Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société JSC Investissement, la société Sodec et la société Sodec Commercialisation et Gestion ont demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner la société Aéroports de Paris à verser, d'une part, à la société JSC Investissement, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, une somme globale de 337 755 000 euros au titre du protocole du 23 juillet 2003 et de l'avenant du 20 avril 2004 et, d'autre part, à la société Sodec et à la société Sodec Commercialisation et Gestion, sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle, les sommes respectives de 50 790 000 euros et de 23 516 000 euros.
Par un jugement n° 1431395 du 19 janvier 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 20 mars 2017, 4 août 2017,
1er mars 2018, 20 mars 2018, 15 janvier 2019 et 26 février 2019, la société JSC Investissement, la société Sodec et la société Sodec Commercialisation et Gestion, représentées par Me C...et MeB..., demandent à la Cour dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la société Aéroports de Paris (ADP) à verser à la société JSC Investissement une somme de 237 755 000 euros au titre de la perte de sa marge promoteur résultant de l'inexécution du protocole d'accord du 23 juillet 2003 par lequel l'établissement public Aéroports de Paris et les sociétés JSC Investissement et Sogeprom ont convenu de l'implantation d'un centre commercial, et une somme de 100 000 000 euros au titre de son préjudice de développement, sommes assorties des intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 13 juin 2013 et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de condamner la société ADP à verser à la société Sodec une somme de 50 790 000 euros au titre de la perte d'honoraires de la maîtrise d'ouvrage déléguée et une somme de 100 000 000 euros au titre de son préjudice de développement, sommes assorties des intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 13 juin 2013 et de la capitalisation des intérêts ;
4°) de condamner la société ADP à verser à la société Sodec Commercialisation et Gestion une somme de 23 516 000 euros au titre de la perte d'honoraires pour les missions de conception, de programmation, de commercialisation et de gestion de l'équipement commercial, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 13 juin 2013 et de la capitalisation des intérêts ;
5°) subsidiairement, d'ordonner une expertise pour chiffrer l'ensemble des préjudices des sociétés JSC Investissement, Sodec et Sodec Commercialisation et Gestion ;
6°) de mettre à la charge de la société ADP le versement d'une somme globale de 20 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
Sur la prescription :
- la société ADP, devenue une société de droit privé du fait de la loi n° 2005-357 du 20 avril 2005, n'a pas qualité pour opposer la prescription quadriennale prévue par la loi du 31 décembre 1968 réservée aux personnes publiques dotées d'un comptable public ;
- le délai de 10 ans issu de la prescription prévue à l'article L. 110-4 du code de commerce, ou le nouveau délai de 5 ans, courant à compter de l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 dont il est issu, n'étaient en tout état de cause pas expirés à la date du 13 juin 2013 à laquelle les sociétés requérantes ont assigné la société ADP devant le tribunal de commerce de Paris ;
- à supposer même la prescription quadriennale applicable, celle-ci n'aurait pu commencé à courir qu'à compter du 29 décembre 2010, date de délivrance du second permis de construire accordé à la société Unibail et à laquelle les sociétés requérantes ayant découvert la déloyauté de la société ADP, le dommage a pu être apprécié dans toute son étendue ; à titre subsidiaire, le point de départ du délai de prescription ne pouvait être antérieur au
19 novembre 2004, date à laquelle ADP a informé la société Sodec que son projet ne serait pas retenu et qui est postérieure au changement de statut d'ADP, le 1er juillet 2004 ;
- la loi du 20 avril 2005 a prévu le maintien des droits et contrats de l'établissement public ADP et non celui du régime de prescription qui leur est applicable, lequel relève des règles de procédure et non du droit des contrats administratifs.
Sur la responsabilité contractuelle :
- la société ADP n'a jamais exécuté le protocole du 23 juillet 2003 par lequel elle s'était engagée dans l'édification d'un centre commercial sur des terrains situés dans l'emprise de l'aéroport Paris-Charles de Gaulle, décidant en cours d'exécution de collaborer avec un autre développeur, Unibail ; notamment, elle s'est abstenue de solliciter l'autorisation du conseil d'administration, prévue à l'article 10 du protocole, pour régulariser l'accord entre les parties ;
- les premiers juges ont omis de répondre au moyen tiré du manquement contractuel de la société ADP à solliciter l'autorisation de son conseil d'administration ;
- la renonciation des sociétés requérantes à leurs droits du fait de l'avenant du 20 avril 2004 résulte de manoeuvres déloyales de la société ADP, facilitées par une clause exonératoire de responsabilité léonine et illicite et constitutives d'un vice du consentement d'une particulière gravité, de nature à entraîner l'annulation du contrat ;
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé au regard des vices invoqués à l'encontre de l'avenant du 20 avril 2004 ;
- aucune décision de refus des propositions des sociétés JSC Investissement et Sogeprom n'a pu valablement intervenir, le conseil d'administration d'ADP, seul organe compétent au regard du code de l'aviation civile, ne s'étant pas prononcé ; en conséquence, le protocole du 23 juillet 2003 doit être regardé comme n'ayant jamais été résilié ;
- à titre subsidiaire, la consultation promise par l'avenant du 20 avril 2004, caractérisée par une procédure expéditive et une mise en concurrence factice, révèle une inexécution fautive du contrat, de nature à entraîner sa résiliation aux torts de la société ADP ;
- les premiers juges ont omis de répondre aux conclusions et aux moyens relatifs à l'inexécution fautive de l'avenant du 20 avril 2004 ;
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé au regard de l'inexécution fautive par ADP de l'avenant du 20 avril 2004.
Sur la responsabilité quasi-délictuelle :
- les demandes des sociétés Sodec et Sodec Commercialisation et Gestion sont recevables dès lors que, d'une part, le contentieux a été lié devant les juridictions judiciaires et, d'autre part, que ces demandes, qui ne procédaient pas d'une cause juridique distincte, avaient été clairement formulées dans la requête du 19 décembre 2014 ;
- les premiers juges ont insuffisamment motivé le jugement attaqué en ne précisant pas le délai qui était opposable aux conclusions indemnitaires des sociétés Sodec et Sodec Commercialisation et Gestion ;
- à titre subsidiaire, la responsabilité quasi-délictuelle d'ADP a été implicitement invoquée ; à titre sous-subsidiaire, elle doit être prise en compte au titre de la responsabilité contractuelle d'ADP à l'égard de la société JSC Investissement.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 31 janvier 2018, le 13 septembre 2018 et le 12 février 2019, la société Aéroports de Paris (ADP), représentée par MeA..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge des sociétés requérantes la somme de 8 000 euros chacune sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société ADP fait valoir que :
Sur la prescription :
- les demandes indemnitaires des sociétés requérantes sont irrecevables du fait de la prescription quadriennale prévue par la loi du 31 décembre 1968 dès lors que la société ADP était, à la date des contrats litigieux, un établissement public doté d'un comptable public ; aucune substitution de prescription n'est possible du fait de la transformation de l'établissement public Aéroports de Paris en une société anonyme ;
- le délai de prescription a commencé à courir à la date à laquelle ADP a informé son cocontractant de sa renonciation au projet de construction tel qu'il figurait dans le protocole du 23 juillet 2003, à savoir le 20 avril 2004, date de conclusion de l'avenant ;
- en tout état de cause, la loi n° 2005-357 du 20 avril 2005 autorisant la transformation de l'établissement public ADP en société anonyme prévoit expressément que le changement de statut n'a aucune incidence sur les biens, droits, obligations, contrats, conventions et autorisations transférés à la société anonyme ADP.
Sur la responsabilité contractuelle :
- l'article 2 de l'avenant du 20 avril 2004 ne présente pas de caractère illicite ;
- les conditions de conclusion de l'avenant du 20 avril 2004 ne révèlent aucun vice du consentement de nature à entraîner sa résolution ou son annulation ;
- l'exécution par la société ADP de l'avenant du 20 avril 2004 ne présente aucun caractère fautif ; en tout état de cause une irrégularité dans l'exécution de cet avenant ne serait pas de nature à entraîner son annulation ;
- à supposer que la résiliation de l'avenant du 20 avril 2004 soit prononcée, celle-ci serait insusceptible de permettre aux sociétés requérantes d'être indemnisées des préjudices résultant de l'inexécution du protocole du 23 juillet 2003.
Sur la responsabilité quasi-délictuelle :
- le contentieux ne saurait avoir été lié devant la juridiction judiciaire ;
- les conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité quasi-délictuelle de la société ADP sont irrecevables car nouvelles en appel ;
- lesdites conclusions sont également irrecevables du fait de l'absence de précision des fautes délictuelles commises par la société ADP.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 2005-357 du 20 avril 2005,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mantz,
- les conclusions de Mme Jayer, rapporteur public,
- les observations de Me B...pour les sociétés JSC Investissement, Sodec et Sodec Commercialisation et Gestion et de Me A...pour la société Aéroports de Paris (ADP).
Une note en délibéré a été enregistrée le 2 avril 2019 pour les sociétés JSC Investissement, Sodec et Sodec Commercialisation et Gestion, par la société d'avocatsC..., B..., Bothorel et associés.
Considérant ce qui suit :
1. Dans le cadre d'un projet relatif à la réalisation d'un complexe immobilier situé sur l'emprise aéroportuaire de l'aéroport Paris-Charles-de-Gaulle, l'établissement public Aéroports de Paris (ADP) et les sociétés JSC Investissement et Sogeprom, ont convenu, par un protocole d'accord du 23 juillet 2003, des modalités de mise à disposition du terrain d'assiette d'implantation d'un centre commercial, lequel devait faire l'objet d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public d'ADP d'une durée de cinquante ans. Par un avenant du 20 avril 2004, les parties ont toutefois convenu de l'organisation d'une nouvelle consultation, élargie à des sociétés concurrentes des sociétés JSC Investissement et Sogeprom, aux fins de désigner l'attributaire du projet. Par lettre du 19 novembre 2004, ADP a informé le président du groupe Sodec, dont fait partie la société JSC Investissement, qu'il avait retenu l'offre présentée par la société Unibail, lui signifiant ainsi implicitement qu'il avait refusé celle des sociétés JSC Investissement et Sogeprom. Les sociétés JSC Investissement, Sodec et Sodec Commercialisation et Gestion relèvent appel du jugement du 19 janvier 2017 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la condamnation d'Aéroports de Paris, devenu une société anonyme en vertu de la loi du 20 avril 2005 relative aux aéroports, à les indemniser des préjudices imputés à des fautes contractuelles et extra-contractuelles commises par elle dans l'exécution du protocole du 23 juillet 2003 et de l'avenant du
20 avril 2004.
2. Aux termes de l'article 10 du protocole du 23 juillet 2003 " relatif aux conditions de mise à disposition du terrain d'assiette d'implantation d'un centre commercial ", passé entre les sociétés JSC Investissement et Sogeprom, d'une part, et Aéroports de Paris (ADP), d'autre part : " Le présent protocole est conclu sous la condition suspensive unique suivante : 1. que le conseil d'administration d'Aéroports de Paris donne son accord sur l'ensemble des conditions juridiques, financières et techniques figurant au présent protocole et qui seront reprises notamment dans l'autorisation d'occupation temporaire du domaine public qui sera consentie au développeur ".
3. Il résulte de l'instruction que le conseil d'administration d'ADP n'a pas donné son accord à la conclusion du protocole du 23 juillet 2003, condition nécessaire d'entrée en vigueur de cet acte. Il s'ensuit que ce protocole n'a pu conférer aucun droit aux sociétés JSC Investissement et Sogeprom relativement aux conditions juridiques, financières et techniques qui y figurent, et notamment, en premier lieu, celui de se voir attribuer le projet. En outre, il résulte de l'examen des stipulations précitées de l'article 10 que celles-ci n'ont pas mis à la charge d'ADP une obligation de solliciter du conseil d'administration une décision relative à la validation du protocole.
Sur la régularité du jugement :
4. Si les sociétés JSC Investissement, Sodec et Sodec Commercialisation et Gestion ont entendu, en faisant valoir que les premiers juges se sont abstenus de répondre au moyen tiré de ce que ADP a manqué à son obligation contractuelle de provoquer une réunion du conseil d'administration aux fins d'approbation du projet, invoquer un moyen tiré de la régularité du jugement, un tel moyen serait en tout état de cause inopérant dès lors qu'ainsi qu'il a été dit au point 3, l'article 10 du protocole du 23 juillet 2003 n'a créé aucune obligation contractuelle de cette nature à la charge d'ADP. Il s'ensuit que le tribunal administratif n'était pas tenu de répondre à ce moyen.
5. Par ailleurs, il résulte de l'examen du jugement attaqué que le tribunal administratif a répondu au moyen tiré de ce que ADP n'aurait pas respecté les obligations mises à sa charge par l'avenant du 20 avril 2004. Par suite, le moyen tiré de l'omission à statuer sur ce moyen ne peut qu'être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
6. En premier lieu, le protocole de 2003 n'ayant créé aucune obligation de quelque nature que ce soit à la charge d'ADP, sa responsabilité contractuelle ne peut être engagée à l'égard de la société JSC Investissement au titre d'une prétendue inexécution fautive ou d'une violation d'un quelconque engagement résultant de ce protocole. En conséquence, la responsabilité quasi-délictuelle de la société ADP ne peut pas être engagée à l'égard des sociétés Sodec et Sodec Commercialisation et Gestion du fait du protocole, aucune faute ne pouvant être imputée à ADP au regard de cet acte.
7. En second lieu, les sociétés requérantes soutiennent que le consentement à l'avenant du 20 avril 2004 donné par les sociétés JSC Investissement et Sogeprom aurait été vicié par des manoeuvres déloyales d'Aéroports de Paris qui, dans l'unique but de les évincer au profit de la société Unibail, aurait " organisé " une nouvelle procédure de consultation qui se serait révélée expéditive et biaisée et qui ne leur aurait pas permis de concourir effectivement. Elles font en outre valoir que l'article 2 de cet avenant, qui prévoit la possibilité pour l'établissement public ADP de résilier le protocole du 23 juillet 2003 en cas d'abandon par lui du projet ou de refus des propositions remises par les sociétés JSC Investissement et Sogeprom, sans indemnité d'aucune sorte à quelque titre que ce soit, constituerait une clause léonine, et, par suite, illicite. Toutefois, il est constant que les sociétés requérantes demandent l'indemnisation du préjudice résultant du gain manqué et des pertes subies du fait du défaut d'exécution du protocole du
23 juillet 2003 en faveur des sociétés JSC Investissement et Sogeprom. Or, et ainsi qu'il a déjà été dit, ce défaut d'exécution ne constitue pas un fait générateur de responsabilité, qu'elle soit contractuelle ou extra-contractuelle, d'ADP à l'égard des sociétés JSC Investissement, Sodec et Sodec Commercialisation et Gestion. Par suite, et à supposer même qu'ADP ait commis des fautes au titre de la conclusion de l'avenant du 20 avril 2004 ou de son exécution, de telles fautes seraient en tout état de cause dépourvues de lien de causalité avec le préjudice dont il est demandé réparation.
8. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer ni sur la recevabilité de leur demande ni sur la prescription éventuelle de leur créance prétendue, et sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise sollicitée, les conclusions indemnitaires des sociétés JSC Investissement, Sodec et Sodec Commercialisation et Gestion doivent être rejetées. Par suite, celles-ci ne sont pas fondées à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.
Sur les conclusions présentées au titre des frais de justice :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge d'Aéroports de Paris, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que les sociétés JSC Investissement, Sodec et Sodec Commercialisation et Gestion demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge des sociétés JSC Investissement, Sodec et Sodec Commercialisation et Gestion une somme de 1 500 euros chacune au titre des frais exposés par la société ADP et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête des sociétés JSC Investissement, Sodec et Sodec Commercialisation et Gestion est rejetée.
Article 2 : Les sociétés JSC Investissement, Sodec et Sodec Commercialisation et Gestion verseront chacune à la société Aéroports de Paris (ADP) la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société JSC Investissement, à la société Sodec, à la société Sodec Commercialisation et Gestion et à la société Aéroports de Paris.
Délibéré après l'audience du 1er avril 2019 à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, président de chambre,
- Mme Julliard, présidente-assesseure,
- M. Mantz, premier conseiller,
Lu en audience publique le 24 avril 2019.
Le rapporteur,
P. MANTZ Le président,
M. HEERS Le greffier,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre chargé des transports en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA00940