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10/12/2018 | FRANCE | N°17PA00583

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 10 décembre 2018, 17PA00583


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une demande enregistrée sous le n° 1515371, la société Etablissement Cuny a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, rejetant implicitement le recours hiérarchique formé par elle à l'encontre de la décision de l'inspectrice du travail du 25 novembre 2014, refusant d'autoriser le licenciement de Mme B...C....

Par une demande enregistrée sous le n° 1518537, la société Etablisse

ment Cuny a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du mi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une demande enregistrée sous le n° 1515371, la société Etablissement Cuny a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, rejetant implicitement le recours hiérarchique formé par elle à l'encontre de la décision de l'inspectrice du travail du 25 novembre 2014, refusant d'autoriser le licenciement de Mme B...C....

Par une demande enregistrée sous le n° 1518537, la société Etablissement Cuny a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 16 octobre 2015 par laquelle celui-ci a confirmé sa décision rejetant implicitement le recours hiérarchique de cette société à l'encontre du refus de l'inspectrice du travail, du 25 novembre 2014, et d'autoriser le licenciement de Mme B...C....

Par un jugement n° 1515371, 1518537 du 15 décembre 2016, le Tribunal administratif de Paris a joint ces deux demandes et les a rejetées.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 14 février 2017, la société Etablissement Cuny, représentée par MeD..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du ministre chargé du travail du 16 juillet 2015 confirmant son rejet implicite du recours hiérarchique formé par elle le 14 janvier 2015 à l'encontre du refus de l'inspectrice du travail d'autoriser le licenciement de Mme B...C... ;

3°) d'annuler la décision de l'inspectrice du travail du 25 novembre 2014 ;

4°) d'enjoindre à l'autorité administrative d'autoriser le licenciement de MmeC... ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision du ministre chargé du travail est illégale en ce qu'elle n'a pas relevé que l'inspectrice du travail n'avait pas respecté le caractère contradictoire de la procédure, celle-ci n'ayant entendu les salariés de l'entreprise que postérieurement à sa décision ;

- les commandes massives de cartouches d'imprimante passées par la salariée, sans autorisation et dans le seul but de bénéficier d'avantages financiers personnels, sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement ;

- les irrégularités dans la tenue des comptes du comité d'entreprise, établies par le rapport d'audit, alors même qu'elles ont été commises par la salariée dans l'exercice de son mandat, pouvaient être invoquées à l'appui de la demande d'autorisation de licenciement dès lors que celle-ci a délibérément manqué à son obligation de loyauté et de bonne foi envers la société ;

- les faits de vol, qui ont notamment donné lieu à des dépôts de plainte, sont établis et d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, contrairement à ce qu'a estimé l'inspectrice du travail qui a minimisé à tort le comportement de la salariée ;

- les faits reprochés à Mme C...ont généré un préjudice global de plus de 22 000 euros au détriment de la société et sont, pris dans leur ensemble, d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 octobre 2017, MmeC..., représentée par MeE..., conclut au rejet de la requête et à ce que le versement d'une somme de 2 500 euros soit mis à la charge de la société Etablissement Cuny au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société Etablissement Cuny ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 décembre 2017, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société Etablissement Cuny ne sont pas fondés.

Un mémoire complémentaire a été enregistré le 21 septembre 2018 pour les Etablissements Cuny.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mantz,

- et les conclusions de Mme Jayer, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C...a été embauchée le 15 janvier 1992 par la société Etablissement Cuny, en qualité de caissière libre-service. Depuis le 1er juin 2007, elle exerçait les fonctions d'étalagiste au sein du magasin Monoprix Saint-Paul à Paris 4ème. Par un courrier reçu par l'administration le 4 novembre 2014, la société Etablissement Cuny a sollicité l'autorisation de licencier pour faute grave MmeC..., qui exerçait à cette date les fonctions de membre titulaire du comité d'entreprise, dont elle était en outre la trésorière depuis le 5 avril 2013. Par décision du 25 novembre 2014, l'inspectrice du travail a refusé de faire droit à cette demande. La société Etablissement Cuny a présenté un recours hiérarchique contre cette décision, reçu le 15 janvier 2015. En l'absence de réponse dans un délai de quatre mois, une décision implicite de rejet est née du silence gardé par le ministre chargé du travail sur ce recours. Par courrier du 16 septembre 2015, la société Etablissement Cuny a demandé au ministre chargé du travail de lui communiquer les motifs d'une décision du 16 juillet 2015 qui aurait confirmé la décision implicite de rejet susmentionnée. Par courrier du 16 octobre 2015, le ministre chargé du travail a communiqué à la société les motifs de sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique. Par la présente requête, la société Etablissement Cuny relève appel du jugement du 15 décembre 2016 du tribunal administratif de Paris, qui a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet du recours hiérarchique par le ministre chargé du travail ainsi que de la décision du 16 octobre 2015 par laquelle ce dernier a confirmé ce rejet.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Les conclusions de la société Etablissement Cuny dirigées contre une décision du ministre chargé du travail du 16 juillet 2015, dont l'existence n'est pas établie, doivent être regardées comme dirigées contre la décision implicite de rejet du recours hiérarchique formé par elle à l'encontre de la décision de l'inspectrice du travail du 25 novembre 2014, refusant d'autoriser le licenciement de MmeC....

3. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Un agissement du salarié intervenu en-dehors de l'exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de ce contrat.

4. En premier lieu, la société Etablissement Cuny se borne à reproduire en appel, sans l'assortir d'éléments nouveaux, le moyen invoqué en première instance tiré du non-respect de la procédure du contradictoire par l'inspectrice du travail. Il y a lieu d'écarter ce moyen, par adoption des motifs retenus par les premiers juges aux points 3 et 4 de leur jugement.

5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que, s'agissant du grief tiré des irrégularités commises par Mme C...dans la tenue des comptes du comité d'entreprise, le rapport d'audit des comptes du comité d'entreprise, en date du 9 décembre 1994, a mis en évidence un écart non expliqué de 6 885 € sur les recettes espèces issues des distributeurs sur la période allant de mai 2013 à novembre 2014 ainsi qu'un manque à gagner également inexpliqué d'environ 2 000 euros sur les opérations d'achat et revente des produits. Toutefois, en admettant même ces faits imputables à Mme C...en sa qualité de trésorière du comité d'entreprise sur la période considérée, ceux-ci, accomplis dans l'exécution de son mandat, ne sauraient traduire une méconnaissance par l'intéressée d'une obligation de loyauté et de bonne foi découlant de son contrat de travail, ainsi que le soutient sans l'établir la société requérante. Par suite, la société Etablissement Cuny n'est pas fondée à soutenir que ce grief devait être retenu à l'encontre de Mme C...à l'appui de sa demande de licenciement fondée sur des motifs disciplinaires.

6. En troisième lieu, la société requérante soutient que MmeC..., employée au service de l'économat, a passé, sans autorisation, le 8 octobre 2013, une commande massive de quarante cartouches d'imprimantes de qualité médiocre auprès d'une société extérieure au fournisseur officiel, à livraison échelonnée jusqu'en décembre 2014, afin de bénéficier d'avantages personnels envoyés à son domicile, et qui ont généré pour la société un préjudice global de 12 049,98 euros. Il ressort toutefois des pièces du dossier que, d'une part, la société ne produit aucun document interne permettant d'établir que Mme C...n'aurait pas été habilitée à passer une telle commande ainsi qu'à recourir aux services d'une société extérieure et, d'autre part, que onze factures de cartouches d'imprimantes, s'échelonnant entre le 26 septembre 2013 et le 26 décembre 2014, ont été validées par la direction, dont huit par le directeur de l'époque M. L. Ce n'est, en outre, que par lettre du 15 octobre 2014, soit un an après la commande litigieuse, que la société Etablissement Cuny a adressé des reproches écrits à Mme C...à ce sujet. Dans ces conditions, si les faits sont établis, la société, qui ne peut utilement faire valoir, compte tenu de ce qui précède, de ce que M. L. et M. A..., technicien, auraient enjoint oralement à Mme C...de cesser les commandes de cartouches en janvier 2014, n'est pas fondée à soutenir que ces faits revêtent un caractère fautif.

7. En quatrième lieu, pour apprécier si les faits de vol reprochés à un salarié protégé sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, il convient de prendre en compte, notamment, le montant des articles dérobés, l'ancienneté de l'intéressé, l'existence éventuelle de reproches antérieurs de la part de l'employeur, mais aussi les circonstances dans lesquelles la soustraction des objets dérobés a eu lieu. Il ressort des pièces du dossier que Mme C...a été trouvée en possession, suite au déclenchement du système de sécurité du magasin, de plusieurs produits pour une valeur de 33,61 euros ainsi que, suite à l'ouverture de son vestiaire, de nombreux autres produits sans ticket de caisse pour une valeur globale de 176,69 euros. Dès lors que Mme C...ne pouvait ignorer la note de service du 12 juillet 2008 qui prévoit qu'en cas de contrôle, le salarié doit être en mesure de présenter le ticket de caisse correspondant à ses achats, les faits précités, qui sont établis, doivent être regardés comme fautifs. Toutefois, la faute ainsi commise par MmeC..., laquelle était présente dans l'entreprise depuis 22 ans à la date des faits sans avoir fait l'objet de reproches antérieurs de la part de l'employeur et doit être regardée comme n'ayant effectivement dérobé, du fait du défaut de production des tickets de caisse, des produits vendus dans le magasin qu'à hauteur d'une somme de 59,70 euros, ne revêt pas un caractère de gravité suffisant de nature à justifier son licenciement.

8. Enfin, en soutenant que les agissements de Mme C...lui ont occasionné un préjudice global de plus de 22 000 euros, constitué de la somme des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des trois griefs invoqués, la société Etablissement Cuny doit être regardée comme soutenant que le ministre chargé du travail n'a pas pris en compte l'ensemble des faits reprochés à l'intéressée aux fins d'apprécier la légalité de la décision de l'inspectrice du travail refusant son licenciement. Il y a lieu, toutefois, d'écarter ce moyen, déjà présenté dans les mêmes termes en première instance, par adoption des motifs retenus par les premiers juges.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Etablissement Cuny n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société Etablissement Cuny demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la société Etablissement Cuny une somme de 1 500 euros à verser à Mme C...sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Etablissement Cuny est rejetée.

Article 2 : La société Etablissement Cuny versera à Mme C...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Etablissement Cuny, à Mme B...C...et à la ministre du travail.

Délibéré après l'audience du 13 novembre 2018 à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, président de chambre,

- Mme Julliard, présidente-assesseure,

- M. Mantz, premier conseiller,

Lu en audience publique le 10 décembre 2018.

Le rapporteur,

P. MANTZ

Le président,

M. HEERS Le greffier,

F. DUBUY

La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17PA00583


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA00583
Date de la décision : 10/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-01-03 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Bénéfice de la protection. Membres du comité d'entreprise.


Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: M. Pascal MANTZ
Rapporteur public ?: Mme JAYER
Avocat(s) : P et A SOCIETE D'AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-12-10;17pa00583 ?
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