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24/10/2019 | FRANCE | N°17PA22280

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 24 octobre 2019, 17PA22280


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La chambre de commerce et d'industrie de la Réunion a demandé au tribunal administratif de la Réunion d'annuler la décision implicite par laquelle le syndicat mixte d'assainissement du Port et de la Possession, la commune du Port et la commune de la Possession ont refusé de régulariser l'implantation irrégulière d'ouvrages affectés au traitement des eaux usées sur la parcelle AT n°5 et une partie de la parcelle AT n°4 situées sur la commune du Port et de leur enjoindre, sous astreinte, de démolir les

ouvrages litigieux et de remettre les lieux en état. La chambre de commerce...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La chambre de commerce et d'industrie de la Réunion a demandé au tribunal administratif de la Réunion d'annuler la décision implicite par laquelle le syndicat mixte d'assainissement du Port et de la Possession, la commune du Port et la commune de la Possession ont refusé de régulariser l'implantation irrégulière d'ouvrages affectés au traitement des eaux usées sur la parcelle AT n°5 et une partie de la parcelle AT n°4 situées sur la commune du Port et de leur enjoindre, sous astreinte, de démolir les ouvrages litigieux et de remettre les lieux en état. La chambre de commerce et d'industrie de la Réunion a également demandé au tribunal de condamner solidairement les mêmes collectivités à lui verser la somme de 120 212 euros par année d'occupation jusqu'à la pleine libération des lieux, assortie des intérêts capitalisés. A titre subsidiaire, elle a demandé que ces collectivités soient condamnées solidairement à lui verser la somme de 1 715 750 euros au titre de la valeur vénale des terrains, ainsi que la somme de 120 212 euros par année d'occupation, ou que soit ordonnée la réitération par acte authentique du transfert de propriété des terrains concernés au bénéfice des collectivités défenderesses pour la valeur de 1 715 750 euros.

Par un jugement n° 1500944 du 24 mai 2017, le tribunal administratif de la Réunion a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux les 18 juillet 2017 et 19 octobre 2018 sous le n° 17BX02280, la chambre de commerce et d'industrie de la Réunion demande :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Réunion du 24 mai 2017 ;

2°) de juger que le syndicat mixte d'assainissement du Port et de la Possession, la commune du Port et la commune de la Possession occupent sans droit ni titre la parcelle AT n°5 et une partie de la parcelle AT n°4 ;

3°) d'annuler la décision implicite par laquelle ces collectivités ont refusé de régulariser par voie amiable cette occupation irrégulière ;

4°) d'ordonner la démolition des ouvrages construits sur ces parcelles sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard trois mois à compter de la décision à intervenir, avec capitalisation des intérêts ;

5°) de rejeter l'exception de prescription quadriennale et l'expertise judiciaire sollicitée par les intimés ;

6°) s'il ne pouvait être fait droit à la demande de démolition des ouvrages pour un motif d'intérêt général, de condamner solidairement le syndicat mixte d'assainissement du Port et de la Possession, la commune du Port et la commune de la Possession à lui verser la somme de 5 119 000 euros au titre de la valeur des parcelles, correspondant à l'estimation des domaines ainsi que la somme de 120 212 euros par année d'occupation à titre de dommages et intérêts depuis le 1er janvier 1992 ;

7°) de mettre à la charge des intimés la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il est constant qu'elle est propriétaire des parcelles en litige ;

- les deux collecteurs d'eaux usées sur la parcelle AT n°4 et la station de refoulement sur la parcelle AT n°5 et une partie de la parcelle AT n°4, dépendant de la station d'épuration édifiée en dehors de ces parcelles, l'ont privée de la jouissance de sa propriété ;

- la station n'est pas entrée en service en 1988 mais en 1991 ;

- les premier juges, qui se sont bornés à relever qu'une expropriation était possible, ne se sont pas prononcés sur les demandes de règlement amiable dont ils étaient saisis ; par ailleurs de président du SIAPP n'avait pas compétence pour demander l'expropriation ;

- à la date du jugement, les collectivités n'avaient pas entrepris de régulariser la situation et les arrêtés du préfet du 24 mai 2018 n'étaient pas intervenus ;

- ces arrêtés qui enfreignent les articles L. 152-14, R.152-1 à R.152-15 du code rural et de la pêche maritime ne lui sont pas opposables ;

- la prescription quadriennale ne lui est pas opposable ;

- elle ne concerne en tout état de cause que l'indemnité d'occupation et non l'indemnité judiciaire de dépossession ;

- la présence des canalisations enterrées n'a été révélée que par l'expertise judiciaire de M. A..., remise le 17 août 2015 et le rapport du cabinet Safège Suez ;

- les droits réels ne sont pas affectés par la prescription quadriennale ;

- elle est en droit de réclamer la somme de 120 212 euros par an au titre de la privation de jouissance de ses terrains ;

- elle a été privée de la possibilité de valoriser ses terrains en y construisant des entrepôts et des bureaux.

Par un mémoire en défense enregistré le 1er octobre 2018, le syndicat mixte d'assainissement du Port et de la Possession, la commune du Port et la commune de la Possession représentés par la SELARL D... et associés concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la chambre de commerce et d'industrie de la Réunion la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les canalisations traversant la parcelle A4 ont été réalisées dans le courant des années 1970 et le poste de refoulement édifié sur la parcelle A5 a été réceptionné le 1er mars 1989 ;

- la chambre de commerce a pris connaissance de la situation le 13 octobre 2008 ;

- les démarches engagées en 2015 sont donc prescrites, y compris celles s'agissant des canalisations ;

- les conclusions tendant à ce que la situation soit régularisée ou les ouvrages démolis sont devenues sans objet, les servitudes de canalisation ayant été instaurées par arrêtés du préfet des 24 et 25 mai 2018, et l'acquisition de la parcelle AT5 ayant été déclarée d'utilité publique le 24 mai 2018 ;

- aucun intérêt général ne justifie une démolition ;

- seul le juge judiciaire est compétent pour fixer une indemnité de dépossession, le juge administratif étant seulement compétent pour apprécier le trouble de jouissance ;

- les arrêtés préfectoraux prévoient une indemnisation ;

- les canalisations n'ont pas entrainé de trouble de jouissance et les sommes réclamées sont excessives.

La clôture de l'instruction est intervenue le 5 novembre 2018.

Par ordonnance du 1er mars 2019, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué le jugement de la requête à la cour administrative d'appel de Paris qui l'a enregistrée sous le n° 17PA22280.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code rural ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 modifiée ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de Mme Péna, rapporteur public ;

- et les observations de Me D..., représentant le syndicat mixte d'assainissement du Port et de la Possession, la commune du Port et la commune de la Possession.

Considérant ce qui suit :

1. Par une lettre du 27 mars 2015, le président de la chambre de commerce et d'industrie de la Réunion a saisi le syndicat mixte d'assainissement du Port et de la Possession d'un litige lié à l'occupation par une station de refoulement des eaux usées et de canalisations appartenant à cet établissement public de deux parcelles dont la chambre de commerce s'estime propriétaire. Il a fait valoir que cette situation anormale devait trouver une solution amiable ou le cas échéant judiciaire, et indiqué qu'une solution transactionnelle, par cession négociée des terrains avec indemnisation de l'occupation passée avait la préférence de l'organisme consulaire. Il a invité le syndicat à lui faire connaitre sa position à ce sujet, mais cette demande est restée sans réponse.

2. Le 17 décembre 2015, la chambre de commerce et d'industrie de la Réunion a demandé au tribunal administratif de la Réunion d'annuler la décision implicite par laquelle le syndicat avait refusé de régulariser la situation créée par l'occupation de ces deux parcelles. Ces conclusions aux fins d'annulation étaient assorties à titre principal de conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au syndicat de démolir les ouvrages construits sur ces parcelles, à titre accessoire et à défaut de démolition, à ce que le syndicat soit condamné à l'indemniser de ses préjudices, enfin à ce qu'il soit enjoint au syndicat de réitérer par acte authentique le transfert de propriété des parcelles concernées pour une valeur de 1 715 750 euros.

3. Par un jugement du 24 mai 2017, le tribunal administratif de la Réunion a rejeté l'ensemble de ces demandes. Après avoir jugé que le syndicat mixte d'assainissement du Port et de la Possession occupait irrégulièrement des parcelles appartenant à la chambre de commerce et d'industrie, le tribunal a d'abord estimé que les conditions requises pour qu'il soit fait droit à la demande de démolition de l'ouvrage public n'étaient pas satisfaites. Il a ensuite rejeté les demandes indemnitaires en considérant que celles liées à l'existence de la station de refoulement étaient prescrites, que celles liées à la présence des canalisations souterraines étaient injustifiées, et qu'en l'absence d'extinction du droit de propriété, l'organisme consulaire ne pouvait prétendre à une indemnité correspondant à la valeur vénale des parcelles. Il a par ailleurs rejeté les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au syndicat de réitérer par acte authentique le transfert de propriété des parcelles concernées. La chambre de commerce et d'industrie de la Réunion relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement :

4. La chambre de commerce et d'industrie de la Réunion soutient que le tribunal administratif, qui a omis de statuer sur ses conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande du 27 mars 2015, n'a pas épuisé son pouvoir juridictionnel.

5. La lettre du président de la chambre de commerce et d'industrie de la Réunion du

27 mars 2015 ne tendait pas à obtenir la démolition des ouvrages publics édifiés sur les parcelles dont l'organisme consulaire revendiquait la propriété, comme semble l'avoir interprété le tribunal administratif de la Réunion, mais uniquement à ce que le syndicat mixte d'assainissement du Port et de la Possession prenne une initiative en vue de remédier à la situation créée par une occupation irrégulière " en trouvant une solution amiable ou éventuellement judiciaire ". En omettant de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation du refus implicite de faire droit à cette demande, le tribunal administratif de la Réunion a entaché son jugement d'irrégularité. Il y a donc lieu d'annuler son jugement du 24 mai 2017 en tant qu'il n'a pas statué sur ces conclusions et d'y statuer par la voie de l'évocation, ainsi que, par la voie de l'effet dévolutif, sur les autres conclusions de la requête.

Sur les conclusions tendant à l'annulation du rejet implicite de la demande du 27 mars 2015 :

6. Ainsi qu'il a été dit au point précédent, la demande de la chambre de commerce et d'industrie de la Réunion tendait à ce que le syndicat mixte d'assainissement du Port et de la Possession prenne une initiative en vue de remédier à la situation créée par une occupation irrégulière " en trouvant une solution amiable ou éventuellement judiciaire ". Il ressort des pièces du dossier que, par une délibération du 17 février 2017, le syndicat a entrepris de régulariser les servitudes de canalisation d'eau et de solliciter une déclaration d'utilité publique pour régler les difficultés dont l'avait saisi l'organisme consulaire. Par trois arrêtés n° 2018-885, 2018-886 et 2018-890 des 24 et 25 mai 2018, le préfet de la Réunion a déclaré d'utilité publique les acquisitions, soit à l'amiable soit par voie de l'expropriation, nécessaires au projet de poste de refoulement sur la commune du Port et a institué au bénéfice du syndicat des servitudes sur fonds privé pour le projet de régularisation des servitudes de canalisation d'eau sur les parcelles en litige. Ainsi donc, la demande formulée le 27 mars 2015 a été satisfaite en cours d'instance. Le syndicat était libre de préférer la formule consistant en l'institution de servitudes et une déclaration d'utilité publique en vue de l'acquisition soit à l'amiable soit par voie de l'expropriation à celle d'une acquisition négociée des parcelles qui interviendrait sans qu'aient été pris ces actes. Si la chambre de commerce fait valoir que les délibérations du comité syndical seraient irrégulières, et que les arrêtés préfectoraux, qui seraient également entachés d'illégalité, ne la satisfont pas, il s'agit là d'un litige distinct qu'il lui appartient, si elle s'y croit fondée, de porter devant le tribunal administratif de la Réunion. Les collectivités défenderesses sont donc fondées à soutenir que les conclusions tendant à l'annulation de la décision par laquelle elle a refusé, dans un premier temps, de donner suite à la demande tendant à ce que la situation soit régularisée et à ce qu'une " solution amiable ou éventuellement judiciaire " soit apportée à l'occupation des parcelles, sont désormais dépourvues d'objet.

Sur l'emprise irrégulière :

7. Il est constant que la chambre de commerce et d'industrie de la Réunion a acquis les parcelles AT n°4 et AT n°5 par un acte authentique d'échange daté des 30 mars et 30 mai 1978 conclu avec l'Etat et le département de La Réunion. S'il résulte de l'instruction qu'à cette date des canalisations d'eaux usées enterrées provenant des communes du Port et de la Possession traversaient de la parcelle AT n°4, cet acte d'échange n'en faisait pas état et précisait même que " Les co-échangistes, déclarent qu'ils n'ont respectivement conféré aucune servitude sur les immeubles échangés et qu'à leur connaissance, il n'en existe aucune ". Il est également constant qu'une station de refoulement des eaux usées appartenant au syndicat mixte d'assainissement du Port et de La Possession occupe intégralement la parcelle AT n°5 et s'étend sur une partie de la parcelle AT n°4 sans que l'accord de la chambre de commerce et d'industrie, qui en est propriétaire, ait été recherché. La chambre de commerce et d'industrie a donc été privée d'éléments de son droit de propriété sans qu'ait été accomplie une procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique, ou instituée des servitudes, ou sans qu'un accord amiable soit intervenu avec le propriétaire. Elle est donc fondée à soutenir qu'il s'agit en l'espèce d'une emprise irrégulière.

Sur les conclusions d'injonction, présentées à titre principal, tendant à la démolition des ouvrages irrégulièrement construits :

8. Lorsque le juge administratif est saisi d'une demande d'exécution d'une décision juridictionnelle dont il résulte qu'un ouvrage public a été implanté de façon irrégulière, il lui appartient, pour déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'exécution de cette décision implique qu'il ordonne la démolition de cet ouvrage, de rechercher, d'abord, si, eu égard notamment aux motifs de la décision, une régularisation appropriée est possible. Dans la négative, il lui revient ensuite de prendre en considération, d'une part, les inconvénients que l'existence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence et notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général.

9. En l'espèce, il résulte de l'instruction qu'ainsi qu'il a été dit au point 6, le préfet de la Réunion, par trois arrêtés des 24 et 25 mai 2018, a déclaré d'utilité publique les acquisitions, soit à l'amiable soit par voie de l'expropriation, nécessaires au projet de poste de refoulement sur la commune du Port et a institué au bénéfice du syndicat des servitudes sur fonds privé pour le projet de régularisation des servitudes de canalisation d'eau sur les parcelles en litige. Une régularisation appropriée est donc en cours et cette circonstance fait à elle seule obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la chambre de commerce et d'industrie tendant à la démolition des ouvrages irrégulièrement implantés. En outre il n'est pas sérieusement contesté en appel que la démolition, qui ferait obstacle à la poursuite de l'activité de l'unité de traitement des eaux, porterait une atteinte excessive à l'intérêt général. Les conclusions aux fins d'injonction doivent dès lors être rejetées.

Sur les conclusions indemnitaires :

10. Dans le cas d'une décision administrative portant atteinte à la propriété privée, le juge administratif, compétent pour statuer sur le recours en annulation d'une telle décision et, le cas échéant, pour adresser des injonctions à l'administration, l'est également pour connaître de conclusions tendant à la réparation des conséquences dommageables de cette décision administrative, hormis le cas où elle aurait pour effet l'extinction du droit de propriété.

11. La chambre de commerce et d'industrie fait valoir que la présence de canalisations enterrées sous la parcelle AT n°4 appartenant pour les unes à la commune du Port, pour les autres à la commune de la Possession, et l'occupation par la station de refoulement appartenant au syndicat mixte d'assainissement du Port et de la Possession de la parcelle AT n°5 et d'une partie de la parcelle AT n°4 n'ont pas donné lieu au versement de loyers ou de redevances par les occupants, et qu'il en a résulté un enrichissement sans cause de ces collectivités et corrélativement un appauvrissement de l'organisme consulaire. Elle demande à la cour de condamner solidairement ces trois collectivités à lui verser une indemnité de 120 212 euros par année d'occupation à compter du 1er janvier 1992 à titre de dommages et intérêts.

12. La chambre de commerce et d'industrie demande également à la cour de condamner solidairement le syndicat mixte d'assainissement du Port et de la Possession, la commune du Port et la commune de la Possession à lui verser la somme de 5 119 000 euros au titre de la valeur vénale des terrains que ces trois collectivités se seraient définitivement appropriés.

13. Le syndicat mixte d'assainissement, la commune du Port et la commune de la Possession, par l'avocat qu'elles ont mandaté pour défendre leurs intérêts, opposent régulièrement la prescription quadriennale à ces demandes d'indemnité.

14. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public ". L'article 2 de la même loi prévoit que : " La prescription est interrompue par : Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; / Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance ; / Toute émission de moyen de règlement, même si ce règlement ne couvre qu'une partie de la créance ou si le créancier n'a pas été exactement désigné. Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. / Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée. ". L'article 3 de la même loi dispose que : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ".

15. Contrairement à ce que soutient la requérante, la demande d'indemnisation à laquelle la prescription quadriennale a été opposée ne présente pas le caractère d'une action relative à un droit réel, mais celui une action relative à des créances. Dès lors, ces créances ne sont pas exclues du champ d'application de la loi du 31 décembre 1968.

16. Il résulte de l'instruction que les canalisations appartenant aux communes du Port et de la Possession avaient été enterrées dans les années 1970 dans la parcelle AT n°4 sans que l'acte authentique d'échange daté des 30 mars et 30 mai 1978 conclu avec l'Etat et le département de la Réunion, qui en a transféré la propriété à la chambre de commerce et d'industrie, ne fasse état de leur existence ou d'une quelconque servitude. L'emprise irrégulière par le syndicat mixte d'assainissement du Port et de la Possession sur la parcelle AT n°5 et une partie de la parcelle AT n°4 pour les besoins du poste de refoulement doit être regardée comme établie au plus tard en 1991, date à laquelle la station d'épuration a été mise en service. Cependant le point de départ de la prescription quadriennale est la date à laquelle la victime est en mesure de connaître l'origine du dommage ou du moins de disposer d'indications suffisantes selon lesquelles ce dommage pourrait être imputable au fait de l'administration.

17. Le maire du Port a adressé le 13 octobre 2008 à la chambre de commerce et d'industrie de la Réunion une lettre par laquelle il portait à sa connaissance une occupation sans droit ni titre du domaine public consulaire consistant en la présence de deux collecteurs d'eaux usées de la ville sur la parcelle AT n°4 et de la station de refoulement des eaux usées sur la parcelle AT n°5. A la suite de quoi, la chambre de commerce et d'industrie par lettre du

30 décembre 2008, reçue le 2 janvier 2009, a demandé au maire du Port " de faire évaluer ces parcelles par le service des domaines afin de pouvoir bénéficier d'une base chiffrée à toute proposition ". Si la lettre du maire du Port ne permettait pas de déterminer le tracé des canalisations, la chambre de commerce et d'industrie de la Réunion avait une connaissance certaine de l'emprise, des collectivités responsables, des ouvrages litigieux et des parcelles concernées. La chambre de commerce et d'industrie ne justifie d'aucune impossibilité d'agir contre les défenderesses dans le délai de prescription, soit avant le 31 décembre 2013, ni d'aucun acte interruptif de prescription intervenu avant cette date. Si elle fait valoir qu'elle n'a été en mesure de formuler ses demandes indemnitaires qu'après que l'expert qu'elle avait mandaté avait remis son rapport, soit le 17 août 2015, ce dernier n'a été sollicité que le 25 février 2015, alors que le délai de prescription était écoulé.

18. Ainsi qu'il a été dit au point 9, il n'était pas possible de mettre fin aux préjudices résultant de l'emprise par des canalisations et par la station de refoulement dépendant de la station d'épuration en faisant démolir ces ouvrages publics indispensables à l'exécution du service public du traitement des eaux usées. Les dommages, dont la cause n'était pas temporaire, présentaient donc un caractère définitif. Le préjudice constitué par la perte de loyers ou de redevances que la chambre de commerce aurait pu demander aux occupants n'ayant pas dès lors le caractère d'un préjudice continu et l'organisme consulaire en ayant une connaissance suffisante dès l'année 2009, les collectivités défenderesses sont donc fondées à soutenir que la créance de 120 212 euros par année d'occupation à compter du 1er janvier 1992, dont la chambre de commerce et d'industrie réclame le paiement à titre de dommages et intérêts, est prescrite.

19. S'agissant de la créance de 5 119 000 euros dont l'organisme consulaire se prévaut au titre de la valeur vénale des terrains que ces trois collectivités se seraient définitivement appropriés, la fixation du montant de l'indemnité susceptible de lui être allouée au titre de servitudes ou d'une indemnité d'expropriation échappe à la Cour. Par ailleurs, en tant qu'elle correspond à un préjudice de jouissance, à une perte de chance d'avoir pu valoriser ses terrains, et à une perte de valeur vénale des parcelles du fait de la présence et du fonctionnement des ouvrages publics irrégulièrement installés sur ses propriétés, cette créance, qui correspond elle aussi à des préjudices définitifs, est également prescrite.

20. Il résulte de ce qui précède que les conclusions indemnitaires doivent être rejetées.

Sur les conclusions d'injonction tendant à la régularisation de la situation :

21. Dans sa requête introductive d'appel, la chambre de commerce et d'industrie a demandé à la cour " d'ordonner la réitération par acte authentique du transfert de propriété des terrains concernés au bénéfice des collectivités défenderesses pour la valeur de 1 715 750 euros ". Cependant, ainsi qu'il a été dit au point 6, la procédure de régularisation a été engagée et des arrêtés instituant des servitudes de passage des canalisations et les acquisitions nécessaires au projet de poste de refoulement ont été déclarées d'utilité publique par arrêté du préfet de la Réunion des 24 et 25 mai 2018. La procédure étant en cours, les conclusions aux fins d'injonction sont dès lors dépourvues d'objet. Par ailleurs, il n'appartient pas à la cour mais aux parties par accord amiable ou au juge de l'expropriation de déterminer la valeur des terrains susceptibles d'être acquis par les collectivités défenderesses.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

22. Le syndicat mixte d'assainissement du Port et de la Possession, la commune du Port et la commune de la Possession n'étant pas les parties perdantes dans la présente instance, les conclusions présentées par la chambre de commerce et d'industrie de la Réunion au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ne peuvent qu'être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la chambre de commerce et d'industrie de la Réunion, la somme globale de 2 000 euros à verser aux trois collectivités intimées.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de la Réunion est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de la demande du 27 mars 2015.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de la demande du 27 mars 2015 et sur les conclusions d'injonction tendant à la régularisation de la situation.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La chambre de commerce et d'industrie de la Réunion versera au syndicat mixte d'assainissement du Port et de la Possession, à la commune du Port et à la commune de la Possession la somme globale de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la chambre de commerce et d'industrie de la Réunion, au syndicat mixte d'assainissement du Port et de la Possession, à la commune du Port et à la commune de La Possession.

Une copie en sera adressée pour information au préfet de la Réunion.

Délibéré après l'audience du 10 octobre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. C..., premier vice-président,

- M. B..., président assesseur,

- Mme Mornet, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 24 octobre 2019.

Le rapporteur,

Ch. B...Le président,

M. C...

Le greffier,

E. MOULIN

La République mande et ordonne au ministre des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 10PA03855

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N°17PA22280


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA22280
Date de la décision : 24/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Comptabilité publique et budget - Dettes des collectivités publiques - Prescription quadriennale - Régime de la loi du 31 décembre 1968.

Droits civils et individuels - Droit de propriété - Actes des autorités administratives concernant les biens privés - Voie de fait et emprise irrégulière.


Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: M. Christian BERNIER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : DUGOUJON ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-10-24;17pa22280 ?
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