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21/06/2018 | FRANCE | N°16PA01935

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 21 juin 2018, 16PA01935


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... E...a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler, d'une part, l'arrêté en date du 5 août 2015 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, en fixant son pays de destination et, d'autre part, l'arrêté en date du 7 janvier 2016 par lequel le préfet de Seine-et-Marne a ordonné son placement en rétention administrative.

Par un jugement n° 1600152 du

11 janvier 2016, le magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... E...a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler, d'une part, l'arrêté en date du 5 août 2015 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, en fixant son pays de destination et, d'autre part, l'arrêté en date du 7 janvier 2016 par lequel le préfet de Seine-et-Marne a ordonné son placement en rétention administrative.

Par un jugement n° 1600152 du 11 janvier 2016, le magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Melun a renvoyé les conclusions de sa demande dirigées contre la décision portant refus de séjour devant une formation collégiale et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 14 juin 2016, M. E..., représenté par MeA..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1600152 du 11 janvier 2016 du magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Melun en tant que, par ce jugement, celui-ci a rejeté ses conclusions dirigées contre les décisions contenues dans l'arrêté du 5 août 2015 du préfet de la Seine-Maritime lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant son pays de destination et contre l'arrêté du 7 janvier 2016 du préfet de Seine-et-Marne le plaçant en rétention administrative ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, les décisions contenues dans l'arrêté du 5 août 2015 du préfet de la Seine-Maritime lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant son pays de destination, ainsi que l'arrêté du 7 janvier 2016 du préfet de Seine-et-Marne le plaçant en rétention administrative ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour sans délai, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son avocat, MeA..., au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est intervenue en violation du principe général du droit de l'Union européenne relatif au respect du contradictoire, dès lors qu'il n'a pas été mis à même de présenter ses observations sur cette décision ;

- cette décision est insuffisamment motivée, dès lors qu'elle ne vise pas l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et qu'elle fait état d'une situation familiale erronée ;

- cette décision est dépourvue de base légale, dès lors qu'elle se fonde sur une décision illégale de refus de séjour ; qu'en effet, la décision de refus de séjour :

* est insuffisamment motivée,

* n'a pas été précédée d'un examen sérieux de sa situation personnelle,

* est fondée sur le premier alinéa de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui méconnaît l'article 46 de la directive 2013/32/UE, le principe général du droit de l'Union européenne relatif au droit à un recours effectif et les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

* méconnaît les stipulations, d'une part, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, d'autre part, de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, dès lors qu'il réside en France avec son épouse et ses trois enfants dont deux sont nés en France,

* est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- le Tribunal n'a pas répondu à son moyen tiré de ce que le premier alinéa de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile méconnaît le principe général du droit de l'Union européenne relatif au droit à un recours effectif ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas été précédée d'un examen sérieux de sa situation personnelle ;

- cette décision est fondée sur le premier alinéa de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui méconnaît l'article 46 de la directive 2013/32/UE, le principe général du droit de l'Union européenne relatif au droit à un recours effectif et les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision fixant le pays de destination est insuffisamment motivée en droit et en fait ;

- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- la décision le plaçant en rétention est intervenue en violation du principe général du droit de l'Union européenne selon lequel toute personne a le droit d'être entendue préalablement à l'adoption d'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ;

- cette décision est dépourvue de base légale, dès lors qu'elle se fonde sur des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination qui sont illégales ;

- cette décision méconnaît l'article 8 de la directive 2013/32/UE ;

- cette décision méconnaît les articles 3 et 9 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, dès lors qu'elle a séparé ses enfants de leur père ;

- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, dès lors, premièrement, qu'il avait formé un recours suspensif à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français, deuxièmement, qu'il n'existait pas de risque de fuite et, troisièmement, qu'il ne pouvait faire l'objet d'un éloignement rapide alors que sa femme et ses enfants n'étaient pas placés en rétention.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 juillet 2017, le préfet de la Seine-Maritime conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au préfet de Seine-et-Marne, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 mai 2016 du bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990,

- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013,

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979,

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et son décret d'application n° 91-1266 du 19 décembre 1991,

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Mme C...a présenté son rapport au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. E..., de nationalité géorgienne, relève appel du jugement du 11 janvier 2016 du magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Melun en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation, d'une part, des décisions contenues dans l'arrêté du 5 août 2015 du préfet de la Seine-Maritime lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant son pays de destination et, d'autre part, de l'arrêté du 7 janvier 2016 du préfet de Seine-et-Marne le plaçant en rétention administrative.

I. Sur la légalité de l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 5 août 2015 :

A. En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

a. S'agissant du moyen tiré d'un vice de procédure :

2. M. E... soutient que la décision portant obligation de quitter le territoire français est intervenue en violation du principe général du droit de l'Union européenne selon lequel toute personne a le droit d'être entendue préalablement à l'adoption d'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement.

3. Le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Ce droit n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement. En outre, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt C-383/13 du 10 septembre 2013, selon le droit de l'Union, une violation des droits de la défense, en particulier du droit d'être entendu, n'entraîne l'annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l'absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent.

4. Or, M. E..., d'une part, ne conteste pas avoir été entendu à l'occasion de sa demande de titre de séjour et, d'autre part, ne précise pas les motifs qu'il aurait été empêché de faire valoir, susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Le moyen ne peut donc qu'être écarté.

b. S'agissant du moyen tiré d'une insuffisance de motivation :

5. M. E... soutient que la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée aux motifs, d'une part, qu'elle ne viserait pas l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et, d'autre part, qu'elle évoquerait sa situation familiale de manière tout à la fois erronée et stéréotypée. Il ressort toutefois de ses termes mêmes, que l'arrêté contesté mentionne notamment que M. E... a déclaré être marié à Mme B...F..., ressortissante géorgienne également déboutée de sa demande d'asile, et être père de deux enfants mineurs entrés en France avec leur mère. L'arrêté cite ensuite les stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et indique que la décision n'a pas pour objet de séparer les enfants de leur père dans la mesure où elle ne s'oppose pas à ce que les enfants suivent leurs parents hors de France où la cellule familiale peut se recomposer. Ainsi, la seule circonstance que l'arrêté ne mentionne pas l'existence du troisième enfant du couple, né en France six mois plus tôt, n'est pas de nature à caractériser une insuffisance de motivation de la décision contestée. Le moyen ne peut donc qu'être écarté.

c. S'agissant du moyen tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité de la décision portant refus de séjour :

6. M. E... soutient que la décision portant obligation de quitter le territoire français est dépourvue de base légale, dès lors qu'elle se fonde sur une décision illégale de refus de séjour, contenue dans le même arrêté. Il ressort des pièces du dossier, que M. E... avait déposé une demande de titre de séjour uniquement au titre de l'asile et que le préfet de la Seine-Maritime s'est borné, à l'article 1er de l'arrêté contesté, à rejeter sa demande sur ce fondement.

7. Saisi d'une demande d'autorisation de séjour présentée uniquement au titre de l'asile ou de la protection subsidiaire, le préfet n'est pas tenu d'examiner d'office si le demandeur est susceptible de se voir délivrer une autorisation de séjour à un autre titre.

8. En premier lieu, l'arrêté contesté mentionne que M. E... avait précédemment déposé en France, sans succès, deux demandes d'asile sous une autre identité, qu'à l'occasion de sa dernière demande, il n'a pas été admis au séjour au motif que sa demande d'asile constituait un recours abusif et frauduleux aux procédures d'asile, que sa demande a donc été transmise à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) dans le cadre d'une procédure prioritaire et que l'OFPRA a rejeté sa demande par une décision du 13 avril 2015. L'arrêté indique ensuite que le recours formé auprès de la Cour nationale du droit d'asile le 29 juin 2015 est dépourvu d'effet suspensif en application des dispositions du premier alinéa de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur. L'arrêté contesté comporte ainsi l'énoncé suffisant des considérations de droit et de fait qui fondent la décision portant refus de séjour au titre de l'asile.

9. En deuxième lieu, il ne ressort ni des termes de l'arrêté contesté, rappelés aux points 5 et 8 ci-dessus, ni d'aucune autre pièce du dossier que le préfet de la Seine-Maritime n'aurait pas procédé à un examen complet de la situation personnelle de M. E....

10. En troisième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté contesté : " L'étranger présent sur le territoire français dont la demande d'asile entre dans l'un des cas visés aux 2° à 4° de l'article L. 741-4 bénéficie du droit de se maintenir en France jusqu'à la notification de la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, lorsqu'il s'agit d'une décision de rejet. En conséquence, aucune mesure d'éloignement mentionnée au livre V du présent code ne peut être mise à exécution avant la décision de l'office ".

11. Le moyen tiré de ce que ces dispositions méconnaîtraient l'article 46 de la directive 2013/32/UE susvisée, le principe général du droit de l'Union européenne relatif au droit à un recours effectif et les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est inopérant à l'encontre de la décision portant refus de séjour qui n'implique pas, par elle-même, l'éloignement de l'intéressé.

12. En quatrième lieu, sont inopérants, devant le juge de l'excès de pouvoir, les moyens de légalité interne qui, sans rapport avec la teneur de la décision, ne contestent pas utilement la légalité des motifs et du dispositif qui sont ceux de la décision administrative attaquée. Dans le cas où, comme en l'espèce, le préfet se borne à rejeter une demande d'autorisation de séjour présentée uniquement au titre de l'asile, sans examiner d'office d'autres motifs d'accorder un titre à l'intéressé, ce dernier ne peut utilement soulever, devant le juge de l'excès de pouvoir saisi de conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus du préfet, des moyens de légalité interne sans rapport avec la teneur de la décision contestée. Par suite, les moyens tirés, d'une part, de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, d'autre part, de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant sont inopérants à l'appui du recours formé contre la décision de refus de séjour motivée uniquement par le rejet de la demande d'asile ou de la protection subsidiaire. En effet, l'invocation desdites stipulations est sans incidence sur l'appréciation que doit porter l'autorité administrative sur les conditions posées aux 1° et 8° des articles L. 313-13 et L. 314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour la délivrance des autorisations de séjour demandées au titre de l'asile ou de la protection subsidiaire.

13. En cinquième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision portant refus de séjour serait entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. E....

d. S'agissant de la question de savoir si le requérant se trouvait dans le champ d'application des paragraphes 2 à 4 de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

14. Aux termes de l'article L. 741-4, dans sa version en vigueur jusqu'au 1er novembre 2015 : " Sous réserve du respect des stipulations de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, l'admission en France d'un étranger qui demande à bénéficier de l'asile ne peut être refusée que si : / (...) / 4° La demande d'asile repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures d'asile ou n'est présentée qu'en vue de faire échec à une mesure d'éloignement prononcée ou imminente. Constitue, en particulier, un recours abusif aux procédures d'asile la présentation frauduleuse de plusieurs demandes d'admission au séjour au titre de l'asile sous des identités différentes. (...) ".

15. M. E... ne conteste pas qu'il avait précédemment déposé en France, sans succès, deux demandes d'asile sous une autre identité. Par suite, c'est à bon droit que le préfet de la Seine-Maritime a refusé, par une précédente décision, de l'admettre au séjour en application des dispositions précitées au motif que sa demande d'asile constituait un recours abusif et frauduleux aux procédures d'asile.

e. S'agissant du moyen tiré de la méconnaissance de normes supérieures par le premier alinéa de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

16. D'une part, aux termes du 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) ". Aux termes de l'article 13 de la même convention : " Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles ".

17. D'autre part, le principe général du droit de l'Union européenne relatif au droit à un recours effectif comporte notamment le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre, le droit d'accès de toute personne au dossier qui la concerne, dans le respect des intérêts légitimes de la confidentialité et du secret professionnel et des affaires, et l'obligation pour l'administration de motiver ses décisions.

18. Le 4° de l'article L. 741-4 et l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 ayant transposé en droit national la directive 2013/32/UE, sont restés applicables, en vertu de l'article 30 du décret n° 2015-1166 du 21 septembre 2015 pris pour l'application de cette loi, jusqu'au 1er novembre 2015. Leurs dispositions combinées prévoient que l'étranger dont la demande d'asile est considérée comme frauduleuse, abusive ou dilatoire et qui demande à bénéficier de l'asile ne bénéficie du droit de se maintenir en France que jusqu'à la notification de la décision de l'OFPRA, lorsqu'il s'agit d'une décision de rejet. Il s'ensuit qu'en application de ces dispositions, l'exercice d'un recours à l'encontre de la décision de l'OFPRA devant la Cour nationale du droit d'asile ne présente pas de caractère suspensif et n'induit aucun droit au maintien sur le territoire français pour l'intéressé.

19. Toutefois, en vertu de l'article L. 512-3 du même code, l'obligation de quitter le territoire français éventuellement prise à l'encontre de l'intéressé ne peut être exécutée d'office avant l'expiration du délai prévu pour exercer un recours contentieux à son encontre et 1'exercice de ce recours contentieux suspend son caractère exécutoire jusqu'à la fin de l'instance. Par ailleurs, l'intéressé peut utilement faire valoir l'ensemble de ses arguments dans le cadre d'une procédure écrite devant la Cour nationale du droit d'asile et se faire représenter à l'audience.

20. En outre, il incombe, en ce cas, au juge saisi de la contestation de la légalité d'une obligation de quitter le territoire français, alors qu'un recours est pendant devant la Cour nationale du droit d'asile, de vérifier, au titre de son éventuel droit au maintien sur le territoire, que le demandeur d'asile rentrait dans le champ d'application des paragraphes 2° à 4° de l'article L. 741-4 du même code. Il revient également au juge, si l'intéressé soutient devant lui, à l'encontre de la décision fixant le pays de destination, qu'en cas de retour dans son pays il serait exposé à des risques pour sa vie ou à des traitements inhumains et dégradants, d'apprécier le caractère réel et sérieux de ces risques.

21. Par suite, M. E... n'est pas fondé à soutenir que les dispositions du premier alinéa de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction en vigueur jusqu'au 1er novembre 2015 méconnaîtraient le principe général du droit de l'Union européenne relatif au droit à un recours effectif et les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

22. Par ailleurs, M. E... ne peut utilement soutenir que les dispositions en cause seraient contraires aux objectifs de la directive 2013/32/UE, dès lors que l'article 52 de cette directive dispose que " Les demandes introduites avant le 20 juillet 2015 (...) sont régies par les dispositions législatives, réglementaires et administratives adoptées en vertu de la directive 2005/85/CE ". Or, il ressort des pièces du dossier que M. E... a déposé sa demande d'asile en décembre 2014.

23. Enfin, contrairement à ce que soutient M. E..., les premiers juges ont répondu à son moyen tiré de l'incompatibilité du premier alinéa de l'article L. 742-6 avec le principe général du droit de l'Union européenne relatif au droit à un recours effectif au point 12 de leur jugement.

f. S'agissant du moyen tiré du défaut d'examen sérieux de la situation personnelle :

24. Ainsi qu'il a été dit au point 9 ci-dessus, il ne ressort ni des termes de l'arrêté contesté, rappelés aux points 5 et 8 ci-dessus, ni d'aucune autre pièce du dossier que le préfet de la Seine-Maritime n'aurait pas procédé à un examen complet de la situation personnelle de M. E....

g. S'agissant des moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et de l'erreur manifeste d'appréciation :

25. D'une part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

26. D'autre part, aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. / (...) ".

27. M. E... fait valoir qu'il réside en France avec son épouse et ses trois enfants mineurs dont deux sont nés en France. M. E... ne se prévaut toutefois d'aucune circonstance qui, à la date d'intervention de l'arrêté contesté, serait de nature à faire sérieusement obstacle à son retour en Géorgie en compagnie de son épouse, une compatriote dont la demande de titre de séjour a également été rejetée, et de leurs trois enfants, alors âgés de 6 mois, 4 et 5 ans. Enfin, M. E..., entré pour la dernière fois en France en novembre 2014, ne soutient pas ne plus avoir d'attaches familiales en Géorgie. Dans ces conditions, M. E... n'est pas fondé à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français auraient méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ou serait entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

B. En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

28. Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Ce dernier texte énonce que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ".

29. En premier lieu, l'arrêté contesté mentionne notamment que M. E... a déjà fait l'objet, sous une autre identité, du rejet de deux demandes d'asile par décisions de l'OFPRA des 2 février 2005 et 8 juin 2010, confirmées, respectivement, par la Commission de recours des réfugiés le 17 janvier 2006 et par la Cour nationale du droit d'asile le 7 mars 2011. Il indique également que l'OFPRA a rejeté sa dernière demande par une décision du 13 avril 2015. Il indique, enfin, qu'il ne ressort ni des décisions de l'OFPRA ni de l'examen de l'ensemble des éléments du dossier que la situation de l'intéressé contreviendrait aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'il n'est pas établi qu'il pourrait être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour dans son pays d'origine. L'arrêté contesté comporte ainsi l'énoncé suffisant des considérations de droit et de fait qui fondent la décision fixant le pays de destination.

30. En deuxième lieu, M. E... produit le recours qu'il a adressé à la Cour nationale du droit d'asile à l'encontre de la décision de l'OFPRA. Il fait valoir qu'il a travaillé au sein du Département de la sécurité constitutionnelle, qualifiée par l'OFPRA d'" unité d'élite et controversée du ministère des Affaires intérieures géorgien ". L'OFPRA a indiqué que l'évocation de son recrutement au sein de ce département par M. E... " s'est révélée évasive et particulièrement peu convaincante " et que M. E... n'avait aucune expérience apparente dans ce domaine, ce qui n'est pas contesté. M. E... indique qu'il percevait un salaire pour cet emploi, mais n'en apporte aucun commencement de preuve. L'OFPRA a également relevé que M. E... avait " relaté les pressions et menaces subies en juin 2014 en des termes vagues et peu personnalisés, les convocations et perquisitions des autorités s'étant en ce sens révélées particulièrement peu convaincantes " et " qu'il est apparu peu plausible au regard de la situation prévalant actuellement en Géorgie qu'il ne soit pas 1'objet de poursuites judiciaires officielles, contrairement à son supérieur de l'époque ". Or, M. E... ne répond à ces critiques que par une courte argumentation relativement imprécise et ne produit aucun commencement de preuve à l'appui de ses affirmations. Dans ces conditions, M. E... n'établit pas la réalité des risques personnels auxquels il serait exposé en cas de retour en Géorgie. Le moyen tiré de la violation des textes précités ne peut donc être accueilli.

31. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision fixant la Géorgie comme pays de destination serait entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. E....

II. Sur la légalité de l'arrêté du préfet de Seine-et-Marne du 7 janvier 2016 portant placement en rétention administrative :

32. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version en vigueur à la date de l'arrêté contesté : " A moins qu'il ne soit assigné à résidence en application de l'article L. 561-2, l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par l'autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, pour une durée de cinq jours, lorsque cet étranger : / (...) / 6° Fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français prise moins d'un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n'a pas été accordé / (...) ". Aux termes de l'article L. 554-1 du même code, dans sa version en vigueur à la date de l'arrêté contesté : " Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L'administration doit exercer toute diligence à cet effet ". Aux termes de l'article L. 561-2 du même code, dans sa version en vigueur à la date de l'arrêté contesté : " Dans les cas prévus à l'article L. 551-1, l'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger pour lequel l'exécution de l'obligation de quitter le territoire demeure une perspective raisonnable et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque, mentionné au II de l'article L. 511-1, qu'il se soustraie à cette obligation. (...) ".

33. En premier lieu, M. E... soutient que cet arrêté est intervenu en violation du principe général du droit de l'Union européenne selon lequel toute personne a le droit d'être entendue préalablement à l'adoption d'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement. Il ressort toutefois des pièces du dossier que les services de police l'ont auditionné à l'occasion de son interpellation le soir du 6 janvier 2016 et lui ont notamment demandé toutes précisions sur sa situation matérielle, personnelle et familiale en France. En outre, M. E... ne précise pas les motifs qu'il aurait été empêché de faire valoir, susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de placement en rétention. Le moyen ne peut donc qu'être écarté.

34. En deuxième lieu, les moyens dirigés contre les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination ayant été écartés, l'exception d'illégalité de ces décisions invoquée par M. E... à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'arrêté portant placement en rétention ne peut qu'être écartée par voie de conséquence.

35. En troisième lieu, M. E... soutient que l'arrêté contesté méconnaîtrait les objectifs de l'article 8 de la directive 2013/32/UE relatif à l'information et au conseil dans les centres de rétention. Toutefois, en se bornant à faire valoir qu'aucun des critères de cet article ne serait rempli, le requérant n'assortit pas ce moyen de précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien fondé.

36. En quatrième lieu, le III de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit qu'il est statué dans un délai de soixante-douze heures sur le recours dirigé contre l'obligation de quitter le territoire français par un étranger qui est l'objet en cours d'instance d'une décision de placement en rétention. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 512-3 du même code, l'obligation de quitter le territoire français ne peut faire l'objet d'une exécution d'office avant que le Tribunal administratif n'ait statué s'il a été saisi. Par suite, la circonstance que M. E... avait formé une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 août 2015 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, en fixant son pays de destination ne faisait pas obstacle à l'adoption de l'arrêté du préfet de Seine-et-Marne du 7 janvier 2016 décidant son placement en rétention administrative.

37. En cinquième lieu, l'arrêté contesté a été pris aux motifs, notamment, que M. E... était dépourvu de tout document de voyage et qu'il y avait donc nécessité d'une audition consulaire en vue de la délivrance d'un laissez-passer, qu'il était marié à une compatriote également en séjour irrégulier sur le territoire français, qu'il était sans ressource et sans domicile fixe et ne présentait donc pas de garanties de représentation, qu'il ne pouvait prétendre au bénéfice d'une assignation à résidence sur le fondement de l'article L. 561-2, qu'il n'avait pas déféré à la mesure de reconduite qui lui avait été notifiée le 27 août 2015 par la préfecture de la Seine-Maritime et qu'il s'était maintenu sur le territoire français en situation irrégulière et ne présentait donc pas de garanties propres à prévenir le risque qu'il se soustrait à l'exécution de la mesure. M. E... produit des quittances de loyer et une facture d'électricité d'un membre de la famille de son épouse résidant au Havre et les certificats de scolarité de deux de ses enfants établis le lendemain de l'arrêté contesté ne précisant pas la date d'inscription à l'école. Ces éléments sont insuffisants pour établir que, contrairement à ses déclarations aux services de police lors de son interpellation le 6 janvier 2016, M. E... aurait disposé d'un domicile fixe et de garanties de représentation. Par ailleurs, la circonstance que son épouse et ses enfants n'ont pas fait l'objet d'une mesure de placement en rétention n'est pas de nature à entacher l'arrêté contesté d'une erreur manifeste d'appréciation.

38. En dernier lieu, l'arrêté contesté, qui décide le placement en rétention de M. E... pour une durée de cinq jours présente un caractère provisoire et n'emporte pas par lui-même l'éloignement de l'intéressé. Par suite, M. E... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté contesté aurait été pris en méconnaissance des articles 3 et 9 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

39. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées par son avocat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... E...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Maritime et au préfet de Seine-et-Marne.

Délibéré après l'audience du 7 juin 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- MmeD..., première conseillère,

- Mme C..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 21 juin 2018.

La rapporteure,

A. C...Le président,

J. LAPOUZADE

La greffière,

Y. HERBERLa République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 16PA01935


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 16PA01935
Date de la décision : 21/06/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: Mme Aurélie BERNARD
Rapporteur public ?: M. SORIN
Avocat(s) : MARY-INQUIMBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2018-06-21;16pa01935 ?
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