Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté en date du 8 mars 2018 par lequel le préfet de police a ordonné son transfert aux autorités italiennes.
Par un jugement n° 1803952/8 du 13 avril 2018, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 25 juillet 2018, M. B..., représenté par Me Hug, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1803952/8 du 13 avril 2018 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du préfet de police du 8 mars 2018 ;
3°) d'enjoindre, à titre principal, au préfet de police d'enregistrer sa demande d'asile ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai de 15 jours ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son avocat, Me Hug, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le préfet de police a adressé la demande de prise en charge aux autorités italiennes plus de 3 mois après qu'il a introduit, le 16 juin 2017, sa demande d'asile, en méconnaissance du règlement n° 604/2013 ;
- la décision est entachée d'un défaut d'examen particulier et sérieux de sa situation dès lors que le préfet de police n'a pas examiné si le transfert vers l'Italie entrainerait un risque pour son état de santé ;
- la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que le préfet de police n'a pas utilisé la clause discrétionnaire prévue par l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 et qu'il n'a pas informé l'Italie de son état de santé préalablement à son transfert.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 octobre 2018, le préfet de police soutient que le délai de transfert a été prolongé au 3 juillet 2019.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 juillet 2018 du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013,
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013,
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et son décret d'application n° 91-1266 du 19 décembre 1991,
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne C-670/16 du 26 juillet 2017,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Guilloteau,
- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant soudanais né en 1992, a été reçu à la préfecture de police le 30 octobre 2017 afin d'enregistrer sa demande d'admission au séjour au titre de l'asile. Ses empreintes ont été relevées et une attestation de demande d'asile lui a été remise à cette date. Après consultation du fichier Eurodac faisant apparaître que l'intéressé était entré irrégulièrement en France en provenance d'Italie, le préfet de police a demandé aux autorités italiennes si elles acceptaient de prendre en charge la demande d'asile de M. B.... Suite à une décision implicite d'acceptation de prise en charge des autorités italiennes née le 3 janvier 2018, le préfet de police a ordonné le transfert de M. B... en Italie par l'arrêté contesté du 8 mars 2018. M. B... relève appel du jugement du 13 avril 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de police du 8 mars 2018 ordonnant son transfert aux autorités italiennes.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision contestée :
2. Aux termes de l'article 20 " Début de la procédure " du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Le processus de détermination de l'Etat membre responsable commence dès qu'une demande de protection internationale est introduite pour la première fois auprès d'un État membre. / 2. Une demande de protection internationale est réputée introduite à partir du moment où un formulaire présenté par le demandeur ou un procès-verbal dressé par les autorités est parvenu aux autorités compétentes de l'État membre concerné. Dans le cas d'une demande non écrite, le délai entre la déclaration d'intention et l'établissement d'un procès-verbal doit être aussi court que possible (...). ". Aux termes de l'article 21 de ce même règlement : " L'Etat membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre Etat membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date d'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre Etat membre aux fins de prise en charge du demandeur. / Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif (" hit ") Eurodac (...), la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif (...). Si la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur n'est pas formulée dans les délais fixés par le premier et le deuxième alinéa, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale incombe à l'Etat membre auprès duquel la demande a été introduite. (...) ".
3. Il ressort des dispositions précitées, interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 26 juillet 2017, Tsegezab Mengesteab c / Bundesrepublik Deutschland, affaire n° C-670/16, qu'un demandeur d'asile peut invoquer, dans le cadre d'un recours exercé contre une décision de transfert prise à son égard, l'expiration d'un délai énoncé à l'article 21, paragraphe 1, dudit règlement, et ce même si l'État membre requis est disposé à prendre ce demandeur en charge. L'article 21, paragraphe 1, du règlement n° 604/2013 doit être interprété en ce sens qu'une demande aux fins de prise en charge ne peut être valablement formulée plus de trois mois après l'introduction de la demande d'asile, même si cette requête est formulée moins de deux mois après la réception d'un résultat positif " Eurodac ", au sens de cette disposition. L'article 20, paragraphe 2, du règlement n° 604/2013 reconnait expressément la validité d'une demande d'asile non écrite et précise que le délai entre cette déclaration d'intention et l'établissement d'un procès-verbal par l'autorité administrative doit être aussi court que possible. La demande de protection internationale est réputée introduite lorsqu'un document écrit, établi par une autorité publique et attestant qu'un ressortissant de pays tiers a sollicité la protection internationale, est parvenu à l'autorité chargée de l'exécution des obligations découlant de ce règlement et, le cas échéant, lorsque seules les principales informations figurant dans un tel document, mais non celui-ci ou sa copie, sont parvenues à cette autorité. Il n'est pas nécessaire que le document écrit dressé à cette fin revête une forme précisément déterminée ou qu'il comporte des éléments supplémentaires pertinents pour l'application des critères fixés par le règlement Dublin III ou, a fortiori, pour l'examen au fond de la demande de protection internationale. Il n'est pas non plus nécessaire, à ce stade de la procédure, qu'un entretien individuel ait déjà été organisé.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... s'est présenté le 16 juin 2017 au guichet unique de la préfecture de police où lui a été remise une convocation pour l'enregistrement de sa demande d'asile auprès du " guichet unique asile " de la préfecture de police à la date du 21 juillet suivant. Le préfet de police, chargé de l'exécution du règlement précité, disposait ainsi d'un document écrit attestant de l'intention de M. B...de solliciter l'asile en France dès le 16 juin 2017. Le requérant est ainsi réputé avoir introduit à cette date sa demande de protection internationale, en vertu des stipulations précitées de l'article 20 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. La circonstance que l'entretien individuel et l'enregistrement effectif de la demande d'asile de l'intéressé étaient prévus le 21 juillet 2017, de même que celle que ces procédures ont été finalement menées le 30 octobre 2017 et qu'un nouveau relevé d'empreintes réalisé à cette date a donné lieu à un résultat positif dans le fichier Eurodac sont à cet égard sans incidence. Au surplus, le préfet de police a produit devant les premiers juges un document, comportant l'en-tête de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et celui de la préfecture de police, daté du 21 juin 2017 portant convocation pour " examen de situation administrative " et la fiche d'entretien établie en conséquence le 22 juin 2017 par les services de la préfecture décrivant, précisément, la situation de l'intéressé comme " étranger inconnu Eurodac sollicitant l'asile en France ".
5. Il suit de là que la demande de prise en charge que le préfet de police indique avoir adressée aux autorités italiennes le 3 novembre 2017 est intervenue après l'expiration du délai de trois mois prescrit par les dispositions précitées de l'article 21 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013. Dans ces conditions, en application du troisième alinéa de ce même article, la responsabilité de l'examen de la demande de M. B...incombe aux autorités françaises. En décidant, par l'arrêté contesté du 8 mars 2018, de le remettre aux autorités italiennes, le préfet de police a ainsi méconnu l'article 21 de ce règlement.
6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
7. Le présent arrêt, qui annule la décision de transfert attaquée, implique nécessairement l'enregistrement de la demande d'asile de M. B...et la délivrance à celui-ci d'une autorisation provisoire de séjour. Il y a lieu d'ordonner qu'il y soit procédé dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait eu lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais d'instance :
8. M. B...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Hug, avocat du requérant, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Hug de la somme de 1 500 euros au titre des frais liés à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1803952/8 du 13 avril 2018 du Tribunal administratif de Paris et l'arrêté en date du 8 mars 2018 par lequel le préfet de police a ordonné le transfert de M. B... aux autorités italiennes sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de police d'enregistrer la demande d'asile de M. B... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer dans l'attente de sa décision une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'Etat versera à Me Hug, avocat de M. B..., une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Hug renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., au ministre de l'intérieur et au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Luben, président assesseur,
- Mme Guilloteau, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 6 décembre 2018.
Le rapporteur,
L. GUILLOTEAULe président,
J. LAPOUZADE
Le greffier,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA02533