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26/06/2019 | FRANCE | N°18PA01786

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 26 juin 2019, 18PA01786


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Ambra a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011, ainsi que des pénalités y afférentes, mis en recouvrement le 17 octobre 2016 pour un montant total de 55 965 euros.

Par un jugement n° 1707753/1-2 du 2 mai 2018, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoi

re enregistrés respectivement le 25 mai 2018 et le

27 février 2019, la SARL Ambra, représent...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Ambra a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011, ainsi que des pénalités y afférentes, mis en recouvrement le 17 octobre 2016 pour un montant total de 55 965 euros.

Par un jugement n° 1707753/1-2 du 2 mai 2018, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés respectivement le 25 mai 2018 et le

27 février 2019, la SARL Ambra, représentée par Me A...B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1707753/1-2 du 2 mai 2018 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de prononcer la décharge sollicitée, subsidiairement de prononcer la réduction des pénalités ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que sa demande de rencontre avec l'interlocuteur départemental était prématurée et aurait dû être réitérée après sa renonciation à l'entrevue avec le supérieur hiérarchique ; elle a été privée d'une garantie dès lors que sa demande de rencontre avec l'interlocuteur départemental avait été valablement faite ;

- elle n'a pas effectué une opération d'acquisition partielle d'un fonds de commerce appartenant à la société Net Hôtel, et le protocole d'accord conclu avec cette société était une convention de concours et assistance, supposant seulement une intervention de conseil contre rémunération, son co-contractant devant la recommander à l'occasion d'appels d'offres ;

- c'est dès lors à tort que l'administration a, sur le fondement de l'abus de droit, procédé à une requalification de cet acte ;

- la taxe sur la valeur ajoutée figurant sur les factures émises par la société Net Hôtel était donc déductible.

Par un mémoire en défense enregistré le 10 août 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par ordonnance du 19 février 2019, la clôture d'instruction a été fixée

au 6 mars 2019.

En application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées, le 7 mars 2019, de ce que la Cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de ce que "La cession d'un élément incorporel de fonds de commerce (clientèle) constitue une opération commerciale située dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée, et aucune disposition législative ne prévoit qu'une telle opération soit exonérée de la taxe. Les doctrines et pratiques administratives ne peuvent, à cet égard, constituer la base légale d'une remise en cause de l'application de la taxe sur la valeur ajoutée à une telle opération ou de la déductibilité de la taxe facturée à raison d'une telle cession.".

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

-le code de commerce ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Appèche,

- les conclusions de M. Cheylan, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société à responsabilité limitée (SARL) Ambra, créée en 2009 et qui a pour activité le nettoyage hôtelier, a fait l'objet, suite à un avis du 5 juin 2012, d'une vérification de comptabilité qui a porté sur la période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2011. A l'issue de ce contrôle, l'administration a notamment remis en cause la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée figurant sur des factures émises par la société Net Hôtel, estimant que ces factures portaient en réalité sur une cession occulte d'un fonds de commerce, opération que cette société n'était, selon le service vérificateur, pas autorisée à soumettre à la taxe sur la valeur. En conséquence, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée assortis de la pénalité de 80% prévue au b de l'article 1729 du code général des impôts en cas d'abus de droit, ont été mis à la charge de la société Ambra au titre de l'année 2010, pour des montants de 29 088 euros en droit et

26 877 euros de pénalités. Après avoir en vain demandé au Tribunal administratif de Paris, d'en prononcer la décharge, la société Ambra relève appel du jugement n° 1707753/1-2 du

2 mai 2018 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande.

2. Aux termes de l'article 271-II-1 du code général des impôts : " II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : /a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures ". Aux termes du 1° du IV de l'article 256 du même code : " Les opérations autres que celles qui sont définies au II, notamment la cession ou la concession de biens meubles incorporels, le fait de s'obliger à ne pas faire ou à tolérer un acte ou une situation, les opérations de façon, les travaux immobiliers et l'exécution des obligations du fiduciaire, sont considérés comme des prestations de services ; ". L'article L. 142-2 du code de commerce dispose que : " Sont seuls susceptibles d'être compris dans le nantissement soumis aux dispositions du présent chapitre comme faisant partie d'un fonds de commerce : l'enseigne et le nom commercial, le droit au bail, la clientèle et l'achalandage, le mobilier commercial, le matériel ou l'outillage servant à l'exploitation du fonds, les brevets d'invention, les licences, les marques, les dessins et modèles industriels, et généralement les droits de propriété intellectuelle qui y sont attachés ".

3. L'article L. 64 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction alors applicable dispose que : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.". Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use de la faculté qu'elles lui confèrent dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors qu'elle établit que ces actes revêtent un caractère fictif ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé de tels actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.

4. La SARL Ambra a conclu un contrat qu'elle qualifie de " protocole d'accord " avec la société Net Hôtel et dont elle soutient que son objet se limitait à une assistance lors de la présentation de dossiers à l'occasion d'appels d'offres pour la conclusion de contrats de nettoyage d'hôtels, la société Net Hôtel la recommandant auprès d'établissements hôteliers contre rémunération, et que ce contrat n'a donné lieu à aucun transfert de clientèle ou de personnel. Toutefois, selon les stipulations de ce protocole, du 4 janvier 2010, la société Net Hôtel s'est engagée, d'une part, à assister la société Ambra dans toutes les démarches nécessaires à la conclusion d'un contrat de prestations de nettoyage hôtelier avec les clients avec lesquels elle ne souhaitait pas poursuivre son activité. Cette assistance est prévue lors des rendez-vous de présentation de l'entreprise Ambra à chaque client, lors de la négociation du contrat de prestations de nettoyage hôtelier et lors de la conclusion de ce contrat. Il est prévu qu'en contrepartie de cette assistance, pour chaque client concluant un contrat avec l'entreprise Ambra, la société Net Hôtel percevra une rémunération égale à 9% du chiffre d'affaires hors taxes réalisé au titre de la dernière année de contrat assurée par cette société. Le 14 juin 2010, la société Net Hôtel a établi une facture au nom de la société Ambra, se référant au protocole d'accord du

4 janvier 2010. La société Ambra a ainsi versé une somme de 148 410 euros au titre de commissions qu'elle a déduite de son résultat imposable, ainsi qu'une somme de 9 200 euros au titre de l'acquisition de vêtements de travail et une somme de 13 800 euros de matériels d'exploitation qu'elle a immobilisés. Il ressort de la facture du 14 juin 2010 adressée par la société Net Hôtel à la société Ambra que l'ensemble des clients mentionnés dans la convention précitée du 4 janvier 2010 ont effectivement signé avec l'entreprise Ambra à laquelle il a ainsi été réclamé, outre le prix du matériel d'exploitation, des équipements et des vêtements de travail, le paiement de la " commission " due en vertu de cette convention pour l'exécution de la prétendue prestation d'assistance. En conséquence, comme l'a estimé l'administration, cette convention du 4 janvier 2010 organisait en réalité, sous couvert d'un contrat d'assistance, le transfert de certains éléments corporels et incorporels constituant le fonds de commerce de la société Net Hôtel en contrepartie d'un prix volontairement présenté comme la rémunération d'une prestation de services et a permis, ainsi que l'a relevé le vérificateur dans la proposition de rectification, à la société Ambra de récupérer une partie de la clientèle de la société Net Hôtel et de réaliser plus de 99 % de son chiffre d'affaires de l'exercice 2010 avec les clients mentionnés dans ladite convention.

5. Le service vérificateur était par suite fondé à considérer que la commission facturée à la société Ambra pour un montant hors taxe de 148 410 euros et sur laquelle a été appliquée une taxe sur la valeur ajoutée au taux de 19,6%, correspondait à la facturation du prix de cette cession d'un élément incorporel du fonds de commerce constitué d'une partie de la clientèle.

6. Toutefois, une telle opération est, ainsi que l'admet l'administration elle-même, située dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée, et doit être considérée, en vertu des dispositions rappelées ci-dessus du 1° du IV de l'article 256 du code général des impôts comme une prestation de services et assujettie comme telle à la taxe sur la valeur ajoutée. Aucune disposition législative ou règlementaire ne prévoit qu'une telle opération soit exonérée de taxe sur la valeur ajoutée, et l'administration, qui ne se prévaut que de sa propre doctrine pour justifier le redressement, n'allègue d'ailleurs pas que la taxe sur la valeur ajoutée litigieuse aurait porté sur une transmission à titre onéreux d'une universalité de biens, ce qui en tout état de cause ne résulte pas de l'instruction. Dans ces conditions, l'administration n'était pas fondée à remettre en cause la déduction de la taxe afférente à cette commission de 148 410 euros portée par la société Net Hôtel sur la facture remise à la société Ambra et acquittée par cette dernière et ne saurait, pour justifier la rectification résultant de la remise en cause du droit à déduction de cette taxe, utilement se prévaloir de ses propres doctrines et pratiques administratives conduisant à ne pas exiger effectivement le versement de cette taxe " lorsque la cession est soumise aux droits proportionnels d'enregistrement ".

7. Il résulte de tout ce qui précède que la société Ambra est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a refusé de lui accorder la décharge du rappel de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 29 088 euros auquel elle a été assujettie au titre de la période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2010, ainsi que des pénalités correspondantes, et à obtenir l'annulation du jugement et la décharge de ces sommes. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de

1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La société Ambra est déchargée du rappel de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 29 088 euros auquel elle a été assujettie au titre de la période allant du 1er janvier 2010 au

31 décembre 2010, ainsi que des pénalités correspondantes.

Article 2 : Le jugement n° 1707753/1-2 du 2 mai 2018 du Tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 3 : L'Etat versera à la société Ambra une somme de 1 500 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Ambra et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée au chef des services fiscaux chargé de la direction de contrôle fiscal

d'Ile-de-France.

Délibéré après l'audience du 12 juin 2019, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

- Mme Appèche, président assesseur,

- M. Magnard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 26 juin 2019.

Le rapporteur,

S. APPECHELe président,

I. BROTONS

Le greffier,

P. LIMMOIS

La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA01786


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA01786
Date de la décision : 26/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: Mme Sylvie APPECHE
Rapporteur public ?: M. CHEYLAN
Avocat(s) : SAINTILAN ; SAINTILAN ; SAINTILAN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-06-26;18pa01786 ?
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