Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C...E...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 14 février 2018 par lequel le préfet de police l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 1804191/1-2 du 7 mai 2018, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de police de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de la convoquer pour réexaminer sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 8 juin 2018, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné du Tribunal administratif de Paris du 7 mai 2018 ;
2°) de rejeter la demande de Mme E...devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a accueilli le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant pour annuler son arrêté ;
- les autres moyens invoqués par Mme E...en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 novembre 2018, MmeE..., représentée par MeD..., conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à bon droit que le premier juge a retenu que le préfet de police a méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant puisque ses trois enfants résident et sont scolarisés en France ;
- en tout état de cause, l'obligation de quitter le territoire français est illégale puisqu'elle a été adoptée par une autorité incompétente ; elle est insuffisamment motivée et est entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ; elle méconnaît l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne puisqu'elle n'a pas été mise en mesure de présenter ses observations ; elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de renvoi est insuffisamment motivée ; elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Mme E...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris du 21 septembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Pagès a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. MmeE..., née le 16 juin 1985 à Ordjonikidzevskaya, en Russie, de nationalité russe, est, selon ses déclarations, entrée en France le 16 août 2013. Elle a alors présenté une demande d'asile, rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 5 mars 2015, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 8 octobre 2015. Elle a ensuite sollicité un premier réexamen de sa demande d'asile, qui a été rejeté par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 19 mai 2016, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 13 septembre 2016. Mme E... a de nouveau sollicité le réexamen de sa demande d'asile, demande rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 5 juillet 2017, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 2 novembre 2017. Par un arrêté du 14 février 2018, le préfet de police l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par un jugement du 7 mai 2018, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté attaqué et a enjoint au préfet de police de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de la convoquer pour réexaminer sa demande.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :
2. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant, et qu'elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs, mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.
3. Pour annuler l'arrêté préfectoral du 14 février 2018, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris s'est fondé sur la circonstance que les trois enfants de Mme E...résident en France avec leurs parents, et y sont scolarisés. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces enfants, nés respectivement en 2012, 2013 et 2016, ne pourraient poursuivre leur scolarité en Russie, pays dont ils ont la nationalité ainsi que leurs deux parents, dont aucun ne se trouve en situation régulière sur le territoire français. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intérêt supérieur de ces enfants n'aurait pas été pris en compte. Le préfet de police est donc fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge s'est fondé sur la méconnaissance des stipulations citées au point 2 pour annuler son arrêté.
4. Il y a lieu, pour la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance et en appel par MmeE....
Sur les autres moyens invoqués par Mme E...:
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
5. En premier lieu, par un arrêté n° 2017-01145 du 19 décembre 2017, régulièrement publié au Bulletin municipal officiel de la ville de Paris du 26 décembre 2017, le préfet de police a donné à Mme B...A..., adjointe au chef du 10ème bureau à la sous-direction de l'administration des étrangers de la direction de la police générale de la préfecture de police, signataire de l'arrêté contesté, délégation à l'effet de signer tous les actes dans la limite de ses attributions, au nombre desquelles figure la police des étrangers, en cas d'absence ou d'empêchement des chefs des 6ème, 7ème, 8ème, 9ème, 10ème et 11ème bureaux. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée aurait été signée par une autorité incompétente doit être écarté.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
7. L'arrêté attaqué vise les stipulations applicables de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 3 et 8, ainsi que les dispositions applicables du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il relève que MmeE..., de nationalité russe, est entrée en France en 2013, et a fait l'objet de plusieurs rejets de ses demandes d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. L'arrêté contesté comporte ainsi l'énoncé suffisant des considérations de droit et de fait qui le fondent et est ainsi suffisamment motivé. En outre, il ne ressort pas des termes de l'arrêté attaqué que le préfet n'aurait pas procédé à un examen approfondi de sa situation personnelle.
8. En troisième lieu, les dispositions de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne sont pas en elles-mêmes invocables par un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement telle qu'une obligation de quitter le territoire français, dès lors qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que cet article s'adresse, non pas aux Etats membres, mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Cet étranger peut néanmoins utilement faire valoir que le principe général du droit de l'Union, relatif au respect des droits de la défense, imposait qu'il soit préalablement entendu et mis à même de présenter toute observation utile sur la mesure d'éloignement envisagée.
9. Mme E...soutient que l'obligation de quitter le territoire français porte atteinte à son droit d'être entendue au sens du principe général du droit de l'Union européenne. Toutefois, elle a été mise à même, dans le cadre de sa demande d'asile, de porter à la connaissance de l'administration, et des instances chargées de l'asile, l'ensemble des informations relatives à sa situation personnelle dont elle souhaitait se prévaloir. En outre, il n'est pas établi qu'elle aurait été empêchée de porter à la connaissance des services de la préfecture des informations utiles avant que soit prise à son encontre la décision contestée portant obligation de quitter le territoire français. Enfin, il est constant qu'elle a déjà fait au moins à deux reprises l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise après refus d'admission au séjour au titre de l'asile. Elle ne pouvait dès lors pas ignorer qu'en cas de rejet de sa demande d'asile, elle serait susceptible de faire à nouveau l'objet d'une mesure d'éloignement. En conséquence, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.
10. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
11. Mme E...fait valoir que son mari, de nationalité russe et leurs trois filles mineures sont dans l'impossibilité de poursuivre une vie familiale normale du fait de la situation d'insécurité prévalant en Tchétchénie, république fédérée russe. Toutefois, il est constant que son époux se trouve également en situation irrégulière sur le territoire français. En outre, compte tenu du jeune âge des enfants et de la durée de leur séjour en France, rien ne fait obstacle à la reconstitution de la cellule familiale en Russie. Par suite, le préfet de police n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, et n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
12. En premier lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 6, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée doit être écarté.
13. En second lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
14. Mme E...n'établit pas de manière circonstanciée les risques de torture ou de traitements inhumains ou dégradants auxquels elle prétend être exposée en cas de retour dans le pays dont elle a la nationalité, ni que sa vie ou sa liberté y sont menacées, risques dont ni l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, ni la Cour nationale du droit d'asile, n'ont d'ailleurs reconnu l'existence. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celui tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 14 février 2018 pris à l'encontre de MmeE.... Par suite, les conclusions de Mme E...à fins d'annulation ne peuvent qu'être rejetées. Il en est de même, par voie de conséquence, de ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1804191/1-2 du magistrat désigné par le Président du Tribunal administratif de Paris du 7 mai 2018 est annulé.
Article 2 : La demande de Mme E...devant le Tribunal administratif de Paris et ses conclusions présentées devant la Cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...E...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 22 janvier 2019, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- M. Pagès, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 février 2019.
Le rapporteur,
D. PAGES
Le président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA01943