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20/06/2019 | FRANCE | N°19PA00166

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 20 juin 2019, 19PA00166


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...D...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les arrêtés du 5 novembre 2018 par lesquels le préfet de police, d'une part, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination et, d'autre part, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de douze mois.

Par un jugement n° 1820080/8 du 8 novembre 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :



Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 11 janvier 2019 et 17 mai 2019...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B...D...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les arrêtés du 5 novembre 2018 par lesquels le préfet de police, d'une part, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination et, d'autre part, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de douze mois.

Par un jugement n° 1820080/8 du 8 novembre 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 11 janvier 2019 et 17 mai 2019, M.D..., représenté par MeC..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°1820080/8 du 8 novembre 2018 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler les arrêtés du 5 novembre 2018 du préfet de police ;

3°) d'enjoindre au préfet de police d'organiser son retour à Paris à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment

motivée ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il est présent en France depuis l'âge de six ans et y a été présent régulièrement plus de dix ans ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est insuffisamment motivée et le préfet a commis une erreur d'appréciation ;

- le premier juge a méconnu le droit au recours protégé par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en examinant la légalité de cette décision au regard de ce qu'il avait pu établir de sa situation lors de son prononcé, sans tenir compte des éléments complémentaires apportés à l'audience ; le jugement est insuffisamment motivé et entaché d'un défaut d'examen ;

- l'interdiction de retour est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

Par un mémoire en défense enregistré le 29 avril 2019, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête sont infondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Legeai a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M.D..., ressortissant de la République Démocratique du Congo né en septembre 1983 et entré en France selon ses déclarations en 1989, a été interpellé le 5 novembre 2018 lors d'un contrôle de police à Paris qui a fait apparaitre qu'il était dépourvu de papiers l'autorisant à séjourner en France. Par un arrêté du même jour, le préfet de police lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays où il pourrait être reconduit et l'a placé en rétention administrative. Par un arrêté du même jour, le préfet de police a assorti cette obligation d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'une année. M. D... fait régulièrement appel du jugement du 8 novembre 2018 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 5 novembre 2018.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, l'arrêté attaqué vise l'article L. 511-1 (1° du I ; II) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui constitue le fondement de droit de l'obligation de quitter le territoire français sans délai, et mentionne que M. D..., de nationalité congolaise, ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français et s'y maintient irrégulièrement, n'étant pas titulaire d'un titre de séjour régulièrement délivré, ce qui en constitue le motif de fait. La circonstance que le préfet de police n'ait pas mentionné tous les éléments factuels de la situation personnelle de l'intéressé n'est pas de nature à entacher d'insuffisance de motivation ledit arrêté. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.

3. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de police, dont les services ont auditionné l'intéressé, n'aurait pas pris en compte l'ensemble des éléments de sa situation personnelle. Le moyen tiré du défaut d'examen particulier doit être écarté.

4. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 2° l'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans (...) 4° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention " étudiant " ; (...) 6° L'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans (...) ".

5. M. D...n'établit pas, par la seule production de certificats de scolarité pour les années 1995 à 1998, résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans. Par ailleurs, s'il fait valoir avoir été titulaire d'une carte de séjour temporaire peu après sa majorité en 2002 puis d'une carte de résident valable du 9 avril 2003 au 8 avril 2013, aucun document n'établit sa résidence régulière en France depuis plus de dix ans à la date de l'arrêté attaqué, alors qu'il n'est pas contesté qu'il n'a pas demandé le renouvellement de sa carte de résident et que les pièces produites font apparaitre de très nombreux séjours en prison. Enfin, si M. D...est le père d'une enfant française née le 13 mars 2018, il n'a jamais vécu avec la mère de cet enfant et il n'établit pas, par la production de quelques photos en présence de son enfant et une attestation sommaire de la mère, qu'il contribuait effectivement à l'entretien et à l'éducation de sa fille dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celle-ci. Par suite, le moyen titré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 2 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour que l'enfant soit effectivement protégé contre toutes formes de discrimination ou de sanction motivées par la situation juridique, les activités, les opinions déclarées ou les convictions de ses parents, de ses représentants légaux ou des membres de sa famille ". Aux termes de l'article 7 de la même convention : " L'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux (...) ". L'article 3 de la même convention stipule : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur des enfants doit être une considération primordiale ".

7. M. D... fait valoir que l'obligation qui lui est faite de quitter le territoire français l'empêche d'élever sa fille qui demeure en France. Toutefois, ainsi qu'il a été dit, il ne démontre pas contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de cet enfant, ni n'établit qu'il serait dans l'impossibilité de le revoir hors de France. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ne peut qu'être écarté.

8 En quatrième lieu, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Pour l'application de ces stipulations, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.

9. M. D...soutient qu'il réside en France depuis 1989 et que toute sa famille, notamment sa mère, ses frères, sa compagne et sa fille résident régulièrement en France ou sont français, son père, réfugié, étant décédé en France en 2015. Toutefois, comme il a été dit au point 5, il n'établit pas la continuité de sa résidence en France ni une quelconque communauté de vie avec son enfant et la mère de celle-ci. Il n'apporte aucun justificatif, tel un livret de famille, de nature à établir les liens familiaux avec les personnes qu'il cite et l'absence de fratrie en République démocratique du Congo. Par ailleurs, l'intéressé, qui n'a pas régularisé sa situation après être sorti de prison en 2016 et a été interpellé dans une gare parisienne porteur d'un couteau et de cannabis, ne fait état d'aucune insertion professionnelle ou sociale sur le territoire français où il a été incarcéré durant de longues années. Dans ces conditions, le préfet de police a pu lui faire obligation de quitter le territoire français sans porter à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport au but poursuivi et sans méconnaitre les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

10. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger obligé de quitter le territoire français. (...) Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. (...) La durée de l''interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".

11. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour fixer la durée de l'interdiction de retour d'une durée maximale de trois ans qu'elle prononce, sauf circonstances humanitaires, à l'encontre de l'étranger obligé de quitter le territoire français sans délai, tenir compte des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les motifs qu'invoque l'autorité compétente sont de nature à justifier légalement dans son principe et sa durée la décision d'interdiction de retour.

12. Pour fixer à douze mois la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français prononcée à l'encontre de M.D..., le préfet de police s'est borné à affirmer, sans se prononcer sur les autres critères, qu'il ne justifiait pas de liens personnels et familiaux tissés en France, se déclarant célibataire sans enfant à charge, alors qu'il ressort des pièces du dossier que M. D...est père d'une enfant de nationalité française qu'il a reconnue par anticipation et possède des attaches fortes en France. Dans les conditions particulières de l'espèce, l'appelant est fondé à soutenir qu'en fixant à douze mois la durée de l'interdiction de retour, le préfet de police a insuffisamment motivé sa décision et commis une erreur d'appréciation.

13. Il résulte ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. D...est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 novembre 2018 par lequel le préfet de police a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'une année. Le jugement doit être annulé dans cette mesure. Par contre, les conclusions dirigées contre l'obligation de quitter le territoire français devant être rejetées, le présent arrêt n'implique en tout état de cause pas que, comme le demande le requérant, l'Etat organise son retour sur le territoire français. Les conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.

14. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par M. D...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1820080/8 du 8 novembre 2018 du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. D...tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 novembre 2018 du préfet de police prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de douze mois.

Article 2 : L'arrêté du 5 novembre 2018 du préfet de police prononçant à l'encontre de M. D... une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de douze mois est annulé.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D...est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...D...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 23 mai 2019, à laquelle siégeaient :

- Mme Pellissier, présidente de chambre,

- M. Legeai, premier conseiller,

- M. Platillero, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 20 juin 2019.

Le rapporteur,

A. LEGEAILa présidente,

S. PELLISSIERLe greffier,

M. A...La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

3

N° 19PA00166


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19PA00166
Date de la décision : 20/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : Mme PELLISSIER
Rapporteur ?: M. Alain LEGEAI
Rapporteur public ?: Mme DELAMARRE
Avocat(s) : MOKADDEM

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-06-20;19pa00166 ?
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