Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) Acqua a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011, pour un montant total de 187 278 euros.
Par un jugement n° 1708022/1-2 du 3 juillet 2018, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 17 juillet 2018 et
27 février 2019, la société Acqua, représentée par Me A...B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1708022/1-2 du 3 juillet 2018 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge sollicitée, ou, à titre subsidiaire la réduction de la majoration appliquée;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que sa demande de rencontre avec l'interlocuteur départemental était prématurée et aurait dû être réitérée après sa renonciation à l'entrevue avec le supérieur hiérarchique ; elle a été privée d'une garantie dès lors que sa demande de rencontre avec l'interlocuteur départemental avait été valablement faite ;
- elle n'a pas effectué une opération d'acquisition partielle d'un fonds de commerce appartenant à la société Net Hôtel, et le protocole d'accord conclu avec cette société était une convention de concours et assistance, supposant seulement une intervention de conseil contre rémunération, son co-contractant devant la recommander à l'occasion d'appels d'offres ;
- c'est dès lors à tort que l'administration a, sur le fondement de l'abus de droit, procédé à une requalification de cet acte ;
- la taxe sur la valeur ajoutée figurant sur des factures émises par la société Net Hôtel était donc déductible.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 octobre 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- aucun des moyens de la requête n'est fondé.
En application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées, le 7 mars 2019, que la Cour était susceptible de relever d'office un moyen d'ordre public tiré de ce que "La cession d'un élément incorporel de fonds de commerce (clientèle) constitue une opération commerciale située dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée, et aucune disposition législative ne prévoit qu'une telle opération soit exonérée de la taxe. Les doctrines et pratiques administratives ne peuvent, à cet égard, constituer la base légale d'une remise en cause de l'application de la taxe sur la valeur ajoutée à une telle opération ou de la déductibilité de la taxe facturée à raison d'une telle cession.".
Par ordonnance du 28 février 2019, la clôture d'instruction a été fixée
au 15 mars 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
-le code de commerce ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Appèche,
- les conclusions de M. Cheylan, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société à responsabilité limitée (SARL) Acqua, créée le 16 juillet 2009, qui a pour activité le nettoyage hôtelier, a fait l'objet, suite à un avis du 5 juin 2012 reçu le lendemain, d'une vérification de comptabilité qui a porté sur la période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011. A l'issue de ce contrôle, l'administration a notamment remis en cause la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée figurant sur des factures émises par la société Net Hôtel, estimant que ces factures portaient en réalité sur une cession occulte d'un fonds de commerce, opération que cette société n'était, selon l'administration, pas autorisée à soumettre à la taxe sur la valeur ajoutée. En conséquence, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée assortis de la pénalité de 80% prévue au b de l'article 1729 du code général des impôts en cas d'abus de droit, ont été mis à la charge de la société Acqua au titre de l'année 2010, pour un montant total de 187 278 euros. Après avoir en vain demandé au Tribunal administratif de Paris d'en prononcer la décharge, la société Acqua relève appel du jugement n° 1708022/1-2 du
3 juillet 2018 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande.
2. Aux termes de l'article 271-II-1 du code général des impôts : " II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : /a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures ". Aux termes du 1° du IV de l'article 256 du même code : " Les opérations autres que celles qui sont définies au II, notamment la cession ou la concession de biens meubles incorporels, le fait de s'obliger à ne pas faire ou à tolérer un acte ou une situation, les opérations de façon, les travaux immobiliers et l'exécution des obligations du fiduciaire, sont considérés comme des prestations de services ; ". L'article L. 142-2 du code de commerce dispose que : " Sont seuls susceptibles d'être compris dans le nantissement soumis aux dispositions du présent chapitre comme faisant partie d'un fonds de commerce : l'enseigne et le nom commercial, le droit au bail, la clientèle et l'achalandage, le mobilier commercial, le matériel ou l'outillage servant à l'exploitation du fonds, les brevets d'invention, les licences, les marques, les dessins et modèles industriels, et généralement les droits de propriété intellectuelle qui y sont attachés ".
3. L'article L. 64 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction alors applicable dispose que : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.". Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use de la faculté qu'elles lui confèrent dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors qu'elle établit que ces actes revêtent un caractère fictif ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé de tels actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.
4. La SARL Acqua a conclu un contrat qu'elle qualifie de " protocole d'accord " avec la société Net Hôtel et dont elle soutient que son objet se limitait à une assistance lors de la présentation de dossiers à l'occasion d'appels d'offres pour la conclusion de contrats de nettoyage d'hôtels, la société Net Hôtel la recommandant auprès d'établissements hôteliers contre rémunération et que ce contrat n'a donné lieu à aucun transfert de clientèle ou de personnel. Toutefois, selon les stipulations de ce protocole, du 4 janvier 2010, la société Net Hôtel s'est engagée, d'une part, à assister la société Acqua dans toutes les démarches nécessaires à la conclusion d'un contrat de prestations de nettoyage hôtelier avec les clients avec lesquels elle ne souhaitait pas poursuivre son activité. Cette assistance est prévue lors des rendez-vous de présentation de l'entreprise Acqua à chaque client, lors de la négociation du contrat de prestations de nettoyage hôtelier et lors de la conclusion de ce contrat. Il est prévu qu'en contrepartie de cette assistance, pour chaque client concluant un contrat avec l'entreprise Acqua, la société Net Hôtel percevra une rémunération égale à 9% du chiffre d'affaires hors taxes réalisé au titre de la dernière année de contrat assurée par cette société. Le 14 juin 2010, la société Net Hôtel a établi une facture pour la société Acqua, se référant au protocole d'accord du
4 janvier 2010 et portant sur montant total hors taxe de 573 620 euros. La société Acqua a ainsi versé une somme de 496 620 euros au titre de commissions qu'elle a déduite de son résultat imposable, ainsi qu'une somme de 30 800 euros au titre de l'acquisition de vêtements de travail et une somme de 46 200 euros de matériels d'exploitation qu'elle a immobilisés. Il ressort de cette facture du 14 juin 2010 adressée par la société Net Hôtel à la société Acqua que l'ensemble des clients mentionnés dans la convention précitée du 4 janvier 2010 ont effectivement signé avec l'entreprise Acqua à laquelle il a ainsi été réclamé, outre le prix du matériel d'exploitation, des équipements et des vêtements de travail, le paiement de la " commission " due à raison de cette convention et de l'exécution de la prétendue prestation d'assistance mais calculée par application d'un taux de commission de 9% à un montant de 5 518 000 euros correspondant " au chiffre d'affaires des sites récupérés par la société Acqua selon le protocole signé avec la société Net Hotel ". En conséquence, comme l'a estimé l'administration, cette convention du 4 janvier 2010 organisait en réalité, sous couvert d'un contrat d'assistance, le transfert de certains éléments corporels et incorporels constituant le fonds de commerce de la société Net Hôtel en contrepartie d'un prix volontairement présenté comme la rémunération d'une prestation de services et a permis, ainsi que l'a relevé le vérificateur dans la proposition de rectification, à la société Acqua de récupérer plus de la moitié de la clientèle de la société Net Hôtel et de réaliser plus de 99 % de son chiffre d'affaires de l'exercice 2010 avec les clients mentionnés dans ladite convention.
5. Le service vérificateur était par suite fondé à considérer que la commission facturée à la société Acqua pour un montant hors taxe de 496 620 euros et sur laquelle a été appliquée une taxe sur la valeur ajoutée au taux de 19,6% soit un montant de taxe de 97 338 euros, correspondait à la facturation du prix de cette cession d'un élément incorporel du fonds de commerce constitué d'une partie de la clientèle.
6. Toutefois, une telle opération est, ainsi que l'admet l'administration elle-même, située dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée, et doit être considérée, en vertu des dispositions rappelées ci-dessus du 1° du IV de l'article 256 du code général des impôts comme une prestation de services et assujettie comme telle à la taxe sur la valeur ajoutée. Aucune disposition législative ou règlementaire ne prévoit qu'une telle opération soit exonérée de taxe sur la valeur ajoutée, et l'administration, qui ne se prévaut que de sa propre doctrine pour justifier le redressement, n'allègue d'ailleurs pas que la taxe sur la valeur ajoutée litigieuse aurait porté sur une transmission à titre onéreux d'une universalité de biens, ce qui en tout état de cause ne résulte pas de l'instruction. Dans ces conditions, l'administration n'était pas fondée à remettre en cause la déduction de la taxe afférente à cette commission de 148 410 euros portée par la société Net Hôtel sur la facture remise à la société Ambra et acquittée par cette dernière et ne saurait, pour justifier la rectification résultant de la remise en cause du droit à déduction de cette taxe, utilement se prévaloir de ses propres doctrines et pratiques administratives conduisant à ne pas exiger effectivement le versement de cette taxe " lorsque la cession est soumise aux droits proportionnels d'enregistrement ".
7. Il résulte de tout ce qui précède que la société Acqua est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a refusé de lui accorder la décharge du rappel de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 97 338 euros auquel elle a été assujettie au titre de la période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2010, ainsi que des pénalités correspondantes et à obtenir l'annulation du jugement et la décharge de ces sommes. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme
de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La société Acqua est déchargée du rappel de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 97 338 euros auquel elle a été assujettie au titre de la période allant du 1er janvier 2010
au 31 décembre 2010, ainsi que des pénalités correspondantes.
Article 2 : Le jugement n° 1708022/1-2 du 3 juillet 2018 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 3 : L'Etat versera à la société Acqua une somme de 1 500 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Acqua et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée au chef des services fiscaux chargé de la direction de contrôle
fiscal d'Ile-de-France.
Délibéré après l'audience du 15 mai 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- Mme Appèche, président assesseur,
- M. Magnard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 26 juin 2019.
Le rapporteur,
S. APPECHELe président,
I. BROTONS
Le greffier,
P. LIMMOIS
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 18PA02377 2