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12/10/2018 | FRANCE | N°18PA01520

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 12 octobre 2018, 18PA01520


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler les deux arrêtés du 15 décembre 2016 par lesquels le ministre de l'intérieur a décidé son expulsion du territoire français et fixé l'Algérie comme pays de renvoi.

Par un jugement n° 1703042-1703043 du 8 février 2018, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n° 1806003 du 3 mai 2018, le président du Tribunal administratif de Paris a transmis le dossier de la requête de M. A...à la Cour

administrative d'appel de Paris.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler les deux arrêtés du 15 décembre 2016 par lesquels le ministre de l'intérieur a décidé son expulsion du territoire français et fixé l'Algérie comme pays de renvoi.

Par un jugement n° 1703042-1703043 du 8 février 2018, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n° 1806003 du 3 mai 2018, le président du Tribunal administratif de Paris a transmis le dossier de la requête de M. A...à la Cour administrative d'appel de Paris.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 13 avril 2018 au Tribunal administratif de Paris, M. A..., représenté par MeC..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 8 février 2018 du Tribunal administratif de Paris ;

2°) d'annuler les arrêtés du 15 décembre 2016 du ministre de l'intérieur ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les arrêtés contestés méconnaissent les dispositions de l'article R. 522-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- ils ont été pris en méconnaissance des dispositions de l'article L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- ils méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- ils méconnaissent les stipulations de l'article 3 de la convention précitée, ainsi que les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire enregistré le 25 juillet 2018, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Julliard,

- et les conclusions de Mme Jayer, rapporteur publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant algérien né le 4 août 1962, est entré en France en 1970 alors qu'il était âgé de huit ans et y réside depuis cette date, muni de certificats de résidence délivrés en application de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, le dernier ayant expiré le 3 août 2013. Il s'est marié en Algérie le 20 juin 1988 et est père de cinq enfants nés en France entre 1989 et 1996. Il a été condamné trois fois entre 2009 et 2012 pour des infractions délictuelles. Par un jugement du Tribunal de grande instance de Paris en date du 10 juillet 2015, il a été condamné, pour des faits de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte terroriste, à une peine d'emprisonnement de six ans, assortie d'une période de sûreté de quatre ans. Par deux arrêtés du 15 décembre 2016, le ministre de l'intérieur a décidé l'expulsion de M. A... du territoire français en fixant comme pays de renvoi l'Algérie, après que la commission prévue à l'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a émis le 30 mai 2016 un avis favorable à cette mesure éloignement. M. A... relève appel du jugement du 8 février 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.

2. Aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 1er mars 2017 : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. ". Aux termes de l'article R. 522-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente pour prononcer l'expulsion d'un étranger en application des articles L. 521-2 ou L. 521-3 ainsi qu'en cas d'urgence absolue est le ministre de l'intérieur. ". Aux termes de l'article L. 773-9 du code de justice administrative : " Les exigences de la contradiction mentionnées à l'article L. 5 sont adaptées à celles de la protection de la sécurité des auteurs des décisions mentionnées au second alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration. / Lorsque dans le cadre d'un recours contre l'une de ces décisions, le moyen tiré de la méconnaissance des formalités prescrites par le même article L. 212-1 ou de l'incompétence de l'auteur de l'acte est invoqué par le requérant ou si le juge entend relever d'office ce dernier moyen, l'original de la décision ainsi que la justification de la compétence du signataire sont communiqués par l'administration à la juridiction qui statue sans soumettre les éléments qui lui ont été communiqués au débat contradictoire ni indiquer l'identité du signataire dans sa décision. ". Les décisions mentionnées au second alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration sont les décisions fondées sur des motifs en lien avec la prévention d'actes de terrorisme.

3. A la suite d'une mesure d'instruction en date du 3 juillet 2018, le ministre de l'intérieur a produit le 24 juillet 2018 la copie de l'original des deux décisions attaquées. Elles n'ont pas été communiquées au débat contradictoire en application des dispositions précitées de l'article L. 773-9 du code de justice administrative. La Cour a cependant pu contrôler que les décisions attaquées comportaient bien, en caractères lisibles, les mentions prévues par les dispositions précitées du code des relations entre le public et l'administration et que ces décisions n'étaient pas entachées d'incompétence de leur signataire. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur ou des auteurs des actes attaqués et de la méconnaissance de l'article R. 522-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.

4. Aux termes de l'article L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes : / 1° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ; / 2° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans (...) ".

5. Dès lors qu'il n'est pas contesté que M. A... est entré sur le territoire français en 1970 à l'âge de huit ans, il entrait dans le champ d'application des dispositions précitées et ne pouvait faire l'objet d'une expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes.

6. M. A... soutient que le ministre de l'intérieur a fondé sa décision sur la seule condamnation pénale dont il a fait l'objet, sans rechercher s'il était lié à des activités à caractère terroriste. Toutefois, si l'arrêté d'expulsion reprend de nombreux faits pour lesquels le requérant a été condamné, il ne prend pas en compte la seule condamnation qui a été infligée à M. A... par un jugement définitif du 10 juillet 2015 du Tribunal de grande instance de Paris, mais un ensemble de faits de nature à fonder légalement l'expulsion du requérant du territoire français. Par ailleurs, M. A... ne conteste pas les faits de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme pour lesquels il a été condamné par ce jugement à une peine de six années d'emprisonnement assortie d'une peine de sûreté de quatre années, faits repris dans l'arrêté d'expulsion. Le jugement du tribunal de grande instance relève notamment le " radicalisme religieux extrême " de M. A..., sa qualité de " référent religieux " dans cette association de malfaiteurs, son hommage manuscrit au responsable des attentats de Toulouse et Montauban en 2012, ses discours déclarant licites " des vols commis au préjudice des non musulmans ", le fait que plusieurs réunions de cette association de malfaiteurs se soient tenues à son domicile au cours desquelles a été notamment évoqué " le projet d'enlèvement ou d'agression d'un magistrat ou d'un éducateur ". Le ministre de l'intérieur a donc examiné l'ensemble du comportement du requérant et n'a pas seulement fondé sa décision sur l'existence d'une condamnation pénale antérieure. Dans ces conditions, en estimant que le comportement de M. A... devait être regardé comme lié à des activités à caractère terroriste au sens de l'article L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le ministre de l'intérieur n'a pas entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.

7. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1°) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2°) Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

8. Le requérant soutient qu'il est établi en France depuis plus de 30 ans, que ses cinq enfants résident en France ainsi que son épouse, que celle-ci est malade et ne pourra pas le rejoindre en Algérie et qu'enfin, il a effectué des démarches en détention pour sa réinsertion. Toutefois, il a été condamné trois fois entre 2009 et 2012 à des peines respectives de 300 euros d'amende pour outrage à une personne chargée d'une mission de service public, deux années d'emprisonnement dont une avec sursis assortie d'une interdiction des droits civiques, civils et de famille d'une durée de cinq ans pour privation de soins ou d'aliments compromettant la santé d'un mineur de quinze ans et, enfin, à huit mois d'emprisonnement pour soustraction d'enfant. Par ailleurs, comme il a été dit au point 6, il a été condamné pour des faits de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte terroriste à une peine d'emprisonnement de six ans, assortie d'une période de sûreté de quatre ans. De plus, il n'apporte aucune précision quant à la relation qu'il entretiendrait avec ses enfants âgés de 20 à 27 ans. Si le requérant produit un certificat médical du 3 décembre 2002 attestant que son épouse doit " être suivie régulièrement dans le service ", l'achat d'un fauteuil roulant destiné à cette dernière en 2013 et la délivrance à son épouse de la carte de stationnement pour personnes handicapées ne suffisent pas à démontrer qu'elle ne pourrait pas être prise en charge en Algérie. Par conséquent, M. A... ne démontre pas ne pas pouvoir poursuivre sa vie conjugale hors du territoire français. Enfin, les documents produits par le requérant permettant d'attester d'un projet de réinsertion, en particulier des attestations de travail, de scolarisation, de stage et d'entretien avec un psychologue, ne permettent pas d'établir que le ministre de l'intérieur aurait porté au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant, une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels les arrêtés attaqués ont été pris. Par suite, le ministre n'a pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. Aux termes de l'article 3 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".

10. M. A... soutient qu'il existe un risque réel qu'il soit soumis à des actes de torture ou à des traitements inhumains et dégradants en Algérie, au sens des stipulations précitées. Il soutient que sa condamnation pour des faits de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte terroriste a fait l'objet de l'attention des médias et a donc pu attirer celle des autorités algériennes. De plus, il rappelle que plusieurs organisations non gouvernementales ont dénoncé le comportement de ces mêmes autorités à l'encontre de toute personne soupçonnée de terrorisme et que la Cour européenne des droits de l'homme a plusieurs fois souligné dans sa jurisprudence que ces personnes risquent d'être soumises en Algérie à des actes de torture ou à des traitements inhumains et dégradants au sens de l'article 3 de la convention précitée. Toutefois, M. A..., qui n'a pas sollicité l'asile sur le sol français, ne produit aucune pièce de nature à établir la réalité et le caractère personnel des risques qu'il encourrait en Algérie. Il n'établit pas qu'il serait pénalement poursuivi par les autorités algériennes pour des actes de terrorisme, ni qu'il aurait été condamné en Algérie. Il ne démontre pas davantage que les autorités françaises auraient remis aux autorités algériennes une notice d'information mentionnant sa condamnation. Au surplus, le requérant qui admet être arrivé à l'aéroport d'Alger dès le 28 mars 2018, ne soutient pas avoir été emprisonné ni même appréhendé par les autorités algériennes depuis cette date. Dans ces conditions, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A...et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 21 septembre 2018, à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, présidente de chambre,

- Mme Julliard, présidente-assesseure,

- M. Mantz, premier conseiller,

Lu en audience publique le 12 octobre 2018.

La rapporteure,

M. JULLIARDLa présidente,

M. HEERSLa greffière,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18PA01520


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA01520
Date de la décision : 12/10/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Droits civils et individuels - Convention européenne des droits de l'homme - Droits garantis par la convention - Droit au respect de la vie privée et familiale (art - 8) - Violation - Expulsion.

Étrangers - Expulsion - Motivation.

Étrangers - Expulsion - Droit au respect de la vie familiale.


Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: Mme Marianne JULLIARD
Rapporteur public ?: Mme JAYER
Avocat(s) : COUTROT-CIESLINSKI

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-10-12;18pa01520 ?
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