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22/10/2019 | FRANCE | N°17PA22001

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 22 octobre 2019, 17PA22001


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au Tribunal administratif de la Martinique de condamner l'Etat à lui verser la somme de 800 000 euros en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral dont il estime avoir été victime ou à défaut des fautes de l'Etat à son égard, avec intérêts moratoires et capitalisation de ceux-ci et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1500016 du 21 mars 2017, le

Tribunal administratif de la Martinique a condamné l'Etat à lui verser une somme de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au Tribunal administratif de la Martinique de condamner l'Etat à lui verser la somme de 800 000 euros en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral dont il estime avoir été victime ou à défaut des fautes de l'Etat à son égard, avec intérêts moratoires et capitalisation de ceux-ci et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1500016 du 21 mars 2017, le Tribunal administratif de la Martinique a condamné l'Etat à lui verser une somme de 1 000 euros en réparation du préjudice moral résultant de la faute consistant à n'avoir pas procédé à nouveau à sa notation pour l'année 2004 et a rejeté le surplus de ses conclusions.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 27 juin 2017, 6 et 7 novembre 2018 et 12 août 2019 M. B..., représenté par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de la Martinique du 21 mars 2017 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 855 000 euros en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral dont il estime avoir été victime ou à défaut des fautes de l'Etat à son égard dans le déroulement de sa carrière ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il a été victime de harcèlement moral depuis l'année 2000 de la part de ses collègues et de ses supérieurs, tant à la préfecture de la Martinique que lors de ses affectations ultérieures à la préfecture des Côtes d'Armor et à la préfecture de Dordogne et à nouveau en Martinique ;

- à supposer que l'existence d'un harcèlement moral ne soit pas tenue pour établie, il doit être indemnisé des fautes commises par l'administration et de nature à engager sa responsabilité, résultant notamment de l'absence de notations puis d'entretiens d'évaluation réguliers depuis 2005, du caractère de sanction déguisée de sa réaffectation en Martinique en 2011 et de l'impossibilité dans laquelle il a été mis de bénéficier de congés bonifiés ;

- il est dès lors fondé à demander réparation tant de son préjudice moral que de l'atteinte à son image, de son préjudice financier résultant de l'impossibilité d'accéder à la haute fonction publique et de l'impossibilité d'avoir pu bénéficier de congés bonifiés.

Par une ordonnance du 1er mars 2019, prise en application de l'article R. 351-8 du code de justice administrative, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a attribué le jugement de la requête à la Cour administrative d'appel de Paris.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 juillet 2019, le ministre de l'intérieur demande à la Cour de rejeter la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés, pour les motifs développés dans ses écritures de première instance.

Par ordonnance du 19 juillet 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 19 août 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi du 13 juillet 1983 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

-et les conclusions de M. Baffray, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., qui a débuté sa carrière comme attaché de préfecture, a été muté à la préfecture de la Martinique en 1987, puis nommé directeur de préfecture à la préfecture des Côtes d'Armor en 2002, avant d'être affecté en 2005 à la préfecture de Dordogne pour occuper un emploi fonctionnel de directeur des services de préfecture, en qualité de directeur de la coordination interministérielle. A compter du 1er janvier 2008, il a été reclassé dans un emploi fonctionnel de conseiller d'administration de l'intérieur et de l'outre-mer et maintenu dans ses fonctions jusqu'au terme de son détachement le 28 février 2010, par un arrêté du même jour qui a prononcé sa réintégration dans le corps des directeurs de préfecture. Il est demeuré affecté en Dordogne jusqu'à ce qu'un nouvel arrêté du 14 mars 2011 l'affecte en Martinique auprès des services de la plate forme d'appui interministériel à la gestion des ressources humaines Antilles-Guyane à compter du 1er avril 2011. Par un arrêté du préfet de la Martinique du 29 mai 2016, il a été placé à la retraite. Estimant avoir été victime de harcèlement moral au cours de ses diverses affectations, il a saisi le 13 janvier 2015 le Tribunal administratif de la Martinique d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 800 000 euros en réparation du préjudice résultant de ce harcèlement ou à défaut, en raison des fautes commises par l'Etat. Par un jugement du 21 mars 2017, le tribunal a écarté la qualification de harcèlement moral et les demandes d'indemnisation sur ce fondement, mais a jugé que l'Etat avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité en ne procédant pas à l'établissement d'une nouvelle notation de l'intéressé pour l'année 2004 après l'annulation de sa notation initiale par son précédent jugement du 6 avril 2006 et il a condamné l'Etat à lui verser une somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral subi à ce titre. C'est le jugement dont M. B... interjette appel.

Sur le bien-fondé du jugement :

Sur le harcèlement moral :

2. Aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements (...). Les dispositions du présent article sont applicables aux agents non titulaires de droit public ".

3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

4. M. B... soutient avoir été victime d'attitudes hostiles et malveillantes, tant dans son affectation initiale en Martinique que lors de ses affectations ultérieures dans les Côtes d'Armor et en Dordogne, et après son retour en Martinique en 2011. Il invoque, certes, des faits précis parmi lesquels sa notation très sévère pour l'année 2004, qui a été annulée par un jugement du Tribunal administratif de Rennes, à la suite duquel l'administration s'est refusé à procéder de nouveau à sa notation, ainsi que l'absence alléguée d'entretiens de notation ou d'évaluation à compter de 2008, les conditions dans lesquelles il a été mis fin à l'emploi fonctionnel qu'il occupait en Dordogne, et le caractère selon lui de sanction déguisée de sa réaffectation en Martinique en 2011. Toutefois, outre que la totalité de ces faits n'est pas établie, il se plaint aussi de " jeux psychologiques " sur lesquels aucune précision n'est apportée et auxquels se seraient livrés ses collègues aux fins de le déstabiliser, de complots contre lui entre l'ensemble des autres agents et d'une attitude générale d'hostilité à son égard dans toutes ses affectations. De même, s'il met en cause certains de ses supérieurs hiérarchiques qu'il identifie clairement, il soutient aussi avoir été en butte dans ses diverses affectations, à chaque fois après quelques mois de présence, à l'hostilité systématique de sa hiérarchie ainsi que de ses collègues, et fait également valoir que ses difficultés lors de sa première affectation en Martinique, résulteraient aussi de l'animosité à son égard d'un chef de juridiction, qu'il a par la suite fait l'objet d'hostilité des services fiscaux et postaux, et se plaint en dernier lieu de ce que sa banque aurait également participé aux diverses entreprises tendant à le déstabiliser. La multiplicité des personnes concernées ainsi que le caractère diffus, à l'exception de quelques faits, des accusations ainsi portées, dont la réalité n'est pas établie par les pièces du dossier, contribuent toutefois à écarter l'hypothèse d'un harcèlement moral, imputable à une personne ou un groupe de personnes déterminées. Par ailleurs, s'il invoque le caractère de sanction disciplinaire déguisée de sa mutation en Martinique en 2011, une mutation ne revêt un tel caractère que lorsque, tout à la fois, il en résulte une dégradation de la situation professionnelle de l'agent concerné et que la nature des faits qui ont justifié la mesure et l'intention poursuivie par l'administration révèlent une volonté de sanctionner cet agent. Or, si M. B... fait valoir qu'il a été affecté à un poste de catégorie A, alors qu'il aurait pu prétendre à un poste de catégorie A+, il n'apparait pas que cette mutation, alors qu'elle lui permet de revenir en Martinique et de lui trouver une autre affectation après les problèmes relationnels rencontrés en Dordogne, révèlerait une intention de le sanctionner. Enfin, si sa notation pour 2004 et la décision mettant fin à son détachement dans l'emploi fonctionnel de conseiller administratif de l'intérieur et de l'outre-mer (CAIOM) en Dordogne étaient entachées d'illégalité, ainsi qu'il résulte respectivement du jugement du Tribunal administratif de Rennes du 6 avril 2006 et de l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Bordeaux du 25 février 2014, ces illégalités, pour regrettables qu'elles soient, ne suffisent pas à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre. Il s'ensuit que M. B... n'est ni fondé à soutenir qu'il aurait été victime d'un tel harcèlement et à demander sur ce fondement réparation des préjudices allégués, ni par suite à soutenir que le tribunal administratif aurait à tort rejeté ses conclusions présentées sur ce fondement.

Sur la responsabilité pour faute :

5. M. B... soutient que les divers agissements invoqués au point 4, à supposer qu'ils ne doivent pas être regardés comme caractérisant une situation de harcèlement moral, seraient néanmoins constitutifs de fautes de nature à engager la responsabilité de l'administration à son égard.

6. Toutefois s'il peut être tenu pour établi que l'administration a commis une faute en refusant, après l'annulation de sa notation pour 2004, de procéder de nouveau à sa notation, le tribunal administratif a procédé à une juste évaluation de son préjudice moral en lui accordant à ce titre une somme de 1 000 euros.

7. Par ailleurs, s'il fait état de ce qu'il n'a pas été évalué pour les années 2005 et 2006 par le secrétaire général de la préfecture mais par des sous-préfets d'arrondissement, et que la notation ne serait intervenue que " postérieurement ", il résulte de l'instruction, que son appréciation a été élogieuse et porte la mention Très Bien et il ne justifie d'aucun préjudice en lien avec les conditions dans lesquelles ces notations sont intervenues.

8. De même si pour les années 2007, 2008 et 2009 il se plaint d'avoir été évalué de manière irrégulière, car l'entretien aurait été mené par le préfet en présence du secrétaire général de la préfecture, il ne justifie là encore, d'aucun préjudice en lien direct avec l'irrégularité ainsi alléguée, ou plus généralement avec la notation ainsi établie, alors que dans d'autres développements de ses écritures, il indique qu'il n'aurait pas fait l'objet d'une évaluation pour 2008 car " autant qu'il s'en souvienne il n'a reçu aucun document qui ressemble à cela ".

9. S'il fait également état de ce qu'il n'aurait pas fait l'objet d'évaluations pour les années suivantes, cette absence d'évaluation n'est nullement établie, alors qu'il ne justifie pas s'être inquiété de cette situation ou avoir demandé à bénéficier d'une évaluation.

10. Par ailleurs, il résulte de ce qui a été dit au point 4, que son affectation en Martinique en 2011 n'a pas le caractère d'une sanction disciplinaire déguisée. M. B... n'est par suite pas fondé à soutenir que cette affectation serait constitutive d'une faute de nature à lui ouvrir droit à réparation.

11. De même s'il invoque la faute de l'administration consistant à ne pas l'avoir mis à même de bénéficier de congés bonifiés pendant ses années passées en Dordogne, il ne justifie pas, par les pièces produites, avoir sollicité un tel congé et se l'être vu refuser ou avoir été mis dans l'impossibilité de le prendre après que celui-ci lui aurait été accordé. En l'absence de précisions sur les agissements de l'administration qui auraient conduit à l'empêcher de prendre de tels congés en dépit de demandes qu'il aurait formulées, ce chef de préjudice ne peut qu'être écarté.

12. En outre, si M. B... se plaint d'être revenu en Martinique sans avoir fait la carrière à laquelle il estimait pouvoir prétendre, il ne justifie pas pour autant avoir été mis " au ban de la société " et être " sans vie sociale " ni plus généralement subir du fait de ce retour un préjudice moral et une atteinte à son image.

13. Enfin, M. B... n'établit pas qu'aucun autre des agissements imputés à l'administration, et dont il fait état à l'appui de ses conclusions tendant à la reconnaissance d'une situation de harcèlement moral, serait constitutif de fautes qui présenteraient un caractère direct et certain avec des préjudices dont il justifierait et pour lesquels il n'aurait pas été déjà indemnisé.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande. Sa requête ne peut dès lors qu'être rejetée dans toutes ses conclusions y compris celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 9 octobre 2019, à laquelle siégeaient :

- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,

- M. Niollet, président-assesseur,

- Mme D..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 22 octobre 2019.

Le rapporteur,

M-I. D...Le président,

O. FUCHS TAUGOURDEAU

Le greffier,

T. ROBERT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

4

N° 17PA22001


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA22001
Date de la décision : 22/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique. Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : Mme FUCHS TAUGOURDEAU
Rapporteur ?: Mme Marie-Isabelle LABETOULLE
Rapporteur public ?: M. BAFFRAY
Avocat(s) : LAPLAGNE

Origine de la décision
Date de l'import : 26/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-10-22;17pa22001 ?
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