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04/07/2019 | FRANCE | N°18PA01305

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 04 juillet 2019, 18PA01305


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 17 février 2016 par laquelle le président du bureau central de tarification a fixé à 22 099,39 euros TTC le montant de la prime moyennant laquelle la compagnie d'assurances SHAM doit lui délivrer une assurance de responsabilité et d'enjoindre au bureau central de tarification de réexaminer sa demande.

Par un jugement n° 1605938/2-1 du 20 février 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 avril 201...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 17 février 2016 par laquelle le président du bureau central de tarification a fixé à 22 099,39 euros TTC le montant de la prime moyennant laquelle la compagnie d'assurances SHAM doit lui délivrer une assurance de responsabilité et d'enjoindre au bureau central de tarification de réexaminer sa demande.

Par un jugement n° 1605938/2-1 du 20 février 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 avril 2018 et le 5 mars 2019, Mme B..., représentée par Me Lang-Cheymol, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1605938/2-1 du 20 février 2018 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 17 février 2016 par laquelle le président du bureau central de tarification a fixé à 22 099,39 euros TTC le montant de la prime moyennant laquelle la compagnie d'assurances SHAM doit lui délivrer une assurance de responsabilité ;

3°) d'enjoindre au bureau central de tarification de réexaminer sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge du bureau central de tarification la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement entrepris est entaché d'irrégularité dès lors qu'il ne s'est pas prononcé sur le moyen tiré de la discrimination à rebours à son encontre, qui peut utilement être invoqué à l'encontre d'une décision individuelle ;

- la décision du 17 février 2016 est insuffisamment motivée dès lors qu'elle se réfère à des études médicales qui ne sont pas jointes ;

- c'est à tort que le bureau central de tarification a refusé de tenir compte du rapport entre le montant de la prime d'assurance et les revenus de son activité professionnelle ;

- la décision en litige est entachée d'une erreur de droit au regard de l'article L. 252-1 du code des assurances dès lors que le bureau central de tarification n'a pas pris en compte les risques liés aux accouchements à domicile mais a assimilé ces risques à ceux que présente l'activité des gynécologues obstétriciens ou des établissements de soins, sans tenir compte des seuls actes pratiqués par les sages-femmes au cours d'accouchements à domicile ; le bureau central ne démontre pas la matérialité des risques qu'il impute à l'accouchement à domicile ;

- la décision en litige est entachée d'une erreur de droit dès lors qu'il n'a pas été tenu compte de son activité professionnelle et du taux de sinistralité rencontré dans son activité ;

- la décision en litige est entachée d'erreur d'appréciation dès lors qu'elle retient que l'accouchement à domicile présenterait plus de risques en cas de survenue de complications qu'un accouchement dans un plateau technique alors que les complications de l'accouchement sont, pour partie, liées aux actes pratiqués dans les établissements de soins et qui ne sont pas pratiqués pour un accouchement à domicile ; le suivi d'une grossesse en vue d'un accouchement à domicile permet par ailleurs de détecter plus aisément les complications éventuelles et de réduire les risques ; le taux de transfert vers des établissements de soins est seulement de l'ordre de 10 % et il est pris en compte en amont dans l'acceptation de la prise en charge de la future mère ; les risques auxquels sont exposés les établissements de soins sont plus élevés puisque c'est vers eux que sont orientées les situations à risque ; aucun élément ne justifie que la prime d'assurance exigée d'une sage-femme pratiquant des accouchements à domicile soit sept fois plus élevée que celle exigée d'une sage-femme pratiquant dans une maison de naissance ;

- la décision en litige procède d'une rupture d'égalité de traitement dès lors que le bureau central de tarification n'a pas tenu compte des actes qu'elle est susceptible de pratiquer pour fixer le montant de la prime d'assurances, alors que le montant des primes des gynécologues varient selon les actes qu'ils pratiquent ;

- la décision en litige méconnaît le principe d'égalité et constitue une discrimination à rebours dès lors que les sages-femmes établies dans un autre Etat membre et qui peuvent pratiquer des accouchements à domicile en France bénéficient de conditions d'assurance plus avantageuses ;

- la décision en litige constitue une discrimination prohibée au regard de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'articler 1er du premier protocole additionnel, instituant une différence de traitement non justifiée entre les sages-femmes établies en France et celles établies dans un autre Etat membre de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 février 2019, le bureau central de tarification, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge de Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement n'est entaché d'aucune irrégularité ; le moyen tiré de la rupture du principe d'égalité et d'une discrimination à recours est en tout état de cause inopérant ;

- les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la santé publique ;

- le code des assurances ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Guilloteau,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,

- les observations de Me Lang-Cheymol, avocat de MmeB...,

- et les observations de Me Le Prado, avocat du bureau central de tarification.

Considérant ce qui suit :

1. MmeB..., sage-femme qui pratique des accouchements à domicile, a saisi le bureau central de la tarification après s'être vu opposer deux refus de souscription d'une assurance responsabilité civile professionnelle par deux entreprises d'assurance. Par une décision en date du 17 févier 2016, le bureau central de tarification a fait obligation à la compagnie d'assurance SHAM de délivrer à l'intéressée l'assurance de responsabilité exigée par l'article L. 1142-2 du code de la santé publique, dans des limites de garantie de 8 millions d'euros par sinistre et de 15 millions d'euros par an, et a fixé à 22 099, 39 euros TTC le montant de la prime annuelle. Par la présente requête, Mme B... demande l'annulation du jugement du 20 février 2018 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 17 février 2016.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Si les juges sont tenus de répondre aux moyens des parties, ils ne sont pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments avancés par les parties à l'appui de ces moyens.

3. Il ressort en l'espèce des termes du jugement que les premiers juges se sont prononcés, au point 7 de leur décision, sur le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité invoqué par Mme B...au regard de la différence de traitement injustifiée avec les sages-femmes établies dans un autre Etat membre de l'Union européenne. Si la requérante soutient que les premiers juges n'auraient pas statué sur le moyen tiré d'une discrimination à rebours, une telle discrimination se rattache à la méconnaissance du principe d'égalité de traitement. Il suit de là que le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué pour défaut de réponse à un moyen doit être écarté comme manquant en fait.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. Aux termes de l'article L. 1142-2 du code de la santé publique : " Les professionnels de santé exerçant à titre libéral (...) sont tenus de souscrire une assurance destinée à les garantir pour leur responsabilité civile ou administrative susceptible d'être engagée en raison de dommages subis par des tiers et résultant d'atteintes à la personne, survenant dans le cadre de l'ensemble de cette activité. / Les professionnels de santé exerçant à titre libéral sont également tenus au paiement de la contribution mentionnée à l'article L. 426-1 du code des assurances. /. (...) / En cas de manquement à l'obligation d'assurance prévue au présent article, l'instance disciplinaire compétente peut prononcer des sanctions disciplinaires. ". L'article L. 252-1 du code des assurances dispose que : " Toute personne assujettie à l'obligation d'assurance prévue à l'article L. 1142-2 du code de la santé publique qui, ayant sollicité la souscription d'un contrat auprès d'une entreprise d'assurance couvrant en France les risques de responsabilité civile mentionnée au même article, se voit opposer deux refus, peut saisir un bureau central de tarification dont les conditions de constitution et les règles de fonctionnement sont fixées par décret en Conseil d'Etat. / Le bureau central de tarification a pour rôle exclusif de fixer le montant de la prime moyennant laquelle l'entreprise d'assurance intéressée est tenue de garantir le risque qui lui a été proposé. Il peut, dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, déterminer le montant d'une franchise qui reste à la charge de l'assuré. (...)".

5. En premier lieu, la décision du 17 février 2016 vise notamment les articles pertinents du code des assurances. Elle énonce ensuite que le bureau central de tarification a estimé que le montant de la prime proposé par la compagnie d'assurances SHAM est " adapté au risque élevé que présente pour l'assureur de responsabilité civile la couverture, jusqu'à 8 millions d'euros par sinistre et 15 millions d'euros par année d'assurance, l'activité d'une sage-femme pratiquant en France des accouchements à domicile ", après avoir relevé que les études publiées font apparaître que " l'accouchement programmé à domicile présente au mieux des risques équivalents à ceux d'un accouchement dans un établissement de santé (...) voire des risques plus élevés " et " qu'en cas d'accouchement à domicile un transfert rapide vers un établissement de santé n'est pas garanti, si bien qu'aux risques que peut présenter l'accouchement d'une femme même dont la grossesse est apparue sans risque ou à faible risque, s'ajoute celui de ne pouvoir traiter d'éventuelles complications avec toute la célérité qui s'imposerait, ce qui peut être un facteur d'aggravation ". La décision en litige, qui comporte au demeurant la référence précise des études prises en compte par le bureau central de tarification, expose ainsi les considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision du 17 février 2016 doit dès lors, et en tout état de cause, être écarté comme manquant en fait.

6. En deuxième lieu, il résulte des dispositions précitées du code de la santé publique et du code des assurances que, pour fixer le montant de la prime moyennant laquelle l'entreprise d'assurance intéressée est tenue de garantir le risque qui lui a été proposé, le bureau central de tarification doit prendre en considération les risques liés à l'activité professionnelle exercée. Si Mme B... soutient que le bureau central de tarification a commis une erreur de droit en raisonnant par référence à l'activité des gynécologues obstétriciens, il ressort des termes de la décision du 17 février 2016 résumés au point précédent que le bureau a porté son appréciation sur l'activité spécifique des sages-femmes pratiquant des accouchements à domicile. Il ne ressort ensuite pas des pièces du dossier que le bureau central de tarification aurait exclu de tenir compte de la sinistralité propre à l'activité de l'intéressée. Enfin, en ne tenant pas compte du rapport entre le montant de la prime d'assurance et les revenus de l'activité professionnelle de MmeB..., le bureau central de tarification n'a pas davantage entaché sa décision d'erreur de droit.

7. En troisième lieu, Mme B...fait valoir que les risques associés à un accouchement à domicile sont moindres que ceux associés à un accouchement au sein d'un établissement de santé, compte tenu en particulier, d'une part, des précautions prises en amont dans l'acceptation de la prise en charge des futures mères et dans le suivi de leur grossesse et, d'autre part, de l'absence de réalisation de certains gestes qui sont eux-mêmes à l'origine de risques iatrogènes. Elle cite à cet égard un document élaboré par un collectif associatif, recensant les risques communs à tous les accouchements, les risques spécifiques aux accouchements en milieu hospitalier et les risques spécifiques aux accouchements programmés à domicile. Si ce document expose que les accouchements en milieu hospitalier et ceux programmés à domicile présentent des risques différents, dans leur nature ou leur occurrence, il ne conclut pas à un risque assurantiel global supérieur ou moindre dans l'une de ces situations. La requérante n'apporte par ailleurs pas de données de nature à contredire les éléments statistiques sur lesquels la décision du 17 février 2016 est fondée, notamment les résultats d'une étude publiée en 2009 sur les naissances aux Pays-Bas, faisant état de taux de mortalité et de morbidité périnatales équivalents entre les accouchements dans des établissements de soins et les accouchements programmés à domicile, grâce en particulier à un système de transport et de transfert performant, les résultats d'une étude publiée en 2015 sur les naissances dans un Etat des Etats-Unis, faisant état d'un taux de mortalité périnatale plus élevés pour les accouchements programmés à domicile que pour les accouchements programmés dans des établissements de soins, ainsi que les taux de transfert nécessaire au cours d'un accouchement programmé à domicile, variant de 9 à 49 %. Dans ces conditions, en fixant à 22 099, 39 euros TTC le montant de la prime annuelle de l'assurance de responsabilité civile professionnelle de Mme B..., la décision du 17 février 2016 n'est pas entachée d'erreur de droit ni d'erreur d'appréciation.

8. En quatrième lieu, si le montant de la prime d'assurance de responsabilité civile professionnelle des gynécologues varie selon l'activité pratiquée (gynécologues médicaux pratiquant l'échographie, gynécologues médicaux ne la pratiquant pas et gynécologues obstétriciens), il ne ressort pas des pièces du dossier que ce montant varierait également, pour les gynécologues obstétriciens intervenant lors des grossesses et accouchements, selon les actes et gestes pratiqués par le professionnel de santé. Il suit de là que Mme B...ne peut, en tout état de cause, invoquer une rupture d'égalité de traitement du fait de l'absence de prise en compte de sa pratique.

9. En dernier lieu, Mme B...soutient que les sages-femmes établies en France seraient soumises à des conditions d'assurance beaucoup moins favorables que les sages-femmes établies dans un autre Etat-membre de l'Union européenne ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen, qui peuvent légalement exercer en France. Elle n'établit toutefois pas l'existence de différences dans les primes d'assurance pour des situations comparables, c'est-à-dire pour des personnes exerçant les mêmes activités, dans le cadre d'un système sanitaire comparable et soumises à des obligations et risques assurantiels comparables. Le moyen tiré d'une rupture d'égalité de traitement à cet égard et celui tiré d'une discrimination prohibée par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent par suite et en tout état de cause être écartés.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

11. Il y a enfin lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le bureau central de tarification, qui a eu recours au ministère d'avocat.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Mme B... versera au bureau central de tarification une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B...et au Bureau central de tarification.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- Mme Larsonnier, premier conseiller,

- Mme Guilloteau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 4 juillet 2019.

Le rapporteur,

L. GUILLOTEAULe président,

J. LAPOUZADE

Le greffier,

C. POVSE

La République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

4

N° 18PA01305


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA01305
Date de la décision : 04/07/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

12-01 Assurance et prévoyance. Organisation de la profession et intervention de la puissance publique.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Laëtitia GUILLOTEAU
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : LANG CHEYMOL

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-07-04;18pa01305 ?
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