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29/05/2019 | FRANCE | N°18PA02154

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 29 mai 2019, 18PA02154


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Tahiti Luxury Resort (LTR) a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française l'annulation de l'arrêté n° 1479 CM du

25 août 2017 lui retirant son agrément fiscal pour la construction d'un hôtel cinq étoiles sur le territoire de la commune de Punaauia.

Par un jugement n 1700336/1 du 27 mars 2018, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et

des mémoires, enregistrés les 25 juin, 21 et 22 décembre 2018, la société Tahiti Luxury Resort, représenté...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Tahiti Luxury Resort (LTR) a demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française l'annulation de l'arrêté n° 1479 CM du

25 août 2017 lui retirant son agrément fiscal pour la construction d'un hôtel cinq étoiles sur le territoire de la commune de Punaauia.

Par un jugement n 1700336/1 du 27 mars 2018, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 25 juin, 21 et 22 décembre 2018, la société Tahiti Luxury Resort, représentée par Me Arcus Usang avocat, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1700336/1 du 27 mars 2018 du Tribunal administratif de la Polynésie française ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté attaqué devant ce tribunal ;

3°) de transmettre au Conseil d'Etat, sur le fondement de 1'article 179 de la loi organique 2004-192 du 27 février 2004, la question de la méconnaissance des dispositions du II de l'article 151 de la loi organique par la loi de pays 2009-7 du 1er avril 2009 dont est issue l'article 919-31 du code des impôts que l'administration veut retenir comme nouvelle base légale du retrait d'agrément litigieux ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

- l'arrêté du 21 septembre 2012 n'est qu'une simple modification de celui pris en 2007 et ne constitue pas un nouvel agrément ;

- la demande d'agrément ayant été faite en 2005, et constituant en vertu de l'article LP. 941-12 du code des impôts le fait générateur du programme d'investissement, l'agrément est régi par la législation fiscale en vigueur à cette date et c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur le code des impôts dans sa version issue de la loi du pays 2009-7 du 1er avril 2009 ;

- en vertu de l'article 951-7 du code des impôts, le conseil des ministres n'était pas compétent pour prendre l'arrêté contesté du 25 août 2017, cette compétence incombant au président du gouvernement ;

- le délai de production du certificat de conformité n'a pas été prorogé, une telle prorogation ne pouvait être autorisée que par le président de la Polynésie française en application de l'article LP. 914-4 du code des impôts en vigueur en 2007 ;

- le retrait ne pouvait légalement être opéré en 2017 dès lors que le délai de trois ans prévu à l'article LP. 451-1 du code des impôts trouve à s'appliquer ;

- le retrait était également impossible en raison de l'expiration du délai de retrait issu du droit administratif général, un acte individuel illégal créateur de droit ne pouvant être retiré que durant le délai de quatre mois ;

- le retrait litigieux procède d'un détournement de procédure ou de pouvoir, l'administration ayant l'intention de mettre en oeuvre les dispositions des articles 916-1 et 916-5 du code des impôts ;

- les dispositions de l'article LP. 919-31 du code des impôts que l'administration veut retenir comme base légale du retrait sont issues de la loi du pays 2009-7 du 1er avril 2009, laquelle n'a pas été soumise à l'avis du conseil économique, social et culturel en méconnaissance des dispositions du II de l'article 151 de la loi organique du 27 février 2004 ; il y a donc lieu de faire droit aux conclusions tendant à la transmission au Conseil d'Etat d'une question sur le fondement de l'article 179 de la loi organique ;

- le retrait litigieux contrevient aux stipulations de l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen dès lors qu'il a pour conséquence la sanction fiscale mentionnée à l'article LP. 919-31 du code des impôts en méconnaissance des principes à valeur constitutionnelle de proportionnalité et d'individualisation des sanctions.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 novembre 2018, le gouvernement de la Polynésie française, représenté par MeA..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société appelante d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la Cour validera le bien-fondé du retrait d'agrément au regard des dispositions de l'article LP. 919-31§1 du code des impôts en vigueur en 2012 qu'il y a lieu de substituer à la base légale initialement retenue dans l'arrêté contesté et qui était constituée par 1'article 951-7 du code des impôts en vigueur en 2007.

- aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par ordonnance du 24 décembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée

au 11 janvier 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- le code des impôts de la Polynésie française ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Appèche,

- les conclusions de M. Cheylan, rapporteur public,

- et les observations de Me Usang, avocat de la société Tahiti Luxury Resort.

Une note en délibéré, présentée par Me Usang pour la société Tahiti Luxury Resort, a été enregistrée le 15 mai 2019 et une note en délibéré présentée par Me A...pour la Polynésie française a été enregistrée le 17 mai 2019.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté n° 174 PR du 12 avril 2007, la SARL Tahiti Luxury Resort a bénéficié d'un agrément au titre du crédit d'impôt pour investissement prévu par les dispositions des articles 911-1 et suivants du code des impôts de la Polynésie française, pour la construction à Punaauia d'une résidence hôtelière de tourisme classée cinq étoiles de 61 unités. A la suite de l'abandon d'un autre projet concernant un complexe touristique à Tahaa, le président de la Polynésie a autorisé le 10 mars 2010 la réaffectation des financements de ce projet au profit de l'investissement porté par la requérante. La société a déposé une demande d'avenant modificatif au permis de construire portant le nombre d'unités hôtelières à 148, demande qui a été acceptée le 1er septembre 2011. Par un arrêté n° 1420 CM du 21 septembre 2012, le président de la Polynésie a modifié l'agrément afin que celui-ci prenne en compte les 148 unités et mentionne le permis de construire modificatif de 2011. Dans un courrier du 2 mai 2017, la direction des impôts et des contributions publiques a informé la société Tahiti Luxury Resort qu'une procédure de retrait total de l'agrément était envisagée, au motif que le certificat de conformité n'avait pas été produit dans le délai imparti par le code des impôts de la Polynésie française. Le retrait de l'agrément a été prononcé par un arrêté n° 1479 CM du 25 août 2017, dont la société Tahiti Luxury Resort a en vain demandé au Tribunal administratif de la Polynésie française de prononcer l'annulation. La société Tahiti Luxury Resort relève appel du jugement n° 1700336/1 du 27 mars 2018, par lequel ce tribunal a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Dans le jugement attaqué, les premiers juges exposent de manière suffisante les motifs pour lesquels, selon eux, la légalité de la décision litigieuse devait être appréciée au regard des règles en vigueur en 2012 et notamment de l'article LP. 919-31§1 du code des impôts issu de la loi du pays n° 2009-7 du 1er avril 2009. Par suite, si la société requérante a entendu invoquer l'irrégularité du jugement au regard des exigences posées par l'article L. 9 du code de justice administrative, ce moyen doit être écarté comme non fondé.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. L'arrêté n° 1420 CM du 21 septembre 2012, ainsi que cela ressort clairement de ses termes, a entendu modifier l'agrément initial accordé par l'arrêté du 12 avril 2007, et fait référence à un permis de construire modificatif, faisant lui-même référence à une demande d'avenant modificatif. Aucune disposition du code des impôts de la Polynésie française ne fait obligation au bénéficiaire d'un agrément fiscal, de solliciter, en cas de changement, fût-il significatif, apporté au projet initial d'investissement, un nouvel agrément plutôt que de déposer une simple demande d'agrément complémentaire ou modificatif. En effet, en vertu de l'article 951-6 du code des impôts de la Polynésie française, " les modifications de toute nature du projet agréé nécessitent, selon le cas, un agrément complémentaire ou rectificatif qui obéit aux mêmes conditions de recevabilité et d'instruction que la demande initiale. ". D'ailleurs, l'article LP 913-7 dudit code, dans sa version issue de la loi du pays n° 2009-7du 1er avril 2009 n'exige pas davantage la délivrance d'un nouvel agrément en cas de modification substantielle du projet et se borne à exclure que, dans un tel cas, une dispense de consultation de la commission consultative des agréments fiscaux puisse être accordée.

4. Par suite, l'arrêté susmentionné du 21 septembre 2012 ne peut, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, être regardé comme répondant à une nouvelle demande d'agrément d'un nouveau projet d'investissement qui serait soumis aux dispositions du code des impôts issues de la loi du pays susmentionnée en vigueur à la date de cette demande, mais se borne à rectifier l'agrément initial, pour tenir compte des modifications apportées au programme d'investissement agréé en 2007. En conséquence, l'octroi de cet agrément rectificatif restait subordonné aux conditions définies par le code des impôts en vigueur antérieurement à l'intervention de la loi du pays du 1er avril 2009.

5. Il suit de là qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de substitution de base légale présentée par la Polynésie française et pas davantage aux conclusions de la société requérante tendant à la transmission au Conseil d'Etat d'une question préjudicielle relative à la conformité de la loi du pays n°2009-7 du 1er avril 2009 au bloc de légalité défini à l'article 179 de la loi organique du 27 février 2004, cette question ne commandant pas l'issue du litige, non plus que la validité de la procédure.

6. Aux termes de l'article 951-7 du code des impôts de la Polynésie française : " le retrait de l'agrément est effectué selon la procédure prévue pour son octroi ". L'article 951-1 dudit code dispose que les projets d'investissement ouvrant droit au crédit d'impôt " doivent être agréés par le président de la Polynésie française, après avis de la commission consultative des agréments fiscaux ".

7. En l'espèce, l'arrêté litigieux n° 1479 CM du 25 août 2017, portant retrait d'agrément et versé au dossier par la société requérante est revêtu d'un tampon " pour ampliation " et comporte la mention " par le Président de la Polynésie française ", suivie du nom de son auteur, Edouard Fritch, qui était, à cette date, le président de la Polynésie française. S'il ressort des mentions de cet arrêté que le conseil des ministres a délibéré le 23 août 2017 sur le projet de retrait dudit agrément, cette circonstance ne peut suffire à établir que le président de la Polynésie française se serait considéré comme tenu de reprendre les termes de cette délibération et aurait ainsi renoncé à l'exercice de sa propre compétence. En conséquence, le moyen tiré de l'incompétence doit être écarté comme non fondé.

8. Par ailleurs, il ressort des visas de l'arrêté contesté que la commission consultative des agréments fiscaux a rendu un avis à l'issue de sa séance du 10 mars 2016, sur le retrait envisagé d'agrément. Par suite, si la société Tahiti Luxury Resort a entendu, pour contester la régularité de la procédure de retrait d'agrément, invoquer l'absence de consultation de cette commission, ce moyen doit être écarté comme manquant en fait.

9 La société requérante n'est pas fondée à se prévaloir du délai de quatre mois au-delà duquel l'administration ne peut retirer une décision individuelle illégale créatrice de droits, ce délai ne trouvant pas à s'appliquer en l'espèce, dès lors que le bénéfice l'agrément restait subordonné à la production, dans les délais impartis, du certificat de conformité du projet, et que le retrait a été opéré en raison de l'absence, au demeurant non contestée, de satisfaction de cette condition.

10. La décision de retrait d'agrément contestée n'a pas, par elle-même, pour objet ni directement pour effet de procéder à la correction d'une imposition. En conséquence, elle n'est pas enfermée dans le délai de reprise fixé par le code des impôts de la Polynésie française.

11. Le retrait litigieux ne constitue pas davantage, en lui-même, une sanction fiscale. En conséquence, la société requérante ne saurait utilement, invoquer la méconnaissance de l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la violation des principes à valeur constitutionnelle de proportionnalité et d'individualisation des sanctions.

12. Enfin, si la société requérante soutient que le retrait litigieux procède d'un détournement de procédure ou de pouvoir, elle ne l'établit en tout état de cause pas.

13. De tout ce qui précède il résulte que la société Tahiti Luxury Resort n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande. Les conclusions de sa requête tendant à l'annulation du jugement et de la décision contestée doivent être rejetées, de même que celles présentées sur le fondement de l'article 179 de la loi organique du 27 février 2004, et par voie de conséquence de celles fondées sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement de ce dernier article par la Polynésie française.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Tahiti Luxury Resort est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la Polynésie française présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Tahiti Luxury Resort et au gouvernement de la Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 15 mai 2019, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

- Mme Appèche, président assesseur,

- M. Magnard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 29 mai 2019.

Le rapporteur,

S. APPECHELe président,

I. BROTONS

Le greffier,

S. DALL'AVA

La République mande et ordonne au ministre des Outre-mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 18PA02154 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA02154
Date de la décision : 29/05/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: Mme Sylvie APPECHE
Rapporteur public ?: M. CHEYLAN
Avocat(s) : SEP UCJ AVOCATS ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-05-29;18pa02154 ?
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