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06/07/2018 | FRANCE | N°17PA03545

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 7ème chambre, 06 juillet 2018, 17PA03545


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiées (SAS) Sofaplast a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 841 186 euros, assortie des intérêts au taux légal et des intérêts moratoires, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison du rejet par l'administration fiscale de la demande d'agrément déposée le 19 décembre 2011, pour la société de portage " Sofaplast 2012 ", par la société Alcyom, afin de contribuer au financement de ses investissement

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Par une ordonnance du 16 février 2017, le président du Tribunal administratif ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiées (SAS) Sofaplast a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 841 186 euros, assortie des intérêts au taux légal et des intérêts moratoires, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison du rejet par l'administration fiscale de la demande d'agrément déposée le 19 décembre 2011, pour la société de portage " Sofaplast 2012 ", par la société Alcyom, afin de contribuer au financement de ses investissements.

Par une ordonnance du 16 février 2017, le président du Tribunal administratif de Paris a transmis cette demande au Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie.

Par un jugement n° 1700123 du 14 septembre 2017, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté la demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 20 novembre 2017 et le 18 mai 2018, la SAS Sofaplast, représentée par le Cabinet Ernst et Young société d'avocats, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 14 septembre 2017 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 841 186 euros, assortie des intérêts au taux légal et des intérêts moratoires, en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison du rejet par l'administration fiscale de la demande d'agrément déposée le 19 décembre 2011, pour la société de portage " Sofaplast 2012 ", par la société Alcyom, afin de contribuer au financement de ses investissements ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la responsabilité de l'Etat est engagée à son égard en raison du refus illégal d'agrément ;

- il existe un lien direct entre le préjudice, à savoir l'absence d'octroi de l'avantage fiscal escompté, et cette faute ;

- son préjudice s'élève à 841 186 euros.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 23 avril et le 28 mai 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- aucun lien de causalité direct n'est établi entre la faute alléguée et le préjudice dont il est demandé réparation ;

- aucun préjudice certain n'est établi.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code général des impôts ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Heers,

- les conclusions de Mme Mielnik-Meddah, rapporteur public.

Une note en délibéré a été enregistrée le 26 juin 2018 pour la société Sofaplast.

Considérant ce qui suit :

1. La société Sofaplast, implantée en Nouvelle-Calédonie, a donné mandat à la société Alcyom de mettre en place le financement d'investissements qu'elle programmait pour son usine de production à Nouméa. Pour l'accomplissement de sa mission, la société Alcyom a sollicité le 19 décembre 2011, pour le compte d'une société " de portage " dénommée Sofaplast 2012, le bénéfice de l'agrément prévu à l'article 199 undecies B II du code général des impôts, à raison de ces investissements. L'agrément a été refusé le 29 janvier 2013, par une décision du ministre chargé du budget, annulée par un jugement devenu définitif du Tribunal administratif de Paris en date du 18 juin 2014. La société Sofaplast relève appel du jugement du 14 septembre 2017 par lequel le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande tendant à la réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi à raison du refus d'agrément opposé à la société Sofaplast 2012.

2. En vertu de l'article 199 undecies B I du code général des impôts, les contribuables domiciliés en France peuvent bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu à raison des investissements productifs neufs qu'ils réalisent notamment en Nouvelle-Calédonie, dans certains secteurs, dont l'industrie. En vertu du 1 du II du même article, la réduction d'impôt correspondante est subordonnée à l'obtention d'un agrément préalable du ministre chargé du budget dans les conditions prévues au III de l'article 217 undecies du même code. Ces dernières dispositions prévoient que l'agrément est délivré lorsque l'investissement présente un intérêt économique pour le département dans lequel il est réalisé, poursuit comme l'un de ses buts principaux la création ou le maintien d'emplois dans ce département, s'intègre dans la politique d'aménagement du territoire, de l'environnement et de développement durable et garantit la protection des investisseurs et des tiers.

3. Ces dispositions du code général des impôts instituent, au profit des sociétés qui remplissent les conditions qu'elles fixent, un droit au bénéfice de l'agrément qu'elles prévoient. La responsabilité de l'Etat peut donc être engagée à raison d'un refus illégal d'agrément, et ouvrir ainsi droit à réparation des préjudices certains qui en découlent directement, s'il apparaît que la société pétitionnaire remplissait ces conditions.

4. Or il résulte de l'instruction, en particulier du dossier soumis et complété à l'appui de la demande d'agrément, que si le projet comportait le renouvellement de deux machines, ces équipements ne devaient pas être simplement remplacés mais que cette opération impliquait l'adoption d'une technologie plus performante et plus adaptée aux attentes du marché, de sorte que même ces équipements pouvaient être regardés comme neufs au sens des dispositions de l'article 199 undecies B I du code général des impôts. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que la demande de Sofaplast 2012 méconnaissait l'une au moins des conditions posées à l'article 217 undecies III du même code. Dès lors, cette société avait droit à la délivance de l'agrément qu'elle sollicitait.

5. Quant à la société Sofaplast démontre pour sa part, en invoquant les dispositions de l'article 199 undecies B du code général des impôts ainsi que les stipulations du contrat la liant à Sofaplast 2012, qu'elle avait nécessairement droit à la rétrocession d'une partie de l'avantage fiscal conféré par l'agrément de son projet auquel Sofaplast 2012 avait droit. Elle justifie ainsi, compte tenu des caractéristiques du montage envisagé pour le financement de ses investissements, de l'existence d'un lien direct de causalité entre le refus d'agrément de son projet, même sollicité par la personne morale distincte que constituait Sofaplast 21012, et la perte d'une partie du financement escompté pour ce projet.

6. A cet égard, l'administration ne peut utilement faire valoir qu'il n'est pas établi que l'ensemble des conditions posées à l'article 199 undecies B du code général des impôts ainsi que celles, le cas échéant, qui auraient été fixées par l'agrément auraient été respectées pendant la durée de location des équipements, soit pendant cinq ans, dès lors que les dispositions de l'article 199 undecies B lui aurait ouvert, dans un tel cas, un droit de reprise auprès des bénéficiaires de la réduction d'impôt. Elle ne peut par ailleurs davantage invoquer un risque de double indemnisation du même préjudice pour le cas, d'ailleurs seulement éventuel, où les investisseurs associés de la société de portage demanderaient réparation de la perte de leur propre avantage fiscal dès lors qu'en tout état de cause, l'agrément n'ayant pas été délivré, aucune réduction d'impôt n'a été accordée.

7. Pour contester l'existence de ce lien de causalité direct, l'administration soutient également que les investissements ayant été finalement effectués seulement en 2013 et non en 2012 comme prévu dans la demande d'agrément, le bénéfice de la rétrocession ne pouvait en tout état de cause revenir à la société requérante. Toutefois, cette circonstance est sans influence sur le droit à réparation ouvert par l'illégalité fautive du refus d'agrément.

8. S'agissant du préjudice dont elle demande réparation à hauteur de 841 186 euros, soit 785 011 euros au titre de la rétrocession escomptée, 55 592 euros au titre des intérêts de l'emprunt correspondant auquel elle a été contrainte de recourir et 583 euros à raison de " frais d'acte ", la société requérante précise que le montant de cette rétrocession escomptée était expressément inclus dans son plan de financement de ses investissements, soumis à l'appui de la demande d'agrément et que, par ailleurs, elle a été contrainte, faute de recevoir cette rétrocession, de recourir à un emprunt bancaire pour un montant plus élevé que prévu, et de s'acquitter ainsi d'intérêts d'emprunt et de divers frais directement liés à ce surcroît d'emprunt.

9. Contrairement à ce que soutient l'administration, l'obtention de la rétrocession de l'avantage fiscal n'aurait pas été étalée dans le temps mais, en application de l'article 6-1 du contrat conclu entre Sofaplast et Alcyom, le montant correspondant à la partie de l'avantage fiscal en cause aurait été intégralement rétrocédée par les investisseurs pour l'acquisition des équipements. La société Sofaplast a donc droit, compte tenu des éléments qu'elle produits, qui ne sont pas autrement contestés par l'administration, au versement d'une somme de 841 186 euros en réparation de son préjudice certain, découlant directement du refus d'agrément opposé à Sofaplast 2012. Sur cette somme, elle a droit aux intérêts au taux légal, qui ont le caractère d'intérêts moratoires, à compter du 26 janvier 2017, date de la réception, par l'administration, de sa réclamation préalable.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Sofaplast est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté sa demande de condamnation de l'Etat à lui payer la somme de 841 186 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation de son préjudice.

11. En ce qui concerne les frais de l'instance, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement, à la société Sofaplast, d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1700123 du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie en date du 14 septembre 2017 est annulé.

Article 2 : L'Etat versera à la société Sofaplast la somme de 841 186 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 janvier 2017 en réparation de son préjudice.

Article 3 : L'Etat versera à la société Sofaplast la somme de 2 000 euros au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Sofaplast et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera délivrée au ministre chargé des outre-mer et au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.

Délibéré après l'audience du 22 juin 2018, à laquelle siégeaient :

- Mme Heers, président de chambre,

- M. Auvray, président-assesseur,

- M. Boissy, premier conseiller.

Lu en audience publique le 6 juillet 2018.

Le président-rapporteur,

M. HEERSL'assesseur le plus ancien,

B. AUVRAYLe greffier,

C. DABERT

La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17PA03545


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 17PA03545
Date de la décision : 06/07/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-02-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Services économiques. Services fiscaux.


Composition du Tribunal
Président : Mme HEERS
Rapporteur ?: Mme Mireille HEERS
Rapporteur public ?: Mme MIELNIK-MEDDAH
Avocat(s) : CABINET ERNST et YOUNG SOCIETE D'AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-07-06;17pa03545 ?
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