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06/12/2018 | FRANCE | N°18PA00377

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 06 décembre 2018, 18PA00377


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...A...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 25 avril 2016 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement pour faute à la demande de l'association Oppelia.

Par un jugement n° 1612825/3-1 du 5 décembre 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 1er février 2018, un mémoire enregistré le 2 juillet 2018 et un mémoire en réplique, complété par un mém

oire de production de pièces, tous deux enregistrés le 12 novembre 2018, M.A..., représenté par Me...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...A...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 25 avril 2016 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement pour faute à la demande de l'association Oppelia.

Par un jugement n° 1612825/3-1 du 5 décembre 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 1er février 2018, un mémoire enregistré le 2 juillet 2018 et un mémoire en réplique, complété par un mémoire de production de pièces, tous deux enregistrés le 12 novembre 2018, M.A..., représenté par MeB..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1612825/3-1 du 5 décembre 2017 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 25 avril 2016 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement pour faute ;

3°) de mettre à la charge de l'association Oppelia le versement de la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'inspectrice du travail, lors de son enquête, a méconnu le principe du contradictoire ;

- les droits de la défense ont été méconnus lors de l'enquête effectuée par l'inspectrice du travail, dès lors qu'il n'a pas pu être entendu et qu'il n'a pas été confronté aux auteurs des témoignages en sa défaveur ;

- les faits incriminés sont prescrits, en application de l'article L. 1332-4 du code du travail ;

- la procédure suivie préalablement à l'édiction de la décision d'autorisation de licenciement est entachée d'irrégularité en ce qu'il n'y a pas eu d'entretien préalable ;

- l'association Oppelia a mené une enquête à charge au mépris de la présomption d'innocence ;

- les faits qui lui sont reprochés ne sont pas matériellement établis ;

- c'est à tort que le tribunal administratif a mis à sa charge le paiement à l'association Oppelia de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire en défense, un nouveau mémoire, et un mémoire de production de pièces enregistré respectivement le 5 mars 2018, le 21 juillet 2018 et le 10 septembre 2018, l'association Oppelia, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 3 500 euros soit mis à la charge de M. A...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. A...ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 mai 2018, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. A...ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 2 novembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 16 novembre 2018.

L'association Oppelia a présenté un mémoire le 17 novembre 2018, soit après la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Luben,

- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué et d'examiner les autres moyens de la requête :

1. Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ".

2. Il résulte de ces dispositions qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. Dans le cas où des investigations complémentaires ont été diligentées par l'employeur, elles ne sont de nature à justifier un report du déclenchement de ce délai que si elles sont nécessaires à la connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié. Il appartient au juge administratif d'apprécier cette nécessité et, dans le cas où il estime ces investigations inutiles, de déclarer la poursuite pour motif disciplinaire prescrite.

3. Par la décision litigieuse du 25 avril 2016, l'inspectrice du travail a considéré que les faits reprochés à M.A..., tels qu'ils ressortaient des attestations produites, étaient susceptibles de caractériser tant le harcèlement sexuel au sens de l'article L. 1153-1 du code du travail que le harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail, qu'ils étaient matériellement établis et d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de M.A....

4. Il ressort des pièces du dossier que l'association Oppelia a été avertie, à l'issue d'un audit de gouvernance réalisé en juin 2015 au cours duquel 23 personnes, correspondant à la quasi-totalité des effectifs du Centre Horizon de l'Aisne, ont été auditionnées ; le rapport remis le 11 juin 2015 à la direction du Centre détaille certains faits relevant des " comportements inappropriés du directeur ", M.A.... A la suite de cet audit de gouvernance et après un droit d'alerte des salariés exercé le 23 juillet 2015 par les deux délégués du personnel du Centre auprès du directeur général et de la directrice générale adjointe, une enquête interne a été diligentée par la direction du Centre. Les auditions se sont déroulées le 30 juillet pour sept salariés du Centre, le 20 août pour dix salariés et les 14 et 15 septembre 2015 pour deux autres salariés ; elles ont été menées soit par le directeur général, soit par la directrice générale adjointe, soit par la juriste, soit par la déléguée du personnel, qui faisaient tous partie de la commission d'enquête qui avait été instituée. Le 8 septembre 2015, un recours hiérarchique, dirigée contre la première décision de refus d'autorisation de licenciement de M. A...de l'inspectrice du travail en date du 17 juillet 2015, a été présentée par l'association Oppelia auprès de la ministre chargée du travail. Ce recours hiérarchique précise, sur neuf pages, de manière détaillée et circonstanciée, les faits de harcèlement moral et sexuel reprochés à M.A..., tels qu'ils ressortaient des déclarations des salariés effectuées pendant l'enquête interne, certaines de ces déclarations étant même parfois reproduites, et se conclut en indiquant qu'" aux termes de cette enquête, il est relevé que les problèmes rencontrés par les salariées entendues sont uniquement avec MonsieurA... " et que " l'ensemble de ces comptes rendus très précis et parfaitement concordants permettent de confirmer le " faisceau d'indices " de harcèlement déjà pressenti dans le cadre de l'audit de gouvernance. ". Par suite, eu égard à la double circonstance que le directeur général et la directrice générale adjointe étaient membres de la commission d'enquête interne et ont effectué des auditions de salariés, et que le recours hiérarchique du 8 septembre 2015 relatait de manière particulièrement détaillée les faits reprochés par les salariés à M.A..., l'employeur doit être regardé comme ayant eu pleine connaissance de ces faits au plus tard à la date de ce recours hiérarchique, le 8 septembre 2015. Par suite, la circonstance que la commission d'enquête interne ait validé les résultats de l'enquête le 16 novembre 2015, soit plus de deux mois après la dernière audition d'un salarié, sans au demeurant que l'explication de cette lenteur ne soit donnée par l'association Oppelia alors que le contexte social était présenté comme étant particulièrement tendu et qu'une décision rapide était attendue par le personnel du Centre, ne saurait, dès lors que cette validation tardive était inutile quant à la connaissance exacte par l'employeur de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés à M.A..., justifier un report du déclenchement du délai mentionné par les dispositions susrappelées de l'article L. 1332-4 du code du travail. Enfin, la circonstance que certaines des victimes de M. A...ont, le 11 décembre 2015, déposé une plainte auprès du procureur de la République pour des faits de harcèlement moral et sexuel est sans effet sur le délai de prescription susmentionné de deux mois dès lors que celui-ci, comme il a été dit, a commencé à courir au plus tard le 8 septembre 2015 pour s'achever ainsi avant le dépôt de cette plainte. Dès lors, M. A...est fondé à soutenir que les faits qui lui étaient reprochés étaient prescrits à la date à laquelle il a été convoqué, le 3 décembre 2015, pour un entretien préalable (seconde procédure de demande d'autorisation de licenciement). Il s'en suit que le jugement attaqué du 5 décembre 2017 du Tribunal administratif de Paris et la décision litigieuse du 25 avril 2016 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement pour faute doivent être annulés.

Sur les frais liés au litige :

5. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais liés à l'instance ; dès lors, les conclusions présentées à ce titre par l'association Oppelia doivent être rejetées.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association Oppelia le paiement à M. A...de la somme de 1 500 euros au titre des frais liés à l'instance en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1612825/3-1 du 5 décembre 2017 du Tribunal administratif de Paris et la décision du 25 avril 2016 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé le licenciement pour faute de M. A...sont annulés.

Article 2 : L'association Oppelia versera à M. A...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par l'association Oppelia, tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...A..., à l'association Oppelia et à la ministre du travail.

Délibéré après l'audience du 22 novembre 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme Guilloteau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 6 décembre 2018.

Le rapporteur,

I. LUBENLe président,

J. LAPOUZADELe greffier,

Y. HERBER

La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA00377


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA00377
Date de la décision : 06/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Ivan LUBEN
Rapporteur public ?: Mme BERNARD
Avocat(s) : SALETEN GILLES

Origine de la décision
Date de l'import : 11/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-12-06;18pa00377 ?
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