Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 27 décembre 2017 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé le changement de son nom A...enD....
Par un jugement n° 1703233/4-1 du 12 avril 2018, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 8 juin 2018, M.A..., représenté par Me Daudé, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1703233/4-1 du 12 avril 2018 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision du 27 décembre 2017 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé le changement de son nom A...en D...;
3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de réexaminer favorablement sa demande, dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à lui verser sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision attaquée est entachée d'une erreur d'appréciation car il a un double intérêt légitime à changer de nom, d'une part un motif affectif résultant des violences subies et de l'absence de lien avec son père, d'autre part l'usage constant et continu du nom maternel ;
- elle constitue une ingérence dans sa vie privée et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et le principe de l'unité du nom de la famille.
La requête a été communiquée au garde des Sceaux, ministre de la justice qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Legeai,
- les conclusions de M. Platillero, rapporteur public,
- et les observations de Me Daudé, avocat de M.A....
1. Considérant que M.A..., né en janvier 1981, a sollicité du garde des sceaux, ministre de la justice, le changement de son nomA..., qui est le nom de son père, enD..., qui est le nom de sa mère ; que par une décision du 27 décembre 2017, le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté cette demande ; que M. A...fait régulièrement appel du jugement du 12 avril 2018 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision ;
2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. / La demande de changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré. / Le changement de nom est autorisé par décret " ; que des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi ;
3. Considérant, d'une part, que M.A..., dont les parents ont divorcé alors qu'il n'avait que deux ans, soutient que son père a eu un comportement maltraitant à son égard à l'occasion de l'exercice de son droit d'hébergement et qu'il a cessé tous contacts avec lui en 1993 ; que, toutefois, aucune procédure judiciaire n'a été diligentée à l'encontre du père du requérant et le juge aux affaires familiales, saisi en 1993 à la suite des allégations de maltraitance de l'enfant, a maintenu l'autorité parentale ainsi qu'un droit de visite et d'hébergement au profit du père de M. A..., sur la base d'une expertise psychologique du 10 mai 1994 qui constate un grave problème relationnel entre le père et le fils sans se prononcer sur la réalité des violences alléguées ; que si le jeune C...A...a refusé de rendre visite à son père à compter de l'automne 1993, il ne ressort pas des pièces du dossier que son père aurait refusé de remplir ses obligations légales et se serait désintéressé de son fils ; que si le requérant soutient que porter le nom A...lui est intolérable, il n'apporte pas d'élément de nature à justifier du traumatisme lié au port de ce nom à la date de la décision attaquée ; qu'ainsi, le motif affectif invoqué par
M. A...ne suffit pas à caractériser, en l'absence de circonstances exceptionnelles avérées, un intérêt légitime justifiant, en application des dispositions de l'article 61 du code civil, le changement de nom sollicité ;
4. Considérant, d'autre part, que la possession d'état qui résulte du caractère ancien, constant et ininterrompu de l'usage d'un nom sur plusieurs dizaines d'années peut également constituer un motif légitime pour changer de nom ; qu'en l'espèce, l'usage depuis 1993 par le requérant du nomD..., ou plus souvent du nom d'usage A...-D... porté sur ses papiers d'identité comme la loi l'autorise, ne saurait lui conférer un droit au changement de nom, alors d'ailleurs que ce dernier nom n'est pas celui qu'il sollicite ; que, par suite, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation doit être écarté ;
5. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ; que M. A...soutient que la décision attaquée constitue une ingérence dans sa vie privée et familiale en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, toutefois, en l'absence de circonstance exceptionnelle avérée et de trouble psychologique sérieux établi, il n'a pas été porté au droit au respect de la vie privée et familiale de M. A... une atteinte excessive au regard de l'intérêt public qui s'attache au respect des principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi ; que, par suite, ce moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;
6. Considérant, en troisième lieu, que M. A...soutient que la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, aux termes desquelles : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale " ;
7. Considérant que M. A..., fait valoir que ses filles jumelles, nées en juillet 2014 à Boston (Etats-Unis d'Amérique), portent le nom E...-D..., constitué du patronyme de son époux et de celui dont il demande l'attribution, et qu'ainsi le refus de modifier son patronyme constitue un obstacle au principe d'unité du nom de sa famille ; que, toutefois, alors qu'il est constant que le nom A...-D... figure à titre de nom d'usage sur les papiers d'identité de M. A... et qu'aucune difficulté n'est démontrée dans la vie courante des intéressés, la circonstance que M. A... ne puisse porter le nom constituant une partie du nom que le couple a choisi de transmettre à ses filles ne porte pas à l'intérêt supérieur de ces enfants une atteinte de nature à justifier le changement de patronyme sollicité ; qu'au surplus, M. A...a délibérément choisi pour ses filles un patronyme différent du sien, avant même l'introduction de sa demande de changement de nom ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; que sa requête d'appel doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à ce que les frais liés à l'instance soient mis, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...A...et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 13 septembre 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Pellissier, présidente de chambre,
- M. Diémert, président assesseur,
- M. Legeai, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 27 septembre 2018.
Le rapporteur,
A. LEGEAILa présidente,
S. PELLISSIERLe greffier,
M. B...La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA01947