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04/07/2019 | FRANCE | N°18PA03201

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 04 juillet 2019, 18PA03201


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C...a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du

6 juin 2018 par lequel le préfet de Seine-et-Marne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.

Par un jugement n° 1804673 du 31 août 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun a rejeté sa dema

nde.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 28 septembre 2018, M. C...,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C...a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du

6 juin 2018 par lequel le préfet de Seine-et-Marne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.

Par un jugement n° 1804673 du 31 août 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 28 septembre 2018, M. C..., représenté par Me D..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1804673 du 31 août 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun ;

2°) d'annuler l'arrêté du 6 juin 2018 du préfet de Seine-et-Marne ;

3°) d'enjoindre au préfet de Seine-et-Marne de lui délivrer une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 150 euros par jours de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour, sous la même astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. C...soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- elle méconnaît l'article 6-1 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

- elle méconnaît l'article 6-5 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 et l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision fixant le pays de destination est illégale par voie d'exception ;

- elle est entachée d'incompétence ;

- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est illégale par voie d'exception ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'un vice de forme ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La requête a été communiquée au préfet de Seine-et-Marne qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Platillero a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite de son interpellation le 6 juin 2018, M.C..., ressortissant algérien né en 1989, a fait l'objet d'un arrêté du même jour par lequel le préfet de Seine-et-Marne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Par un jugement du 31 août 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté. M. C...fait appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, M. C...soutient que la décision l'obligeant à quitter le territoire français est insuffisamment motivée. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à juste titre par le premier juge.

3. En deuxième lieu, aux termes du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne (...) lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) ". Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " Les dispositions du présent article, ainsi que celles des deux articles suivants, fixent les conditions de délivrance et de renouvellement du certificat de résidence aux ressortissants algériens établis en France ainsi qu'à ceux qui s'y établissent, sous réserve que leur situation matrimoniale soit conforme à la législation française. Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein

droit : 1. Au ressortissant algérien, qui justifie par tout moyen résider en France depuis plus de dix ans ou plus de quinze ans si, au cours de cette période, il a séjourné en qualité d'étudiant (...) ".

4. M. C...soutient qu'il réside depuis 2004 en France, où il est entré en tant que mineur accompagné de son père. Toutefois, il ne produit aucun document justifiant sa présence en France au titre des années 2004 à 2007. Par ailleurs, il se borne à produire, au titre l'année 2007, deux factures des 4 septembre et 15 novembre, au titre de l'année 2008, deux ordonnances médicales des

29 mars et 20 décembre et un courrier de transmission d'une carte de transport du 14 octobre, et au titre de l'année 2009, une facture du 2 mars, une ordonnance médicale du 6 octobre et une facture de pharmacie du 21 décembre. Dans ces conditions, à supposer même que les justificatifs produits à compter de l'année 2010 soient suffisants pour justifier d'une résidence constante et habituelle en France à compter de cette année, les documents produits sont insuffisamment nombreux et diversifiés pour établir une résidence en France depuis plus de dix ans à la date de l'arrêté attaqué. Par suite,

M. C...n'est pas fondé à soutenir qu'il devait se voir délivrer un certificat de résidence de plein de droit et que le préfet de Seine-et-Marne aurait ainsi méconnu les stipulations précitées du 1 de l'article 6 de l'accord franco-algérien en l'obligeant à quitter le territoire français.

5. En troisième lieu, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". En application du 5 de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit " au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ".

6. Il ressort des pièces du dossier que M.C..., qui, contrairement à ses affirmations, ne justifie pas résider en France depuis plus de dix ans, s'est maintenu sur le territoire français en situation irrégulière en dépit d'une obligation de quitter le territoire français prise à son encontre par le préfet du Val-d'Oise le 19 décembre 2016. Il est célibataire et sans enfant et il ressort du procès-verbal d'audition du 6 juin 2018 que les membres de sa famille sont en Algérie. S'il allègue travailler, le contrat de travail dont il se prévaut a été conclu moins de cinq mois avant l'arrêté attaqué. Il ne fait enfin état d'aucune insertion privée et sociale particulière en France. Dans ces conditions, le préfet de Seine-et-Marne n'a pas méconnu les stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'accord franco-algérien en obligeant

M. C...à quitter le territoire français.

7. En quatrième lieu, M.C..., qui n'a pas sollicité la régularisation de sa situation avant d'être interpellé en situation irrégulière, ne peut en tout état de cause utilement se prévaloir de la circulaire du 28 novembre 2012, qui se borne à énoncer des orientations générales destinées à éclairer les préfets dans l'exercice de leur pouvoir de prendre des mesures de régularisation, sans les priver de leur pouvoir d'appréciation. Compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé tels qu'ils ont été précédemment rappelés, le préfet de Seine-et-Marne a pu sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de cette décision, décider d'obliger M. C... à quitter le territoire français.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

8. M. C...soutient que la décision fixant le pays de destination est entachée d'un vice d'incompétence, est illégale par voie d'exception et méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Toutefois, en l'absence d'éléments nouveaux, il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à juste titre par le premier juge.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

9. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français ".

10. L'arrêté attaqué mentionne que M. C...déclare être entré en France en 2004 en tant que mineur accompagné de son père et exercer une activité professionnelle sans autorisation, qu'il a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français le 19 décembre 2016 qu'il n'a pas exécutée, qu'il est célibataire, sans charge de famille, sans ressources légales et sans domicile fixe. Cet arrêté mentionne par ailleurs la teneur des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, indique qu'un examen d'ensemble de la situation de l'intéressé a été effectué au regard du huitième alinéa de ce III et conclut qu'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans n'est pas disproportionnée. Toutefois le même arrêté prononce une interdiction de retour d'une durée de deux ans. Ces contradictions ne permettent pas de comprendre les motifs pour lesquels le préfet de Seine-et-Marne a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Cette décision est ainsi insuffisamment motivée et doit être annulée, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. C...est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 6 juin 2018, en tant que le préfet de Seine-et-Marne a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Ce jugement et cet arrêté doivent ainsi être annulés dans cette mesure et le surplus des conclusions à fin d'annulation rejeté.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

12. L'annulation, par le présent arrêt, de l'arrêté du 6 juin 2018, en tant que le préfet de Seine-et-Marne a prononcé à l'encontre de M. C...une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans n'implique pas que le préfet de Seine-et-Marne délivre à M. C... une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou réexamine la situation de l'intéressé au regard de son droit au séjour. Les conclusions à fin d'injonction sous astreinte présentées en ce sens par M. C...doivent dès lors être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

13. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme au titre des frais exposés par M. C...dans le cadre de la présente instance.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1804673 du 31 août 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Melun est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de M. C...tendant à l'annulation de la décision du 6 juin 2018 par lequel le préfet de Seine-et-Marne a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.

Article 2 : La décision du 6 juin 2018 par laquelle le préfet de Seine-et-Marne a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans à l'encontre de M. C...est annulée.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...C...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de Seine-et-Marne.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2019, à laquelle siégeaient :

- Mme Pellissier, présidente de chambre,

- M. Legeai, premier conseiller,

- M. Platillero, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 4 juillet 2019.

Le rapporteur,

F. PLATILLEROLa présidente,

S. PELLISSIER Le greffier,

M. B...La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 18PA03201


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18PA03201
Date de la décision : 04/07/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme PELLISSIER
Rapporteur ?: M. Fabien PLATILLERO
Rapporteur public ?: M. CHEYLAN
Avocat(s) : BLANDEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-07-04;18pa03201 ?
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