Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Kerry a demandé au Tribunal administratif de Paris :
1°) d'annuler la saisie à tiers détenteur du 6 janvier 2016 portant sur une somme de 1 313 537,11 euros ;
2°) d'annuler la décision du 11 mars 2016 portant rejet de son recours préalable ;
3°) de la décharger de l'obligation de payer la somme de 1 313 537,11 euros.
Par un jugement n° 1603280/4-3 du 7 juillet 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 25 juillet 2017, la société Kerry, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 7 juillet 2017 ;
2°) d'annuler la saisie à tiers détenteur du 6 janvier 2016 mentionnée ci-dessus ;
3°) d'annuler la décision du 11 mars 2016 mentionnée ci-dessus ;
4°) de la décharger de l'obligation de payer la somme de 1 313 537,11 euros ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la saisie à tiers détenteur ne comporte ni la référence exacte des titres de perception, ni celle du texte sur lequel est fondée la créance ;
- le gérant intérimaire de la Direction régionale des finances publiques d'Île-de-France et du département de Paris était incompétent pour rejeter le recours préalable ;
- la saisie à tiers détenteur méconnait les dispositions de l'article L. 1334-4 du code de la santé publique puisque le coût des travaux de lutte contre l'insalubrité et le saturnisme ainsi que celui du relogement provisoire des squatters doivent être mis à la charge de l'Etat ;
- le comportement de l'Etat, qui n'a cessé de refuser illégalement de prêter le concours de la force publique, caractérise un détournement de pouvoir ;
- l'Etat a méconnu l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 octobre 2017, le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les titres de perception sur le fondement desquels a été émise la saisie à tiers détenteur attaquée sont devenus définitifs et incontestables ;
- il n'appartient pas au juge administratif de connaître de moyens relatifs à l'irrégularité en la forme d'un acte de poursuite ; en tout état de cause, la saisie à tiers détenteur attaquée comporte les références des titres de perception qui en constituent le fondement, ainsi que la mention du comptable public assignataire de la recette ; la décision prise sur le recours de la société Kerry a été signée par une autorité compétente ;
- la Direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, chargée uniquement du recouvrement des titres de perception émis par les ordonnateurs publics, n'est pas compétente pour se prononcer sur le bien-fondé, la liquidation et la régularité de ces titres de perception.
Par un mémoire en réplique, enregistré le 10 octobre 2017, la société Kerry conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 novembre 2017, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- il n'a compétence pour présenter des observations que pour ce qui concerne le titre de perception n° 589 qui relève seul du ministère de l'intérieur et dont il est l'émetteur ;
- les moyens tirés de l'irrégularité formelle de la saisie à tiers détenteur ne peuvent qu'être écartés comme portés devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître ; en tout état de cause, ces moyens sont infondés ; le ministre se réfère sur ce point aux observations présentées le 2 octobre 2017 par le directeur régional des Finances publiques d'Île-de-France et du département de Paris ;
- compte tenu de l'autorité de la chose jugée par l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris n° 11PA00579 du 15 septembre 2011 ainsi que par le jugement du Tribunal administratif de Paris n° 1206141 du 17 octobre 2014, confirmé par arrêt devenu définitif de la Cour administrative d'appel de Paris n° 14PA04957 du 29 novembre 2016, il ne peut être contesté que la créance dont se prévaut l'Etat sur le fondement du titre n°589 émis par le ministère de l'intérieur est une créance certaine ;
- le moyen tiré du détournement de pouvoir affectant les refus de concours de la force publique opposés à la société Kerry est inopérant dès lors que la requérante ne peut utilement remettre en cause l'exigibilité de la créance de l'Etat relative à son trop-perçu d'indemnité, déterminé par une décision de justice exécutoire devenue définitive ; ce moyen n'est en tout état de cause pas fondé ;
- les moyens tirés de la violation de l'article 6, paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention sont inopérants dès lors que la créance dont se prévaut l'Etat sur le fondement du titre n° 589 résulte d'une décision de justice exécutoire devenue définitive et par suite incontestable ; en tout état de cause, ces moyens sont infondés.
Par une ordonnance du 5 juin 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au 25 juin 2018.
Par un mémoire, enregistré le 2 avril 2019, la ministre des solidarités et de la santé déclare que la requête n'appelle pas d'observation de sa part.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que le protocole additionnel n° 1 à cette convention ;
- le code de l'organisation judiciaire ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Niollet,
- les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., pour la société Kerry
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte de l'instruction que la société Kerry, propriétaire d'un immeuble situé 48, rue du Faubourg Poissonnière à Paris, a vainement requis le concours de la force publique pour faire exécuter l'ordonnance du 6 mai 1999 par laquelle le Tribunal de grande instance de Paris a ordonné l'expulsion des occupants sans titre de cet immeuble. Elle a ensuite demandé à être indemnisée des préjudices résultant des décisions par lesquelles le préfet de police lui a refusé ce concours. A la suite de l'annulation par le Conseil d'Etat le 21 septembre 2007, du jugement du 29 mars 2005 par lequel le Tribunal administratif de Paris avait fait droit à sa demande, et de la réduction en conséquence du montant de l'indemnité que l'Etat avait été condamné à lui verser, le ministre de l'intérieur a, le 18 avril 2008, émis à son encontre un titre de perception (n° 589) en vue du recouvrement du trop-versé. Dans le même temps, le préfet de Paris a émis à son encontre huit autres titres de perception correspondant à des travaux de lutte contre le saturnisme exécutés d'office, ainsi qu'à des frais d'hébergement des occupants sans titre. Sur le fondement de sept des neuf titres de perception ainsi émis, une première saisie à tiers détenteur d'un montant de 1 330 879,12 euros a été notifiée le 24 janvier 2012 à la société Kerry. Par jugement du 17 octobre 2014, confirmé par arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris du 29 novembre 2016, le Tribunal administratif de Paris a rejeté le recours dirigé contre cette saisie. Cette même saisie étant demeurée infructueuse, le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris a, le 29 août 2014, mis en demeure la société Kerry de payer la somme de l 313 537,11 euros. Par un jugement du 18 décembre 2015, confirmé par arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris du 29 novembre 2016, le Tribunal administratif de Paris a rejeté le recours formé par la société Kerry aux fins d'annulation de cette mise en demeure. Par une nouvelle notification de saisie à tiers détenteur en date du 6 janvier 2016, le directeur régional des finances publiques d'Île-de-France et du département de Paris a fait savoir à la société Kerry qu'il avait ordonné à sa banque de lui verser la somme de 1 313 537,11 euros sur le fondement des neuf titres de perception émis (n° 589, 46, 110, 168, 178, 192, 243, 244 et 245). La société Kerry, dont l'opposition à cette saisie a été rejetée par décision du 11 mars 2016, a demandé au Tribunal administratif de Paris l'annulation de la saisie à tiers détenteur et de la décision rejetant son opposition, ainsi que la décharge de l'obligation de payer la somme de 1 313 537,11 euros. Elle fait appel du jugement du 7 juillet 2017 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
2. En premier lieu et en l'absence de tout élément nouveau, les moyens déjà soulevés en première instance par la société Kerry, visant à contester la régularité en la forme de la saisie à tiers détenteur, la compétence du signataire de la décision du 11 mars 2016 rejetant son opposition, et le bien-fondé de sa dette au regard des dispositions de l'article L. 1334-4 du code de la santé publique, doivent être écartés par adoption des motifs retenus par le tribunal.
3. En deuxième lieu, le détournement de pouvoir allégué en ce qui concerne les décisions de refus de concours de la force publique n'est en tout état de cause pas établi.
4. En troisième lieu, la société Kerry ne saurait utilement invoquer les stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le principe d'égalité des armes pour contester, non la saisie en litige dans la présente instance, mais les décisions de refus de concours de la force publique mentionnées ci-dessus.
5. En quatrième lieu, si la société Kerry invoque une atteinte au droit de propriété tel que garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, elle l'impute aux décisions de refus de concours de la force publique mentionnées ci-dessus. Ce moyen est donc inopérant dans le cadre du présent litige. Au demeurant, la nécessité de protéger la santé et la sécurité publiques a rendu nécessaires les travaux à raison desquels le préfet de Paris a émis à son encontre huit des neuf titres de perception mentionnés ci-dessus. En ce qui concerne le titre de perception (n° 589) émis par le ministre de l'intérieur le 18 avril 2008, celui-ci n'ayant pour objet que le recouvrement d'un trop perçu d'indemnisation dont le montant a été fixé par une décision de justice définitive, le moyen ne peut qu'être écarté.
6. Il résulte de ce qui précède que la société Kerry n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Kerry est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Kerry, au ministre de l'économie et des finances, au ministre de l'intérieur et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au préfet de Paris, préfet de la région d'Île-de-France et au directeur régional des finances publiques d'Île-de-France et du département de Paris.
Délibéré après l'audience du 9 avril 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- Mme Labetoulle, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 24 avril 2019.
Le rapporteur,
J-C. NIOLLETLe président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances et au ministre de l'intérieur, en ce qui les concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
6
N° 17PA02569