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24/10/2019 | FRANCE | N°17PA21304

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 24 octobre 2019, 17PA21304


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première demande enregistrée sous le n°1500049, la SARL Espace Lagon,

M. I... et Mme E... ont demandé au tribunal administratif de Mayotte de condamner le département de Mayotte à leur verser la somme de 6 765 275,84 euros en réparation des préjudices résultant de la non-réalisation du projet hôtelier sur le site de M'M..., avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts. Par une seconde demande enregistrée sous le n° 1500050, la SARL Espace Lagon a demandé au tribunal

de condamner l'Etat à lui verser la même somme en réparation des mêmes préjudices.

P...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une première demande enregistrée sous le n°1500049, la SARL Espace Lagon,

M. I... et Mme E... ont demandé au tribunal administratif de Mayotte de condamner le département de Mayotte à leur verser la somme de 6 765 275,84 euros en réparation des préjudices résultant de la non-réalisation du projet hôtelier sur le site de M'M..., avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts. Par une seconde demande enregistrée sous le n° 1500050, la SARL Espace Lagon a demandé au tribunal de condamner l'Etat à lui verser la même somme en réparation des mêmes préjudices.

Par un jugement n°1500049-1500050 du 23 février 2017, le tribunal administratif de Mayotte, après avoir jointes les deux demandes, a rejeté celle de la SARL Espace Lagon.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés au greffe de la cour administrative d'appel de Bordeaux les 24 avril 2017, 29 décembre 2017, 4 mai 2018 et 8 octobre 2018, la SARL Espace Lagon, M. J... I... et Mme F... E..., représentés par Me H... K..., demandent à la cour :

1°) de confirmer le jugement du tribunal administratif en ce qu'il a estimé que la responsabilité de l'Etat était engagée ;

2°) à titre principal, de condamner l'Etat à verser la somme de 3 798,92 euros à la SARL Espace Lagon, la somme de 72 335,88 euros à M. I..., la somme de 63 665 euros à Mme E... au titre des frais vainement engagés, la somme de 4 777 620 euros à la SARL Espace Lagon, la somme de 188 737,50 euros à M. I..., la somme de 188 737,50 euros à Mme E... au titre du manque à gagner, soit la somme totale de 5 291 267,60 euros assortie des intérêts capitalisés ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner l'Etat à verser la somme de 3 798,92 euros à la SARL Espace Lagon, la somme de 72 335,88 euros à M. I..., la somme de 63 665 euros à Mme E... au titre des frais vainement engagés, la somme de 2 388 810 euros à la SARL Espace Lagon, la somme de 94 368,75 euros à M. I..., la somme de 94 368,75 euros à Mme E... au titre du manque à gagner, soit la somme totale de 2 717 347,90 euros assortie des intérêts capitalisés ;

4°) à titre infiniment subsidiaire de désigner un expert pour l'évaluation des préjudices ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le tribunal administratif de Mayotte, en se bornant à rejeter les demandes de la SARL Espace Lagon sans se prononcer sur les demandes de M. I... et de Mme E..., a statué infra petita ;

- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, le tableau récapitulatif des dépenses suffisait à justifier leurs préjudices dont la réalité et le montant n'avaient pas été contestés en défense par le préfet ;

- en estimant que les frais étaient insuffisamment établis, le tribunal a soulevé d'office un moyen ;

- la responsabilité de l'Etat, qui avait promis de conclure un bail emphytéotique sur des parcelles dont il s'est avéré en définitive qu'elles ne lui appartenaient pas, est engagée sur le terrain des promesses non tenues ;

- la promesse a été faite non pas dans le cadre d'une procédure préparatoire mais dans celui d'un appel à projet ;

- le préfet n'a fait connaitre les incertitudes juridiques qui pesaient sur le projet le

7 mars 2012 qu'après avoir donné explicitement son accord à sa réalisation le 19 juillet 2011 ;

- aucune imprudence de la part des demandeurs ne vient atténuer la responsabilité de l'Etat ;

- il s'est révélé depuis le jugement du tribunal que les obstacles juridiques avancés n'ont pas fait obstacle à ce qu'un bail emphytéotique soit conclu avec la société Case Robinson, attributaire de second rang dans l'appel à projet ;

- ce bail conclu avec Case Robinson ne se substitue pas à une autorisation d'occupation antérieure ;

- le préfet a donc entendu évincer un candidat métropolitain au bénéfice d'un candidat local ;

- ils justifient des frais engagés qui comprennent les dépenses faites avant la promesse ;

- les circonstances particulières de leur éviction justifient une indemnisation de la perte de chance de réaliser des profits sur la base du rapport comptable de M. A... ;

- ils ont souffert d'un préjudice d'image qu'ils évaluent à 60 000 euros.

Par deux mémoires en défense enregistrés les 10 septembre 2018 et 2 novembre 2018, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le tribunal n'a pas statué infra petita, M. I... et Mme E... ne faisant état d'aucun préjudice distinct de ceux de la SARL Espace Lagon sur lesquels les premiers juges ont complétement statué ;

- il appartenait aux demandeurs qui ne pouvaient se borner à fournir un récapitulatif invérifiable de justifier de leurs préjudices ;

- l'appel à projet étant une procédure préparatoire, seuls des agissements incitatifs reflétant une intention de nuire ou de la mauvaise foi de l'administration peuvent engager sa responsabilité ;

- l'Etat a formulé des réserves sur la possibilité de réaliser le projet dès le 7 mars 2012 ;

- l'hostilité des riverains constituait un risque qu'un entrepreneur prudent aurait dû prendre en compte ;

- les demandeurs n'avaient aucun droit acquis à la signature d'un bail emphytéotique, la convention de subvention n'ayant pas à cet égard valeur de promesse ;

- le projet de la société Case Robinson, qui s'est concrétisé, ne se substituait pas à celui de la SARL Espace Lagon, dès lors que les deux projets n'occupent pas la même emprise, qu'il était acquis dès l'origine qu'ils coexisteraient et que Case Robinson détenait une autorisation d'occupation ;

- la plupart des dépenses justifiées, dont certaines sont sans lien direct avec le projet, sont antérieures au 19 juillet 2011 et ne sont pas de ces faits indemnisables ;

- le projet ne pouvant être réalisé sans illégalité, l'indemnisation n'est pas fondée ;

- de nombreuses factures sont peu probantes ;

- la réparation du manque à gagner du fait de promesses non tenues est exclue ;

- l'atteinte à la réputation n'est pas établie.

La clôture de l'instruction est intervenue le 6 novembre 2018.

Par ordonnance du 1er mars 2019, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué le jugement de la requête à la cour administrative d'appel de Paris qui l'a enregistrée sous le n° 17PA21304.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de Mme Péna, rapporteur public ;

- et les observations de Me K... et de Me L... représentant la SARL Espace Lagon, M. I... et Mme E..., et de Mme B... G..., représentant le ministre de l'intérieur.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Espace Lagon, M. I... et Mme E... ont demandé au tribunal administratif de Mayotte de condamner le département de Mayotte et l'Etat à leur verser la somme de 6 765 275,84 euros en réparation des préjudices résultant de la non-réalisation du projet hôtelier sur le site de M'M.... Par un jugement du 23 février 2017, le tribunal administratif de Mayotte, après avoir jugé que la responsabilité de l'Etat était engagée à l'égard de la société au titre des promesses non tenues faites à cette dernière, a rejeté les demandes indemnitaires de la société Espace Lagon. La SARL Espace Lagon, M. I... et Mme E... relèvent appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, alors que les demandes étaient présentées par la SARL Espace Lagon, par M. J... I... et par Mme F... E..., celles de M. I... et de Mme E... n'ont été ni visées ni analysées par le tribunal administratif de Mayotte qui n'y a pas répondu. Le jugement attaqué encourt dès lors l'annulation en tant qu'il comporte cette omission.

3. En second lieu, pour rejeter la demande tendant à l'indemnisation des dépenses engagées pour les études et la mise en oeuvre du projet, les premiers juges, après avoir relevé que le préfet contestait l'existence de tout préjudice notamment en l'absence de justificatif, ont notamment estimé que la seule production d'un tableau récapitulatif ne permettait pas d'établir la réalité des dépenses alléguées. Les demandeurs n'ayant pas apporté la preuve qui leur incombait de l'existence de leur préjudice, le tribunal administratif de Mayotte pouvait, sans méconnaitre son office, rejeter leurs demandes sans les inviter à fournir davantage de justificatifs. La contestation du rejet de ces demandes relève du bien fondé et non de la régularité du jugement.

4. Il y a lieu par suite pour la cour de de statuer immédiatement par la voie de l'évocation sur les demandes de M. I... et de Mme E... et par l'effet dévolutif de l'appel sur les conclusions de la SARL Espace Lagon.

Sur les demandes de M. I... et de Mme E... :

En ce qui concerne la responsabilité :

5. Le 21 janvier 2011, l'Etat et le département de Mayotte ont lancé un appel à projets relatif à l'aménagement touristique du site de M'M... situé sur la commune de Bouéni. Le cahier des charges de cet appel à projet, après avoir rappelé que le développement hôtelier de ce site qui présentait un caractère prioritaire bénéficiait de l'appui des pouvoirs publics, précisait en son point 2.3 (situation foncière) que " l'ensemble du terrain retenu dans le cadre de cet appel à projet (était) est situé sur la zone des cinquante pas géométriques et (faisait) partie du domaine public. La superficie de la zone est de 3,7 ha ". Le point 3 du cahier des charges détaillait les contraintes pensant sur le site, et notamment les contraintes réglementaires générales, les risques naturels, et les principes de l'aménagement qui s'imposeraient aux investisseurs au regard notamment de l'insertion de l'ensemble hôtelier dans le site. Le point 4 (cadre juridique) spécifiait : " Dans le cadre de cette opération, le terrain situé sur la zone des cinquante pas géométriques fera l'objet d'un contrat de bail emphytéotique avec l'Etat ". Le point 5 rappelait, sans que des engagements soient pris à cet égard, les avantages, subventions et aides dont pourraient bénéficier les investisseurs. La dernière partie du cahier des charges détaillait le contenu des dossiers que les candidats étaient invités à remettre, et les modalités, le calendrier et les critères de la sélection.

6. Si cet appel à projet a été lancé à l'initiative de l'Etat et du département de Mayotte en vue de développer l'économie du tourisme dans l'ile et de contribuer à la création d'emplois dans le respect du cadre naturel, il ne vise pas à satisfaire à un besoin propre des collectivités publiques. Le versement éventuel de subventions et les incitations fiscales mentionnées dans le cahier des charges ne sont pas la rémunération de prestations réalisées au profit de l'Etat ou du département qui en auraient passé commande, mais des avantages susceptibles de bénéficier à tout investisseur désireux de contribuer au développement économique de l'ile. Enfin, les promoteurs assurent la conception, la réalisation et la gestion de ce projet hôtelier exclusivement privé. Cet appel à projet ne présente donc pas en l'espèce le caractère d'un contrat relevant du régime de la commande publique. Il se borne à manifester l'intention de l'Etat de passer avec les promoteurs dont le projet aura été sélectionné, un bail emphytéotique sur les parcelles appartenant au domaine public de l'Etat. Il présente le caractère d'une mesure préparatoire à la conclusion de ces baux.

7. Le projet proposé par M. I... et de Mme E... a été sélectionné le 20 juin 2011, ce dont les demandeurs ont été officiellement informés par lettre du 19 juillet 2011. Cependant l'opération n'a pas pu être menée à bien en raison des obstacles rencontrés par le préfet pour mettre à la disposition des initiateurs du projet hôtelier les parcelles du domaine public, non délimitées, à la suite des vives contestations des riverains qui revendiquaient, au moins partiellement, la propriété. Il n'est pas contesté que l'impossibilité dans laquelle s'est trouvé le préfet de conclure les baux emphytéotiques annoncés dans l'appel à projet constitue l'unique cause de l'échec de l'opération.

8. Il ne résulte pas de l'instruction que l'appel à projet publié le 21 janvier 2011 ait comporté des informations erronées, même si les candidats pouvaient légitimement inférer du cahier des charges que les parcelles du domaine public ouvertes au projet hôtelier étaient effectivement disponibles et exemptes de contestation. Il n'y a pas eu, en l'espèce, de rupture unilatérale par l'Etat de négociations préalables à la conclusion d'un bail emphytéotique pour un motif d'intérêt général, mais une incapacité prolongée de l'Etat, qui avait lancé un appel à projets sans s'assurer que les terrains retenus faisaient intégralement partie du domaine public, à honorer l'engagement pris à l'égard des candidats sélectionnés de mettre à leur disposition, dans le cadre d'un bail emphytéotique, les parcelles d'emprise du projet qui leur étaient promises. Ce manquement à l'engagement qu'impliquait nécessairement l'appel à projet au regard des points 2.3 et 4 du cahier des charges constitue une faute qui engage la responsabilité de l'Etat. En revanche, la responsabilité du département de Mayotte, qui en l'espèce s'est borné à accorder une subvention aux demandeurs et qui n'est pas impliqué dans les insuffisances du projet au regard de la disponibilité des parcelles du domaine public de l'Etat, ne saurait être recherchée.

9. Contrairement à ce que les demandeurs soutiennent, la responsabilité de l'Etat à l'égard de M. I... et de Mme E... n'a pas commencé à courir à compter du 21 janvier 2011, les assurances relatives à la conclusion d'un bail emphytéotique sur les parcelles ouvertes à des propositions de projet hôtelier présentant à cette date un caractère général, destinées à tout candidat. Elle n'a pas davantage commencé à courir à compter du 20 juin ou du 19 juillet 2011. En effet, si à ces dates le projet de M. I... et de Mme E... avait été retenu, la concrétisation de l'engagement de l'Etat était expressément subordonnée à un arrangement à intervenir entre les demandeurs et les porteurs du projet " Casa Robinson ", également sélectionné, sur les modalités de partage des terrains et l'harmonisation des deux projets. En revanche, en signant avec M. I... et de Mme E... le 28 novembre 2011 une convention d'une durée de deux ans par laquelle il leur accordait une subvention de 370 000 euros du fonds mahorais de développement économique social et culturel, dont le versement était subordonné à un commencement d'exécution de l'opération assorti de la présentation de justificatifs des dépenses et en leur adressant pour signature le bail emphytéotique mis au point par ses services, le préfet de Mayotte a encouragé les demandeurs à engager les premières dépenses et les a confortés dans la certitude que les parcelles promises étaient effectivement disponibles. La responsabilité de l'Etat est donc intégralement engagée à compter du 28 novembre 2011 sans qu'une imprudence fautive de M. I... et de Mme E... ne vienne l'atténuer. En effet, ces derniers n'étaient pas supposés prévoir que la propriété des parcelles de l'Etat présentées comme disponibles pour la construction d'un ensemble hôtelier était contestable. Par ailleurs, les demandeurs n'ont pas dû renoncer à leur projet en raison de l'hostilité des riverains mais parce que l'Etat n'était pas en mesure d'établir la réalité de ses droits sur les terrains qu'il envisageait de leur bailler, ou de les faire respecter s'agissant des parcelles dont l'appartenance au domaine public aurait été incontestable. En revanche, saisi par les demandeurs des premières difficultés rencontrées avec les riverains qui se disaient en possession de titres sur les parcelles promises, le préfet de Mayotte a admis par courrier du 7 mars 2011 que " des blocages persistaient au regard des délimitations des propriétés privées jouxtant la zone des pas géométriques ". S'il a assuré que " les services de l'Etat poursuivaient leurs efforts pour aboutir à des ententes conjointes permettant la concrétisation des projets hôteliers ", M. I... et de Mme E... ne pouvaient à partir de cette date tenir pour certain que le projet envisagé était réalisable et que l'Etat serait en mesure de signer les projets de baux emphytéotiques dont ils avaient été rendus destinataires. Ce courrier devait donc les inciter à engager de nouvelles dépenses qu'avec la plus grande prudence compte tenu de la tournure aléatoire que prenait le projet. A compter de cette date, la responsabilité de l'Etat ne saurait dès lors être engagée qu'à hauteur de 50%. Elle a cessé à compter du 15 juin 2014, les promoteurs du projet ayant signifié au préfet le 29 mai 2014 que faute de réponse favorable à leur demande dans un délai de quinze jours, ils seraient contraints d'abandonner le projet et de réclamer l'indemnisation de leurs préjudices.

10. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que l'impossibilité dans laquelle s'est trouvé l'Etat d'honorer l'engagement pris auprès de M. I... et de Mme E... de signer un bail emphytéotique répondrait à d'autres causes que les contestations tenant à propriété et à la délimitation des parcelles sur lesquelles ils envisageaient d'édifier leur ensemble hôtelier. Leurs allégations, précisées en appel, selon lesquelles l'Etat aurait en réalité entendu faire échouer leur projet pour favoriser celui de la société Casa Robinson, porté par des Mahorais, ne sont pas établies. Le projet de M. I... et de Mme E... et celui de Casa Robinson, qui avaient l'un et l'autre été retenus au terme de la procédure d'appel à projets, n'étaient pas concurrents mais complémentaires, ils ne se situaient pas sur la même portion du site de M'M..., et les initiateurs des deux projets s'étaient concertés pour les harmoniser. Il ne saurait se déduire de la circonstance que l'Etat ait conclu en 2017 un bail emphytéotique avec la société Casa Robinson pour un projet plus vaste que celui initialement envisagé que le préfet aurait, selon les termes des requérants, " manoeuvré " entre 2011 et 2014 pour les " évincer " au profit d'entrepreneurs locaux.

En ce qui concerne les préjudices :

11. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 que la faute commise par le préfet en ne tenant pas sa promesse de conclure avec M. I... et Mme E..., ou la société qu'il créeraient, un bail emphytéotique a engagé la responsabilité extracontractuelle de l'Etat. Les demandeurs ne peuvent cependant prétendre qu'à la réparation du préjudice directement causé par cette faute, tel que celui correspondant, le cas échéant, aux dépenses qu'ils ont pu engager sur la foi de cette promesse. Il en résulte que les frais exposés avant le 28 novembre 2011 pour présenter et finaliser son projet, qui sont au nombre des risques normaux qu'assume un entrepreneur en présentant un projet dont la concrétisation est incertaine ne sont pas indemnisables. Il en va également des frais exposés après le 15 juin 2014, le projet étant réputé abandonné à cette date.

12. Il résulte du tableau récapitulatif et des quelques factures produites devant la juridiction administrative que l'essentiel des frais engagés par M. I... et Mme E... l'ont été dans le cadre de la préparation du projet, avant qu'ils ne puissent se prévaloir d'un engagement non tenu de l'Etat, soit le 28 novembre 2011. Il en va ainsi en particulier des frais d'architecte, de géomètre, de repérage, d'élaboration et de confection du dossier, et des déplacements et des hébergements à Mayotte. Si le tableau récapitulatif fait état de deux opérations avec le cabinet d'architectes Sibel Tek Blot à la date du 30 décembre 2011, d'un montant respectif de 2 679,04 et 968,76 euros TTC, aucune facture ne vient établir la réalité de ces dépenses.

13. Par ailleurs, alors même qu'une telle assurance leur avait été donnée, M. I... et Mme E... n'avaient aucun droit à la signature d'un bail emphytéotique sur des parcelles appartenant au domaine public maritime de l'Etat à Mayotte, d'autant que cette appartenance était vivement contestée par les riverains. La perte des profits, purement éventuels, qu'ils escomptaient de l'opération hôtelière, qui au demeurant auraient été réalisés par la SARL Espace Lagon qu'ils avaient créée le 19 novembre 2011, et qui ne présente pas de caractère certain, n'est pas un préjudice indemnisable.

14. Enfin, il n'est pas établi que l'échec de leur projet à Mayotte aurait nui à la réputation commerciale et professionnelle de M. I... et de Mme E....

15. Il résulte de ce qui précède que les demandes présentées par M. I... et Mme E... devant la juridiction administrative doivent être rejetées.

Sur les conclusions de la SARL Espace Lagon :

Sur la responsabilité :

16. Pour mener à bien leur projet de complexe hôtelier à Mayotte, M. I... et Mme E... ont créé le 19 octobre 2011 la société Espace Lagon qui devait gérer l'ensemble hôtelier si le projet s'était réalisé.

17. La responsabilité de l'Etat est engagée à l'égard de la société Espace Lagon pour les mêmes motifs que ceux retenus par la cour aux points 7 et 8 du présent arrêt, s'agissant de la responsabilité de l'Etat à l'égard de M. I... et Mme E.... La société ne peut cependant prétendre qu'à la réparation du préjudice directement causé par la faute de l'Etat, tel que celui correspondant, le cas échéant, aux dépenses qu'elle a pu engager sur la foi de la promesse faite à M. I... et Mme E....

Sur les préjudices :

18. La SARL Espace Lagon justifie d'une facture d'avocat d'un montant de 179,40 euros du 24 février 2012. La mise en place du projet hôtelier à Mayotte ayant été l'unique objet de la société avant qu'elle ne se mette en sommeil en 2013, et le recours à ce conseil étant lié aux démêlés avec la préfecture de Mayotte ainsi qu'il ressort du libellé de cette facture, la société est fondée à obtenir l'indemnisation de ces frais. En revanche les frais de constitution de la société, qui sont antérieurs au 28 novembre 2011, ne sont pas indemnisables.

19. La SARL Espace Lagon, pas plus que M. I... et Mme E... à qui cette assurance avait été donnée, n'avait aucun droit à la signature d'un bail emphytéotique sur des parcelles appartenant au domaine public maritime de l'Etat à Mayotte. Ainsi qu'il a été dit au point 9 du présent arrêt, La SARL Espace Lagon n'a pas été irrégulièrement évincée pour favoriser le projet concurrent d'entrepreneurs locaux. La perte des profits qu'escomptait la SARL Espace Lagon, qui n'est pas la conséquence directe et certaine de la faute de l'Etat, n'est pas indemnisable.

20. Enfin, il n'est pas établi que l'échec du projet à Mayotte aurait nui à la réputation commerciale et professionnelle de la SARL Espace Lagon, de création très récente, et qui s'est mise en sommeil dès 2013.

21. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de condamner l'Etat à verser à la société Espace Lagon la somme de 179,40 euros. Les intérêts sur cette somme courront à compter du

6 novembre 2014. La capitalisation ayant été demandée le 28 janvier 2015, les intérêts seront capitalisés le 6 novembre 2015, puis à chaque échéance annuelle.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

22. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à la SARL Espace Lagon.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Mayotte est annulé en tant qu'il n'a pas statué sur les demandes de M. I... et Mme E....

Article 2 : Les demandes de M. I... et Mme E... sont rejetées.

Article 3 : L'Etat est condamné à verser à la SARL Espace Lagon la somme de 179,40 euros avec intérêts au taux légal au 6 novembre 2014 et capitalisation annuelle au 6 novembre 2015.

Article 4 : L'Etat versera à la SARL Espace Lagon la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Espace Lagon, à M. J... I... et Mme F... E..., au ministre de l'intérieur, au ministre des outre-mer et au département de Mayotte.

Copie en sera communiquée pour information au préfet de Mayotte.

Délibéré après l'audience du 10 octobre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. D..., premier vice-président,

- M. C..., président assesseur,

- Mme Mornet, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 24 octobre 2019.

Le rapporteur,

Ch. C...Le président,

M. D...

Le greffier,

E. MOULIN

La République mande et ordonne au ministre des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 10PA03855

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N°17PA21304


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA21304
Date de la décision : 24/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-03-03 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Agissements administratifs susceptibles d'engager la responsabilité de la puissance publique. Promesses.


Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BOULEAU
Rapporteur ?: M. Christian BERNIER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : CABINET URBI et ORBI

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-10-24;17pa21304 ?
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