce que puisse être légalement désigné comme pays de renvoi d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement un Etat pour lequel il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé s'y trouverait exposé à un risque réel pour sa personne, soit du fait des autorités de cet Etat, soit même du fait de personnes ou groupes de personnes ne relevant pas des autorités publiques, dès lors que, dans ce dernier cas, les autorités de l'Etat de renvoi ne sont pas en mesure de parer à un tel risque par une protection appropriée.

5. La faculté laissée à chaque Etat membre de l'Union européenne de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Cette possibilité doit en particulier être mise en oeuvre lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé courra, dans le pays de destination, un risque réel d'être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. Pour annuler l'arrêté contesté devant lui, le tribunal a estimé que le préfet de police avait entaché son arrêté d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, aux motifs que, la demande de protection internationale déposée par M. C... en Autriche ayant été définitivement rejetée,

l'intéressé se trouverait exposé, en cas de retour dans son pays d'origine, à un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants dès lors qu'il ressortait des données publiques disponibles et de la jurisprudence de la Cour nationale du droit d'asile qu'une situation de violence généralisée prévalait à Kaboul, seul point d'entrée sur le territoire afghan par voie aérienne depuis l'étranger.

7. Toutefois, l'arrêté en litige ne prononce pas l'éloignement de M. C... à destination de son pays d'origine, mais seulement son transfert vers l'Autriche. Si M. C... a soutenu en première instance que son retour en Afghanistan paraissait certain en cas de transfert en Autriche compte tenu du rejet définitif de sa demande d'asile et qu'il craignait des persécutions en cas de retour dans son pays d'origine au vu de la situation sécuritaire à Kaboul et dans la province de Uruzgan, dont il était originaire, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'Autriche, Etat membre de l'Union européenne, qui est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, éloignera M. C... à destination de l'Afghanistan, sans procéder, préalablement, à une évaluation des risques auxquels il serait exposé en cas d'exécution d'une telle mesure d'éloignement. Par suite, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris s'est fondé sur le motif susrappelé pour annuler son arrêté du 23 janvier 2019.

8. Il y a lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... devant le tribunal.

Sur les autres moyens soulevés par M. C... :

9. En premier lieu, par un arrêté n° 2019-00029 du 10 janvier 2019, régulièrement publié le 14 janvier 2019 au recueil des actes administratifs spécial n°75-2019-013 de la préfecture de Paris, le préfet de police a donné délégation à Mme D... B..., adjointe au chef du 12ème bureau, signataire de l'arrêté attaqué, pour signer tous les actes dans la limite de ses attributions, au nombre desquelles figure la police des étrangers. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté attaqué doit être écarté comme manquant en fait.

10. En deuxième lieu, en application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement.

11. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

12. L'arrêté préfectoral du 23 janvier 2019 portant transfert de M. C... aux autorités autrichiennes vise notamment le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du

26 juin 2013, le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il précise que M. C... est entré irrégulièrement sur le territoire français et s'y est maintenu sans être muni des documents et visas exigés par les textes en vigueur, que ses empreintes ont été relevées et permettent, après confrontation avec les bases de données européennes " Eurodac ", d'établir qu'il a précédemment déposé une demande d'asile en Autriche dont les autorités ont accepté le 21 décembre 2018 de le reprendre en charge en application des dispositions du b) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013, et qu'au regard des éléments de fait et de droit caractérisant sa situation, il ne relève pas des dérogations prévues aux articles 3-2 ou 17 de ce règlement. Il ressort, en outre, des mentions de l'arrêté litigieux que le préfet a examiné la situation de M. C... au regard des stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et a conclu à l'absence de risque personnel de nature à constituer une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités de l'Etat responsable de la demande d'asile. Ainsi, l'arrêté portant transfert de M. C... aux autorités autrichiennes est suffisamment motivé. Il suit de là que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté litigieux ne peut qu'être écarté.

13. En troisième lieu et dernier, aux termes de l'article 5 de ce même règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. (...). / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. (...) ".

14. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a été reçu à la préfecture de police le 3 décembre 2018, par un agent de la préfecture. L'entretien a donc été mené par une personne qualifiée au sens du 5 de l'article 5 du règlement n° 604/2013du 26 juin 2013 et il ressort du résumé de cet entretien que l'intéressé, qui n'a fait état d'aucune difficulté dans la compréhension de la procédure mis en oeuvre à son encontre, a pu faire valoir à cette occasion toutes observations utiles. Par ailleurs, l'article 5 de ce règlement n'exige pas que le résumé de l'entretien individuel mentionne l'identité et la qualité de l'agent qui l'a mené et ce résumé, qui, selon le point 6 de cet article 5, peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type, ne saurait être regardé comme une correspondance au sens de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, la circonstance que la qualification de l'agent ayant mené l'entretien n'apparaît pas sur le résumé de l'entretiens individuel mené avec M. C... est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie.

15. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 23 janvier 2019 et lui a enjoint de délivrer à M. C... l'attestation mentionnée à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il y a lieu, par suite, d'annuler le jugement attaqué et de rejeter la demande présentée par M. C... devant le tribunal.

Sur la requête n° 19PA02527 :

16. La Cour se prononçant, par le présent arrêt, sur la requête du préfet de police tendant à l'annulation du jugement du 20 mars 2019 du Tribunal administratif de Paris, il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n° 19PA02527 à fin de sursis à exécution de ce jugement.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 19PA02527.

Article 2 : Le jugement n° 1901792/8 du 20 mars 2019 du Tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 3 : La demande présentée par M. C... devant le Tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... C....

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 27 novembre 2019, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

- M. Magnard, premier conseiller,

- Mme E..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 11 décembre 2019.

Le rapporteur,

S. E...Le président,

I. BROTONS

Le greffier,

S. DALL'AVA

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°s 19PA02461, 19PA02527


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19PA02461
Date de la décision : 11/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: Mme Sonia BONNEAU-MATHELOT
Rapporteur public ?: Mme JIMENEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-12-11;19pa02461 ?
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