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21/02/2019 | FRANCE | N°18PA03211

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 1ère chambre, 21 février 2019, 18PA03211


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E...D...A...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 2 juillet 2018 par laquelle le préfet de police a décidé sa remise aux autorités suédoises, responsables de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1812086/8 du 29 août 2018, le tribunal administratif de Paris a admis M. D...A...au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a annulé l'arrêté de transfert aux autorités suédoises, enjoint au préfet de police de procéder au réexamen de la situation de M.

D... A...dans le délai de deux mois et mis une somme de 800 euros à la charge de l'Etat...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E...D...A...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 2 juillet 2018 par laquelle le préfet de police a décidé sa remise aux autorités suédoises, responsables de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 1812086/8 du 29 août 2018, le tribunal administratif de Paris a admis M. D...A...au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, a annulé l'arrêté de transfert aux autorités suédoises, enjoint au préfet de police de procéder au réexamen de la situation de M. D... A...dans le délai de deux mois et mis une somme de 800 euros à la charge de l'Etat en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 1er octobre 2018, le préfet de police demande à la Cour d'annuler le jugement n° 1812086/8 du 29 août 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris et de rejeter la demande de M. D...A....

Il soutient que

- c'est à tort que le magistrat désigné s'est fondé sur une erreur manifeste d'appréciation dans la mise en oeuvre de l'article 17 du règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que son arrêté prononce la remise aux autorités suédoises de M. D...A..., et non son renvoi en Somalie ;

- les autres moyens de la demande de première instance sont infondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience :

- le rapport de Mme Pellissier ;

- les observations de M. D...A....

1. M. D...A..., ressortissant somalien né en août 1992, est entré irrégulièrement en France au mois d'avril 2018 selon ses déclarations. Il a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile auprès du guichet unique des demandeurs d'asile de Paris 18 avril 2018. La consultation du fichier Eurodac a révélé que ses empreintes avaient déjà été relevées par les autorités suédoises et allemandes. Requises par une demande de reprise en charge le 26 avril 2018, les autorités suédoises ont expressément accepté leur responsabilité dans le traitement de la demande d'asile de M. D...A...le 3 mai 2018. Par une décision du 2 juillet 2018, le préfet de police a prononcé la remise de M. D...A...aux autorités suédoises. Par la présente requête, le préfet de police fait appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté portant remise de M. D...A...aux autorités suédoises au motif qu'il était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation, faute pour le préfet d'avoir mis en oeuvre les dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Paris :

2. Aux termes de l'article 18 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre (...) ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité (...) ". Enfin, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

3. Pour annuler l'arrêté en litige comme reposant sur une erreur manifeste dans la mise en oeuvre du pouvoir d'appréciation que le préfet de police tient de l'article 17 précité du règlement du 26 juin 2013, le premier juge s'est fondé sur la circonstance que la demande d'asile de M. D...A...a été rejetée par les autorités suédoises par une décision devenue définitive et que ces autorités ont pris à son encontre une décision d'expulsion, si bien que sa remise aux autorités suédoises aurait pour conséquence un réacheminement vers la Somalie, où il serait exposé au risque de traitements inhumains ou dégradants au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, compte tenu du climat de violence indiscriminée et de haute intensité qui y règne et du fait que sa profession de journaliste l'expose particulièrement au danger. Toutefois, l'arrêté en litige a seulement pour objet de renvoyer l'intéressé en Suède et non dans son pays d'origine. La Suède, Etat membre de l'Union européenne, est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. M. D... A...ne produit aucun élément de nature à établir qu'il existerait des raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques en Suède dans la procédure d'asile ou que les autorités suédoises n'auraient pas traité sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. En outre, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que les autorités suédoises, alors même que sa demande d'asile a été rejetée, n'évalueront pas, avant de procéder à un éventuel éloignement de M. D...A..., les risques auxquels il serait exposé en cas de retour en Somalie.

4. Il résulte de ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge a annulé son arrêté au motif qu'il était entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013.

5. Il y a lieu pour la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D...A...devant le tribunal administratif.

Sur les autres moyens soulevés par M. D...A...en première instance :

6. En premier lieu, par un arrêté n° 2018-00380 du 25 mai 2018, régulièrement publié le 29 mai 2018 au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture de Paris, le préfet de police a donné délégation à Mme C...B..., adjointe au chef du 12ème bureau à la sous-direction de l'administration des étrangers de la direction de la police générale de la préfecture de police et signataire de l'arrêté attaqué, pour signer tous les actes dans la limite de ses attributions, au nombre desquelles figure la police des étrangers, en cas d'absence ou d'empêchement des chefs des 6ème, 7ème, 8ème, 9ème, 10ème, 11ème et 12ème bureaux, dont il n'est pas allégué et ne ressort pas des pièces du dossier qu'ils n'étaient pas absents ou empêchés. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté doit être écarté comme manquant en fait.

7. En deuxième lieu, en application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant d'un pays tiers qui a déposé auprès des autorités françaises une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision qui vise le règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 et mentionne les éléments de fait sur lesquels se fonde l'administration pour estimer que la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre.

8. L'arrêté attaqué vise le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sans plus de précision, ainsi que le règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et mentionne qu'il ressort de la comparaison des empreintes de M. D... A...avec les indications du système " Eurodac " qu'il a sollicité l'asile auprès des autorités suédoises le 23 juillet 2014 et auprès des autorités allemandes le 23 avril 2017, que les autorités suédoises doivent être regardées comme responsables de sa demande d'asile en application des articles 3 et 18 (1) b) du règlement et que, saisies le 26 avril 2018 d'une demande de reprise en charge, elles ont accepté explicitement le 3 mai 2018 cette reprise en charge sur le fondement de l'article 18 (1) d) du règlement. L'arrêté mentionne en outre que la situation de l'intéressé ne relève pas des dérogations prévues par les articles 3.2 ou 17 du règlement (UE) 604/2013. Cet arrêté est ainsi suffisamment motivé en droit et en fait, alors même qu'il n'explicite pas pourquoi ce sont les autorités suédoises et non les autorités allemandes qui ont été saisies de la demande de reprise en charge.

9. En troisième lieu, il résulte des termes mêmes de l'arrêté contesté que le préfet de police a procédé à un examen circonstancié de la situation personnelle de l'intéressé. La circonstance que le préfet a mentionné saisir les autorités suédoises sur le fondement de l'article 18 (1) b) du règlement, alors qu'elles ont accepté la reprise en charge sur le fondement du d) du même article, provient de ce que le fichier Eurodac ne faisait pas apparaitre que la demande d'asile déposée en Suède avait été rejetée et est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie.

10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; /b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; /e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel./ 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. (...) ".

11. Il ressort des pièces du dossier que M. D...A...s'est vu remettre, en langue somali qu'il a déclaré comprendre, les brochures d'information contenant les informations sur la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen des demandes d'asile prévues par l'article 4 du règlement (UE) 604/2013 précité, ainsi que la brochure prévue par l'article 29 du règlement (UE) 603/2013 comprenant toutes informations utiles sur le système " Eurodac ". Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions manque en fait.

12. En cinquième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur (...). 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ".

13. Il ressort des pièces du dossier que M. D...A...a bénéficié d'un entretien individuel le 18 avril 2018 dans les locaux de la préfecture de police, par un agent du 12ème bureau, en charge de l'asile, de la direction de la police générale de la préfecture de police, qui est une personne qualifiée en vertu du droit français, et avec l'assistance d'un interprète en langue somali. L'intéressé ne fait état d'aucun élément laissant supposer que cet entretien ne se serait pas déroulé dans les conditions de confidentialité prévues par les dispositions précitées de l'article 5 du règlement n° 604-2013. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 doit être écarté.

14. Il résulte de ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du 2 juillet 2018 ordonnant la remise aux autorités suédoises de M. D... A..., lui a enjoint de procéder au réexamen de sa situation administrative dans le délai de deux mois et a mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante, la somme de 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le jugement doit, dans cette mesure, être annulé, et la demande de première instance rejetée.

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 1812086/8 du 29 août 2018 du tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : La demande de M. D...A...devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D...A...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de police.

Délibéré après l'audience du 7 février 2019, à laquelle siégeaient :

- Mme Pellissier, présidente de chambre,

- M. Diémert, président-assesseur,

- M. Platillero, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 21 février 2019.

Le président-assesseur,

S. DIÉMERTLa présidente de chambre,

rapporteur

S. PELLISSIERLe greffier,

A. LOUNIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA03211


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18PA03211
Date de la décision : 21/02/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme PELLISSIER
Rapporteur ?: Mme Sylvie PELLISSIER
Rapporteur public ?: Mme NGUYÊN-DUY

Origine de la décision
Date de l'import : 26/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-02-21;18pa03211 ?
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