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08/03/2019 | FRANCE | N°18PA00450

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 08 mars 2019, 18PA00450


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande de protection fonctionnelle présentée le 23 juin 2016, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice moral qu'elle a estimé avoir subi du fait d'agissements constitutifs de harcèlement moral de la part de sa hiérarchie et d'enjoindre au ministre de l'intérieur de faire cesser les agissements.

Par un jugement n

° 1617858/5-1 du 7 décembre 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande de protection fonctionnelle présentée le 23 juin 2016, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice moral qu'elle a estimé avoir subi du fait d'agissements constitutifs de harcèlement moral de la part de sa hiérarchie et d'enjoindre au ministre de l'intérieur de faire cesser les agissements.

Par un jugement n° 1617858/5-1 du 7 décembre 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 8 février 2018 et des mémoires enregistrés respectivement le 29 octobre 2018 et le 1er février 2019, MmeB..., représentée par la SCP Fabiani,

Luc-Thaler, Pinatel, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cette décision ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de prendre toute mesure nécessaire à sa protection fonctionnelle ;

4°) de condamner le ministre de l'intérieur à lui verser une indemnisation d'un montant de 50 000 euros au titre du préjudice moral subi ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé pour n'avoir pas examiné ou ni s'être prononcé sur certains faits susceptibles de constituer un harcèlement moral ;

- le tribunal administratif ne s'est pas prononcé sur l'ensemble des éléments invoqués au titre du harcèlement moral ;

- le tribunal n'a pas apprécié les faits dans leur ensemble pour rechercher s'ils étaient susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral ;

- il a fait peser l'intégralité de la charge de la preuve sur elle pour démontrer l'existence d'un harcèlement moral ;

- il a examiné les faits relatifs à son avancement sur le fondement d'un texte erroné ;

- son maintien dans un bureau sans fenêtre, en dépit des recommandations du médecin de prévention, permettait à lui seul de présumer d'un harcèlement moral ;

- au regard de ses évaluations, l'administration n'avait pu, sans erreur manifeste d'appréciation, l'écarter de l'inscription au tableau d'avancement et réduire ses attributions à des missions d'archivage.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 novembre 2018, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu :

- la décision contestée ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 95-979 du 25 août 1995 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Heers,

- les conclusions de Mme Jayer, rapporteur public,

- et les observations de Me C...pour MmeB....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A...B...a été recrutée par le ministère de l'intérieur en 2003 sur le fondement des dispositions de l'article 27 de la loi du 11 janvier 1984, en qualité d'agent administratif contractuel, sur un emploi de catégorie C et a été titularisée dans ce grade le 6 octobre 2004. Le 1er septembre 2006, elle a obtenu sa mutation au sein du service " budget, nouvelles technologies et comptabilité " à la direction centrale de la police aux frontières. Entre le 16 mars 2009 et le 8 juin 2009 puis entre le 16 juin 2009 et le 15 mars 2010, elle a été placée en congé de maladie ordinaire puis en disponibilité d'office pour raison de santé à compter du 16 mars 2010. Cette dernière décision a été annulée par un jugement du Tribunal administratif de Paris du 11 mars 2013. A partir de novembre 2013, elle a été affectée au secrétariat de la direction des ressources humaines de la direction centrale de la police de l'air et des frontières. Par un courrier du 23 juin 2016, Mme B...a demandé au ministre de l'intérieur de lui accorder la protection fonctionnelle et de lui verser une somme de 50 000 euros en réparation du harcèlement moral dont elle s'estimait victime depuis sa reprise du travail en novembre 2013. Mme B...relève appel du jugement du 7 décembre 2017 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation du refus implicite de l'administration et à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 50 000 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi.

Sur la régularité du jugement :

2. Mme B...soutient que le jugement attaqué est insuffisamment motivé pour n'avoir pas examiné ou ni s'être prononcé sur certains faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, que le tribunal administratif ne s'est pas prononcé sur l'ensemble des éléments invoqués au titre du harcèlement moral, qu'il n'a pas apprécié les faits dans leur ensemble pour rechercher s'ils étaient susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral et qu'il a fait peser l'intégralité de la charge de la preuve sur elle pour démontrer l'existence du harcèlement. De tels moyens, qui visent en réalité le bien-fondé du jugement, sont en tout état de cause sans incidence sur sa régularité.

Sur le bien-fondé du jugement :

Sur les conclusions indemnitaires :

3. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, issu de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) " ;

4. D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.

5. MmeB..., pour soutenir qu'elle a été victime d'un harcèlement moral, invoque un ensemble d'agissements et de décisions de l'administration à son encontre depuis 2013.

6. En premier lieu, il ne résulte pas de l'instruction que l'erreur commise par l'administration dans la déclaration faite aux services fiscaux des revenus perçus par la requérante aurait revêtu un caractère intentionnel. Par ailleurs, si Mme B...a sollicité la prise en charge d'appareils auditifs pour son handicap d'un montant total de 3 930,58 euros et si l'administration a tardé à payer les 3 071,16 euros restant à sa charge, ce règlement tardif ne saurait faire présumer l'existence d'un harcèlement moral, pas plus, d'ailleurs, que l'absence de remboursement de deux repas pris les 14 et 15 mars 2016 alors qu'elle se trouvait en formation.

7. En deuxième lieu, l'administration ne pouvait légalement faire bénéficier Mme B...d'un passage en catégorie B en dehors de la réussite d'un concours ou examen professionnel ou de l'inscription au tableau d'avancement en vertu de l'article 58 de la loi du 11 janvier 1984. Par ailleurs, le seul fait qu'elle ait été recrutée au titre de travailleur handicapé ne permet pas de lui appliquer les dispositions de l'article 27 de la loi du 11 janvier 1984 et de l'article 2 du décret du 25 août 1995. Dès lors, les refus de la faire bénéficier d'un changement de corps ne sont pas de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à l'encontre de MmeB..., pas plus que ne l'est l'absence d'inscription de l'intéressée au tableau d'avancement, lequel, compte tenu des évaluations de l'intéressée, n'apparaît pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation. Il en va de même de la dégradation de ces évaluations après 2013 ou encore de l'illégalité commise par l'administration en la plaçant en disponibilité d'office pour raisons de santé, alors qu'elle n'avait pas été en congé de maladie durant douze mois consécutifs, comme l'a relevé, par un jugement du 20 décembre 2013, le Tribunal administratif de Paris.

8. En troisième lieu, Mme B...fait valoir qu'elle s'est vu refuser à plusieurs reprises une mutation sur un poste de comptabilité alors qu'elle exerçait des fonctions comptables avant sa mise en disponibilité illégale et que l'annulation de celle-ci impliquait sa réintégration et la reconstitution de sa carrière. Par ailleurs, elle fait valoir avoir également demandé en vain à plusieurs reprises une formation au logiciel " chorus " pour être apte à exercer sur un poste de comptabilité. Toutefois, si l'annulation de sa mise en disponibilité d'office impliquait effectivement sa réintégration et la reconstitution de sa carrière, elle n'imposait pas qu'elle retrouve exactement les mêmes tâches si la situation du service ne le permettait pas de sorte que, dans l'intérêt du service, l'administration a pu privilégier d'autres profils pour le poste qu'elle convoitait chaque fois qu'il s'était libéré. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que son service a plusieurs fois appuyé sa demande de mutation. Dès lors, si le traitement des demandes de formation et de mutation de Mme B...a pu connaître certains dysfonctionnements, il n'est pas pour autant susceptible de caractériser un harcèlement moral.

9. En quatrième lieu, il résulte de ce qui précède que la requérante n'a pas fait l'objet d'une différence de traitement injustifiée par rapport à ses collègues du fait des refus opposés à ses demandes d'avancement et de mutation. Elle ne saurait donc invoquer une stagnation professionnelle faisant présumer l'existence d'un harcèlement.

10. En cinquième lieu, la requérante soutient que sa fiche de poste a été réduite au point qu'elle n'a plus dans ses attributions que des missions d'archivage et de numérisation alors même que ces missions sont inutiles pour être déjà effectuées en amont. Toutefois, il résulte de l'instruction que l'administration, en réduisant ses attributions, n'a fait que s'adapter aux difficultés et au handicap de MmeB.... Les évaluations et les courriels produits à l'instance révèlent que des missions d'archivage lui ont été confiées au regard de ses importantes difficultés rédactionnelles et de son incapacité à répondre à des appels téléphoniques en raison de sa surdité. Enfin, elle n'apporte aucun commencement de preuve de nature à établir l'inutilité des tâches qui lui sont confiées.

11. En sixième lieu, Mme B...expose qu'elle a été isolée de ses collègues dans un bureau sans fenêtre ni aération alors qu'elle a produit un certificat médical demandant qu'elle bénéficie d'un bureau avec fenêtre en raison de problèmes dermatologiques et respiratoires dont elle a souffert après son installation dans son nouveau bureau en septembre 2016. Il résulte toutefois de l'instruction que sa hiérarchie a pris cette décision pour résoudre une situation conflictuelle avec ses supérieurs hiérarchiques et ses collègues de sorte que le changement de bureau de la requérante est intervenu dans l'intérêt du service. Si l'administration ne démontre pas qu'aucun bureau avec fenêtre n'était disponible en dépit des recommandations du médecin de prévention, il résulte de l'instruction que Mme B...a toutefois réintégré son bureau personnel dès qu'elle a fait état de ses problèmes de santé en produisant des certificats médicaux.

12. En dernier lieu, la requérante rappelle qu'elle ne peut pas porter de charges lourdes, produit un certificat médical en ce sens et soutient que, malgré ce certificat médical, sa supérieure hiérarchique la sollicite très régulièrement pour lui apporter des dossiers à son bureau. Toutefois, il résulte de l'instruction que l'éventuelle charge pondérale excessive correspondante n'est pas établie en l'espèce et que les demandes rentraient dans le cadre de ses attributions.

13. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que si certains des faits mis en avant par Mme B...seraient susceptibles de faire présumer l'existence d'agissements constitutifs d'un harcèlement moral à son encontre, il résulte des précisions apportées par l'administration que les agissements et décisions en cause étaient justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement et que malgré certaines maladresses ou certains dysfonctionnements, ils n'ont pas excédé les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique au point de pouvoir être qualifiés de harcèlement moral. Dès lors, les conclusions indemnitaires de Mme B...ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions relatives au refus de protection fonctionnelle :

14. En vertu du I de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, à raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire bénéficie d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire.

15. Il résulte des points précédents que les éléments au titre desquels Mme B...a demandé la protection fonctionnelle ne peuvent être qualifiés de harcèlement moral. Dans ses conditions, ses conclusions tendant à l'annulation du refus implicite du ministre de l'intérieur de lui accorder cette protection doivent être rejetées.

16. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme B...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...B...et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 15 février 2019 à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, président de chambre,

- Mme Julliard, présidente-assesseure,

- M. Mantz, premier conseiller,

Lu en audience publique le 8 mars 2019.

Le président-rapporteur,

M. HEERSL'assesseure la plus ancienne,

M. JULLIARDLe greffier,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA00450


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA00450
Date de la décision : 08/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Agissements administratifs susceptibles d'engager la responsabilité de la puissance publique.

Travail et emploi - Conditions de travail - Médecine du travail.


Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: Mme Mireille HEERS
Rapporteur public ?: Mme JAYER
Avocat(s) : SCP FABIANI et LUC-THALER

Origine de la décision
Date de l'import : 19/03/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-03-08;18pa00450 ?
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