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18/04/2019 | FRANCE | N°18PA01656

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 18 avril 2019, 18PA01656


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...C...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'appeler en la cause pour observations le ministre des finances et des comptes publics et le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique et d'annuler l'arrêté du 15 novembre 2016 par lequel le directeur général du Crédit municipal de Paris l'a suspendu de ses fonctions à compter de cette date.

Par un jugement n° 1700933/5-2 du 15 mars 2018, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :



Par une requête et des mémoires enregistrés les 15 mai, 14 juin et 27 août 2018, M. ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...C...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'appeler en la cause pour observations le ministre des finances et des comptes publics et le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique et d'annuler l'arrêté du 15 novembre 2016 par lequel le directeur général du Crédit municipal de Paris l'a suspendu de ses fonctions à compter de cette date.

Par un jugement n° 1700933/5-2 du 15 mars 2018, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 15 mai, 14 juin et 27 août 2018, M. C..., représenté par la SCP Arvis et Komly-Nallier, avocats, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1700933/5-2 du 15 mars 2018 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler l'arrêté attaqué devant ce tribunal ;

3°) de mettre à la charge du Crédit municipal de Paris le versement de la somme de

3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier faute pour le tribunal d'avoir répondu à ses conclusions tendant à l'appel en la cause pour observations du ministre de l'économie et des finances et faute pour les premiers juges d'avoir analysé la note en délibéré qu'il a produite devant le tribunal ;

- les premiers juges ont commis une erreur de qualification juridique en s'abstenant de qualifier l'" infraction pénale " qu'ils ont cru discerner dans son comportement ;

- l'arrêté litigieux est entaché d'incompétence, d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 octobre 2018, le Crédit municipal de Paris, représenté par Me B...Julié, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- aucun des moyens de la requête n'est fondé.

En application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, la clôture d'instruction a été fixée au 28 février 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code monétaire et financier ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Appèche,

- les conclusions de M. Cheylan, rapporteur public,

- les observations de Me Arvis, avocat de M. C...,

- et les observations de Me Julié, avocat du Crédit municipal de Paris.

Une note en délibéré, enregistrée le 3 avril 2019, a été présentée par Me Julié pour le Crédit municipal de Paris.

Considérant ce qui suit :

1. M.C..., administrateur civil hors classe du ministère des finances, a été recruté par le Crédit municipal de Paris par la voie du détachement en qualité de directeur général adjoint. A ce titre, il a été chargé de diriger les services administratifs et financiers de l'établissement, comprenant le service des marchés publics. Dans le cadre d'un programme de rénovation des bâtiments du Crédit municipal de Paris prévu en 2016, un marché à bons de commande a été passé le 25 juillet 2016 sous la signature de l'intéressé avec la société E.. Le

15 novembre 2016, le directeur général du Crédit municipal de Paris a informé le ministère de l'économie et des finances de sa volonté de mettre fin de manière anticipée au détachement de

M.C... et, par un arrêté du même jour, a décidé de suspendre l'intéressé de ses fonctions à titre conservatoire à compter de la date de notification dudit arrêté. M. C..., après avoir en vain demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler cet arrêté, relève appel du jugement n° 1700933/5-2 du 15 mars 2018 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande.

Sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 30 de loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline ".

3. Une mesure de suspension de fonctions d'un fonctionnaire est une mesure conservatoire prise dans l'intérêt du service et ne constitue pas une sanction disciplinaire. Les faits invoqués qui en constituent le fondement doivent présenter un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité.

4. Pour présumer l'existence d'une faute grave commise par M.C..., le directeur général du Crédit municipal de Paris s'est fondé, en premier lieu, sur le fait que l'intéressé aurait, sans en informer sa hiérarchie, engagé et mené à son terme une procédure de mise en concurrence pour un important marché public, et ce faisant ne l'aurait pas mis à même de contrôler l'usage de la délégation de signature qu'il lui avait consentie, en second lieu, sur la circonstance que, dans le rapport de présentation de la consultation afférente ce marché, aurait été mentionnée une réunion de commission d'attribution du 22 juillet 2016 alors qu'une telle commission n'existait pas à cette date au sein de l'établissement, et en troisième lieu, sur le fait que l'acte d'engagement était signé par M. C..., sans mention de la délégation de signature, accordée par le directeur général.

5. M.C..., directeur général adjoint du Crédit municipal de Paris avait, d'après le descriptif de son poste, pour missions de veiller à la " soutenabilité de la trajectoire financière de l'établissement ", de promouvoir la transversalité, d'" assister et suppléer le directeur général sur l'ensemble de son périmètre d'activité ", et également de " piloter les fonctions support en appui aux activités de l'établissement ". A ce titre, il était chargé de la maitrise d'ouvrage des travaux d'entretien et de rénovation de l'immeuble abritant le Crédit municipal de Paris, en vue de la mise en conformité et de l'adaptation de celui-ci aux besoins de l'établissement. Il ressort des pièces du dossier qu'en 2016, M. C...s'est notamment chargé de la mise en oeuvre du programme d'investissements et de travaux de rénovation adopté par l'établissement en vue de moderniser ses bâtiments, équipements de sécurité, et conditions d'accueil de ses activités, et s'est occupé, en particulier, avec le juriste de l'établissement spécialisé en la matière et le responsable des travaux, des marchés publics liés à la réalisation de ce programme. Le 21 juin 2016, il a procédé à la publication au bulletin officiel des annonces de marchés publics d'un avis d'appel public à la concurrence concernant un marché de travaux d'aménagement de surfaces et des vérifications techniques, prévoyant un délai de remise des offres d'un mois et un début des travaux le 1er septembre 2016. Le 22 juillet 2016, M. C...a signé la décision d'attribution de ce marché à l'entreprise E., seule entreprise ayant déposé un dossier de candidature.

6. En premier lieu, il ressort des copies de courriels figurant au dossier, et notamment ceux des 17 et 18 juin 2016, que le directeur général de l'établissement était informé de ce que M. C...suivait les opérations liées à ce programme d'investissement et aux procédures de marché y afférentes, et qu'il s'était d'ailleurs ému du retard dans l'avancement du programme et avait exprimé son souhait de voir rapidement engagés les travaux en cause. Qu'en outre, M. C... a adressé au directeur général, le 11 juillet 2016, un courriel ayant pour objet : " point sur les marchés immobiliers ", dans lequel il l'informait de l'état d'avancement de plusieurs procédures de marché et lui indiquait très précisément, s'agissant du marché susmentionné, que la diffusion avait été lancée et les réponses étaient attendues pour le 21 juillet, le début des travaux étant envisagé pour le mois de septembre. De la teneur de ces échanges, il résulte que M. C... a tenu son supérieur hiérarchique informé de ses activités et n'a pas retenu des informations dont son supérieur devait nécessairement être avisé ou pour lesquelles ce dernier aurait manifesté le souhait d'être informé dans le détail.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'arrêté du 15 avril 2016 du directeur du Crédit municipal de Paris, transmis le même jour au bureau du contrôle de légalité et du contentieux de la préfecture de Région Ile de France : " A compter du 15 avril 2016, en cas d'empêchement ou d'indisponibilité, la signature du directeur général de la caisse de Crédit municipal de Paris est déléguée à Monsieur A...C..., directeur général adjoint à fin de signer : finances :- les engagements de dépenses ; /.../-les courriers engageant l'établissement à l'égard des tiers./-les marchés publics contractés sans formalité préalable ou selon une procédure adaptée ; (...) ". En vertu de cet arrêté, M. C...était habilité à signer pour le directeur général, le

25 juillet 2016, ce dernier étant en congé estival, la décision d'engagement de la société E. sur la base de son offre. Dans ces conditions, la circonstance que M. C...y ait apposé sa propre signature, sans la faire précéder de la mention " par délégation " n'est pas de nature à constituer un manquement susceptible de venir utilement à l'appui de la décision de suspension litigieuse, pas davantage que la plainte déposée le 15 novembre 2016, d'ailleurs contre X, pour faux et usage de faux en écritures publiques, M. C...ayant d'ailleurs clairement indiqué, dans le rapport de présentation de la consultation dudit marché, transmis sous sa signature à la préfecture d'Ile de France, à la rubrique " nom, prénom, qualité du signataire du marché public ou de l'accord cadre ", " Monsieur A...C..., directeur général adjoint du Crédit municipal de Paris ".

8. En troisième lieu, si dans ce rapport de présentation de la consultation il est indiqué, à la rubrique " instance d'attribution ", " commission d'attribution ", il est constant que l'attribution de ce marché a été opérée, ainsi que cela ressort dudit rapport, selon la procédure dite adaptée, dans laquelle la constitution et la consultation d'une commission d'appel d'offres n'étaient pas requises, une telle commission n'ayant alors d'ailleurs pas été formellement constituée au sein de Crédit municipal de Paris. Le pouvoir d'attribution, dans une telle procédure adaptée, appartenait en effet à l'adjudicateur, soit en l'espèce, au directeur général de l'établissement. En conséquence, et alors au surplus, que M. C...soutient sans être sérieusement contredit avoir, avant de signer l'attribution de ce marché, réuni de manière informelle certains des collaborateurs ayant travaillé sur ce dossier, la mention erronée d'une commission d'attribution sur ce rapport de présentation, lequel fait apparaître par ailleurs que la procédure a été conduite sans recours à des réductions de délais, n'est pas de nature à rendre plausible un manquement grave imputable à M.C....

9. Il suit de là que les faits relevés à la charge de M. C...ne présentaient pas un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité pour justifier la mesure de suspension prise à son encontre le 15 novembre 2016 et ne pouvaient aucunement suffire à faire présumer une infraction pénale, notamment un délit de favoritisme. M. C... est en conséquence fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

10. De tout ce qui précède il résulte que M. C... est fondé à obtenir l'annulation du jugement attaqué et de l'arrêté du 15 novembre 2016 du directeur général du Crédit municipal de Paris prononçant sa suspension. Il y a lieu de mettre à la charge du Crédit municipal de Paris une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées par le Crédit municipal de Paris sur le fondement de cet article doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1700933/5-2 du Tribunal administratif de Paris du 15 mars 2018 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 15 novembre 2016 du directeur général du Crédit municipal de Paris prononçant la suspension de M. C...est annulé.

Article 3 : Le Crédit municipal de Paris versera à M. C...une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions du Crédit municipal de Paris présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... et au Crédit municipal de Paris.

Délibéré après l'audience du 3 avril 2019, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

- Mme Appèche, président assesseur,

- M. Magnard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 18 avril 2019.

Le rapporteur,

S. APPECHELe président,

I. BROTONS

Le greffier,

P. LIMMOIS

La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA01656


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA01656
Date de la décision : 18/04/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: Mme Sylvie APPECHE
Rapporteur public ?: M. CHEYLAN
Avocat(s) : SCP ARVIS et KOMLY-NALLIER

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-04-18;18pa01656 ?
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