Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E...B...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions du 31 janvier 2018 par lesquelles le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français, lui a refusé l'octroi d'un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a interdit son retour sur le territoire français pour une durée de 12 mois.
Par un jugement n° 1801664/8 du 5 février 2018, le magistrat désigné du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 23 mars 2018, M.B..., représenté par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 5 février 2018 du magistrat désigné du Tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les décisions du 31 janvier 2018 par lesquelles le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français, lui a refusé l'octroi d'un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a interdit son retour sur le territoire français pour une durée de 12 mois ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que le jugement du tribunal administratif est irrégulier dans la mesure où le premier juge vise l'accord franco-algérien et le mentionne dans sa motivation alors que cet accord est inapplicable à sa situation puisqu'il est ressortissant malien.
Sur les moyens communs à l'ensemble des décisions :
- les décisions contestées ont été adoptées par une autorité incompétente ;
- elles sont insuffisamment motivées.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'un défaut de base légale faute de viser la directive n° 2008/115/CE du 16 décembre 2008 ;
- elle méconnait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation puisqu'il démontre résider sur le territoire français depuis près de douze ans ;
- elle méconnait l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur la décision lui refusant un délai de départ volontaire :
- la décision méconnait l'article 7 paragraphe 4 de la directive n° 2008/115/CE du 16 décembre 2008 et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'aucun risque de fuite n'est caractérisé.
Sur la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français méconnait les dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il ne présente pas une menace pour l'ordre public ou la sécurité nationale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 novembre 2018, le préfet de police conclut au rejet de cette requête.
Il soutient que :
- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est inopérant à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français ;
- les autres moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Labetoulle a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que M.B..., ressortissant malien, né le 1er janvier 1974, est entré en France, en 2006, selon ses déclarations ; que par deux décisions du 31 janvier 2018, le préfet de police lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a pris à son encontre une décision d'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de 12 mois ; que M. B...a demandé au Tribunal administratif de Paris l'annulation de ces décisions ; que par un jugement n° 1801664/8 du 5 février 2018, le magistrat désigné du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; que M. B...relève appel de ce jugement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant que le magistrat désigné du Tribunal administratif de Paris a mentionné à tort l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, dans les visa de sa décision, puis pour écarter le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors que cette convention est inapplicable à la situation du requérant de nationalité malienne ; que toutefois, la mention erronée de cette convention est sans influence sur la régularité du jugement attaqué ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Considérant que par l'arrêté n° 2017-01145 du 19 décembre 2017, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de Paris, le préfet de police a donné à M. D... C... délégation pour signer les décisions relatives aux mesures d'éloignement concernant notamment les étrangers résidant irrégulièrement sur le territoire français ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que les décisions attaquées auraient été signées par une autorité incompétente doit être écarté ;
4. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision " ;
5. Considérant que la décision portant obligation de quitter sans délai le territoire français vise les stipulations applicables de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 3 et 8, la convention d'application de l'accord de Schengen du 19 juin 1990 ainsi que les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que cette décision précise également que l'intéressé est entré irrégulièrement sur le territoire français, qu'il est dépourvu de titre de séjour, qu'il ne peut justifier de la possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité et qu'il s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; que la décision contestée comporte ainsi l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement ; que, par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté ;
6. Considérant, en deuxième lieu, que contrairement à ce que soutient le requérant, la circonstance que la décision contestée ne vise pas la directive n° 2008/115/CE ne saurait révéler une absence de base légale dès lors que le préfet vise les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, cet article ayant régulièrement transposé en droit français les dispositions de l'article 7 de la directive n° 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, le moyen tiré de l'absence de base légale de l'arrêté attaqué doit être écarté ;
7. Considérant, en troisième lieu, que le requérant ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'à l'encontre d'une décision portant refus de séjour et non contre une mesure d'éloignement ; que, par suite, ce moyen doit être écarté comme inopérant ;
8. Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ;
9. Considérant que si M. B... soutient vivre en France depuis près de douze ans de manière régulière, l'intéressé, qui est célibataire et sans charges de famille, n'établit pas être dépourvu d'attache dans son pays d'origine où il a vécu à tout le moins jusqu'à l'âge de trente-six ans ; que, dans ces conditions, la décision portant obligation de quitter le territoire français ne porte pas au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise ; que, par suite, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;
Sur l'absence de délai de départ volontaire :
10. Considérant, en premier lieu, que tout justiciable peut se prévaloir à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire des dispositions précises et inconditionnelles d'une directive lorsque l'Etat n'a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires ; qu'en l'occurrence, les dispositions de la directive n° 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 dont entend se prévaloir M.B..., ont été transposées par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 publiée au journal officiel du 17 juin 2011 ; que, par suite, le requérant n'est pas recevable à invoquer la méconnaissance des dispositions de cette directive à l'encontre de la décision ne lui fixant aucun délai pour quitter le territoire français ;
11. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile issu de la loi du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité visant à transposer la directive précitée : " II. Pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l'étranger dispose d'un délai de trente jours à compter de sa notification et peut solliciter, à cet effet, un dispositif d'aide au retour dans son pays d'origine. (...) Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque est regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) d) Si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut justifier de la possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité, ou qu'il a dissimulé des éléments de son identité, ou qu'il n'a pas déclaré le lieu de sa résidence effective ou permanente(...). " ;
12. Considérant que le préfet de police a pu légalement considérer que l'intéressé, qui s'est soustrait à l'exécution d'une précédente obligation de quitter le territoire, présentait un risque de fuite au sens du 3° de l'article L. 511-1 du code précité pris pour la transposition de la directive n° 2008/115/CE ; que dès lors, la décision l'obligeant à quitter le territoire français sans délai n'a pas méconnu les dispositions du 3° de l'article L. 511-1-I du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Sur l'interdiction de retour sur le territoire français :
13. Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) III. - L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger (...). / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. / Sauf s'il n'a pas satisfait à une précédente obligation de quitter le territoire français ou si son comportement constitue une menace pour l'ordre public / (...) L'étranger à l'encontre duquel a été prise une interdiction de retour est informé qu'il fait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen, conformément à l'article 24 du règlement (CE) n° 1987/2006 du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 sur l'établissement, le fonctionnement et l'utilisation du système d'information Schengen de deuxième génération (SIS II). Les modalités de suppression du signalement de l'étranger en cas d'annulation ou d'abrogation de l'interdiction de retour sont fixées par voie réglementaire./ (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français " ;
14. Considérant qu'il résulte de dispositions susmentionnées du III. de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que lorsque le préfet prend, à l'encontre d'un étranger, une décision portant obligation de quitter le territoire français ne comportant aucun délai de départ, ou lorsque l'étranger n'a pas respecté le délai qui lui était imparti pour satisfaire à cette obligation, il appartient au préfet d'assortir sa décision d'une interdiction de retour sur le territoire français, sauf dans le cas où des circonstances humanitaires y feraient obstacle ; que seule la durée de cette interdiction de retour doit être appréciée au regard des quatre critères énumérés au III de l'article L. 511-1, à savoir la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, la nature et l'ancienneté de ses liens avec la France, l'existence ou non d'une précédente mesure d'éloignement et, le cas échéant, la menace pour l'ordre public que constitue sa présence sur le territoire ;
15. Considérant qu'il résulte des termes de l'arrêté en litige que, pour fixer à douze mois la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français, le préfet de police s'est fondé sur l'absence de liens suffisamment anciens, forts et caractérisés avec la France, sur les circonstances que M. B... est célibataire et sans enfant, qu'il est entré sur le territoire en 2006 et qu'il a déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement le 16 octobre 2009 à laquelle il s'est soustrait ; que l'intéressé ne fait état d'aucune circonstance humanitaire faisant obstacle au prononcé d'une décision d'interdiction de retour sur le territoire français ; que dans ces conditions, et nonobstant le fait qu'il n'a jamais troublé l'ordre public, le préfet de police a pu, sans entacher sa décision d'erreur d'appréciation, prendre à l'encontre de M. B...une mesure d'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de douze mois ;
16. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E...B...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 27 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Fuchs Taugourdeau, président de chambre,
- M. Niollet, président-assesseur,
- Mme Labetoulle, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 11 décembre 2018.
Le rapporteur,
M-I. LABETOULLELe président,
O. FUCHS TAUGOURDEAU
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA01007