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03/10/2019 | FRANCE | N°17PA03624

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 03 octobre 2019, 17PA03624


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat (ministre des finances et des comptes publics) à lui verser la somme globale de 157 000 euros, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des fautes commises dans la gestion de sa carrière à compter de son retour de congé de longue durée le 18 octobre 2000.

Par un jugement n° 1517090/5-2 du 28 septembre 2017, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à M. E... la somme de 15 000 e

uros, outre les intérêts au taux légal et la capitalisation de ceux-ci.

Procéd...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat (ministre des finances et des comptes publics) à lui verser la somme globale de 157 000 euros, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des fautes commises dans la gestion de sa carrière à compter de son retour de congé de longue durée le 18 octobre 2000.

Par un jugement n° 1517090/5-2 du 28 septembre 2017, le Tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à M. E... la somme de 15 000 euros, outre les intérêts au taux légal et la capitalisation de ceux-ci.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 novembre 2017 et le 24 avril 2019,

M. E..., représenté par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant que, par ce jugement, le Tribunal administratif de Paris a limité à 15 000 euros la condamnation de l'Etat au titre des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des fautes commises dans la gestion de sa carrière à compter de son retour de congé de longue durée le 18 octobre 2000 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser un surplus de 142 000 euros, en réparation de ces préjudices, outre les intérêts de droit à compter de la date de réception de sa demande préalable et la capitalisation de ces intérêts à chaque échéance annuelle ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce que les premiers juges ont omis de statuer sur le moyen tiré de ce que la période pendant laquelle il a été placé en instance d'affectation a entraîné un préjudice de perte de rémunération de 67 000 euros.

Sur la responsabilité :

- les circonstances qu'il a été placé à plusieurs reprises, notamment du 17 septembre 2004 au 5 juin 2007, sans affectation, en étant maintenu dans une situation d'isolement, et qu'il n'a pas été remédié efficacement aux dysfonctionnements informatiques ayant perturbé ses fonctions en télétravail, sont de nature à faire présumer l'existence d'une discrimination en raison de son état de santé, dans un contexte de rejet de la part de sa hiérarchie qui connaissait sa maladie et en a déduit son inaptitude au service ;

- son absence d'affectation entre 2004 et 2007 est exclusivement imputable au ministre chargé de l'économie et des finances ;

- le retard mis par le ministre pour lui communiquer ses comptes-rendus d'évaluation annuelle ainsi que la carence de renseignement des rubriques relatives à sa valeur professionnelle sont de nature à établir qu'il n'a pas reçu de missions effectives correspondant à son grade ;

- en ne le faisant bénéficier ni d'une réduction d'ancienneté dans son avancement d'échelon ni d'une inscription au tableau annuel d'avancement au choix au grade d'attaché principal, le ministre a commis une abstention fautive ;

- il n'a fait l'objet d'aucun suivi de la médecine de prévention depuis son retour de congé de longue durée, ce qui a contribué à sa mise à l'écart par sa hiérarchie et au renforcement de son isolement ; ce défaut de suivi s'est prolongé en 2017 et 2018, alors même que les premiers juges l'avaient déjà considéré comme fautif.

Sur le préjudice :

- il a subi un préjudice de perte de chance sérieuse de bénéficier des primes et indemnités attachées à ses fonctions au titre de la période durant laquelle il a été placé fautivement sans affectation, à hauteur de 67 000 euros ;

- le préjudice moral et celui relatif aux troubles dans les conditions d'existence subis à raison du défaut d'affectation doivent être évalués à 10 000 euros chacun ;

- le préjudice de perte de rémunération et le préjudice moral liés au déroulement de carrière ralenti et à l'absence de promotion au choix doivent être évalués à 10 000 euros chacun ;

- le préjudice de perte de droits à la retraite doit être évalué à 20 000 euros ;

- le préjudice moral lié à la gestion défaillante du télétravail et à l'absence de visite annuelle organisée par la médecine de prévention doit être évalué à la somme globale de 20 000 euros ;

- le préjudice subi en lien avec les discriminations à raison de son état de santé doit être évalué à 10 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juin 2018, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée ;

- la loi n° 89-935 du 29 décembre 1989 ;

- le décret n° 45-1753 du 6 août 1945

- le décret n°82-453 du 28 mai 1982 ;

- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;

- le décret n°2002-62 du 14 janvier 2002

- le décret n° 2005-1215 du 26 septembre 2005 ;

- le décret n° 2010-888 du 28 juillet 2010 ;

- l'arrêté du 2 mai 2002 relatif à l'allocation complémentaire de fonctions en faveur de certains personnels techniques du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie ;

- l'arrêté du 20 décembre 2012 relatif à l'entretien professionnel et à la reconnaissance de la valeur professionnelle des fonctionnaires des ministères économiques et financiers ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public,

- et les observations de Me G... pour M. E....

Considérant ce qui suit :

1. M. E..., attaché d'administration centrale, a été titularisé au ministère de l'économie, des finances et de la privatisation le 1er janvier 1988. Il a été placé en congé de longue maladie puis en congé de longue durée entre le 15 septembre 1995 et le 18 octobre 2000. Il a été réintégré dans les cadres de l'administration centrale entre le 19 octobre 2000 et le

16 janvier 2002, étant notamment affecté à l'inspection générale des finances entre le

20 novembre 2000 et le 23 septembre 2001. Il a de nouveau été placé en congé de longue durée entre le 17 janvier 2002 et le 16 septembre 2004. Il a été ensuite placé en instance d'affectation entre le 17 septembre 2004 et le 5 juin 2007. A compter du 6 juin 2007, M. E... a bénéficié d'un protocole d'accord avec l'administration, régulièrement renouvelé, lui permettant d'exercer ses fonctions au sein de la direction des personnels et de l'adaptation de l'environnement professionnel (DPAEP) en télétravail. Par une lettre du 30 juillet 2015, réceptionnée le 3 août 2015 par le ministre des finances et des comptes publics, M. E... a demandé à ce dernier de lui verser une somme globale de 157 000 euros, en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de fautes commises dans la gestion de sa carrière à compter du 18 octobre 2000. Le ministre a implicitement rejeté cette demande. M. E... relève appel du jugement du

28 septembre 2017 par lequel le Tribunal administratif de Paris a limité à 15 000 euros la condamnation de l'Etat. M. E... demande en outre à la Cour de condamner l'Etat à lui verser un surplus de 142 000 euros, en réparation des préjudices susmentionnés.

Sur la régularité du jugement :

2. Il ressort des termes des points 4 et 13 du jugement attaqué que, après avoir retenu le principe de la responsabilité de l'Etat pour avoir laissé M. E... sans affectation dans un délai raisonnable pour la période du 17 septembre 2004 au 5 juin 2007, les premiers juges ont considéré que, dès lors qu'il était constant que les primes dont l'intéressé demandait le bénéfice étaient liées à l'exercice effectif des fonctions, M. E..., compte tenu de son absence d'affectation pendant cette période, n'était pas fondé à demander la restitution de celles dont il avait une chance sérieuse de bénéficier. Il s'ensuit que, contrairement à ce que soutient M. E..., les premiers juges ont répondu, en les rejetant, à ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 67 000 euros en réparation d'un préjudice de perte de rémunération au titre de la période pendant laquelle il a été placé en instance d'affectation.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la demande de réparation liée à la période d'absence d'affectation du 17 septembre 2004 au 5 juin 2007 :

Sur la responsabilité :

3. D'une part, sous réserve de dispositions statutaires particulières, tout fonctionnaire en activité tient de son statut le droit de recevoir, dans un délai raisonnable, une affectation correspondant à son grade.

4. D'autre part, en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un fonctionnaire qui a été irrégulièrement maintenu sans affectation a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de son maintien illégal sans affectation. Pour déterminer l'étendue de la responsabilité de la personne publique, il est tenu compte des démarches qu'il appartient à l'intéressé d'entreprendre auprès de son administration, eu égard tant à son niveau dans la hiérarchie administrative que de la durée de la période pendant laquelle il a bénéficié d'un traitement sans exercer aucune fonction. Dans ce cadre, sont indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente un lien direct de causalité.

5. Il résulte de l'instruction que M. E..., en congé de longue durée depuis le

17 janvier 2002, a été autorisé, suite à l'avis du comité médical ministériel du 1er juillet 2004, à reprendre son activité à compter du 17 septembre 2004 à mi-temps, pour raison thérapeutique et pendant six mois. En maintenant celui-ci en activité avec traitement mais sans affectation pendant une durée de deux ans et huit mois, alors qu'il appartenait au ministre chargé de l'économie et des finances, soit de lui proposer une affectation, soit, s'il l'estimait inapte aux fonctions correspondant à son grade, d'engager une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle, le ministre a méconnu la règle énoncée au point 3 et, ce faisant, a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges.

6. Toutefois, si M. E... était, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, en droit de recevoir dans un délai raisonnable une affectation correspondant à son grade, il lui appartenait également, compte tenu tant de son niveau dans la hiérarchie administrative que de la durée de la période pendant laquelle il a bénéficié d'un traitement sans exercer aucune fonction, d'entreprendre des démarches auprès de son administration. A cet égard, il résulte de l'instruction que M. E... qui a sollicité, dès le mois de juillet 2004, un entretien avec le directeur du personnel, de la modernisation et de l'administration de son ministère aux fins d'une nouvelle affectation et a postulé, sans succès, pour les trois offres d'emploi extérieures au ministère de l'économie et des finances que cette autorité lui avait communiquées le 28 décembre 2004, a, en outre, activement recherché, à compter du printemps 2005, à l'instigation du responsable de la mission de suivi personnalisé et des parcours professionnels, un poste à l'extérieur de son ministère d'origine, également sans succès. Si, au cours d'un entretien du 3 novembre 2006 avec la cheffe du bureau 1A de la sous-direction des ressources humaines, M. E... a, de nouveau, émis le souhait d'occuper un emploi au sein de son ministère d'origine mais dans une affectation proche de la ville d'Issoudun (Indre) où il avait été contraint de résider, cette circonstance n'est pas de nature à le faire regarder, contrairement à ce que soutient le ministre de l'économie et des finances, comme ayant manqué à son obligation d'entreprendre des démarches auprès de son administration ou tardé à faire connaître à cette dernière son souhait de la réintégrer. Il résulte de ce qui précède que le ministre n'est pas fondé à soutenir que M. E... aurait commis une faute de nature à exonérer, fût-ce partiellement, l'Etat de sa responsabilité.

Sur le préjudice :

Sur la perte de rémunération :

7. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause qui débute à la date d'expiration du délai raisonnable dont disposait l'administration pour lui trouver une affectation, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions.

8. Il résulte de l'instruction que, compte tenu du grade de M. E..., du faible nombre d'emplois y correspondant pouvant être exercés à mi-temps thérapeutique et de la périodicité des mouvements de mutations au sein du ministère de l'économie et des finances, le délai raisonnable dont disposait l'administration pour proposer à l'intéressé une nouvelle affectation doit être estimé à neuf mois. Ainsi, la période de référence pour le calcul du préjudice financier subi par M. E... à raison de la perte d'une chance sérieuse de percevoir les primes et indemnités s'étend du 18 juin 2005 au 5 juin 2007, soit pendant une période de 23 mois et 18 jours. Dans les circonstances de l'espèce, il convient de retenir comme base de calcul, pour évaluer le préjudice financier de M. E..., la somme mensuelle de 1 297,97 euros bruts qui aurait été perçue par lui au titre de son régime indemnitaire s'il avait été affecté au sein de son ministère pour la période considérée, telle qu'elle résulte du certificat du directeur du personnel, de la modernisation et de l'administration du 4 octobre 2005.

9. Il résulte du tableau de décomposition du régime indemnitaire de M. E... pour la période considérée, produit par le ministre de l'action et des comptes publics en réponse à la mesure d'instruction diligentée par la Cour, que celui-ci se composait d'une indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires (IFTS), prévue à l'article 1 du décret du 14 janvier 2002 relatif à l'indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires des administrations centrales, d'une prime de rendement, prévue à l'article 2 du décret du 6 août 1945 relatif aux primes de rendement pouvant être attribuées aux fonctionnaires des finances, d'une allocation complémentaire de fonctions (ACF), prévue aux articles 1 et 2 de l'arrêté du 2 mai 2002 relatif à l'allocation complémentaire de fonctions en faveur de certains personnels techniques du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, ainsi qu'une indemnité mensuelle de technicité (IMT), prévue à l'article 126 de la loi de finances pour 1990 du 29 décembre 1989. Il résulte de l'instruction qu'en étant maintenu en instance d'affectation entre le 18 juin 2005 et le 5 juin 2007, M. E... a perdu une chance sérieuse de bénéficier de ces quatre primes et indemnités, dont aucune n'avait pour objet de compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Il sera fait une exacte appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 30 632,09 euros bruts pour cette période de 23 mois et 18 jours, à raison d'un montant mensuel de 1297,97 euros. En l'état de l'instruction, il y a lieu de renvoyer M. E... devant l'administration afin que celle-ci procède au calcul de la somme nette qui lui est due à ce titre et à son paiement.

Sur la perte des droits à pension :

10. M. E... invoque le préjudice lié à ses droits à pension, à raison d'une moindre cotisation aux organismes de retraite obligatoire et complémentaire. Il y a lieu, dans le cadre du renvoi de M. E... devant l'administration mentionné au point 9, que cette dernière procède à la régularisation des droits à pension de l'intéressé nouvellement acquis, le cas échéant, du fait du versement des primes et indemnités. Le surplus des prétentions indemnitaires de M. E... relatives à ce chef de préjudice doit, en revanche, être rejeté.

Sur le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence :

11. M. E... reprend en appel, dans des termes similaires à ceux de la première instance, ses prétentions tendant à l'indemnisation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis à raison de la période où il s'est trouvé en instance d'affectation, notamment entre le 17 septembre 2004 et le 5 juin 2007. Il n'y a pas lieu de faire droit à ces prétentions au-delà de la somme qui a été allouée à ces titres à M. E... par les premiers juges, pour les motifs, qu'il y a lieu d'adopter, figurant aux points 14 et 15 du jugement.

En ce qui concerne la demande de réparation liée à la prétendue inadéquation des fonctions avec le grade :

12. Aux termes de l'article 2 du décret du 26 septembre 2005 portant dispositions statutaires communes applicables aux corps des attachés d'administration et à certains corps analogues, alors en vigueur : " Les attachés d'administration exercent leurs fonctions en administration centrale, dans les services déconcentrés, dans les services à compétence nationale et dans les établissements publics de l'Etat. Ils peuvent également exercer leurs fonctions dans les établissements publics locaux d'enseignement et de formation professionnelle. Ils participent à la conception, à l'élaboration et à la mise en oeuvre des politiques publiques ministérielles et interministérielles. / Ils sont chargés de fonctions de conception, d'expertise, de gestion et de pilotage d'unités administratives. / Ils peuvent être appelés à remplir les fonctions d'ordonnateur secondaire. Ils ont vocation à être chargés de fonctions d'encadrement ".

13. Ainsi qu'il a été dit au point 3, tout fonctionnaire en activité tient de son statut le droit de recevoir une affectation correspondant à son grade. Il résulte de l'instruction qu'à compter du 6 juin 2007, M. E..., rattaché au bureau " politique de l'emploi et développement des ressources humaines " de la DPAEP, a conclu avec le ministre chargé de l'économie et des finances un protocole d'accord de télétravail à domicile, régulièrement renouvelé depuis cette date, par lequel il lui a été confié différentes missions. Ces missions ont consisté, depuis 2007, notamment, en une étude sur les seniors (fonctionnaires âgés de 50 ans et plus) accompagnée de recommandations et d'une contribution à la réalisation d'un accord-cadre avec les syndicats, une étude sur le télétravail en administration centrale suivie d'un comparatif avec les pratiques étrangères, la réalisation d'un guide du télétravailleur et du manager, une étude sur les dispositifs et mesures d'accompagnement du changement, la rédaction d'une fiche réflexe portant sur l'organisation des déménagements de services, une étude sur la gestion des compétences et la transmission des savoirs, ainsi que deux études prospectives sur l'entretien professionnel et les temps et lieux de travail. Ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges, ces missions relèvent de la définition mentionnée par les dispositions susvisées de l'article 2 du décret du 26 septembre 2005. Si M. E... soutient que la consistance de ces différentes missions ne saurait masquer la réalité de sa " mise au placard ", une telle assertion n'est corroborée par aucune pièce de l'instruction. M E... ne peut en outre utilement soutenir à cet égard que ses comptes-rendus d'entretien annuel professionnel au titre des années 2013, 2015 et 2016 n'ont pas été renseignés au regard de sa valeur professionnelle ou ne lui ont été communiqués qu'avec retard, ou encore que certains objectifs qui lui ont été assignés ont eu un caractère répétitif et n'ont pas donné lieu à des suites opérationnelles.

En ce qui concerne la demande de réparation liée aux dysfonctionnements informatiques :

14. M. E... reprend en appel, à l'identique, ses conclusions indemnitaires tendant à l'indemnisation du préjudice moral subi à raison de la faute commise par le ministre de l'économie et des finances, reconnue au point 7 du jugement attaqué, tenant à la gestion défaillante des difficultés informatiques qu'il a rencontrées dans le cadre de ses missions en télétravail. Il n'y a toutefois pas lieu de faire droit aux prétentions du requérant à ce titre au-delà de la somme qui lui a été allouée par les premiers juges, pour les motifs, qu'il y a lieu d'adopter, figurant au point 15 du jugement.

En ce qui concerne la demande de réparation liée au retard prétendu dans le déroulement de carrière :

15. Aux termes de l'article 55 de la loi du 11 janvier 1984 : " (...) l'appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires se fonde sur un entretien professionnel annuel conduit par le supérieur hiérarchique direct. (...) ". L'article 57 de la même loi dispose : " L'avancement d'échelon (...) est fonction à la fois de l'ancienneté et de la valeur professionnelle des fonctionnaires (...) ". L'article 58 de ladite loi dispose : " L'avancement de grade a lieu de façon continue d'un grade au grade immédiatement supérieur. (...) Sauf pour les emplois laissés à la décision du Gouvernement, l'avancement de grade a lieu, selon les proportions définies par les statuts particuliers, suivant l'une ou plusieurs des modalités ci-après : 1° Soit au choix, par voie d'inscription à un tableau annuel d'avancement, établi après avis de la commission administrative paritaire, par appréciation de la valeur professionnelle et des acquis de l'expérience professionnelle des agents (...) ". Aux termes de l'article 24 du décret du 26 septembre 2005 susvisé, alors en vigueur : " Peuvent également être promus au grade d'attaché principal, au choix, par voie d'inscription à un tableau annuel d'avancement, les attachés qui justifient, au plus tard le 31 décembre de l'année au titre de laquelle le tableau d'avancement est établi, d'au moins sept ans de services effectifs dans un corps civil ou cadre d'emplois de catégorie A ou de même niveau et d'au moins un an d'ancienneté dans le 9ème échelon du grade d'attaché ". Aux termes de l'article 7, alors en vigueur, du décret du 28 juillet 2010 relatif aux conditions générales de l'appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires de l'État : " Au vu de leur valeur professionnelle appréciée dans les conditions prévues au chapitre Ier du présent décret, il peut être attribué aux fonctionnaires, dans chaque corps, des réductions ou des majorations d'ancienneté par rapport à l'ancienneté moyenne exigée par le statut du corps pour accéder d'un échelon à l'échelon supérieur, selon les modalités définies aux articles suivants. (...) ". Aux termes de l'article 9 de ce décret : " Les réductions d'ancienneté sont attribuées sur décision du chef de service qui les module compte tenu des propositions formulées par les supérieurs hiérarchiques directs des agents (...) ". Enfin, l'article 4 de l'arrêté du 20 décembre 2012 relatif à l'entretien professionnel et à la reconnaissance de la valeur professionnelle des fonctionnaires des ministères économiques et financiers précise que les réductions et majorations d'ancienneté accordées aux agents pour accéder à l'échelon supérieur sont réparties et attribuées au vu de leur valeur professionnelle par le chef de service.

16. M. E... soutient que le déroulement de sa carrière a été anormalement retardé depuis le 17 septembre 2000 dès lors, d'une part, qu'il n'a bénéficié d'aucune réduction d'ancienneté en matière d'avancement d'échelon et d'autre part, qu'il n'a jamais été proposé au tableau annuel d'avancement pour accéder, au choix, au grade d'attaché principal.

17. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment des différents comptes-rendus d'entretien annuel professionnel (CREAP) produits par M. E..., que si celui-ci a atteint les objectifs qui lui ont été assignés pour les années 2007 à 2010, trois des quatre objectifs fixés pour 2012 n'ont pu être atteints. S'agissant de sa valeur professionnelle et de sa manière de servir, si celles-ci ont été évaluées comme "bonne à très bonne" entre 2008 et 2012, elles n'ont toutefois jamais atteint le niveau "excellent". S'agissant en outre des appréciations littérales du supérieur hiérarchique, si celles-ci mettent en exergue, entre 2008 et 2010, les qualités de rigueur, de sérieux et d'implication avec lesquelles M. E... a élaboré les premiers travaux qui lui ont été confiés dans le cadre du télétravail, ainsi que la maîtrise de plusieurs domaines de compétence, les appréciations portées pour les années 2011 à 2013 sont plus contrastées, sans que cette différence puisse s'expliquer par les seules difficultés informatiques auxquelles l'intéressé a été confronté. Enfin, les appréciations du début de carrière de M. E... sont sans incidence sur son avancement d'échelon postérieur au 17 septembre 2000. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que, en décidant de fixer l'avancement d'échelon de M. E... à la " cadence moyenne ", c'est-à-dire sans aucune réduction d'ancienneté, à compter du 7ème échelon de l'intéressé, par une série de décisions qui n'ont d'ailleurs jamais été contestées par l'intéressé, le ministre chargé de l'économie et des finances n'a commis aucune illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

18. En second lieu, il résulte des dispositions susvisées de l'article 24 du décret du

26 septembre 2005 que l'inscription au tableau annuel d'avancement pour être promu au grade d'attaché principal, au choix, ne constitue pas un droit pour les attachés. S'il résulte de l'instruction que M. E..., qui disposait d'une ancienneté d'environ vingt ans dans ce grade et avait atteint, à l'issue de sa dernière période d'instance d'affectation, soit au 6 juin 2007, le dixième échelon de celui-ci, remplissait les conditions pour figurer au tableau annuel d'avancement au choix au grade d'attaché principal, il ne résulte pas de l'examen des différents CREAP produits par lui au titre des années 2007 à 2013, tels qu'ils ont été analysés au point 17 au regard de sa valeur professionnelle et de sa manière de servir, qu'en s'abstenant de proposer M. E... à l'inscription à ce tableau, l'administration ait commis une erreur manifeste d'appréciation. En outre et en tout état de cause, M. E... n'invoque aucun tableau d'avancement précis au grade d'attaché principal sur lequel il ne figurerait pas, seul de nature à permettre à la Cour d'analyser ses mérites comparés à ceux d'autres agents dont l'inscription aurait été retenue. Enfin, si M. E... invoque, au soutien du moyen tiré d'un défaut d'inscription fautif au tableau d'avancement, une discrimination à raison de son état de santé, il n'allègue aucun fait précis de nature à en faire présumer l'existence. Il résulte de ce qui précède qu'aucune faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ne peut être retenue du fait d'un défaut d'inscription au tableau annuel d'avancement au choix au grade d'attaché principal.

En ce qui concerne la demande de réparation liée au défaut de suivi médical :

19. Aux termes de l'article 23 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée : " Des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux fonctionnaires durant leur travail ". Aux termes de l'article 22 du décret du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique : " Les administrations sont tenues d'organiser un examen médical annuel pour les agents qui souhaitent en bénéficier ". Aux termes de l'article 24 du même décret : " Le médecin de prévention exerce une surveillance médicale particulière à l'égard : (...) des agents réintégrés après un congé de longue maladie ou de longue durée ; (...) des agents souffrant de pathologies particulières déterminées par le médecin de prévention ; / Le médecin de prévention définit la fréquence et la nature des visites médicales que comporte cette surveillance médicale et qui doit être au moins annuelle. Ces visites présentent un caractère obligatoire ". Aux termes de l'article 18 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires : " Le médecin chargé de la prévention attaché au service auquel appartient le fonctionnaire dont le cas est soumis au comité médical ou à la commission de réforme est informé de la réunion et de son objet. Il peut obtenir, s'il le demande, communication du dossier de l'intéressé. Il peut présenter des observations écrites ou assister à titre consultatif à la réunion ; il remet obligatoirement un rapport écrit dans les cas prévus aux articles 26, 32, 34 et 43 ci-dessous (...) ".

20. M. E... invoque un défaut de suivi médical régulier par l'administration, notamment à compter de son retour de congé de longue durée en 2004, ce qui, selon lui, a contribué au maintien anormalement long de la période d'instance d'affectation, a participé à sa prétendue " mise au placard " et lui a été préjudiciable du fait de l'absence de prise en compte de ses conditions de travail, inadaptées et sources d'isolement. Toutefois, en premier lieu,

M. E... ne soutient ni même n'allègue avoir fait une demande d'examen médical annuel entre 2004 et 2018 auprès du médecin de prévention, seule de nature à contraindre l'administration à l'organisation d'un tel examen, en vertu des dispositions qui précèdent de l'article 22 du décret du 28 mai 1982. En deuxième lieu et ainsi que l'ont relevé à bon droit les premiers juges, le médecin de prévention était nécessairement informé de la situation médicale de M. E..., en vertu des dispositions susvisées des articles 18 et 43 du décret du 14 mars 1986, au regard des dix expertises médicales de l'intéressé réalisées à la demande du comité médical entre 1997 et 2007. En troisième lieu et en tout état de cause, les conséquences alléguées par M. E... d'un défaut de suivi médical, à supposer même celui-ci établi, fût-ce partiellement, ne sont corroborées par aucune pièce de l'instruction, tant au regard de la durée anormalement longue de la période d'instance d'affectation, à la prétendue mise au ban du service de l'intéressé ou à la dégradation de son état de santé qui aurait résulté de conditions d'organisation de télétravail défaillantes. Enfin, si M. E... invoque des négligences médicales liées à la prétendue divulgation de sa pathologie en 1999 et à son exposition, lors d'un examen du 6 novembre 2017, à une situation de tabagisme passif, il n'établit pas que, d'une part, la lettre de signalement de sa pathologie par le chef du service de l'inspection générale des finances à la directrice des ressources humaines, en 1999, portant la mention " personnel et confidentiel ", serait à l'origine de la divulgation de sa pathologie à l'ensemble de sa hiérarchie et, d'autre part, que les faits du 6 novembre 2017, pour regrettables qu'ils soient, lui auraient causé un préjudice sanitaire quelconque.

En ce qui concerne la demande de réparation liée à la discrimination au regard de l'état de santé :

21. Si M. E... invoque le moyen tiré d'une discrimination à raison de son état de santé, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal administratif aux points 11 et 12 de son jugement.

22. Il résulte de tout ce qui précède que le montant de l'indemnité due par l'Etat à

M. E... doit être augmenté du montant net correspondant à la somme de 30 632,09 euros bruts allouée à titre de primes et indemnités pour la période allant du 18 juin 2005 au 5 juin 2007 et que l'Etat doit procéder à la régularisation des droits à pension nouvellement acquis, le cas échéant, par M. E.... Il y a lieu de réformer en ce sens le jugement attaqué du Tribunal administratif de Paris.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

23. M. E... a droit aux intérêts au taux légal sur la somme nette mentionnée au point 22 à compter du 3 août 2015, date de réception de sa demande préalable par le ministre de l'économie et des finances.

24. Aux termes de l'article 1154 du code civil : " Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ". La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée par M. E... le 16 octobre 2015. Il y a lieu de faire droit à cette demande de capitalisation des intérêts à compter du 3 août 2016, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, et, le cas échéant, à chaque échéance annuelle ultérieure.

Sur les frais liés au litige :

25. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ". Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. E... et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La somme de 15 000 euros que l'Etat a été condamné à verser à M. E... par le jugement n° 1517090/5-2 du 28 septembre 2017 du Tribunal administratif de Paris est augmentée de la somme nette correspondant à la somme de 30 632,09 euros bruts allouée à titre de primes et indemnités pour la période allant du 18 juin 2005 au 5 juin 2007, avec intérêts au taux légal à compter du 3 août 2015. Les intérêts échus à la date du 3 août 2016 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : L'Etat procèdera à la régularisation des droits à pension de M. E... au regard de la somme mentionnée à l'article 1er.

Article 3 : M. E... est renvoyé devant le ministre de l'économie et des finances pour le calcul et la liquidation de l'indemnité mentionnée à l'article 1er.

Article 4 : Le jugement du Tribunal administratif de Paris du 28 septembre 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : L'Etat versera à M. E... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de M. E... est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E..., au ministre de l'économie et des finances et au ministre de l'action et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 23 septembre 2019 à laquelle siégeaient :

- Mme B..., président de chambre,

- Mme F..., présidente-assesseure,

- M. D..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 3 octobre 2019.

Le rapporteur,

P. D...

Le président,

M. B... Le greffier,

I. BEDR

La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances et au ministre de l'action et des comptes publics, en ce qui les concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17PA03624


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA03624
Date de la décision : 03/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Cadres et emplois - Egalité de traitement entre agents d'un même corps - Absence de discrimination illégale.

Fonctionnaires et agents publics - Positions - Affectation et mutation - Affectation.

Fonctionnaires et agents publics - Notation et avancement - Avancement.


Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: M. BARONNET
Avocat(s) : SCP ARVIS et KOMLY-NALLIER

Origine de la décision
Date de l'import : 08/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-10-03;17pa03624 ?
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