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18/04/2019 | FRANCE | N°18PA01090

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 18 avril 2019, 18PA01090


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... F...-G... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 16 septembre 2016 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement et la décision du 10 avril 2017 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a confirmé la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique dirigé contre la décision du 16 septembre 2016, et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 50 000 euros en réparation des pr

judices qu'elle estime avoir subis.

Par un jugement n° 1619070/3-1 du 3...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... F...-G... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 16 septembre 2016 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement et la décision du 10 avril 2017 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a confirmé la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique dirigé contre la décision du 16 septembre 2016, et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 50 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.

Par un jugement n° 1619070/3-1 du 30 janvier 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 30 mars 2018 et un mémoire du 15 mars 2019, Mme F... -G..., représentée par MeA..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1619070/3-1 du 30 janvier 2018 du tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler la décision du 16 septembre 2016 de l'inspecteur du travail et la décision du 10 avril 2017 du ministre du travail ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 50 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal a méconnu le principe du contradictoire en ne l'invitant pas à faire valoir ses observations notamment sur le licenciement qui lui a été notifié en méconnaissance des dispositions de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- la procédure devant le tribunal est irrégulière dès lors qu'elle n'a pas reçu les mémoires des parties adverses sous pli recommandé avec accusée de réception ; les accusés de réception versés au dossier ne comportent pas sa signature, ni celle de son mari ; les mémoires en cause ne lui sont donc pas opposables ;

- la procédure à l'issue de laquelle la mesure de licenciement a été prise est viciée en raison de l'erreur portant sur son mandat syndical FO, ce dernier étant constant de droit et irrévocable en application de l'article L. 2314-29 du code du travail ; à la date des décisions contestées, elle était déléguée du personnel suppléante FO, puis déléguée du personnel FO à la suite de la démission de M. D...; le comité d'entreprise n'a pas été informé de sa qualité de déléguée du personnel et du plein exercice de la représentation FO ; la décision de l'inspecteur du travail qui vise seulement la qualité de déléguée syndicale suppléante est entachée de nullité ;

- la décision du 10 avril 2017 du ministre du travail est insuffisamment motivée, en particulier quant à l'absence de lien entre la demande de licenciement et le mandat syndical qu'elle détenait ; il ne se prononce pas sur la circonstance que le licenciement pour faute est en réalité un licenciement pour motif économique ;

- l'inspecteur du travail a transmis les écoutes à son employeur en méconnaissance de la " directive Combrexelle " de 2012 ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé qu'il n'y avait pas de lien entre la procédure de licenciement et son mandat syndical ; les délégués syndicaux ont été mis en cause dans la procédure opposant le journal Le Monde à la société Lancel ; une plainte a été déposée à l'encontre des deux délégués syndicaux devant le tribunal de grande instance de Nice ;

- elle a subi un préjudice certain du fait de l'illégalité de la décision du ministre du travail ;

- il n'est pas établi que le procès-verbal de la réunion du comité d'entreprise ait été rédigé avec la qualification exacte de son mandat syndical et qu'il ait été transmis dans le délai de quinze jours à l'inspecteur du travail puis au ministre du travail en application des dispositions de l'article R. 2421-10 du code du travail ;

- les dispositions des articles R. 2421-4 et R. 2421-11 du code du travail ont été méconnues, M. B...n'ayant pas été informé qu'il n'était plus membre du syndicat et que son mandat avait été révoqué ;

- elle a été licenciée en raison de son témoignage mentionné dans l'article du journal Le Monde ;

- la société Lancel Sogedi ne peut lui reprocher de ne pas avoir assisté aux réunions de délégués du personnel à Paris alors qu'elle était dans l'impossibilité de s'y rendre en raison des jours et des horaires d'ouverture du stand Lancel dans le grand magasin des Galeries Lafayette.

Par un mémoire, enregistré le 6 septembre 2018, la société Lancel Sogedi, représentée par Me Srour, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de Mme F...-G... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable dès lors qu'elle ne comporte aucune critique du jugement ;

- les conclusions indemnitaires méconnaissent les dispositions de l'article R. 421-1 du code de justice administrative et elles sont, par suite, irrecevables ;

- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 janvier 2019, le ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Il renvoie à ses écritures de première instance et s'associe aux observations de la société Lancel Sogedi.

Un mémoire a été produit le 19 mars 2019, soit après la clôture de l'instruction, pour la société Lancel Sogedi.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration,

- le code du travail,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Larsonnier,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,

- les observations de Mme F...-G...,

- et les observations de Me Srour, avocat de la société Lancel Sogedi.

Une note en délibéré a été produite le 29 mars 2019 pour Mme F...-G....

Considérant ce qui suit :

1. Mme F...-G..., déléguée du personnel suppléante, exerçait la fonction de responsable du stand de vente Lancel au grand magasin des Galeries Lafayette de Nice. Par un courrier du 20 juillet 2016, son employeur, la société Lancel Sogedi a sollicité auprès de l'inspection du travail l'autorisation de procéder à son licenciement pour faute. Par une décision du 16 septembre 2016, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement de Mme F... -G.... Par un courrier du 27 octobre 2016, Mme F...-G... a formé un recours hiérarchique à l'encontre de cette décision auprès du ministre chargé du travail. Le silence gardé par ce dernier pendant une durée de quatre mois a fait naître une décision implicite de rejet. Par une décision du 10 avril 2017, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a confirmé la décision implicite rejetant le recours hiérarchique formé par Mme F...-G.... Cette dernière relève appel du jugement du 30 janvier 2018 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 16 septembre 2016 de l'inspecteur du travail et de la décision du 10 avril 2017 du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social et à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 50 000 euros. Elle doit être regardée comme demandant à la Cour l'annulation de la décision du 16 septembre 2016 de l'inspecteur du travail et de la décision du 10 avril 2017 du ministre du travail.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux. ". Aux termes de l'article R. 611-3 du même code : " Les décisions prises pour l'instruction des affaires sont notifiées aux parties, en même temps que les copies, produites en exécution des articles R. 411-3 et suivants et de l'article R. 412-2, des requêtes, mémoires et pièces déposés au greffe. La notification peut être effectuée au moyen de lettres simples. Toutefois, il est procédé aux notifications de la requête, des demandes de régularisation, des mises en demeure, des ordonnances de clôture, des décisions de recourir à l'une des mesures d'instruction prévues aux articles R. 621-1 à R. 626-3 ainsi qu'à l'information prévue à l'article R. 611-7 au moyen de lettres remises contre signature ou de tout autre dispositif permettant d'attester la date de réception. (...) ".

3. Il résulte des dispositions précitées que le tribunal administratif de Paris n'était pas tenu de communiquer à Mme F...-G... les mémoires en défense sous pli recommandé avec accusé de réception. Par suite, le moyen tiré de ce qu'elle n'aurait pas reçu les mémoires en défense sous pli recommandé avec accusé de réception, qui par ailleurs lui ont été adressés par lettres simples les 27 janvier 2017, 24 mai 2017 et 29 mai 2017, doit être écarté.

4. En deuxième lieu, si Mme F...-G... entend soutenir qu'elle n'a pas reçu les décisions prises par le tribunal pour l'instruction de son affaire qui lui ont été adressées sous pli recommandé avec accusé de réception à l'adresse qu'elle a indiquée au greffe du tribunal, qui par ailleurs est celle qui a également été communiquée au greffe de la Cour, dès lors que ni son mari, ni elle-même n'ont signé les accusés de réception versés au dossier, il lui appartient d'établir que le signataire de ces avis n'avait pas qualité pour recevoir les plis dont il s'agit. Mme F...-G... n'apportant aucun élément de nature à établir que le signataire des avis de réception en cause n'avait pas qualité pour ce faire, ce moyen ne peut qu'être écarté.

5. En troisième et dernier lieu, Mme F...-G... soutient que le tribunal a méconnu le principe du contradictoire en ne l'invitant pas à présenter ses observations sur la mesure de licenciement contestée. Toutefois, il ressort du dossier transmis par le tribunal administratif de Paris à la Cour que la requérante a été en mesure de présenter des observations en réplique ce qu'elle a d'ailleurs fait le 28 avril 2017 et que, par une lettre dont elle a accusé réception le 13 décembre 2017, elle a été convoquée à l'audience du 16 janvier 2018 où son affaire était inscrite et où elle a présenté des observations orales. La requérante n'est pas fondée à soutenir le tribunal aurait méconnu le principe du contradictoire et que, pour ce motif, le jugement attaqué serait irrégulier.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la légalité des décisions de l'administration :

6. En premier lieu, l'article L. 2314-29 du code du travail dispose que : " Tout délégué du personnel peut être révoqué en cours de mandat, sur proposition de l'organisation syndicale qui l'a présenté, approuvée au scrutin secret par la majorité du collège électoral auquel il appartient. ".

7. Il ressort des pièces du dossier que par un courrier en date du 16 décembre 2015, confirmé par un courriel du 14 juin 2016, le syndicat FO a informé la direction de la société Lancel Sogedi que Mme F...-G... ne pouvait plus prétendre représenter FO au sein de l'entreprise. Toutefois, il n'est pas établi que Mme F...-G... aurait été révoquée de son mandat de déléguée du personnel FO en application de l'article L. 2314-29 du code du travail. Les courriers du syndicat FO des 16 décembre 2015 et 14 juin 2016 ont été évoqués devant le comité d'entreprise lors de sa réunion extraordinaire du 11 juillet 2016 portant sur le projet de licenciement de l'intéressée et ils ont été portés à la connaissance de l'inspecteur du travail par la société Lancel Sogedi lors de sa demande d'autorisation de licenciement. Il ressort des termes de la décision de l'inspecteur du travail que celui-ci a, à juste titre, estimé que Mme F...-G... exerçait toujours le mandat de déléguée du personnel suppléante FO. Il s'ensuit, et même si le ministre ne mentionne pas ce point dans sa décision, que la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'administration n'aurait pas tenu compte de sa désignation par le syndicat FO.

8. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la requérante ne peut utilement soutenir que l'administration a méconnu le principe du contradictoire en ne lui communiquant pas les courriers du syndicat FO, à supposer qu'elle les ait eu en sa possession, dès lors qu'elle ne s'est pas fondée sur ces courriers et a considéré que la salariée était toujours déléguée du personnel sous étiquette FO.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 2314-26 du code du travail : " Les délégués du personnel sont élus pour quatre ans. Leur mandat est renouvelable. Leurs fonctions prennent fin par le décès, la démission, la rupture du contrat de travail ou la perte des conditions requises pour l'éligibilité. Ils conservent leur mandat en cas de changement de catégorie professionnelle ". Aux termes de l'article L. 2314-30 de ce code : " Lorsqu'un délégué titulaire cesse ses fonctions pour l'une des causes indiquées à la présente section ou est momentanément absent pour une cause quelconque, il est remplacé par un suppléant élu sur une liste présentée par la même organisation syndicale que celle de ce titulaire. La priorité est donnée au suppléant élu de la même catégorie. (...) Le suppléant devient titulaire jusqu'au retour de celui qu'il remplace ou jusqu'au renouvellement de l'institution. ".

10. Il ressort des procès-verbaux des élections des délégués du personnel du 4 février 2015 versés au dossier que Mme F...-G... a été élue déléguée du personnel suppléante FO du collège Employés Agent de maîtrise. Il ressort des décisions contestées des 16 septembre 2016 et 10 avril 2017 que l'inspecteur du travail et le ministre du travail avaient connaissance du mandat de déléguée du personnel de l'intéressée et qu'ils ont exercé leur contrôle sur la mesure de licenciement en prenant en considération ce mandat. Mme F... -G... soutient qu'elle a exercé les fonctions de déléguée du personnel titulaire en remplacement de la personne qui détenait ce mandat et qui avait quitté l'entreprise. Toutefois, ces allégations ne sont pas établies par les pièces du dossier dès lors en particulier qu'il ressort du procès-verbal des élections des délégués du personnel membres suppléants du 4 février 2015 que Mme F...-G... a été élue deuxième membre suppléant après MmeE.... Ainsi, la requérante ne peut pas non plus utilement soutenir que le comité d'entreprise n'aurait pas été informé de son mandat de déléguée du personnel titulaire.

11. En quatrième lieu, Mme F...-G... n'assortit pas le moyen tiré de la méconnaissance des articles R. 2421-4 et R. 2421-11 du code du travail des précisions suffisantes permettant d'en apprécier son bien-fondé.

12. En cinquième lieu, aux termes de l'article R. 2421-10 du code du travail : " La demande d'autorisation de licenciement d'un délégué du personnel, d'un membre du comité d'entreprise ou d'un membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est adressée à l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement qui l'emploie. Elle est accompagnée du procès-verbal de la réunion du comité d'entreprise. Excepté dans le cas de mise à pied, la demande est transmise dans les quinze jours suivant la date à laquelle a été émis l'avis du comité d'entreprise. La demande énonce les motifs du licenciement envisagé. Elle est transmise par lettre recommandée avec avis de réception. ".

13. Il ressort des pièces du dossier, en particulier de la demande d'autorisation de licenciement adressée à l'inspecteur du travail par la société Lancel Sogedi et de la décision de l'inspecteur du travail du 16 septembre 2016 que le procès-verbal de la réunion extraordinaire du comité d'entreprise du 11 juillet 2016 était joint à la demande d'autorisation de licenciement de Mme F...-G... du 20 juillet 2016 reçue par l'inspecteur du travail le 25 juillet 2016, soit dans le délai de quinze jours suivant la date à laquelle a été émis l'avis du comité d'entreprise. Il s'ensuit que la requérante n'est pas fondée à soutenir que la procédure à l'issue de laquelle l'administration a autorisé son licenciement serait irrégulière du fait de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 2421-10 du code du travail.

14. En sixième lieu, la décision du 10 avril 2017 du ministre du travail vise les articles L. 2411-1 et suivants du code du travail et mentionne les éléments de fait ayant conduit la société Lancel Sogedi à solliciter la demande d'autorisation de licenciement de Mme F... -G..., en particulier que l'intéressée s'est vu proposer des postes impliquant un changement de lieu de travail sans aucune modification de son contrat de travail et que, dans ces conditions, la modification de ce lieu de travail constituait un simple changement des conditions de travail de l'intéressée dont le refus par la salariée caractérise un comportement fautif d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement. Elle précise qu'il n'y a aucun élément permettant d'établir un lien entre le mandat de représentation détenu par la salariée et la procédure de licenciement engagée à son encontre. Ainsi, comme l'ont à bon droit estimé les premiers juges, cette décision comporte l'énoncé des éléments de droit et de faits qui en constituent le fondement, notamment pour ce qui concerne le lien entre la demande de licenciement et le mandat représentatif détenu par la salariée intéressée. Dès lors, la décision contestée répond aux exigences de l'article R. 2421-12 du code du travail. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision du ministre du travail du 10 avril 2017 ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

15. En septième lieu, en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

16. Le refus opposé par un salarié protégé à un changement de ses conditions de travail décidé par son employeur en vertu, soit des obligations souscrites dans le contrat de travail, soit de son pouvoir de direction, constitue, en principe, une faute. En cas d'un tel refus, l'employeur, s'il ne peut directement imposer au salarié ledit changement, doit, sauf à y renoncer, saisir l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licenciement à raison de la faute qui résulterait de ce refus. Après s'être assuré que la mesure envisagée ne constitue pas une modification du contrat de travail de l'intéressé, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, d'apprécier si le refus du salarié constitue une faute d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation sollicitée, compte tenu de la nature du changement envisagé, de ses modalités de mise en oeuvre et de ses effets, tant au regard de la situation personnelle du salarié, que des conditions d'exercice de son mandat. En tout état de cause, le changement des conditions de travail ne peut avoir pour objet de porter atteinte à l'exercice de ses fonctions représentatives.

17. En l'absence de mention contractuelle du lieu de travail d'un salarié, la modification de ce lieu de travail constitue un simple changement des conditions de travail, dont le refus par le salarié est susceptible de caractériser une faute de nature à justifier son licenciement, lorsque le nouveau lieu de travail demeure à l'intérieur d'un même secteur géographique, lequel s'apprécie, eu égard à la nature de l'emploi de l'intéressé, de façon objective, en fonction de la distance entre l'ancien et le nouveau lieu de travail ainsi que des moyens de transport disponibles. En revanche, sous réserve de la mention au contrat de travail d'une clause de mobilité, tout déplacement du lieu de travail dans un secteur géographique différent du secteur initial constitue une modification du contrat de travail.

18. Il ressort des pièces du dossier qu'en raison des travaux de rénovation du grand magasin des Galeries Lafayette de Nice au sein duquel la société Lancel Sogedi exploitait un stand dont Mme F...-G... était la responsable, la société Lancel Sogedi a dû négocier avec la direction du magasin un nouvel emplacement pour ce stand. L'échec des négociations a entraîné la fermeture du stand à compter du 20 février 2016. Par des courriers des 9 mars 2016, 6 avril 2016 et 26 mai 2016, la société Lancel Sogedi a adressé à Mme F... -G... six propositions de postes dont un poste de vendeuse basé à Nice et un poste de responsable de " corner " aux galeries Lafayette de Cap 3000 situé au sein du centre commercial Cap 3000 Porte Saint Laurent à Saint Laurent du Var (06700), soit à une dizaine de km de son ancien lieu de travail. Il était précisé que le contrat de travail de l'intéressée était maintenu dans toutes ses dispositions, notamment en ce qui concerne sa qualification, ses fonctions et sa rémunération. Eu égard aux termes de son contrat de travail selon lesquels " à la demande de la direction vous pourrez être amenée à travailler dans les différents magasins appartenant à la société " qui doivent être interprétés comme instituant une clause de mobilité, et alors qu'au surplus les deux dernières offres concernaient des postes situés dans le même secteur géographique que son affectation initiale, Mme F...-G... a, en refusant la modification de son lieu de travail, qui constituait un simple changement de ses conditions de travail et non une modification de son contrat de travail, commis une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que l'inspecteur du travail et le ministre du travail n'avaient pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que ce refus constituait un motif légitime de licenciement, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté en appel.

19. La requérante se borne à reproduire en appel le moyen, sans l'assortir d'éléments nouveaux, qu'elle avait développé dans sa demande de première instance, tiré de ce que son licenciement serait en rapport avec ses fonctions représentatives. Il y a lieu, par adoption des motifs retenus par les premiers juges, au point 16 du jugement attaqué, d'écarter ce moyen repris en appel par Mme F...-G....

20. Si enfin, Mme F...-G... a entendu soutenir que l'inspecteur du travail a transmis des écoutes téléphoniques à son employeur en méconnaissance de la " directive Combrexelle " de 2012, il y a lieu, par appropriation des motifs développés par les premiers dans le point 9 du jugement attaqué d'écarter ce moyen en tant qu'il porterait sur la régularité de la procédure et comme inopérant en tant qu'il porterait sur le bien fondé de l'autorisation de licenciement dès lors que, ainsi que l'a jugé le tribunal, les faits auxquels sont relatives les écoutes, son témoignage mentionné dans l'article du journal Le Monde, ne fondent pas la demande et l'autorisation de licenciement.

En ce qui concerne la demande indemnitaire :

21. Mme F...-G... n'établit pas, comme il a été dit, que la décision du 16 septembre 2016 de l'inspecteur du travail et la décision du 10 avril 2017 du ministre du travail seraient entachées d'illégalités fautives de nature à engager la responsabilité de l'Etat, ses conclusions indemnitaires tendant à la réparation des préjudices qu'elles lui auraient causés, qui au surplus n'ont pas été précédées d'une demande préalable, ne peuvent qu'être rejetées.

22. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par la société Lancel Sogedi tirée de l'irrecevabilité de la requête en l'absence de critique du jugement attaqué, que Mme F...-G... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande Mme F...-G... au titre des frais liés à l'instance. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de Mme F...-G... une somme de 1 000 euros à verser à la société Lancel Sogedi sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme F...-G... est rejetée.

Article 2 : Mme F...-G... versera à la société Lancel Sogedi la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...F...-G..., à la société Lancel Sogedi et à la ministre du travail.

Délibéré après l'audience du 21 mars 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président,

- Mme Larsonnier, premier conseiller,

- Mme Guilloteau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 18 avril 2019.

Le rapporteur,

V. LARSONNIERLe président,

J. LAPOUZADE

Le greffier,

Y. HERBER La République mande et ordonne au ministre du travail en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

4

N° 18PA01090


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA01090
Date de la décision : 18/04/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Virginie LARSONNIER
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : BRIE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-04-18;18pa01090 ?
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