La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/02/2019 | FRANCE | N°18PA01196

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 2ème chambre, 19 février 2019, 18PA01196


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Lascol Textiles a demandé au Tribunal administratif de Melun de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2010 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre des années 2010, 2011 et 2012.

Par un jugement n° 1600763/7 du 8 février 2018, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :
>Par une requête et des mémoires enregistrés les 10 avril 2018, 11 juillet 2018, 8 et

13 janvier ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Lascol Textiles a demandé au Tribunal administratif de Melun de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2010 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre des années 2010, 2011 et 2012.

Par un jugement n° 1600763/7 du 8 février 2018, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 10 avril 2018, 11 juillet 2018, 8 et

13 janvier 2019, la société Lascol Textiles, représentée par Me Rémi Mouzon, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1600763/7 en date du 8 février 2018 du Tribunal administratif de Melun ;

2°) de prononcer la décharge des impositions en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Concernant la régularité de la procédure d'imposition :

- la procédure est irrégulière car, il n'y a pas eu débat contradictoire faute pour le vérificateur d'avoir respecté les engagements pris oralement par lui au cours de celui-ci ;

Concernant le bien-fondé des impositions litigieuses :

S'agissant des rappels de taxe sur la valeur ajoutée :

- elle remplit les conditions de l'article 271-II-1 c) du code général des impôts dès lors que les charges en litige ont porté sur des biens et services utilisés pour les besoins de son activité professionnelle et à raison de ses opérations imposables ;

- les locaux situés 17 avenue Jean Gabin au Plessis Trévise, qui comportent un show room et deux pièces d'habitation, ont été utilisés dans l'intérêt de son activité et les dépenses y afférentes constituent une charge déductible au titre de l'exercice 2011 ;

- les dépenses d'énergie et de frais d'entretien ont été engagées dans son intérêt et affectées aux besoins de ses opérations imposables, telles que le développement de son activité économique et de ses relations professionnelles et commerciales ;

- l'absence de comptabilisation des charges litigieuses dans les comptes des sociétés Kangaroo Island et Lascol Lubrifiants répond à l'engagement qui avait été pris lors de l'entretien contradictoire avec le vérificateur de ne pas les comptabiliser deux fois dans deux sociétés distinctes ;

- l'inscription d'un établissement secondaire n'est pas une condition exigée par le code général des impôts pour que les charges afférentes à l'exploitation du show room et à l'utilisation d'un local d'habitation y attenant soient comptabilisées comme charges déductibles par la société ;

S'agissant des cotisations d'impôt sur les sociétés :

- dès lors que le redressement de taxe sur la valeur ajoutée déductible doit être abandonné, il convient de ne pas comptabiliser en profit sur le Trésor les montants de taxe rappelés ;

- les charges afférentes à l'entretien et à l'exploitation du show room ont été engagées dans l'intérêt de l'entreprise en application de l'article 39-1 du code général des impôts et se rattachent à sa gestion normale, car destinées à assurer la présentation de ses nouvelles collections et l'hébergement passager de ses interlocuteurs économiques ou le logement de ses salariés ; les factures établies par Veolia, EDF entreprises, EDF pro, ainsi que les factures d'espaces verts, de téléphonie et de l'entreprise " SCT " doivent être déduites des charges ;

- l'inscription d'un établissement secondaire n'est pas une condition exigée par le code général des impôts pour que les charges afférentes à l'exploitation du show room et à l'utilisation d'un local d'habitation y attenant soient déductibles au titre des charges engagées ;

- deux personnes, ont occupé la partie habitation du show room depuis leur engagement comme salariés de la société en octobre 2011 ; le logement leur a été attribué à titre d'avantage en nature dans le cadre de leur contrat de travail dans l'intérêt de l'entreprise au sens de l'article 39-1 du code général des impôts ; dès lors, la circonstance que l'occupation a été partielle et momentanée, ces derniers ayant occupé les lieux seulement trois mois, est sans incidence ;

- l'administration n'a jamais remis en cause le fait que les équipements et aménagements du show room ont été comptabilisés et amortis dans les immobilisations corporelles de la société depuis sa création en 1991, notamment après le transfert du siège social à Collégien ; elle produit le tableau d'amortissement au 31 décembre 2013 qui comporte les dotations aux amortissements afférentes à la construction, aux équipements et aux aménagements du show room ;

S'agissant de la restitution du crédit d'impôt recherche :

- elle est éligible au crédit d'impôt recherche car elle procède directement au financement de l'achat des matières premières par les lettres de crédit qu'elle transmet aux fournisseurs après la passation des commandes ; par le biais de ces lettres, elle est responsable et propriétaire de la matière première ; elle exerce une activité de production, en sous-traitant la fabrication à des entreprises tierces ;

- elle apporte la preuve de son éligibilité au dispositif du crédit d'impôt recherche tel que prévu par l'article 1er du règlement communautaire 1998/2006 du 15 décembre 2006 concernant l'application des articles 87 et 88 du traité de l'UE, qui s'applique aux entreprises relevant de tous les secteurs hormis les exceptions énumérées à l'article 1er, 1, a) à h) dont elle ne relève pas ;

- elle assume à l'égard de ses sous-traitants et de ses clients la responsabilité du fait des produits défectueux, au sens des articles 1386-1 à 1386-18 du code civil ; elle assume les risques de fabrication et de commercialisation des produits élaborés conformément aux collections créées régulièrement et remises aux fins de fabrication et sous-traitance à titre de modèles ; l'absence de comptabilisation de la matière première à l'actif du bilan n'est pas par elle-même déterminante et ne porte pas atteinte à la qualité de propriétaire, documentée par l'établissement de lettres de crédit ;

- cette activité de sous-traitance est établie par un jugement défavorable rendu à son encontre par le tribunal de commerce de Créteil le 19 février 2008 au profit d'un sous-traitant turc ; ledit jugement illustre l'activité de fabrication de produits textiles confiés en sous-traitance sur la base des commandes qu'elle a reçues et pour lesquelles elle a fait l'avance des paiements ;

- l'administration ne peut pas lui opposer l'instruction fiscale référencée " 4 A 1-01 " du 6 février 2001, dont le paragraphe 8, est contraire au droit communautaire ;

- elle est fondée à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, du guide du crédit d'impôt recherche 2010 ;

- elle a renouvelé régulièrement ses collections ; les achats de matières premières sont confirmés et justifiés au titre de la période vérifiée par trois attestations délivrées par ses fournisseurs.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 juin 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par ordonnance du 27 décembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée

au 14 janvier 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Appèche,

- les conclusions de M. Cheylan, rapporteur public,

- et les observations de Me Rémi Mouzon, avocat de la société Lascol Textiles.

Considérant ce qui suit :

1. La société à responsabilité limitée (SARL) Lascol Textiles, dont le siège social se situe 6 allée Jean Monnet à Collégien (Seine-et-Marne) depuis le 1er janvier 2007 et qui exerce une activité de commerce de gros en prêt-à-porter et de création et vente de collections de vêtements, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité pour la période allant du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012. A l'issue des opérations de contrôle, elle s'est vu notifier, par une première proposition de rectification datée du 16 décembre 2013 pour l'exercice clos en 2010 et une seconde proposition datée du 3 avril 2014 pour les exercices clos en 2011 et 2012, selon la procédure de rectification contradictoire prévue à l'article L. 55 du livre des procédures fiscales, des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des rehaussements consécutifs à la remise en cause d'un crédit-impôt recherche au titre des trois exercices vérifiés. Ces impositions supplémentaires, à concurrence d'un montant total de 17 572 euros dont 16 341 euros de droits et 1 231 euros de pénalités pour la taxe sur la valeur ajoutée, 1 034 euros pour l'impôt sur les sociétés et 48 846 euros pour le crédit-impôt-recherche ont été mises en recouvrement le 15 avril 2015. L'administration fiscale a partiellement admis la réclamation préalable formulée par l'intéressée le 22 juin 2015 et a prononcé, par décision du 17 décembre 2015, le dégrèvement de la somme de 2 058 euros au titre de l'amende prévue par l'article 1731 du code général des impôts. La SARL Lascol Textiles, après avoir demandé en vain au Tribunal administratif de Melun de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions supplémentaires auxquelles elle a ainsi été assujettie au titre des exercices clos en 2010, 2011 et 2012, relève appel du jugement

n° 1600763/7 en date du 8 février 2018 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. La société Lascol Textiles reprend devant la Cour le moyen invoqué par elle en première instance et tiré de ce qu'elle aurait été privée d'un véritable débat oral contradictoire faute pour le vérificateur d'avoir respecté les engagements pris oralement par lui au cours de celui-ci. Il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal aux points 2 à 4 de son jugement, d'écarter ce moyen comme non fondé.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

En ce qui concerne les rappels de taxe sur la valeur ajoutée :

3. Aux termes de l'article 256 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la période d'imposition en litige : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. (...) ". L'article 289 du même code dispose que : " I. - 1. Tout assujetti est tenu de s'assurer qu'une facture est émise, par lui-même, ou en son nom et pour son compte, par son client ou par un tiers (...) ". L'article 271 de ce code précise : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. / 2. Le droit à déduction prend naissance lorsque la taxe déductible devient exigible chez le redevable. / Toutefois, les personnes qui effectuent des opérations occasionnelles soumises à la taxe sur la valeur ajoutée n'exercent le droit à déduction qu'au moment de la livraison. / 3. La déduction de la taxe ayant grevé les biens et les services est opérée par imputation sur la taxe due par le redevable au titre du mois pendant lequel le droit à déduction a pris naissance. / II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : / a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures ; (...) / 2. La déduction ne peut pas être opérée si les redevables ne sont pas en possession (...) desdites factures (...) ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que, d'une part, le redevable qui désire procéder à la déduction de la taxe ayant grevé des biens ou des services doit être en mesure d'en justifier, et que, d'autre part, l'administration est en droit, en vue de se prononcer sur le caractère déductible de cette taxe, d'exiger des contribuables soit la production de leurs factures d'achat, soit à tout le moins un relevé de ces factures comportant les noms et adresses des fournisseurs ainsi que toutes précisions utiles pour déterminer le montant des sommes en cause.

4. La société Lascol Textiles soutient que l'administration a refusé à tort d'admettre la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les dépenses d'énergie et les frais d'entretien relatifs aux locaux situés 17 avenue Jean Gabin et 2 rue Alphonsine au Plessis-Trévise, qu'elle a engagés à concurrence d'une somme de 9 934 euros en 2010, 7 003 euros en 2011 et 12 220 euros en 2012, au profit des entreprises EDF, EDF Pro, Société française de distribution de l'eau et des sociétés " La Fleur paysagiste " et SCT. Selon la société requérante, ces locaux, qui abritent un " show room " et deux pièces d'habitation en rez-de-chaussée lui ont permis, d'une part, d'exposer les nouvelles collections de prêt-à-porter, ce qui ne pouvait avoir lieu au siège social situé à Collégien, celui-ci n'étant destiné à accueillir que les présentations de base et standard et d'autre part, de loger deux de ses salariés, M. G. et Mme P., sa concubine, puis, après leur départ, d'héberger temporairement et à titre gratuit des interlocuteurs étrangers lors de leurs visites en France. La société Lascol Textiles soutient que l'affectation de ces locaux correspondant à une décision de gestion interne, les frais en découlant ont été engagés à son profit et dans l'intérêt direct de son activité, qu'il s'agisse de l'avantage en nature constitué du logement de ses salariés et partenaires ou de la mise à sa disposition de locaux pour son activité économique directe. Toutefois, la société requérante ne produit devant la Cour, pas plus qu'elle ne l'a fait devant l'administration durant et après le contrôle, ou en première instance, de documents ou justificatifs probants de nature à étayer ces allégations, à établir que l'utilisation des locaux susvisés correspondrait, ne fût-ce même que partiellement, à un usage professionnel et à justifier ainsi la prise en charge par elle d'une quote-part des loyers et charges afférents à ces locaux. Elle n'apporte même toujours pas en appel une quelconque précision concernant tant l'identité ou la qualité des prétendus clients ou fournisseurs qui auraient été reçus dans ce local à des fins professionnelles, que la distribution des lieux, de nature à justifier l'affectation revendiquée à l'usage spécifique de sa propre activité, alors que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, dans son avis rendu le 9 février 2015, relevait l'absence d'information relative à " la configuration des lieux et au nombre de compteurs d'eau ou d'électricité ", et que l'administration relève pour sa part, sans être sérieusement contredite sur ce point, que les deux adresses du Plessis-Trévise correspondent à la fois au domicile de son gérant et au siège de deux autres sociétés, Lascol Lubrifiants et Kangaroo Island et que les factures d'eau établies pour 2010 indiquaient comme client le nom de son dirigeant, résidant à cette adresse. La circonstance que les charges litigieuses n'auraient pas été prises en compte dans les comptabilités des sociétés Kangaroo Island et Lascol Lubrifiants ayant leur siège dans les mêmes locaux ne saurait suffire à démontrer que ces dépenses ont été engagées dans l'intérêt propre de la société requérante. Dans ces conditions et alors d'ailleurs que la société Lascol Textiles n'a jamais déclaré qu'elle possédait un établissement secondaire à cette adresse et ne saurait utilement se borner, pour justifier la déductibilité de la taxe litigieuse, à invoquer l'absence de caractère obligatoire en l'espère d'une telle déclaration, c'est à bon droit que le service vérificateur a estimé que la taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 1 604 euros, 1 187 euros et 2 250 euros acquittée sur les dépenses en cause au titre des années 2010, 2011 et 2012, n'était pas déductible en application des dispositions combinées rappelées ci-dessus.

En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés :

Quant au profit sur le Trésor :

5. Lorsqu'un contribuable a fait l'objet de rectifications en matière de taxe sur la valeur ajoutée et d'impôt sur les bénéfices, ses bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés peuvent être rehaussées d'un profit sur le Trésor chaque fois que le droit qui lui est ouvert de déduire de ces bases la taxe sur la valeur ajoutée rappelée aboutirait, à défaut de la constatation à due concurrence d'un tel profit, à ce que le contribuable soit imposé à l'impôt sur les sociétés sur une assiette plus réduite que celle sur laquelle il aurait été imposé s'il avait acquitté régulièrement la taxe sur la valeur ajoutée.

6. Il résulte de ce qui précède que la société Lascol Textiles n'est pas fondée à soutenir que les rappels de taxe sur la valeur ajoutée opérés par le service vérificateur ne sont pas justifiés et qu'en conséquence, le profit sur le Trésor correspondant aurait été réintégré à tort à son bénéfice imposable.

Quant aux charges engagées dans l'intérêt de la société :

7. Aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la période d'imposition en litige : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) ". Pour être admises en déduction du résultat imposable, les charges doivent notamment être exposées dans l'intérêt direct de l'exploitation ou se rattacher à la gestion normale de l'entreprise et être appuyées de justifications suffisantes. A ce titre, si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. En particulier, et sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve au contribuable, il appartient au juge de l'impôt, au vu de l'instruction et compte-tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si la situation du contribuable entre dans le champ de l'assujettissement à l'impôt ou, le cas échéant, s'il remplit les conditions légales d'une exonération ou d'une réduction tenant, notamment, à l'octroi d'un avantage fiscal. Il résulte de la combinaison de ces éléments qu'il appartient, dès lors, à la société requérante, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'elle entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. La société doit apporter cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'elle en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.

8. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que la société Lascol Textiles, alors qu'elle est seule en mesure d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, ne justifie pas du caractère de charges engagées au profit et dans l'intérêt de son activité des sommes qu'elle entend déduire au titre des dépenses d'énergie et des frais d'entretien relatifs aux locaux situés 17 avenue Jean Gabin et 2 rue Alphonsine au Plessis-Trévise. A cet égard, les deux attestations établies les 26 mars et 16 septembre 2014, soit après les opérations de contrôle, par des fournisseurs de la société ne sont ni suffisamment précises ni suffisamment probantes pour constituer un commencement sérieux de justification de la réalité des charges en cause. Si la société requérante relève que le vérificateur n'a pas remis en cause, lors des opérations de contrôle, les dotations aux amortissements des équipements et aménagements du show room situé au Plessis-Trévise inscrits dans ses immobilisations corporelles, cette seule abstention ne peut être regardée comme une prise de position formelle de l'administration quant au caractère de charge des dépenses susmentionnées, susceptible de lui être opposée. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a maintenu les rectifications en matière d'impôt sur les sociétés en application de l'article 39-1 du code général des impôts précité.

Quant au bénéfice d'un crédit-impôt-recherche :

9. En premier lieu, aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la période d'imposition en litige : " I. Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel (...) peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année (...) / II. Les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt sont : (...) / b) Les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche directement et exclusivement affectés à ces opérations (...) / c) les autres dépenses de fonctionnement exposées dans les mêmes opérations ; ces dépenses sont fixées forfaitairement à la somme de 75 % des dotations aux amortissements mentionnées au a et de 50 % des dépenses de personnel mentionnées à la première phrase du b et au b bis ; (...) / g) Les dépenses de normalisation afférentes aux produits de l'entreprise (...) / h) Les dépenses liées à l'élaboration de nouvelles collections exposées par les entreprises industrielles du secteur textile-habillement-cuir et définies comme suit : 1° Les dépenses de personnel afférentes (1) aux stylistes et techniciens des bureaux de style directement et exclusivement chargés de la conception de nouveaux produits et aux ingénieurs et techniciens de production chargés de la réalisation de prototypes ou d'échantillons non vendus ; / 2° Les dotations aux amortissements des immobilisations créées ou acquises à l'état neuf qui sont directement affectées à la réalisation d'opérations visées au 1° ; / 3° Les autres dépenses de fonctionnement exposées à raison de ces mêmes opérations ; ces dépenses sont fixées forfaitairement à 75 p. 100 des dépenses de personnel mentionnées au 1° ; / 4° Les frais de dépôt des dessins et modèles. / 5° Les frais de défense des dessins et modèles, dans la limite de 60 000 € par an ; / i) Les dépenses liées à l'élaboration de nouvelles collections confiée par les entreprises industrielles du secteur textile-habillement-cuir à des stylistes ou bureaux de style agréés selon des modalités définies par décret ; / j) Les dépenses de veille technologique exposées lors de la réalisation d'opérations de recherche, dans la limite de 60 000 € par an. (...) / Le bénéfice de la fraction du crédit d'impôt qui résulte de la prise en compte des dépenses prévues aux h et i du II est subordonné au respect du règlement (CE) n° 1998/2006 de la Commission du 15 décembre 2006 concernant l'application des articles 87 et 88 du traité aux aides de minimis (...) ".

10. L'article 49 septies F de l'annexe III au code général des impôts précise que, pour l'application des dispositions de l'article 244 quater B précité de ce code, outre l'élaboration de nouvelles collections par les entreprises industrielles du secteur textile-habillement-cuir, sont considérées comme des opérations de recherche scientifique ou technique : " a. Les activités ayant un caractère de recherche fondamentale, qui pour apporter une contribution théorique ou expérimentale à la résolution des problèmes techniques, concourent à l'analyse des propriétés, des structures, des phénomènes physiques et naturels, en vue d'organiser, au moyen de schémas explicatifs ou de théories interprétatives, les faits dégagés de cette analyse ; / b. Les activités ayant le caractère de recherche appliquée qui visent à discerner les applications possibles des résultats d'une recherche fondamentale ou à trouver des solutions nouvelles permettant à l'entreprise d'atteindre un objectif déterminé choisi à l'avance. Le résultat d'une recherche appliquée consiste en un modèle probatoire de produit, d'opération ou de méthode ; / c. Les activités ayant le caractère d'opérations de développement expérimental effectuées, au moyen de prototypes ou d'installations pilotes, dans le but de réunir toutes les informations nécessaires pour fournir les éléments techniques des décisions, en vue de la production de nouveaux matériaux, dispositifs, produits, procédés, systèmes, services ou en vue de leur amélioration substantielle. Par amélioration substantielle, on entend les modifications qui ne découlent pas d'une simple utilisation de l'état des techniques existantes et qui présentent un caractère de nouveauté. ". En outre, aux termes de l'article 49 septies J de l'annexe III au code général des impôts : " Quelle que soit la date de clôture des exercices et quelle que soit leur durée, le crédit d'impôt est calculé par référence aux dépenses exposées au cours de l'année civile. En cas de clôture d'exercice en cours d'année, le montant du crédit d'impôt prévu à l'article 244 quater B du code général des impôts est calculé en prenant en compte les dépenses éligibles exposées au titre de la dernière année civile écoulée. ".

11. Il appartient au juge de l'impôt d'apprécier, au terme de son instruction et au vu des éléments qui lui sont produits par chacune des parties, si le contribuable remplit les conditions lui permettant de bénéficier du crédit d'impôt recherche institué par l'article 244 quater B du code général des impôts précité.

12. Il résulte de l'application combinée des dispositions précitées des h) et i) de l'article 244 quater B du code général des impôts, que le bénéfice du crédit d'impôt recherche ne peut être accordé, en ce qui concerne les entreprises du secteur textile-habillement-cuir, qu'aux seules entreprises industrielles, dont les activités concourent directement à la transformation de matières premières ou de produits semi-finis en produits fabriqués et pour lesquelles le rôle du matériel ou de l'outillage est prépondérant. Or, la SARL Lascol Textiles ne mettant pas en oeuvre des matériels et outillages de fabrication, celle-ci étant sous-traitée en totalité, c'est à bon droit que l'administration a considéré qu'elle ne remplissait pas les conditions lui permettant de bénéficier du crédit d'impôt recherche institué par l'article 244 quater B du code général des impôts.

13. Si la société Lascol Textiles soutient qu'elle procède directement au financement de l'achat des matières premières, dont elle est à la fois responsable et propriétaire, cette circonstance, à la supposer même établie, ne serait pas susceptible de lui ouvrir droit au crédit d'impôts sur le fondement des dispositions légales rappelées ci-dessus, lesquelles ne prévoient aucune dérogation ou aménagement des conditions d'octroi du crédit d'impôt en cas de recours à des entreprises sous-traitantes.

14. Est également inopérant sur le terrain de la loi le moyen tiré de ce que la société Lascol Textiles assumerait à l'égard de ses sous-traitants et de ses clients la responsabilité du fait des produits défectueux au sens et pour l'application des dispositions des articles 1386-1 à

1386-18 du code civil.

15. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction, et la SARL Lascol Textiles n'allègue d'ailleurs pas qu'elle aurait mené des opérations de recherche scientifique ou technique de la nature de celles visées à l'article 49 septies F précité de l'annexe III au code général des impôts.

16. Par suite, la société Lascol Textiles ne pouvait prétendre, sur le fondement de la loi, au bénéfice du crédit d'impôt au titre des années 2010, 2011 et 2012.

17. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. (...) ". Aux termes de l'article L. 80 B du même livre : " La garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80 A est applicable : 1° Lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal (...) ".

18. La SARL Lascol Textiles se prévaut, sur le fondement de l'article L. 80 A précité du livre des procédures fiscales, du bénéfice des paragraphes 8 et 9 de l'instruction administrative du 6 février 2001 contenue dans le bulletin officiel des impôts référencée 4 A-1-01, reprise dans le bulletin officiel des impôts référencé BIC-RICI-10-10-4020150506 du 6 mai 2015, qui prévoit que le crédit d'impôt institué en faveur de la recherche pour les dépenses liées à l'élaboration de nouvelles collections ne peut être refusé aux entreprises du secteur textile-habillement-cuir ayant recours à la sous-traitance, " dès lors qu'elles sont propriétaires de la matière première et qu'elles assument tous les risques de la fabrication et de la commercialisation ". Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que, comme elle le soutient, la société requérante procèderait elle-même à l'achat de matières premières, dont elle serait à la fois responsable et propriétaire. En effet, les lettres de crédits qu'elle transmet aux fournisseurs après la passation des commandes et dont elle se prévaut montrent seulement qu'elle accorde des avances à ses fournisseurs et sous-traitants avant qu'ils ne commencent à fabriquer les vêtements qu'elle leur commande, mais ne sauraient attester, pas plus d'ailleurs que le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Créteil (Val-de-Marne) le 19 février 2008 au profit d'un sous-traitant turc auquel elle avait confié la production de textiles sur la base de commandes pour lesquelles elle avait fait une avance de paiement, qu'elle est propriétaire des matières premières qu'elle aurait acquises en son nom propre. Il ressort d'ailleurs des observations opérées par l'administration lors des opérations de contrôle que, d'une part, la comptabilité de la société fait apparaître un faible montant d'achat de matières premières, aucun stock de matières premières, aucun en-cours de production, mais seulement des achats de marchandises et un stock de marchandises, et d'autre part, que la société Lascol Textiles, alors qu'elle avait été invitée à corroborer au moyen de conventions ou autres actes juridiques passés entre elle-même et les sociétés de droit étranger avec lesquelles elle est en relation d'affaires, sa qualité de propriétaire des matières premières, n'avait produit pour ce faire aucun justificatif ou pièce probante et circonstanciée. Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin de vérifier si la société assumait les risques de fabrication et de commercialisation, dès lors que les deux critères posés par l'instruction susmentionnée sont cumulatifs, la société Lascol Textiles n'est pas fondée à revendiquer le bénéfice de la doctrine administrative, dans les prévisions de laquelle elle n'entre pas.

19. La société Lascol Textiles ne saurait utilement se prévaloir du guide du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche relatif au crédit d'impôt recherche 2010, ce document ne constituant pas une interprétation formelle d'un texte fiscal non plus qu'une prise de position formelle sur l'appréciation d'une situation de fait au sens des articles L. 80 A et

L. 80 B du livre des procédures fiscales émanant de l'administration fiscale et susceptibles de lui être opposées.

20. Le crédit d'impôt recherche dont la société Lascol Textiles s'estimait bénéficiaire ayant été remis en cause, non pas sur le fondement de l'instruction administrative susmentionnée mais sur celui des articles 244 quater B du code général des impôts et de l'article 49 septies F de l'annexe III audit code, le moyen qu'elle invoque, tiré de ce que cette instruction méconnaitrait le plafonnement du montant brut total des aides de minimis octroyées à une même entreprise, fixé par le règlement (CE) n° 1998/2006 de la Commission du 15°décembre 2006 concernant l'application des articles 87 et 88 du traité de l'UE ne peut qu'être écarté comme inopérant.

21. De tout ce qui précède il résulte que la société Lascol Textiles n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Les conclusions de la requête tendant à l'annulation du jugement et à la décharge des impositions litigieuses doivent, par suite, être rejetées. Il en va de même, par voie de conséquence, de celles présentées sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative, l'Etat n'ayant pas dans la présente instance la qualité de partie perdante.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Lascol Textiles est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Lascol Textiles et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée au chef des services fiscaux chargé de la direction de contrôle fiscal d'Ile-de-France.

Délibéré après l'audience du 6 février 2019, à laquelle siégeaient :

- Mme Brotons, président de chambre,

- Mme Appèche, président assesseur,

- Mme Jimenez, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 19 février 2019.

Le rapporteur,

S. APPECHELe président,

I. BROTONS

Le greffier,

S. DALL'AVA

La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA01196


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA01196
Date de la décision : 19/02/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BROTONS
Rapporteur ?: Mme Sylvie APPECHE
Rapporteur public ?: M. CHEYLAN
Avocat(s) : MOUZON

Origine de la décision
Date de l'import : 26/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2019-02-19;18pa01196 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award